JOURNALISTE : Monsieur le Ministre, au début de cette semaine, le Conseil des Affaires étrangères a examiné les options de l'Europe vis-à-vis de la Turquie au sujet de Varosha. Et la question a été renvoyée aux diplomates des États membres pour examen. Pensez-vous que ce processus peut conduire à des sanctions sévères qui « feraient bouger » Ankara ?
N. DENDIAS : Tout d'abord, M. Evgenidis, l'UE a envoyé à plusieurs reprises des messages à la Turquie en raison de ses actions provocatrices et illégales à Varosha, ainsi que dans la ZEE de Chypre, mais aussi dans la région élargie de la Méditerranée orientale. Tout le monde sait que la formulation d'une véritable politique étrangère européenne commune et efficace se heurte à des difficultés pratiques et que les procédures pertinentes ne sont pas mises en œuvre avec la rapidité que nous souhaiterions.
En tout état de cause, néanmoins, le comportement de la Turquie, qui constitue une violation flagrante du droit international et des résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies, ne se déroule pas sans conséquences. Comme le montrent les récentes conclusions du Conseil sur le processus d'élargissement de l'UE, la Turquie s'éloigne de plus en plus de l'UE, tandis que ses négociations d'adhésion sont en fait gelées.
Dans le même contexte, l'UE a souligné que la Turquie doit cesser toutes les menaces et actions qui nuisent aux relations de bon voisinage, normaliser ses relations avec la République de Chypre et respecter la souveraineté et les droits souverains de tous les États membres de l'UE. J'espère que les dirigeants turcs se rendront compte – même si c’est tardivement - qu'il est dans le véritable intérêt de la société turque de maintenir de bonnes relations avec l'UE. Pour y parvenir, l'alignement de la Turquie sur l'acquis européen, qui comprend la Convention des Nations unies sur le droit de la mer (CNUDM), est également nécessaire.
JOURNALISTE : Vous étiez en Thrace il y a quelques jours et notamment à Alexandroupolis, qui va jouer un rôle important à partir de maintenant. Pensez-vous que la présence américaine constituera un contrepoids important à toute réflexion turque sur la région ?
N. DENDIAS : Ma visite en Thrace la semaine dernière a été une expérience constructive et instructive. J'ai été particulièrement heureux de visiter Alexandroupolis, une ville magnifique et dynamique, riche en histoire et en traditions. J'ai également eu l'honneur d'envoyer un message d'égalité et de coexistence pacifique, avec le dîner que j'ai organisé pour les métropolites et les locum tenens muftis de Thrace et la visite du tekes de Roussa, l'un des plus importants lieux de pèlerinage des musulmans alévis au monde. Par ailleurs, le gouvernement Mitsotakis a démontré sa volonté de placer la Thrace en tête de ses priorités afin de revaloriser considérablement son rôle et son importance. La Thrace a la possibilité d'exploiter tous les avantages dont elle dispose pour le développement de tous les secteurs de l'économie, non seulement de la région, mais aussi de la région au sens large et de l'ensemble de l'Europe du Sud-Est. En même temps, les deux accords que nous avons signés avec les États-Unis ont mis en évidence la grande importance géopolitique que revêt le port d'Alexandroupolis.
En exploitant la position géostratégique de ce port, la région peut devenir un puissant centre d'énergie et de transport de référence internationale plus large, ce qui a un impact positif sur la sécurité du pays en général. Dans le même temps, le port d'Alexandroupolis a été intégré dans nos plans de défense et sert ainsi, au sens le plus clair, notre intérêt national.
JOURNALISTE : Pensez-vous que l'état de l'économie turque dû à l'effondrement de la livre turque puisse amener M. Erdogan à exporter sa nervosité en mer Égée ou dans la ZEE chypriote ?
N. DENDIAS : Le fait est que le pays voisin est confronté à une crise économique interne, ce dont il va sans dire nous ne nous réjouissons pas. Ce que nous voulons, c'est une Turquie prospère, pacifique et démocratique. C'est pourquoi nous espérons toujours que la Turquie sera capable de trouver des solutions à ses problèmes internes et que, en ce qui concerne nos relations interétatiques, il n'y aura pas d'escalade à quelque niveau que ce soit. C'est quelque chose qui n'est dans l'intérêt de personne et, avant tout, de son propre intérêt. Permettez-moi donc de ne pas répondre à des scénarios hypothétiques, car je ne pense pas que cela soit productif. D'autre part, nous sommes toujours en alerte et vigilants, et nous suivons les mouvements et les réactions de la partie turque avec calme et prudence.
Les objectifs de notre politique étrangère ne sont pas déterminés par ce qui se passe en Turquie. La Grèce est aujourd'hui plus forte, tant sur le plan géopolitique que militaire, car elle a développé au cours des deux dernières années une diplomatie multilatérale avec des alliances à plusieurs niveaux qui ont renforcé notre position et fait de notre pays un facteur de paix et de stabilité, non seulement dans la région de la mer Egée mais aussi dans la région élargie de la Méditerranée orientale.
JOURNALISTE : Je ne sais pas si vous avez eu une première discussion avec votre homologue allemande, Mme Baerbock, au Conseil des Affaires étrangères. Pensez-vous que sa présence au ministère et l'implication des Verts dans la politique étrangère en général auront un impact sur les questions qui nous préoccupent ?
N. DENDIAS : Votre question me donne l'occasion de rappeler qu'en tant que gouvernement grec, et moi personnellement en tant que ministre des Affaires étrangères, nous avons cherché à ouvrir des canaux de communication avec tous les partis politiques allemands, même lorsqu'ils ne faisaient pas partie du gouvernement. J'ai déjà rencontré deux fois Mme Baerbock lorsqu'elle était dans l'opposition. Lors de ma visite à Berlin en novembre 2020, j'ai eu des réunions avec la commission des Affaires étrangères du Parlement fédéral.
Je peux donc dire que nous avions déjà une bonne idée des positions des Verts sur les questions de politique étrangère avant les élections en Allemagne, et qu'ils sont également au courant des positions grecques.
Mais le fait est que le nouveau gouvernement allemand est un gouvernement de coalition, ce qui signifie que ses positions seront façonnées par un processus de consultation entre les partenaires du gouvernement.
Il est donc prématuré de faire des prédictions sur la politique étrangère qu'elle mènera. En tout état de cause, nous attendons du nouveau gouvernement allemand qu'il joue un rôle de premier plan dans l'élaboration de politiques qui renforceront la position de l'UE en tant que force de paix et de stabilité. Et cela signifie avant tout ne pas soutenir politiquement - et encore moins militairement - les forces révisionnistes qui violent systématiquement le droit international, menacent de faire la guerre et agissent de manière déstabilisante.
JOURNALISTE : Permettez-moi de vous poser directement la question : les élections prévues pour la veille de Noël auront-elles lieu en Libye ? Et si ce n'est pas le cas, qu'est-ce que cela signifie pour notre région ?
N. DENDIAS : Notre position ferme est que les élections doivent avoir lieu à la date prévue. Toutefois, je ne cacherai pas que les données recueillies jusqu'à présent sont préoccupantes. Des voix s'élèvent déjà à l'intérieur du pays, et dans certains cas à l'extérieur, pour demander leur report à une date ultérieure.
Il est nécessaire, comme nous l'avons dit à maintes reprises et à chaque occasion, d'engager ce pays qui souffre depuis longtemps sur une voie qui l'amènera à surmonter ses divisions internes et à établir un ordre démocratique viable et fonctionnel qui assurera la sécurité et la stabilité de son peuple et de la région élargie.
Au contraire, tant que cette situation perdure et que le pays n'est pas stabilisé, divers acteurs, principalement extérieurs, ont la possibilité d'intervenir et de promouvoir leurs propres intérêts égoïstes au détriment de la sécurité et du bien-être du peuple libyen.
En outre, la Libye reste une source potentielle d'instabilité pour la région élargie. L'Union européenne et nous-mêmes en sommes pleinement conscients et sommes prêts à apporter notre aide.
Comme vous le savez, la Grèce est activement engagée en Libye depuis un an et demi. Nous avons rouvert notre ambassade à Tripoli et notre consulat général à Benghazi, nous suivons de près l'évolution de la situation, nous élargissons le champ de la coopération économique et nous contribuons activement aux efforts du peuple libyen pour stabiliser le pays.
JOURNALISTE : Il y a quelques jours, la loi Menendez a été adoptée aux Etats-Unis. Quelle importance cela revêt-il pour nos intérêts nationaux ?
DENDIAS : L'adoption du projet de loi fait suite à l'accord de coopération en matière de défense mutuelle (MDCA) que j'ai signé avec mon homologue Anthony Blinken à Washington, D.C., et aux contacts extrêmement constructifs avec M. Menendez, un bon ami de la Grèce, il y a quelques mois à Athènes. Il s'agit d'une nouvelle étape importante dans l'approfondissement des relations stratégiques entre la Grèce et les États-Unis, qui envoie partout le message que notre pays a une voix et un rôle dans les développements de la région élargie
Mais aussi sur un plan pratique, ce projet de loi (qui deviendra officiellement une loi avec la signature de M. Biden) offre la possibilité d'une mise à niveau majeure des capacités de défense de la Grèce et la promotion de son rôle géostratégique dans la région élargie, avec non seulement la possibilité [pour la Grèce] d'accéder à l'achat d'avions de combat F-35 quand et si nous le voulons, mais aussi avec d'autres dispositions, telles que la fourniture d'équipements de défense et la formation des forces armées grecques. N'oublions pas non plus la création d'un groupe interparlementaire, dans le cadre du format 3+1 (Chypre, Grèce, Israël et États-Unis), afin d'approfondir cette relation avec un bras parlementaire.
Le principal message que ce vote positif envoie est donc que la Grèce est désormais perçue au niveau international comme une force de sécurité et de stabilité ; elle a fait de grands progrès au cours des deux ans et demi de l'administration actuelle, a élargi et amélioré ses alliances et ses relations diplomatiques.
December 18, 2021