JOURNALISTE : Comment analysez-vous les évolutions dans les relations gréco-turques après votre visite à Ankara ?
N. DENDIAS : L’objet de ma visite à Ankara était d’expliquer clairement les positions grecques et, dans ce cadre, de rechercher un agenda positif qui pourrait permettre l’amélioration progressive des relations de la Turquie, tant au niveau bilatéral avec la Grèce, qu’avec l’Union européenne. La principale condition à la réalisation de cette visite était la désescalade progressive. J’espère qu’une suite sera donnée à cet effort. Le gouvernement de Kyriakos Mitsotakis a envoyé un message clair dans toutes les directions, à savoir qu’il ne souhaite pas la tension. Dans le même temps, il a formulé clairement ses positions qui sont basées sur le droit international et les valeurs véhiculées par la Charte de l’ONU, l’OTAN et, bien entendu, l’Union européenne.
A cet égard, nous ne pouvons faire de concessions. Je l’ai fait clairement savoir lors de ma visite, où j’ai pu avoir des discussions franches. De ce point de vue, j’estime que même la tension dans les déclarations avec mon homologue et ami, Mevlüt Çavuşoğlu, était utile. Il ne faut pas se faire d’illusions et penser que la Grèce peut renoncer à des droits qui sont fondés sur le droit international et des traités toujours en vigueur.
JOURNALISTE : Pensez-vous que la désescalade de la tension se poursuivra ou qu’il y aura un retour vers des tensions ?
N. DENDIAS : Je ne souhaite pas conjecturer sur l’avenir. En octobre dernier, lorsque j’avais rencontré mon homologue turc à Bratislava, il m’avait précisé que la partie turque proposerait des dates pour la réouverture des contacts exploratoires. Au lieu de cela, le navire « Oruc Reis » a fait son apparition. Bien entendu, je pense que, à l’instar de la partie grecque, la partie turque perçoit bien les avantages manifestes de la poursuite de la désescalade, tant sur le plan bilatéral, que dans le cadre des relations UE – Turquie. Je rappelle que le dernier Conseil européen a souligné expressément que, dans le cas où la Turquie réitère son attitude infractionnelle, la perspective de prendre des mesures reviendra sur le devant de la scène. Ce n’est pas ce que souhaite la partie grecque, mais cette possibilité doit toujours être sur la table comme option pour l’Europe.
JOURNALISTE : Est-ce que le prochain tour des contacts exploratoires aura lieu ?
N. DENDIAS : Comme chacun sait, pour ce qui est du 63e tour ces contacts exploratoires, il appartient à la partie turque de proposer des dates pour son déroulement. Je n’ai rien d’autre à ajouter à ce sujet.
JOURNALISTE : Vous avez adressé une invitation à votre homologue turc, Mevlüt Çavuşoğlu, de visiter la Grèce. Viendra-t-il ? Si oui, quand attendez-vous sa visite ?
N. DENDIAS : Comme je l’ai dit, j’ai adressé une invitation à mon homologue turc et ami, M. Mevlüt Çavuşoğlu pour qu’il visite Athènes. Les dates seront fixées ultérieurement, comme de coutume, par la voie diplomatique.
Bien entendu, nous allons nous rencontrer dans quelques jours à Genève. Aucune rencontre en tête à tête n’a pour le moment été programmée en marge de la réunion à cinq parties mais il est en tout cas très clair que nous nous saluerons amicalement. D’ailleurs, nous nous connaissons, comme il l’a dit lui-même, depuis plus de 15 ans. Et comme disait un personnage de cinéma très célèbre, « it's strictly business, nothing personal ».
JOURNALISTE : Lors de la conférence informelle sur la question chypriote, pensez-vous que l’on puisse trouver un terrain d’entente ? Que pensez-vous du fait que la réunion à cinq parties se tiendra en dépit du fait que les Turcs font des propositions qui n’entrent pas dans le cadre de l’ONU ?
N. DENDIAS : S’agissant de la réunion à cinq parties, permettez-moi de souligner que nous sommes en parfaite coordination avec la République de Chypre. Le Président Anastassiadis était à Athènes il y a quelques jours et a rencontré le Premier ministre, M. Mitsotakis. En ce qui concerne la perspective de cette rencontre, j’aimerais être optimiste et penser que nous trouverons un terrain d’entente pour la reprise des discussions là où elles se sont arrêtées en 2017.
Mais je suis réaliste. Malheureusement, l’attitude de la Turquie et les positions de la direction actuelle de la communauté chypriote turque ne nous permettent pas d’être très optimistes. Les prises de positions officielles ne s’intègrent pas dans le cadre d’une discussion constructive et sont hors du seul cadre juridique, tel que défini par la communauté internationale.
JOURNALISTE : Est-ce que l’UE sera présente ?
N. DENDIAS : Chypre est un Etat membre de l’Union européenne et toute solution devra être absolument conforme à l’acquis européen. Pour cette raison, nous estimons que l’Union européenne aurait dû être représentée, ne serait-ce qu’au niveau des services, lors de la réunion à cinq parties. Le fait que sa participation n’a pas été acceptée est déplorable. J’espère que, comme dans le passé, l’Union européenne jouera un rôle actif dans les efforts visant à atteindre un règlement à la question chypriote.
JOURNALISTE : Vous avez vu Recep Tayyip Erdoğan pendant environ une heure. De quoi avez-vous discuté ? Avez-vous reçu une invitation officielle de la part de la Turquie pour une rencontre Mitsotakis – Erdogan ?
N. DENDIAS : Il s’agit d’un important geste de courtoisie envers la Grèce, qui a été apprécié tant par le gouvernement, que moi-même personnellement. C’est un geste que nous devons retenir du point de vue symbolique, car il a trait à l’importance qu’accorde M. Erdogan aux relations avec notre pays. J’ai eu une discussion avec M. Erdogan qui s’est déroulé dans un climat amical. Nous avons même échangé des cadeaux. Nos entretiens ont porté sur tout l’éventail des relations bilatérales et des relations UE – Turquie. Même si nous n’étions pas d’accord sur un grand nombre de questions, c’est un signe positif. Et c’est ce que nous retenons. Comme je l’ai dit dans les déclarations, j’attends la visite de Mevlüt à Athènes, qui pourrait préparer, en temps utile, une rencontre entre le Premier ministre et le Président turc.
JOURNALISTE : Lors de votre visite, vous avez soumis 15 points de coopération avec la Turquie, et les pays voisins en ont ajouté d’autres. L’agenda positif que vous promouvez ne concerne-t-il que l’économie ?
N. DENDIAS : L’agenda positif vise à améliorer le climat. Les propositions concernent, dans une large mesure, des questions demeurées en suspens depuis les années passées. Des questions relevant de ce que l’on appelle la « basse politique ». Cela ne veut pas dire qu’elles ne sont pas importantes. Bien au contraire. Elles peuvent, si elles sont appliquées, permettre la création d’un climat plus positif. Vu qu’elles relèvent de la diplomatie économique, j’ai demandé au Secrétaire d’Etat, M. Fragogiannnis, d’assurer la coordination en vue de leur promotion.
JOURNALISTE : Beaucoup de choses ont pu être écrites et dites dans la presse concernant la question de savoir si vous étiez en parfaite coordination avec le Premier ministre, Kyriakos Mitsotakis, par rapport à ce que vous avez dit dans vos déclarations conjointes avec M. Çavuşoğlu à Ankara. Votre commentaire ?
N. DENDIAS : J’ai eu une rencontre avec M. Mitsotakis avant de me rendre à Ankara et tout de suite après. Et, comme cela va de soi, nous communiquions régulièrement lors de mon séjour là-bas. Le Premier ministre a d’ailleurs formulé sa position de manière très claire lors des différentes séances d’information afin qu’il ne soit pas nécessaire pour moi d’ajouter quoi que ce soit. Que ceux qui fabriquent de toutes pièces des scénarios et des histoires infondées, ne se fatiguent pas. Le gouvernement Mitsotakis est doté d’une stratégie, que je sers et exprime. Une stratégie de diplomatie active et dynamique, axée sur l’élargissement des alliances et des coopérations dans la région élargie, sur la base du droit international, du droit de la mer et des relations de bon voisinage et en défendant les intérêts nationaux sur le terrain.
April 25, 2021