Interview accordée par le ministre des Affaires étrangères, G. Katrougalos au journal « Efimerida ton Syntakton » et au journaliste N. Zirganos (22.06.2019)

Interview accordée par le ministre des Affaires étrangères, G. Katrougalos au journal « Efimerida ton Syntakton » et au journaliste N. Zirganos (22.06.2019)JOURNALISTE : Nicosie et Athènes ont remporté une bataille diplomatique importante et ont fait passer une décision au sein de l’UE sur d’éventuelles sanctions à l’égard de la Turquie si cette dernière poursuit ses activités illégales dans la ZEE chypriote. Toutefois, la Turquie non seulement continue ses activités de forage avec le Fatih, mais envoie un deuxième navire de forage dans la région. Quand, comment et qui jugera des sanctions à imposer ?

G. KATROUGALOS : Vous évoquez à juste titre le fait que la récente décision du Conseil européen, qui comprend pour la première fois la prise de mesures, qui plus est en des termes plus sévères que ceux employés au Conseil des Affaires générales, constitue une importante victoire pour la Grèce et la République de Chypre. Elle est l’aboutissement d’efforts systématiques qui avaient dans le passé donné lieu à d’importantes décisions du Parlement européen et, notamment, la décision du Conseil européen de mars 2018, qui dénonçait clairement les activités turques en Egée et en Méditerranée orientale en tant que violations de la légalité internationale. Depuis, la poursuite de ces actions non seulement n’est pas dans l’intérêt de la Turquie dont l’objectif est de créer des faits accomplis, mais l’expose en tant que pays qui cherche à déstabiliser la région. Aujourd’hui, l’UE passe aux actes. La Turquie a bien reçu ce message. Ce n’est pas un hasard si le ministère turc des Affaires étrangères accuse l’UE d’être soi-disant devenue l’otage de la Grèce et de Chypre pour avoir adopté une politique de principe. D’ailleurs, la haute représentante en charge de la politique étrangère de l’Union, Mme Mogherini, examine les mesures qui seront imposées, si la Turquie ne cesse pas ses activités illégales.

JOURNALISTE : Outre la condamnation de la Turquie, tant les Américains que les Allemands notent qu’un dialogue devra être engagé afin que soit résolue la question chypriote. Un dialogue entre qui et qui, sur la base de quel droit et dans quelles conditions ?

G. KATROUGALOS : La Grèce et la République de Chypre souhaitent résoudre la question chypriote au moyen du dialogue, non pas sous la menace du chantage et l’étalage de force. Cette grande question nationale, près d’un demi-siècle après la tragédie du coup d’Etat et de l’invasion turque, demeure une plaie sanglante pour l’Hellénisme. Pour la première fois après des années, un progrès qualitatif existe pour ce qui est des conditions de négociation de la solution. Le processus de Genève et de Crans Montana n’a pas abouti à une solution mais a néanmoins renforcé de manière déterminante nos positions nationales et a replacé le dossier chypriote dans ses vraies proportions. C’est là qu’a enfin été soulevée, dans l’agenda de la négociation, la question de la sécurité, du retrait de l’armée d’occupation et de l’abolition du régime obsolète des garanties. Nous avons mis particulièrement en avant la position selon laquelle le dossier chypriote n’est pas seulement – ni même normalement – une question ayant trait aux deux communautés, mais une question relevant du droit international et c’est en tant que tel qu’il doit être envisagé, tout en reconnaissant le fait que la République de Chypre est un Etat membre souverain de l’UE. C’est cette dimension là dont discute la Grèce, qui estime que son aspect intérieur ne concerne exclusivement que les Chypriotes, les Chypriotes grecs et les Chypriotes turcs. Et là doivent bien entendu être respectées les décisions pertinentes de l’ONU. Manifestement, la réouverture des négociations n’est pas chose facile. Il est toutefois positif de constater que lorsque celles-ci débuteront, la question des garanties et de la sécurité figurera tout en haut de l’agenda.

JOURNALISTE : Est-ce que l’action des Chypriotes turcs à Famagouste est pour faire diversion, est-ce une menace ou bien le prélude d’une « solution » de deux Etats ?

G. KATROUGALOS : Les « deux Etats » ne constituent pas une solution, mais une légalisation de l’invasion, de l’occupation et de la violation du droit international. La Turquie ne peut imposer une « solution » similaire, car ce choix ne s’inscrit pas dans la légalité internationale. Les récentes déclarations concernant Famagouste, constituent en effet une diversion vis-à-vis de l’isolement croissant de la Turquie et les sanctions attendues. Celles-ci doivent toutefois être prises au sérieux pour éviter les conséquences néfastes à l’avenir qui compliqueraient encore plus la situation.

JOURNALISTE : La question des S400 et l’attitude qu’adopteront les Etats-Unis dans la question des territoires de la Syrie qui sont sous contrôle kurde, peuvent provoquer une brèche dans les relations entre Washington et Ankara. Sommes-nous prêts à faire face à un scénario de rupture ou à un scénario de compromis américano-turc ? Quelles conséquences aura l’un ou l’autre scénario dans la région ?

G. KATROUGALOS : La Turquie risque vraiment de se retrouver confrontée, après les sanctions de l’UE, aux sanctions des Etats-Unis, à un moment où son économie est particulièrement fragilisée. Nous ne nous réjouissons pas de son isolement et espérons qu’elle comprendra bien que cet isolement est le résultat de ses propres choix de s’écarter de la légalité internationale. Notre stratégie consiste à faire de notre pays un pilier de stabilité et de sécurité dans la région élargie du Moyen-Orient et des Balkans. Dans ce sens, la promotion d’une politique étrangère multidimensionnelle de promotion des relations avec la Russie et les pays du Moyen-Orient, les modèles de coopération tripartite, toujours avec la République de Chypre, l’initiative grecque du Med7 et la revalorisation de la coopération stratégique avec les Etats-Unis, sur la base de l’alignement de nos intérêts, ont revêtu une importance particulière.

JOURNALISTE : Les ministres des Affaires étrangères de l’UE ont, encore une fois, reporté la décision de relancer les négociations d’adhésion avec la Macédoine du Nord et l’Albanie pour octobre, sans pouvoir exclure que cela ne soit pas reporté aux calendes grecques. Notamment pour ce qui est de la Macédoine du Nord, l’UE semble ne pas respecter les promesses qu’elle a faites avant l’atteinte de l’Accord de Prespès. Une politique incohérente de l’UE ne risque-t-elle pas de saper l’Accord ?

G. KATROUGALOS : Il existe de manière générale un risque pour la fiabilité de l’UE si elle donne l’impression de ne pas remplir ses engagements vis-à-vis de pays somme la Macédoine du Nord qui ont pleinement rempli les leurs. Pour ces raisons, j’attendais une attitude plus généreuse et cohérente de la part de l’Europe vis-à-vis de ce pays. Même ainsi, la voie pour la réouverture des négociations à partir d’octobre est ouverte. Je ne pense pas qu’il y ait un risque au niveau de l’application de l’Accord car le gouvernement Zaev s’est fermement engagé à l’appliquer.

JOURNALISTE : Le parti de l’opposition en Grèce admet que l’Accord de Prespès est un accord international qu’il ne peut – ou ne veut – déconstruire. Que se passera-t-il en Macédoine du Nord au cas où le parti nationaliste arrive au pouvoir, notamment si la voie européenne ne s’ouvre pas pour le pays ?

G. KATROUGALOS : L’acceptation officielle de l’Accord par la direction de la Nouvelle Démocratie – en dépit des voix discordantes que l’on peut entendre dans son aile d’extrême droite – constitue sans aucun doute une évolution positive. Il existe toutefois une évolution encore plus importante : la récente décision du Conseil des Affaires générales, de l’organe compétent de l’UE pour l’élargissement, relie expressément pour la première fois l’application fidèle de l’Accord de Prespès à la perspective d’adhésion du pays voisin. Cela constitue la principale garantie pour que la Macédoine du Nord ne bascule plus jamais dans les politiques nationalistes du passé, même si – une éventualité que j’exclus – il y a un quelconque changement gouvernemental.

JOURNALISTE : Quelle est la conséquence de la crise politique en Albanie sur les questions demeurées en suspens avec la Grèce ? Nous étions sur le point de résoudre les questions tant de la ZEE, que du casus belli. Qu’en pensez-vous ?

G. KATROUGALOS : En effet, nous étions arrivés très près d’une solution globale ; toutefois la détérioration de la situation interne dans notre pays voisin n’a pas permis que les négociations pertinentes portent leurs fruits.

JOURNALISTE : Comment les droits de la minorité nationale grecque en Albanie peuvent-ils être mieux protégés ?

G. KATROUGALOS : S’agissant de la protection des droits de la minorité grecque en Albanie, pour la première fois et de façon aussi claire dans la décision récente du Conseil des Affaires générales, la perspective européenne de l’Albanie est liée au respect de ses droits patrimoniaux et encore plus au droit de ses membres à l’auto-idéntification. En ce qui concerne les questions bilatérales plus générales, en effet nous étions proches d’une solution globale ; toutefois, la détérioration de la situation intérieure dans notre pays voisin n’a pas permis que ces négociations portent leurs fruits.

JOURNALISTE : Dans les Balkans, la question du Kosovo est toujours ouverte. Est-ce qu’un échange de territoires entre la Serbie et le Kosovo ne créerait-il pas les conditions nécessaires à la création d’une grande Albanie ? Est-ce que cet échange, s’il se fait finalement, ouvrira la voie à la légalisation de l’échange de frontières dans les Balkans ?

G. KATROUGALOS : Les Balkans ont toujours été considérés comme la poudrière de l’Europe. Grâce à la politique d’exportation de stabilité que nous avons suivie, avec comme point culminant l’Accord de Prespès, nous nous sommes efforcés d’envoyer un message de paix dans la région. Pour cette raison, nous sommes particulièrement réservés vis-à-vis de toute proposition qui pourrait faire remonter à la surface les tendances nationalistes extrêmes et le conflit entre les peuples.

JOURNALISTE : Lors des élections du 7 juillet, vous serez candidat du SYRIZA et ministre des Affaires étrangères et d’ailleurs en cette période cruciale pour nos questions nationales, vous ne faites pas de campagne électorale personnelle. Quel message souhaitez-vous envoyer aux électeurs ?

G. KATROUGALOS : L’enjeu des élections est très crucial et va au-delà du sort des personnes quelles qu’elles soient. Il en va de notre vie et de celle de nos enfants. Elles permettront de juger si l’espoir d’une nouvelle “Metapolítefsi” restera bien vivant ou bien si nous retournerons aux pratiques qui ont détruit le pays. Dans ce contexte, je suis candidat dans une circonscription électorale difficile qui manifestement en raison de sa taille occupe un poids important pour le résultat final. Je ne demande pas la confiance des citoyens par égoïsme. D’ailleurs, en politique, j’ai toujours fonctionné comme citoyen actif et non comme homme politique professionnel. Cela étant, le Parlement est le miroir de la réalité politique du pays. A chacun de voir ce qu’il veut y voir.

June 22, 2019