JOURNALISTE : Je m'empresse de saluer et d'accueillir ici, dans le cadre du premier programme, le ministre des Affaires étrangères. Bonjour, Monsieur Gerapetritis.
G. GERAPETRITIS : Bonjour, Mme Baltatzi. Merci beaucoup pour votre honorable invitation.
JOURNALISTE : Je vous remercie également d'honorer la radio publique. Commençons - parce que je sais que votre temps est limité. Je vais essayer d'obtenir le plus de réponses et d'informations possibles. Donc, le 8 novembre, votre rencontre avec votre homologue turc, M. Fidan. Dans une bonne ambiance, comme cela semble avoir été le cas, avec des déclarations bien sûr de la part de M. Erdogan, qui sont aussi d'un grand intérêt, et des réponses, que je n'aborderai pas maintenant, mais que j'évoquerai dans la suite de notre entretien. Ce que je voudrais donc demander avant tout, Monsieur le Ministre, c'est que vu premièrement le très bon climat et deuxièmement la volonté politique d'avancer dans nos questions avec notre voisin la Türkiye, je comprends et je pense qu'il devrait maintenant y avoir ce que nous appelons une «feuille de route». Et je pose la question de façon directe. Quelle est la feuille de route, M. Gerapetritis, pour l'avenir ?
G. GERAPETRITIS : Je pense que les choses sont relativement claires. Comme j'ai déjà eu l'occasion de le dire devant le Parlement hellénique. Nous en sommes au point où nous avons reçu le mandant, nous deux ministres des Affaires étrangères, d'étudier s'il peut y avoir un cadre commun pour faire passer la discussion à un autre stade, à un stade qui impliquera la délimitation du plateau continental et de la zone économique exclusive. Nous n'en sommes pas encore là. Nous en sommes encore au débat, qui porte sur la portée et les principes du débat. Nous en sommes donc à un stade préliminaire.
JOURNALISTE : Vous avez dit dans votre interview à Kathimerini, si je ne me trompe pas - et si je me trompe, corrigez-moi - qu'au fond les contacts exploratoires sont obsolètes. Je me demande donc comment se présente la prochaine étape. Est-ce que ce sera le groupe du dialogue politique qui explorera ces prochaines étapes ? Au fond, quelles questions feront l'objet de négociations?
G. GERAPETRITIS : Vous avez bien parlé, Madame Baltatzi, s’agissant des prochaines étapes du dialogue gréco-turc. Pour l'instant, comme vous le savez, un statu quo a été établi, avec, dans l’ensemble, une entente relativement bonne, une confiance mutuelle, de sorte que nous pouvons prévenir de nouvelles tensions et crises. Nous avons la possibilité, s'il y a convergence sur les questions fondamentales, de passer à la question de la délimitation. Si une telle compréhension mutuelle émerge, ce dont je ne peux préjuger avant même que la discussion ne commence, alors la discussion aura lieu au niveau des ministres des Affaires étrangères et au niveau du dialogue politique. Les contacts exploratoires auxquels vous avez fait référence sont en effet un long parcours historique - 20 ans environ – où une discussion avait lieu, principalement au niveau technocratique et des différents services, qui n’avait abouti à rien. Nous avons eu 64 cycles de contacts exploratoires, qui n'ont malheureusement pas donné les résultats escomptés. Je pense plutôt que nous avons fait des pas en arrière par rapport à notre position initiale. Ce qu'il faut pour l'instant, c'est une volonté politique forte. Une fois cette volonté politique affirmée, qui se traduira par une position commune sur la manière d’avancer, nous pourrons nous pencher sur les questions techniques et juridiques de la délimitation.
JOURNALISTE : La délimitation du littoral sera-t-elle faite ou devons-nous la laisser pour plus tard, M. Gerapetritis ?
G. GERAPETRITIS : Cette question ne concerne que la souveraineté grecque. Elle n'est soulevée dans aucun dialogue. Elle ne fait partie d'aucun accord. Il s'agit donc exclusivement d'une question qui concerne notre pays. A savoir quand elle sera exercée, permettez-moi de garder cela en interne. Cela est particulièrement crucial. Ce que je peux vous dire, avec certitude, c'est que la Grèce a le droit, qui lui est absolument conféré par le droit international, de l'étendre quand elle le jugera bon, de la manière prévue par le droit international, et elle le fera.
JOURNALISTE : Permettez-moi de vous poser une question. Vous pouvez lire des articles et déceler une certaine inquiétude exprimée dans la presse et dans le discours public, M. Gerapetritis, à savoir que la Grèce se prépare à abandonner définitivement les 12 milles nautiques, voire même la règle générale des six milles nautiques, dont certains parlent. Il y a deux ou trois jours à peine, nous avons lu qu'une source gouvernementale de haut rang avait déclaré que les 6 milles n'étaient même pas à l’ordre du jour. Finalement, où en sommes-nous exactement ? Quel type d'approche allons-nous adopter ?
G. GERAPETRITIS : Ecoutez, Madame Baltatzi, c'est une question extrêmement complexe. Actuellement, il y a la connaissance du droit international. Il y a une prudence dans la façon dont nous traitons les choses et surtout il y a un fort capital diplomatique. Ce que nous disons, c'est que la Grèce ne renoncera jamais à sa souveraineté, à son droit d'étendre ses eaux territoriales à 12 milles nautiques. C'est un droit que nous maintenons. Il n'a pas été exercé pendant toute la période de la transition démocratique, mais cela n'enlève rien, même de loin, à ce droit, qui découle indépendamment du droit international. Par conséquent, le fait de parler de rester dans les 6 milles nautiques n'est évidemment pas pertinent.
JOURNALISTE : Vous dites d'une part que ce n’est pas pertinent, mais d'autre part, vous savez très bien, surtout vous, M. Gerapetritis, qui êtes appelé à gérer cette phase critique, qu'il y a une opinion publique interne qui s'exprime. Mais d'un autre côté, vous avez vous-même déclaré que vous souhaitiez garantir la paix dans la région. Vous l'avez déclaré dans une interview récente.
G. GERAPETRITIS : Je veux être très, très clair. Nous nous trouvons actuellement dans un environnement géopolitique international extrêmement complexe et fluide. Il s'agit, si vous me permettez ce jugement, de l'environnement géopolitique le plus difficile que le monde de l'après-guerre n’ait jamais connu, avec deux guerres très importantes dans notre région, deux guerres qui ont un impact énorme dans notre propre voisinage. Il existe également des conditions de tension dynamique très élevée, comme, par exemple, les flux migratoires, qui sont et seront de plus encore en augmentation. La situation en Afrique, et en particulier en Afrique subsaharienne, est un environnement géopolitique très difficile. Il est très important pour la Grèce de développer constamment sa propre position diplomatique forte, sa propre empreinte diplomatique. Et nous l'avons fait, permettez-moi de le dire, autant que faire se peut.
Aujourd'hui, la Grèce est plus forte que jamais sur la scène internationale. Elle est au “noyau dur” de l'Union européenne, elle est un membre non permanent du Conseil de sécurité pour les deux prochaines années, elle est un codécideur politique mondial en matière de droit international, et nous sommes donc au niveau le plus élevé que nous puissions atteindre aujourd'hui. Nous n'avons absolument aucune peur et c'est précisément parce que nous avons cette grande confiance que je pense que nous sommes en mesure de discuter des choses difficiles. Vous savez, pour l'instant, il y a deux voies. Il y a celle qui consiste à essayer de maintenir le plus longtemps possible le calme relatif qui règne dans notre voisinage, avec la compréhension que nous avons développée…
JOURNALISTE : Oui, mais jusqu'à quand ?
G. GERAPETRITIS : La vérité est que dans la mesure où il y a toujours le différend sous-jacent de la non-délimitation du plateau continental et de la ZEE, il y a un danger potentiel, tout le temps. Ce risque disparaitrait ou, en tout cas, serait considérablement atténué, minimisé, si nous pouvions procéder à cette délimitation. Cette délimitation est, à mon avis, la condition d'une paix et d'une prospérité durables pour notre région. Bien sûr, je tiens à être clair. Il n'y aura pas un tel résultat, si seulement les intérêts nationaux sont pleinement sauvegardés et s'il y a un consensus de la part du monde politique et de la société.
JOURNALISTE : Permettez-moi de dire, puisque nous revenons à ce sujet, parce que c'était une question que je voulais vous poser, que cette négociation sur le plateau continental et la ZEE, si elle va de l'avant, j'ai une question. Est-ce qu'elle concernera les trois zones maritimes, c'est-à-dire le nord, le sud de la mer Égée et l'est de la Méditerranée ?
G. GERAPETRITIS : L'objectif à long terme est d'avoir une délimitation partout, dans le sens où cela est exigé par le droit international lui-même. Je pense donc qu'il serait dans l'intérêt de la paix et de la sécurité à long terme dans notre région d'avoir une délimitation là où la Grèce a des droits souverains. Je répète toutefois que cela ne signifie pas nécessairement qu'en cas de convergence, nous procéderons à une délimitation partout. C'est quelque chose de très, très prématuré.
Je répète, parce que je veux être clair - et je m'adresse aussi à l'opinion publique grecque par le biais de votre chaîne - que nous sommes encore loin du compte. Nous en sommes encore au stade de voir ce dont nous allons discuter. Et ce dont nous allons discuter est très clair pour la partie grecque. J'ai déclaré à plusieurs reprises devant le Parlement que la délimitation de la ZEE et du plateau continental est le notre seul et unique différend et qui peut être porté devant une juridiction internationale. Donc, s'il y a une compréhension de la portée du débat et des principes sur lesquels ce débat sera basé, alors et seulement alors nous passerons aux questions techniques.
JOURNALISTE : Et donc sur la question du renvoi à La Haye, dès lors que cette question se pose.
G. GERAPETRITIS : Le renvoi à La Haye est la dernière étape, qui pourrait éventuellement exister en cas de compromis, ce qui signifie que les deux pays devront s’accorder quant à l'étendue du litige, qui est devant la Cour internationale de justice. Je répète que pour la Grèce, il ne peut s'agir que de la question de la délimitation de la ZEE et du plateau continental. Ce serait la fin d'une discussion, mais c'est aussi la limite de notre négociation. Je tiens à vous dire, Madame Baltatzi, que nous nous trouvons en effet à un carrefour important dans les relations gréco-turques. Et bien sûr, il est bon de se rappeler que les périodes de calme n'ont pas toujours été un acquis. Dans un passé récent, nous avons connu de fortes tensions avec la Türkiye. Je pense que personne n'en doute.
JOURNALISTE : Je pense que la dynamique, M. Gerapetritis, est plus favorable que jamais, ou du moins qu'elle semble l'être.
G. GERAPETRITIS : Je pense qu’il y a non seulement une dynamique positive et favorable, qui se développe jusqu'au point où nous pouvons résoudre les différends, afin de ne pas créer plus de piliers d'instabilité. D'autre part, la Grèce est plus forte que jamais. Et quand on est fort, on parle en termes beaucoup plus forts.
JOURNALISTE : On retient cela, ça ne saurait tarder. Nous verrons tout cela, M. Gerapetritis. Je m'empresse de poser une question, car hier nous avons eu des développements à New York, entre guillemets. Nous verrons, et nous vous entendrons maintenant sur la question de Chypre. Nous avons eu hier la réunion trilatérale informelle entre M. Christodoulides, M. Tatar et M. Guterres. Qu'attendons-nous ? Je veux dire, en substance, quels sont les scénarios possibles sur le dossier chypriote ? Nous entendons dire qu'une réunion à cinq avec les puissances garantes est imminente. Qu'attendons-nous, M. Gerapetritis ?
G. GERAPETRITIS : Tout d'abord, je tiens à exprimer la satisfaction du gouvernement grec et la mienne personnellement quant à la reprise des discussions directes sur le problème chypriote. Il y a un an et demi, la question chypriote était dans une inertie totale et nous avons fait un très grand investissement dans l'énergie de telle sorte que nous avons pu revaloriser cette question et aujourd'hui elle est devenue une priorité majeure de l'ONU. Il est particulièrement important que le secrétaire général lui-même en ait fait un projet personnel et nous avons réussi - et permettez-moi de dire que l'amélioration des relations gréco-turques y a également contribué de manière décisive - à remettre la question chypriote sur le devant de la scène.
JOURNALISTE : Mais la position de la Türkiye est claire. Je veux dire que oui, bien sûr, elle a contribué, mais elle est rigide dans sa position. Sa position sur le problème chypriote est désormais acquise en ce qui concerne la solution.
G. GERAPETRITIS : Depuis longtemps, les dirigeants chypriotes turcs ont soulevé la question de l'égalité souveraine, pratiquement de l'existence de deux États. De toute évidence, cette question ne date pas d’hier. Ce que je veux dire, c'est que cette question sort du cadre du droit international. Les résolutions du Conseil de sécurité des Nations Unies sont très claires et parlent d'une fédération bizonale bicommunautaire. Même le secrétaire général, qui est précisément le porte-parole et le représentant des Nations Unies, ne pourrait pas s'abstenir. Notre position est très claire et nette et toujours en harmonie avec la République de Chypre. Une solution doit être trouvée dans le cadre des Nations Unies. Il est utile que les communautés discutent. Aucun problème n'a trouvé de solution s'il n'y a pas eu de discussion productive. Et nous espérons que cette discussion se poursuivra, afin d'épuiser toutes les possibilités d'une solution viable.
JOURNALISTE : Donc, pour clore cette conversation pour laquelle je vous remercie beaucoup, Monsieur Gerapetritis, suite à votre rencontre avec Monsieur Fidan et dans l'annonce que nous attendons, est-ce que nous allons décoder le côté positif de cette rencontre ?
G. GERAPETRITIS : Nous attendrons de voir.
JOURNALISTE : Êtes-vous optimiste ? Voyez-vous le verre à moitié plein, M. Gerapetritis ?
G. GERAPETRITIS : Je crois en la démocratie consultative. Je crois que la démocratie est soit consultative, soit elle n’existe pas. Nous devons discuter et discuter, parce que la valeur de notre propre culture est précisément que nous pouvons trouver des solutions à nos problèmes par le biais de la discussion. Si l'autre partie est également disposée à trouver une solution à notre grand problème par le biais de la consultation, je pense qu'il y a une marge des possibilités. Et c'est une dette que nous avons. Et c'est une dette que nous avons envers la société d'aujourd'hui, mais aussi envers la société de demain, envers les générations futures, d'épuiser toutes les possibilités qui existent, de sorte qu'en sauvegardant pleinement nos intérêts nationaux, nous puissions assurer la paix, la sécurité et la prospérité pour longtemps.
JOURNALISTE : Vous êtes clair, M. Gerapetritis. Je vous remercie pour cette discussion. Je vous souhaite beaucoup de courage, Monsieur Gerapetritis.
G. GERAPETRITIS : Je vous remercie.
October 16, 2024