Interview accordée par le ministre des Affaires étrangères, G. Katrougalos à la station radio ERA 1 « 105,8 »

Interview accordée par le ministre des Affaires étrangères, G. Katrougalos à la station radio ERA 1 « 105,8 »Propos recueillis par le journaliste Alfonsos Vitalis

A. VITALIS : Nous avons au téléphone le ministre des Affaires étrangères, M. G. Katrougalos. Monsieur Katrougalos bonjour.

G. KATROUGALOS : Bonjour à vous et à vos auditeurs.

A. VITALIS : Je ne voudrais pas que l’on parle de la conjoncture politique et des constatations de l’opposition et de votre interlocuteur précédent. Je voudrais plutôt qu’on aborde directement les questions relevant de vos compétences, car s’il est vrai que nous nous trouvons en plein milieu de la période préélectorale, les grandes questions de la politique étrangère – que d’autres appellent questions nationales – sont devant nous et ont leur propre dynamique.

Ma question est la suivante : Suite à la rencontre du Premier ministre, M. Tsipras avec M. Erdogan ainsi qu’à la vôtre avec votre homologue, M. Çavuşoğlu avec lequel vous avez promu, par la voie politique, le règlement de certaines questions, a été lancé à Athènes le dialogue sur les mesures de confiance au niveau des experts militaires.

J’essaye de comprendre et je demande votre aide à cet égard, ce que signifient exactement les affirmations de M. Akar d’hier, à savoir que les experts militaires ont été mandatés pour engager un dialogue global tant sur la mer Egée que sur Chypre et la Méditerranée. Et est-ce que ces mesures de confiance pourront véritablement apporter des résultats et dans quelle mesure celles-ci pourront avancer monsieur le ministre ?

G. KATROUGALOS : Je pense qu’il y a un malentendu dans les déclarations de M. Akar. Ce dernier a voulu paraître ouvert afin justement de détourner l’attention des actions unilatérales, provocatrices et illégales de la Turquie à Chypre et donner l’impression que la Turquie voudrait engager un dialogue sur toutes les questions.

Il ne parlait pas de cette négociation particulière qui en fait ne porte que sur des questions techniques relatives aux mesures de confiance. Par définition, les militaires ne peuvent discuter que des questions relevant de leurs compétences.

Par conséquent, pour être clair à cet égard, la déclaration de M. Akar était plutôt une déclaration d’intention, une déclaration propagandiste en fait, à mon avis, qui était adressée à l’étranger, et laquelle n’avait rien à avoir avec l’objet de la discussion tenue actuellement à Athènes au niveau des experts techniques dont l’objectif n’est autre que de trouver des moyens permettant de discuter à l’avenir de la substance des questions dans le cadre des discussions qui se tiendront lorsque les conditions y seront favorables, au niveau des responsables politiques et non pas au niveau des militaires.

Les militaires ne font actuellement qu’examiner les mesures de confiance qui ont été prises dans le passé…

A. VITALIS : Yilmaz – Papoulias, le protocole d’accord n’est-ce pas ?

G. KATROUGALOS : Oui, le protocole d’accord Yilmaz-Papoulias et d’autres accords qui ont été conclus dans l’intervalle afin de voir dans quelle mesure les deux parties ont une perception commune à cet égard et la raison pour laquelle ces accords ne sont pas appliqués ou la façon dont ceux-ci sont appliqués.

A. VITALIS : Monsieur le ministre, avez-vous un certain optimisme même prudent, qu’il y aura une désescalade des tensions en Egée en vue de la saison d’été car comme vous le comprenez, les flux touristiques concernent tant nous que nos voisins ?

G. KATROUGALOS : Actuellement, notre pays voisin essaye, parce qu’il se sent isolé à Chypre en raison de ses propres actions, et non pas à cause de celles d’une autre partie quelle qu’elle soit, de recourir comme d’habitude à ses provocations unilatérales dans le cadre de sa politique révisionniste.

J’ose espérer qu’il comprendra au moins, et telle a été ma compréhension à travers mes entretiens avec mon homologue, que ces actions ne devront pas créer des conditions susceptibles de provoquer un accident en Egée, ce qu’aucune de deux parties ne voudrait. Et je ne parle pas nécessairement d’un incident grave car un simple accident aussi pourrait faire des victimes.

A. VITALIS : Nous avons l’exemple tragique d’Iliakis et je suis sûr, M. le ministre, que ni le pilote turc n’a décollé dans le but de percuter l’avion du tant regretté Iliakis, ni Iliakis n’a décollé dans le but de percuter un avion turc.

G. KATROUGALOS : C’est exactement ce que je veux dire. De toute évidence, personne ne veut la guerre, qui plus est un incident « chaud ». Mais plus la tension s’accumule, moins on ne peut garantir la survenue de tels événements. Et ce sont des événements dramatiques, car ce n’est pas seulement un pilote dont on parle, c’est un homme et les hommes ne sont pas de simples unités. Je pense donc qu’à ce niveau là du moins, nous pouvons discuter mais pas sur des nouvelles mesures, car ce qui est nécessaire est d’appliquer des mesures qui ont d’ores et déjà été discutées dans le passé.

A. VITALIS : Depuis 1988, si je me souviens bien, depuis mai 1988, avec le protocole d’accord Papoulias Yilmaz. Le problème est que nous avons une escalade des provocations de la Turquie et dans la ZEE chypriote nous avons, outre un navire de recherches, un navire de forage, et un autre qui se dirige vers la ZEE chypriote ; l’Union européenne, la partie américaine et autres pays ont condamné ces actions de la Turquie et parlent du droit de Chypre à l’intérieur de la zone maritime qu’elle a définit.
La question est la suivante : une action unilatérale de la Turquie peut-elle être évitée là-bas et créer des faits accomplis, un forage éventuellement dans la ZEE de Chypre ? Et deuxièmement, quand et dans quelles conditions les Européens pourront-il imposer certaines sanctions à la Turquie en raison de son comportement provocateur ?

G. KATROUGALOS : La question des tensions a d’ores et déjà été soulevée auprès de l’Union européenne et si la Turquie persiste dans ses actions alors il faudra prendre des mesures. Mais le fond du problème est tout autre. La question est de savoir si effectivement ces actions de la Turquie créent des faits accomplis juridiques au détriment de la République de Chypre. Par conséquent, ma réponse est très simple : la partie turque a toujours eu une stratégie axée sur le révisionnisme ; elle ne veut pas, contrairement à nous, que le droit international soit appliqué ; elle veut faire une démonstration de force en contestant les dispositions du droit de la mer. Elle veut, en d’autres termes, créer des zones grises. Comment sont créées les zones grises ? Comment est créé un fait accompli de contestation du droit international ? Quand une action donnée, les tentatives qu’elle fait par exemple aujourd’hui ou qu’elle a faites dans le passé, sont envisagées par la communauté internationale comme un différend. Autrement dit, elles ne sont pas envisagées comme des actions illégales. En revanche, s’agissant des actions récentes de la Turquie, nous constatons que cette condamnation est généralisée, universelle. Par conséquent, à partir du moment où ces actions sont dénoncées comme violations du droit national, elles ne créent en aucun cas des faits accomplis susceptible de créer à l’avenir une base pour des revendications juridiques de la Turquie. En revanche, elles soulignent encore plus son isolement. Un isolement que nous ne souhaitons pas. Nous voudrions discuter avec la Turquie, mais discuter lorsqu’elle n’accomplit pas ces actions illégales et discuter sur la base du droit de la mer et du droit international.

A. VITALIS : Monsieur le ministre, vous êtes très clair dans ce que vous dites, car de nombreux juristes et diplomates se préoccupent ces derniers temps et craignent que si le navire de forage de la Turquie découvre un gisement, des faits accomplis seront créés, vous l’avez très clairement expliqué car vous êtes un éminent juriste, mais ici il y a un problème : lorsque vous dites que l’ensemble de la communauté internationale a condamné ces actions, cela veut dire qu’elle considère comme illégale toute action accomplie dans une zone maritime légalement déterminée, à savoir la ZEE chypriote. La question que l’on peut se poser est la suivante : finalement à partir du moment où une très grande puissance, qui est également une force garante à Chypre, à savoir la Grande Bretagne conteste des droits souverains de la République de Chypre dans la ZEE, elle parle de contestation de souveraineté, que peut-il exactement arrivé ? Je parle des déclarations de M. Duncan.

G. KATROUGALOS : Ces déclarations sont regrettables ; elles ont été fortement condamnées par la République de Chypre et nous-mêmes, le Royaume-Uni a corrigé cela en faisant d’autres déclarations qui n’étaient pas suffisantes, à mon sens, compte tenu du fait que le Royaume-Uni était présent lorsque la question a été abordée à l’Union européenne. Il ne s’est pas encore officiellement parti comme vous le savez. Et il n’a pas contesté la position très claire qui a été formulée là-bas ; vous l’avez d’ailleurs entendue de la bouche de Mme Mogherini qui a réitéré la position de 2018 en invitant la Turquie à cesser toute action illégale de ce type. Je pense qu’il ne s’agit pas d’une distanciation [de position] au fond, mais d’une déclaration malencontreuse, voire inacceptable que le Royaume-Uni aimerait abandonner mais [ne le fait pas] pour ses propres raisons politiques, peut-être, à une période particulièrement étrange pour eux, puisqu’ils n’ont pas procédé avec le Brexit comme ils auraient dû le faire, d’une façon claire et transparente.

May 28, 2019