JOURNALISTE : Aurons-nous finalement un été paisible avec la Turquie ? Quelques jours après le sommet européen, le pays voisin provoque et, dans une lettre adressée à l'ONU par l'intermédiaire de son représentant, il soulève en fait la question de la souveraineté des îles grecques. Il conteste les limites de l'espace aérien grec et de la ZEE grecque. Qu'en pensez-vous ?
N. DENDIAS : J'espère que nous aurons un été relativement calme dans la mer Égée, sans nouveaux défis. C'est la conclusion qui ressort de la récente rencontre entre le Premier ministre et le Président turc. Malheureusement, en ce qui concerne Chypre et compte tenu de l'anniversaire de l'invasion le 20 juillet, je ne pourrais pas en dire autant. Nous devons être en alerte permanente. Par cette lettre, la Turquie réitère, une fois de plus, ses revendications unilatérales fermes à l'encontre de notre pays, que nous rejetons dans leur intégralité. Il y sera répondu de manière appropriée, comme il se doit. Tant la rencontre du Premier ministre avec le Président turc que mes contacts avec mon homologue turc ont permis de « briser la glace », mais aucun progrès significatif n'a été réalisé dans nos relations. Nos positions restent diamétralement opposées. Notre différend a existé et continue d’exister : la Turquie refuse de respecter les règles fondamentales du droit international, du droit de la mer, des relations de bon voisinage et de retirer la menace de guerre contre la Grèce. Nous ne nous faisons pas d'illusions.
JOURNALISTE : Lors de la récente conférence de Berlin sur la Libye, pour la deuxième fois, notre pays n'a pas été invité. S'agit-il d'un « revers » pour la diplomatie grecque, comme le prétend l'opposition ?
N. DENDIAS : Monsieur Siadimas, cela aurait été un « revers » si nous avions été invités à la première conférence et pas à la seconde. Notre position est claire. En raison de notre proximité et de notre présence sur le terrain par le biais de l'ambassade et du consulat, ainsi que de nos contacts permanents avec la partie libyenne, nous pensons que nous aurions dû être invités. Malheureusement, la partie allemande a adopté un point de vue différent et c'est pour cette raison que nous avons exprimé notre vif mécontentement à Berlin. L'envoyé spécial des Nations unies pour la Libye ne partage pas nécessairement cette approche. Il nous a informés, de manière informelle, que la Grèce sera incluse dans un groupe de travail sur l'aide humanitaire et les droits de l'homme, qui doit se réunir dans les prochaines semaines. Cette évolution n'est pas une coïncidence. Elle est le résultat de contacts permanents, ainsi que de la contribution concrète de notre pays.
JOURNALISTE : Mais d'un autre côté, notre pays a participé pour la première fois au Sommet de Rome sur l'Etat islamique. Vous y évoquez, entre autres, « l'accès à des ressources qui lui permettent de poursuivre ses activités terroristes ». D'où peuvent provenir ces ressources ?
N. DENDIAS : Ces ressources proviennent d'activités illégales. Plusieurs partisans de l'État islamique basent leurs activités en Turquie. Cela ne signifie pas que la Turquie soutient activement l'État islamique. Mais en lui permettant d’utiliser son territoire elle n'aide pas à lutter contre lui, ni à atteindre les objectifs de la coalition à laquelle elle appartient. À Rome, la Grèce a également participé à une autre réunion ministérielle sur la Syrie. Notre inclusion, avec seulement quatre autres pays européens, est la preuve concrète que la communauté internationale reconnaît le rôle constructif de notre pays et l'intérêt particulier que nous portons à l'évolution de la situation dans ce pays.
Journaliste. Le Bureau des Intérêt du Kosovo à Athènes a été revalorisé récemment. Vous avez visité Pristina deux fois en quelques mois. S'agit-il d'étapes vers la reconnaissance ? Ne sont-elles pas contraires au droit international ?
N. DENDIAS : L'intégration des Balkans occidentaux dans la famille européenne est une priorité essentielle, car la stabilité de la région a un impact direct sur notre sécurité. Nous ne souhaitons pas créer un « trou noir » dans notre Nord. Bien que notre position sur le statut du Kosovo n'ait pas changé, nous maintenons une attitude constructive et soutenons le dialogue Belgrade-Pristina. En ce qui concerne la légalité d'une éventuelle reconnaissance, la Cour internationale de justice de La Haye a jugé en 2010 que la déclaration d'indépendance du Kosovo ne violait pas le droit international, car elle n'était pas le produit d'un recours illégal à la force condamné par le Conseil de sécurité, tout comme l'avait été la déclaration du pseudo-État en 1983. Avec la dissolution de l'Union soviétique et de la Yougoslavie, plusieurs nouveaux États ont été créés. Aucun d'entre eux, cependant, n'a été le résultat d'une invasion extérieure.
JOURNALISTE : Quand les mémorandums concernant l'accord de Prespa seront-ils enfin soumis au vote du Parlement ? Pourrait-il y avoir de nouvelles négociations sur les questions d'identité après les déclarations de Zoran Zaev selon lesquelles « pour le monde entier, nous sommes des Macédoniens qui parlent macédonien » ?
N. DENDIAS : Il est dans l'intérêt de la Macédoine du Nord d'avoir de bonnes relations avec la Grèce, et l'inverse est également vrai. Cela est dicté par les conditions géopolitiques de la région et cela devrait être un objectif commun aux deux pays. Nous soutenons la perspective européenne du pays voisin avec la conditionnalité habituelle et attendons avec impatience la convocation de la première conférence intergouvernementale avec l'UE. Toutefois, le critère fondamental pour atteindre cet objectif est le respect de la lettre et de l'esprit de l'accord de Prespa et la promotion des relations de bon voisinage. Le fait que l'accord lui-même comportait des points problématiques est bien connu et la Nouvelle Démocratie, alors dans l'opposition, avait exprimé en temps utile son opposition aux articles spécifiques. Mais l'accord de Prespa est entré en vigueur et doit être mis en œuvre de manière appropriée. Bien que plusieurs mesures aient été prises dans ce sens, les organismes publics et privés ont encore une grande marge de progression. Il ne faut pas faire de déclarations malencontreuses qui suscitent des réactions émotionnelles au sein du peuple grec. De telles déclarations ne contribuent pas à améliorer le climat des relations bilatérales et ne renforcent certainement pas la perspective européenne du pays. J'ai exprimé cette position à mon homologue M. Osmani en janvier dernier, lorsque je lui ai rappelé que les ancêtres des citoyens actuels de Macédoine du Nord n'ont pas combattu à Gaugamèles.
JOURNALISTE : En ce qui concerne la question chypriote, voyez-vous des progrès ? Le Premier ministre a clairement indiqué, une fois de plus, que le scénario sur la base de deux États est inacceptable.
N. DENDIAS : Comme vous l'avez mentionné, le Premier ministre a clairement indiqué que la Grèce rejette toute proposition qui ne s'inscrit pas dans le cadre fixé par les résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies, à savoir une fédération bicommunautaire et bizonale. Cette position est partagée par tous les États de l'ONU, à l'exception de la Turquie. Malheureusement, tant l'attitude de la Turquie que celle de la communauté chypriote turque ne laissent aucune place à l'optimisme.
July 4, 2021