Interview accordée par le ministre des Affaires étrangères, Nikos Dendias, au journal ‘KEFALAIO’ et à Capital.gr – Propos recueillis par le journaliste, Spiros Dimitrelis (22.01.2022)

JOURNALISTE : Monsieur le Ministre, êtes-vous préoccupé par la montée en puissance de la rhétorique de la Turquie concernant la militarisation des îles ? Ankara soulève maintenant directement la question de la remise en cause de notre souveraineté sur les îles.

N. DENDIAS : Il y a effectivement une recrudescence de la rhétorique du gouvernement turc, qui ne sauve même plus les apparences sur le plan verbal et remet en cause des décennies d'acquisitions avec des allégations scandaleuses, au-delà de tout concept rationnel et certainement au-delà de la légitimité internationale.

Soulever de telles questions, à un moment où le pays en question menace de faire la guerre si un pays souverain exerce son droit inaliénable en vertu du droit international, ne correspond pas au niveau de relations que la Grèce souhaite cultiver avec tous ses pays voisins.

Pour le gouvernement grec, les choses sont absolument claires : notre pays a un droit absolu à l'autodéfense. Cela est prévu dans la Charte des Nations Unies. Cette situation est devenue encore plus urgente après l'invasion turque de Chypre et, par conséquent, le blindage des îles sur le plan de la défense est un droit absolu et légal du pays.

Nous avons rejeté les revendications unilatérales de la Turquie concernant le statut d'île militarisée par le biais d'une lettre de la représentante permanente grecque auprès de l'ONU adressée au Secrétaire général de l'Organisation, Antonio Guterres. Dans cette lettre, les revendications turques sont décrites comme étant totalement infondées, non étayées, juridiquement et historiquement incorrectes et donc rejetées dans leur intégralité, sur la base des dispositions des accords internationaux en vigueur et faisant partie intégrante du droit international.

Il est absolument clair que la Grèce ne laissera aucun défi sans réponse. Nous souhaitons avoir un dialogue constructif et promouvoir un « agenda positif », mais toujours sur la base du droit international, et en particulier du droit international de la mer.

Personne n'a le droit de se faire d'illusions sur la volonté de la Grèce de défendre sa souveraineté et ses droits souverains. Notre pays travaille sans cesse à la création de nouvelles formes de coopération et s'impose comme un pôle de stabilité régional, à l'heure où la Turquie, contre notre volonté, se comporte comme un facteur de déstabilisation.

JOURNALISTE : Quels risques apparaissent pour la politique étrangère grecque en raison des tensions entre l'OTAN et la Russie au sujet de l'Ukraine ?

N. DENDIAS : Il est évident que l'intensification des relations entre la Russie et l'Ukraine au cours des derniers mois présente des risques d'embrasement en Europe. Les choses sont à un point critique, malgré les pourparlers qui ont eu lieu la semaine dernière et qui, logiquement, se poursuivront la semaine prochaine.

L'ensemble du scénario pourrait déclencher une réaction en chaîne et ébranler le cadre sécuritaire plus large de la région, à un moment où nous sommes confrontés, tous pays confondus, au spectre de la crise énergétique, mais aussi aux conséquences économiques de la crise sanitaire d'il y a plus de deux ans.

Il faut que les tensions baissent immédiatement, en gardant toujours à l'esprit la nécessité de respecter l'indépendance, la souveraineté et l'intégrité territoriale de l'Ukraine sur la base des principes fondamentaux du droit international. C'est notre principe fondamental et inviolable.

Dans le même temps, cependant, la Russie fait partie intégrante de l'architecture de sécurité européenne. C'est pourquoi nous avons souligné que les canaux de communication avec ce pays doivent rester ouverts.

La Grèce, bien sûr, en tant que membre de l'UE et de l'OTAN, opère toujours dans le cadre de ces principes et valeurs. Toutefois, elle entretient des liens historiques et culturels de longue date et à plusieurs niveaux avec la Russie.

JOURNALISTE : Comment la Grèce évalue-t-elle le récent mémo du Département d'État sur le gazoduc East Med et le retrait du soutien américain au projet ? La Grèce reste-t-elle engagée dans ce projet ?

N. DENDIAS : Tout d'abord, M. Dimitrelis, je voudrais souligner qu'aujourd'hui, la Grèce s'est imposée comme une plaque tournante solide dans le secteur de l'énergie. Il joue désormais un rôle important dans les plans énergétiques de la Méditerranée orientale, ainsi que dans les plans stratégiques des États-Unis.

Notre pays participe à des projets énergétiques, noue des partenariats et des alliances avec les pays voisins et met en pratique le droit international. Dans ce contexte, le gouvernement grec examine tous les projets qui pourraient être techniquement et économiquement viables, toujours sur la base des évaluations faites par les marchés.

Un exemple typique, qui n'a peut-être pas été suffisamment souligné, est la signature, il y a quelques mois, du protocole d'accord pour l'interconnexion électrique entre la Grèce et l'Égypte dans le cadre de l' « Interconnecteur Euro-Afrique ». Cet accord, qui constitue la première interconnexion entre l'Europe et l'Afrique dans la région du sud-est de la Méditerranée, met en pratique l'accord de délimitation maritime avec l'Égypte, tout en consolidant la position géopolitique et énergétique importante de notre pays dans la région élargie.

Dans le même temps, je tiens à souligner l'étroite coopération avec les États-Unis dans le cadre de l'initiative 3+1 (Grèce, Chypre, Israël et États-Unis), ainsi que le soutien américain à la création d'un terminal flottant de liquéfaction du gaz à Alexandroupolis, à la création de pipelines d'interconnexion avec les pays situés à notre frontière nord, et à l' « Interconnecteur Euro-Asie », qui prévoit la connexion électrique entre la Grèce, Chypre et Israël.

La volonté politique des États-Unis dans ce sens est acquise et a été déclarée de la manière la plus officielle. Puisque vous me parlez de l’East Med, permettez-moi de faire une observation : le problème n'est pas géopolitique, mais purement lié à la durabilité économique et à l'environnement.

JOURNALISTE : Êtes-vous satisfait des progrès de la mise en œuvre de l'accord de Prespès ? Êtes-vous préoccupé par l'instabilité politique dans le pays voisin et, plus largement, dans la région des Balkans occidentaux ?

N. DENDIAS : Le message du gouvernement grec est clair : la mise en œuvre complète, cohérente et de bonne foi de l'accord de Prespès est une base nécessaire pour le renforcement de nos relations bilatérales, mais aussi une condition nécessaire pour progresser sur la voie européenne de la Macédoine du Nord. Les services du ministère des Affaires étrangères suivent de près ce processus. Nous prenons note avec satisfaction de toutes les mesures prises en vue de sa mise en œuvre et prenons les mesures appropriées pour remédier aux lacunes ou aux retards que nous identifions.

En ce qui concerne la deuxième partie de votre question, il est vrai que ces derniers temps, nous avons assisté à une résurgence des crises et des tensions dans les Balkans occidentaux. La situation en Bosnie-Herzégovine est particulièrement préoccupante, car le scénario d’un nouvel embrasement est malheureusement de mauvais augure. C'est pourquoi nous mettons tout en œuvre pour consolider la stabilité dans la région et nous sommes en contact permanent avec nos partenaires.

Il y a quelques jours, j'étais en Croatie, et à la fin de la semaine, j'accompagnerai le Premier ministre en Serbie. Pour nous, la perspective européenne des Balkans occidentaux est à sens unique, et nous travaillons sans relâche dans ce sens.

JOURNALISTE : Ces dernières années, nous avons vu d'importants investissements étrangers grâce à la diplomatie économique du pays. Quel est le rôle de la diplomatie économique dans l'effort pour développer l'économie grecque et renforcer notre stratégie nationale ?

N. DENDIAS : En effet, un travail important a déjà été réalisé pour attirer des investissements phares dans des domaines tels que l'économie verte, l'énergie et l'innovation technologique. Grâce à ces efforts, qui ont été entrepris par notre Secrétaire d’Etat, Kostas Fragogiannis, et notre Secrétaire général, Yannis Smyrlis, et qui se reflètent dans l'augmentation des exportations et des investissements, l'image de la Grèce s'est considérablement améliorée, et elle est désormais perçue partout comme un partenaire fiable et une destination sûre pour les investissements.

Bien entendu, ces évolutions très positives ne sont pas le fruit du hasard, mais le résultat d'une stratégie spécifique et d'un travail systématique. La diplomatie économique est devenue une priorité essentielle de notre politique étrangère. Dans ce contexte, nous avons fixé comme objectifs centraux de soutenir l'esprit d'entreprise grec à l'exportation et de continuer à attirer des investissements étrangers, tandis que le premier plan stratégique national pour l'extraversion a déjà été élaboré, où ces objectifs sont déclinés et mis en œuvre par des actions coordonnées au niveau bilatéral et multilatéral, ainsi qu'au niveau de la coopération au développement.

JOURNALISTE : Quel est l'objectif et le résultat des récentes ouvertures dynamiques de la diplomatie grecque dans les pays africains ?

N. DENDIAS : L'ouverture de notre politique étrangère en Afrique sub-saharienne est un choix stratégique. Comme vous le savez, j'ai visité le Rwanda, le Gabon et le Ghana en novembre dernier et j'ai effectué mon premier voyage de l'année au Nigeria et en Angola. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si, dans quelques semaines, je me rendrai au Sénégal pour l'ouverture de notre ambassade dans ce pays. Ainsi qu'en Gambie et au Cap-Vert.

Je voudrais juste souligner que tous ces pays n'ont jamais été visités par un ministre grec des affaires étrangères. Le seul haut fonctionnaire grec qui s'était rendu au Nigeria était le Secrétaire d’Etat aux Affaires étrangères de l'époque, Terrence Quick, en 2018, qui avait rencontré des membres de la communauté grecque et des responsables du gouvernement nigérian.

Ces visites s'inscrivent dans le cadre du développement des contacts internationaux de notre pays, compte tenu de notre candidature à un siège non permanent au Conseil de sécurité de l'ONU pour la période 2025-26.

Le continent africain connaît la plus forte croissance économique et démographique du monde. De nouvelles opportunités sont créées, notamment dans le secteur économique, mais dans le même temps, de nouveaux défis apparaissent, par exemple dans la région du Sahel, où les organisations terroristes et les trafiquants ont trouvé un terrain fertile.

Nous prévoyons d'accroître notre empreinte et notre influence, en nous appuyant sur la forte présence de la diaspora grecque, des communautés historiques, et sur le fait que la Grèce n'a pas de passé colonial. En même temps, en tant qu'État membre de l'Union européenne, nous pouvons agir comme un pont vers l'Europe et contribuer au renforcement des relations de l'UE-Afrique.

January 22, 2022