JOURNALISTE : Notre pays a, dès les premiers instants, pris position dans la guerre en Ukraine. Avons-nous bien fait d'envoyer des équipements de défense aux Ukrainiens ? L'opposition a sévèrement critiqué le gouvernement pour ce choix, tandis que certaines fuites laissaient entendre que vous aviez un avis opposé.
N. DENDIAS : La position de notre pays était claire dès le début. Avant même l'invasion russe, nous avions déjà fait savoir sur tous les tons et dans toutes les directions que la Grèce agissait sur la base du respect du droit international et de l'intégrité territoriale, de la souveraineté et de l'indépendance de tous les États, conformément à la Charte des Nations unies.
Dans le même temps, nous avions souligné que le pays était en phase avec ses alliés et partenaires dans les organisations internationales auxquelles il participe et codécide, comme l'Union européenne et l'OTAN. Dans le cadre de ces principes, lorsque l'Union européenne a décidé de manière coordonnée d'imposer des sanctions à la Russie pour avoir envahi l'Ukraine, nous avons suivi nos partenaires, car tous les pays qui acceptent le droit international ne peuvent qu'avoir une position commune et ferme.
Nous avons également souligné que tous les pays qui souhaitent avoir une perspective européenne doivent s'aligner sur ces positions.
En ce qui concerne la question de l'envoi d’équipement de défense à l'Ukraine, dès lors que la décision a été prise de soutenir l'Ukraine, la Grèce, en tant qu'État membre de l'UE, ne pouvait manquer de contribuer à cet effort. Dans le plein respect de nos principes et de nos valeurs, nous aidons un pays qui lutte pour son existence et son indépendance contre une invasion qui viole le droit international, causant des souffrances et des destructions indicibles. La question est fondamentale et ne saurait être mal interprétée. En tant que membre du gouvernement du Premier ministre Kyriakos Mitsotakis, je soutiens pleinement ses décisions.
JOURNALISTE : Il semble y avoir une certaine agitation parmi les partenaires concernant la demande de l'Ukraine de devenir membre de l'UE. Quelle est la position de notre pays à ce sujet ?
N. DENDIAS : L'Ukraine a un accord d'association fonctionnel avec l'UE depuis 2017. En ce sens, les États membres ont déjà accepté la voie européenne de l'Ukraine.
Il y a quelques semaines, l'Ukraine, ainsi que la Géorgie et la Moldavie, ont soumis une demande d’adhésion à l'Union européenne.
Nous reconnaissons la dimension morale et politique de la question dans la conjoncture actuelle et la nécessité d'envoyer un message politique clair et fort de solidarité avec l'Ukraine.
Toutefois, l'Union européenne a établi des règles selon lesquelles le processus d'adhésion est lancé et achevé. Il est donc important de veiller à ne pas susciter d'attentes irréalistes au sein de la population ukrainienne et à préserver le prestige et la crédibilité du processus d'adhésion lui-même.
Depuis deux décennies, notre pays a proclamé l'intégration des Balkans occidentaux dans la famille européenne comme un objectif stratégique. Deux pays, le Monténégro et la Serbie, ont déjà entamé les négociations d'adhésion et nous avons souligné à plusieurs reprises que les négociations avec l'Albanie et la Macédoine du Nord devaient commencer immédiatement. Il existe des critères d'adhésion clairs que tous les pays candidats doivent remplir.
JOURNALISTE : Vous avez souligné que les relations Grèce-Russie sont historiques. Pourraient-elles être restaurées à un moment donné ?
N. DENDIAS : Tout d'abord, Monsieur Siadimas, permettez-moi de souligner une fois de plus que nos relations avec la Russie sont effectivement historiques, elles remontent à des liens d'amitié et de culture séculaires avec le peuple russe, des liens qui ne peuvent être remis en question par personne et qui ne peuvent être influencés par la diffusion de fausses nouvelles.
La Grèce a toujours mené ses relations internationales selon des principes et des valeurs distincts, avec pour fer de lance le respect du droit international. Cela place par définition notre pays en opposition à des politiques qui le contredisent complètement. En tant que ministre des affaires étrangères qui a même travaillé consciemment pour renforcer davantage nos relations avec la Russie, je regrette sincèrement le point où elles en sont aujourd'hui, ainsi que le niveau des relations de la Russie avec l'Union européenne, qui ont atteint leur point le plus bas. Mais cette situation n'est pas le résultat des actions de notre pays.
J'espère que nos relations bilatérales seront rétablies à un moment donné, lorsque la Russie retrouvera sa légitimité internationale. C'est mon espoir, et l'espoir de tous ceux qui attendent la fin immédiate d'une tragédie humanitaire sans précédent et totalement incompatible avec le XXIe siècle.
JOURNALISTE : Vous avez déclaré que vous feriez tout ce qui est en votre pouvoir pour assurer la protection des membres de la communauté grecque. Que pouvons-nous faire ?
N. DENDIAS : Permettez-moi de rappeler que j'ai visité Marioupol, ainsi que le village de Sartana, où les membres de notre Diaspora vivaient près d'un mois avant l'invasion russe. À l'époque, j'avais souligné que l'État grec, le gouvernement Mitsotakis, se tenait aux côtés des expatriés. Cet engagement reste valable, même si, entre-temps, les conditions ont radicalement changé.
Notre première préoccupation est de fournir une aide humanitaire et de protéger les civils. C'est pourquoi nous avons demandé officiellement à l'Ukraine de faciliter l'acheminement de l'aide à la population éprouvée de Marioupol, une ville qui a également été fondée par des Grecs il y a 250 ans, et à la Russie de ne pas faire obstacle à l'acheminement de cette aide. J'ai souligné que j'avais l'intention de me rendre à Marioupol afin d'assurer le transfert sans entrave de l'aide.
La nécessité de protéger la diaspora est une question clé que j'aborde avec mes interlocuteurs, tels que le secrétaire général des Nations unies Antonio Guterres et le haut représentant Josep Borrell. En même temps, je suis en étroite coordination avec le Comité international de la Croix-Rouge et son président Peter Maurer.
Deuxièmement, une équipe d'accueil a été mise en place en Roumanie, composée de membres du ministère des Affaires étrangères qui, avec dévouement et sens de l'abnégation, ont déjà aidé à l'évacuation de citoyens grecs, ainsi que de membres de la communauté grecque d'Ukraine. Et ils poursuivent ces efforts, dans des conditions particulièrement difficiles.
Troisièmement, lorsque la situation sur le terrain le permettra, nous contribuerons à la reconstruction du pays, en commençant, comme l'a annoncé le Premier ministre, par la reconstruction de la maternité de Marioupol.
JOURNALISTE : La récente rencontre entre Kyriakos Mitsotakis et Tayyip Erdogan peut-elle être un point de départ pour les relations entre les deux pays ?
N. DENDIAS : La rencontre du Premier ministre Kyriakos Mitsotakis avec le président turc Erdogan et le climat relativement bon qui a prévalu confirment que la guerre en Ukraine crée un nouvel environnement géopolitique.
La nouvelle situation, avec ses risques croissants, appelle à la stabilité, au respect du droit international, au règlement pacifique des différends et à la prévention des conflits dans la région élargie. Dans ce contexte, il est vital de renoncer à tout révisionnisme.
Pour notre part, nos positions, qui sont fondées sur le respect du droit international, sont bien connues. Nous promouvons ces positions dans tous nos contacts avec nos interlocuteurs turcs.
JOURNALISTE : Il y a quelques jours, le Conseil des affaires étrangères de l'UE a adopté la Boussole stratégique. La Grèce est-elle satisfaite de ce document ?
N. DENDIAS : La négociation de ce texte a commencé en novembre dernier, alors que la situation sécuritaire en Europe était différente. S'en est suivie une négociation douloureuse entre les 27 pays européens.
Il est particulièrement important que tous ces pays aient réitéré leur engagement envers les principes fondamentaux de la politique étrangère grecque, tels que, entre autres, le respect du droit international, de l'intégrité territoriale et de la souveraineté des États, des principes du droit international de la mer. Les États membres ont également réitéré explicitement leur engagement envers la clause d'assistance mutuelle en cas d'attaque d'un pays européen par un pays tiers hors de l'UE.
Comme cela était attendu, c'est la menace russe qui a pesé le plus lourd. Mais il est clairement fait référence dans le texte à d'autres régions d'intérêt direct pour la Grèce.
Comme, par exemple, les Balkans occidentaux, ainsi que le Moyen-Orient et l'Afrique du Nord. En ce qui concerne la Turquie en particulier, je maintiens qu'en dépit de l' « offensive de l'amitié » et de la « mise à niveau » du pays voisin, la Turquie continue de poser un défi important pour l'Union européenne.
La Boussole stratégique souligne de toute évidence que si la Turquie revient à son comportement provocateur et infractionnel, il y aura des conséquences.
Je note avec intérêt la déclaration pertinente du ministère turc des Affaires étrangères, qui a condamné en termes forts l'adoption de la Boussole stratégique. Les commentaires sont superflus.
JOURNALISTE : Il y a quelques jours, en pleine crise ukrainienne, vous avez effectué deux voyages-éclair, d'abord à New York, puis en Inde. Qu'est-ce qui vous a poussé à faire ces visites ? Il ne s'agissait certainement pas de voyages d'agrément.
N. DENDIAS : Votre dernière remarque est tout à fait pertinente. Je dois avoir passé plus d'heures dans l'avion que sur le terrain. Mais les contacts que j'avais étaient particulièrement importants. Tant avec le secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres, qu'avec mon homologue indien, le Dr S. Jaishankar, nous avons discuté, comme prévu, de la situation en Ukraine, mais j'ai également eu l'occasion de les informer des développements en Méditerranée orientale et du problème chypriote.
Nous avons également discuté de la candidature de la Grèce au Conseil de sécurité en 2025-26 et j'ai annoncé notre candidature au Conseil des droits de l'homme en 2029-30, ainsi que notre candidature à la présidence de l'Assemblée générale des Nations unies en 2035.
L'Inde, comme je l'ai expliqué à plusieurs reprises, en tant que puissance régionale émergente, fermement attachée aux principes du droit international, en particulier du droit de la mer, et membre du Conseil de sécurité, est un partenaire stratégique naturel pour nous dans cet effort.
Les temps ont changé. Si nous voulons relever les défis du XXIe siècle, nous devons ouvrir les horizons de notre politique étrangère et nous positionner sur la scène internationale comme un facteur de stabilité. Ne pas rester un pays périphérique avec un champ de vision limité et une politique centrée sur la Turquie.
March 27, 2022