Interview accordée par le ministre des Affaires étrangères Nikos Dendias, au journal « Parapolitika » et au journaliste Kostas Papachlimitzos (04.06.2022)

JOURNALISTE : Aurons-nous un été « chaud » en mer Égée ? À quoi attribuez-vous la tension à la rhétorique d'Ankara et l'escalade des provocations avec les survols et autres actions ?

N. DENDIAS : La rhétorique extrême des dirigeants politiques turcs et le comportement provocateur dans la mer Égée, avec des survols d'îles grecques, révèlent l'intention d'intensifier le révisionnisme turc. Face à la recrudescence de la provocation turque, nous répondons avec prudence et calme, en choisissant comment et quand réagir. En avançant les bons arguments, non en faisant du sensationnalisme. Nous ne nous laissons pas entraîner dans une confrontation stérile. Nous renforçons nos liens, bilatéralement avec des partenaires stratégiques comme les États-Unis et la France, mais aussi avec d'autres pays. Dans le même temps, nous informons régulièrement tous les alliés et partenaires du comportement inacceptable de la Turquie. Et nous soulignons dans toutes les directions que nous sommes prêts à défendre nos intérêts nationaux. Contre toute menace. Et permettez-moi de faire une dernière remarque sur ce point : nous avons souligné à plusieurs reprises que nous sommes favorables à un dialogue constructif avec la Turquie sur la base du droit international. Et nous le pensons. Mais ce n'est pas nous qui, chaque jour, coupons les quelques ponts de communication restants et faisons des provocations. C'est nous qui montrons sur les cartes les points de transgression de la Turquie. Nous ne « dessinons » pas sur les cartes de la mer Égée, en modifiant les frontières au gré de la fantaisie du moment. Des actions que l’on pourrait qualifier de simplement pittoresques si elles n'étaient pas aussi dangereuses.

JOURNALISTE : Berlin appelle la Grèce et la Turquie à « se comprendre par le dialogue ». Êtes-vous généralement satisfait de l'attitude de nos partenaires et alliés face au comportement agressif de la Turquie ?

N. DENDIAS : Le Premier ministre grec, lors de sa récente rencontre avec le chancelier allemand, s’est spécifiquement référé à la tension croissante qui est apparue dans la région suite aux provocations turques. Kyriakos Mitsotakis a informé M. Scholtz en détail sur la provocation turque, ainsi que sur la rhétorique agressive du pays voisin, qui, a-t-il souligné, nuit à la stabilité en Méditerranée orientale. Pour ma part, j'ai l'intention d'aborder clairement ces questions avec mon homologue allemande, Mme Baerbock, lors de notre rencontre à Athènes dans quelques jours.  Et bien sûr, nous attendons de l'Allemagne, ainsi que de tous nos partenaires européens, qu'ils fassent preuve de la solidarité nécessaire avec la Grèce et Chypre. Nous avons exprimé notre soutien et notre solidarité envers nos partenaires lorsqu'ils sont confrontés à des menaces extérieures. Le fait est que les déclarations publiques de certains d'entre eux ne nous satisfont pas suffisamment.  Et il est clair qu'ils ne peuvent pas mettre la victime et le bourreau dans le même panier.  Bien sûr, comme vous l'aurez constaté dans les récentes déclarations du porte-parole du gouvernement allemand, nos contacts constants portent leurs fruits. Mais un changement d'attitude de la part de nos partenaires ne peut se faire du jour au lendemain. Il est particulièrement important de cultiver les relations à un niveau personnel.  C'est pourquoi, depuis le jour où j'ai pris mes fonctions il y a presque trois ans, je n'ai cessé de déployer des efforts pour renforcer les relations bilatérales avec nos partenaires européens, relations qui avaient été négligées. Je vous rappelle d'ailleurs que j'ai rencontré Mme Baerbock à Berlin alors que son parti était encore dans l'opposition, et non un partenaire du gouvernement.  Nous avons eu une discussion constructive sur la question des exportations d'équipements militaires vers la Turquie.

JOURNALISTE : Quel est votre plan concernant l'éventuelle extension de la mer territoriale en mer de Crète ou en mer Égée ?

N. Dendias : Tout d'abord, permettez-moi de vous rappeler qu'en janvier 2021, le Parlement grec a adopté, après ma recommandation à la délégation nationale, au nom du gouvernement Mitsotakis, la loi pour l'extension des eaux territoriales en mer Ionienne à 12 milles nautiques. Et je le mentionne parce que, comme je l'ai déjà souligné, l'adoption de cette loi constitue un acte collectif d'importance historique, tant au niveau symbolique qu'au niveau de la sauvegarde de nos droits nationaux.  C'était la première fois depuis 1947 que le Parlement grec était appelé à voter pour une augmentation du domaine de la souveraineté nationale. Ce que la Grèce prétend depuis des décennies avoir le droit d'exercer, mais qu'elle a hésité pour diverses raisons à mettre en œuvre, est désormais un fait. Dans le même temps, conformément à l'article 1, paragraphe 2 de ladite loi, notre pays se réserve le droit d'exercer le droit d'étendre sa zone côtière à d'autres zones du territoire grec, chaque fois qu'il le jugera opportun. Pour le répéter plus simplement, la Grèce a le droit inaliénable d'étendre ses eaux territoriales à 12 miles nautiques où et quand elle le souhaite.  Confirmant, une fois de plus, que le respect du droit international et de la légalité internationale est un principe inviolable pour notre pays. Je tiens toutefois à souligner que la Grèce exerce pleinement ses droits, dans le but de renforcer sa sécurité et de consolider la coopération dans la région élargie.

JOURNALISTE : Quand le compromis avec l’Albanie pour aller devant la Cour internationale de justice de La Haye sur la délimitation de la ZEE sera-t-il signé ? Comment jugez-vous le fait que votre homologue ait soudainement soulevé la question de la « propriété des Chams » ?

N. DENDIAS : Vous soulevez deux questions.  L'une concerne une question existante, sur laquelle nous avons convenu avec la partie albanaise de saisir la Cour internationale de justice de La Haye. L'autre concerne une question qui n'existe pas. Prenons les choses dans l'ordre. La soumission du compromis conjoint avec l'Albanie en vue de la saisine de la Cour internationale de justice de La Haye est la partie juridique de l'accord politique existant entre la Grèce et l'Albanie sur la délimitation de la ZEE, qui a été conclu en octobre 2020. L'élaboration de ce texte s'effectue dans le cadre d'une concertation directe entre les services compétents des deux pays.  Lors de ma récente visite à Tirana, nous avons discuté avec la partie albanaise de la manière d'accélérer le processus juridique afin que nous puissions soumettre, dès que possible, le compromis devant la Cour internationale de justice, mettant ainsi un terme à une affaire pendante depuis des années.  Dans le même temps, cependant, nous donnons à tous les États de la région un exemple clair de la manière dont les différends entre États devraient être résolus. Toujours sur la base du droit international, et en particulier du droit de la mer. Et dans ce contexte, nous avons salué le récent accord entre l'Italie et la Croatie, qui se fonde exclusivement sur le droit international de la mer. En ce qui concerne la deuxième partie de votre question, je me contenterai de répéter que la position constante de notre politique étrangère est que la Grèce ne discute que des questions qui existent, et non des questions inexistantes. Et cela, comme nous le savons tous, s'applique non seulement à nos relations avec l'Albanie, mais aussi avec d'autres pays voisins.

JOURNALISTE : Alexis Tsipras a accusé le gouvernement de faire preuve d'une « volonté criminelle » en envoyant du matériel en Ukraine et en plaçant ainsi la Grèce « dans la zone à haut risque », alors que dans le même temps, la Turquie, a-t-il dit, « renforce de façon spectaculaire son rôle dans la région ». Que répondez-vous à SYRIZA ? Existe-t-il actuellement une entente avec l'opposition sur les grandes questions de politique étrangère ?

N. DENDIAS : La Grèce exerce une politique étrangère fondée sur des principes et nous l'avons fait dans le cas de l'Ukraine. Dès les premiers instants, nous avons condamné fermement l'invasion russe. Et nous l'avons fait sans la moindre hésitation, car cela était dicté par les principes que nous servons en permanence, tels que l'adhésion au droit international et à la Charte des Nations unies.  Et je dois, bien sûr, souligner que nous n'étions pas seuls. L'écrasante majorité de nos partenaires et alliés qui composent le monde démocratique, auquel la Grèce a consciemment choisi d'appartenir, ont adopté la même position.  J'espère qu'aucune force politique au sein du Parlement grec ne souhaite que notre pays prenne position contre ces principes ou fasse des concessions en adoptant un rôle de « neutralité prétentieuse ».  Je voudrais croire - pour en venir à votre deuxième question - qu'il est possible de s'entendre avec l'opposition sur les grandes questions de notre politique étrangère. C'est, après tout, la raison pour laquelle, depuis près de trois ans que je suis ministre des affaires étrangères, j'ai toujours recherché le dialogue avec les partis d'opposition. Je suis toujours prêt à les informer sur toute question relevant de la compétence du ministère, à discuter avec eux, à écouter leurs réflexions, leurs préoccupations et leurs propositions.  Car, après tout, c'est ce qu'exige la nature même des graves défis auxquels nous sommes confrontés.

JOURNALISTE : Le ministère turc de la défense vous accuse d'avoir des « visées expansionnistes » et critique la Grèce pour la façon dont elle a traité et traite les musulmans. Quelle est votre réponse ?

N. DENDIAS : En ce qui concerne les accusations du ministère turc de la Défense, je ne souhaite pas entrer dans une lutte de déclarations à titre personnel. Cependant, permettez-moi de répéter quelque chose que j'ai dit récemment : La Turquie, avec ses récentes prises de position, a été exposée au niveau international, ce qui a pour effet de convaincre même les plus sceptiques que l'agression turque est une réalité.

D'autre part, il est, je pense, à la limite de l'absurde de discuter de la façon dont la Grèce traite les monuments musulmans sur son territoire, si l’on songe seulement au fait qu'il y a seulement deux ans, la Turquie a décidé de changer le statut de la basilique Sainte-Sophie, un site classé au patrimoine mondial de l'UNESCO, en la transformant en mosquée, et en s’en vantant même, malgré l'opposition et les préoccupations internationales. Depuis lors, des cas de vandalisme répétés sur le monument ont été enregistrés de plus en plus fréquemment, même par les experts turcs eux-mêmes. La Grèce, dans le cadre d'un concept moderne de la culture, respecte son patrimoine culturel et religieux, quelle que soit sa période historique, le préserve et le promeut. Je vous rappelle qu'en décembre dernier, j'ai visité le centre religieux alévi du nord de l'Evros, connu sous le nom de Tekes de Roussa. J'ai également organisé un dîner commun pour les métropolites de Thrace et les locum tenens muftis. En ce qui concerne la minorité musulmane, il s'agit de citoyens grecs qui jouissent des mêmes droits fondamentaux que les autres citoyens du pays, ce que personne ne peut démentir. L'épanouissement de la minorité musulmane en Thrace, qui contraste avec ce qui est arrivé à la minorité grecque à Istanbul, Imbros et Ténédos, est d'ailleurs une preuve irréfutable.

JOURNALISTE : Pourquoi pensez-vous que l'Iran a choisi l'escalade en arraisonnant deux navires battant pavillon grec ? Comment le gouvernement réagira-t-il à l'avenir ?  
N. DENDIAS : Je ne vais pas entrer dans une discussion hypothétique sur les raisons pour lesquelles l'Iran a choisi d'entreprendre une telle action. Nous estimons qu'il s'agit d'une violation flagrante du droit international et des règles internationales de sécurité de la navigation, qui met en péril le fonctionnement ininterrompu du commerce international. Pour notre part, nous avons immédiatement appelé l'ambassadeur d'Iran et protesté, tout en demandant la libération immédiate des navires et de leurs équipages. En outre, nous avons pris toutes les mesures nécessaires au niveau diplomatique. Nous avons informé nos partenaires et alliés, l'Union européenne, et en étroite coordination avec le ministère de la marine marchande et de la politique insulaire, qui est responsable des questions opérationnelles, l'Organisation maritime internationale. Pour nous, en ce moment, notre principale préoccupation est d'assurer la santé, la sécurité et le retour immédiat des équipages en Grèce et nous y travaillons en étroite coopération et coordination avec mon homologue chypriote, M. Kasoulidis, et avec le ministère de la marine marchande et de la politique insulaire.

June 4, 2022