JOURNALISTE : Monsieur le ministre, l’annonce de votre visite à Ankara s’est faite soudainement et alors que nous sommes dans une phase de contacts, la Turquie poursuit sa rhétorique belliqueuse et son « jeu du blâme » …
N. DENDIAS : Madame Fotaki, l’annonce de ma visite, qui aura lieu dans un mois si les conditions appropriées sont réunies, a peut-être surpris car nous ne sommes pas habitués à annoncer des visites autant de temps à l’avance.
Nous souhaitons toutefois être transparents pour ce qui est de nos intentions. En outre, cette visite a été annoncée au moment où une délégation turque se trouvait à Athènes, ce qui revêt tout un symbolisme.
La Grèce n’a pas peur du dialogue. Au contraire, elle s’est toujours positionnée en faveur d’un dialogue constructif sur la base de principes fondamentaux, comme le droit international. Nous avons des positions fermes, que nous soutenons. Nous estimons avoir raison et n’avoir rien à craindre. Dialoguer ce n’est pas céder. Lorsqu’on parle, on expose ses points de vue, on pose ses limites, mais l’on ne cède pas.
Je vous rappelle que j’avais dit à plusieurs reprises que je serai ouvert à une rencontre avec mon homologue turc, mon ami Mevlut Cavusoglu, si le climat y est propice. J’avais également souligné qu’il ne peut y avoir de dialogue sous la menace ou devant un comportement infractionnel. Ces conditions sont toujours valables. Mais il est vrai que le climat s’est amélioré, ne serait-ce que partiellement, afin de permettre la reprise des contacts de haut niveau. Il est clair néanmoins, pour faire suite à ce que j’ai dit tout à l’heure, que si les provocations se répètent, ce climat pourrait se détériorer.
JOURNALISTE : La semaine prochaine est cruciale pour les relations UE – Turquie. Qu’attends la Grèce de l’Europe ?
N. DENDIAS : Permettez-moi de rappeler que les relations UE – Turquie ont démarré il y a presque six décennies. Plus précisément en 1963, avec la signature de l’accord d’association CEE – Turquie.
Depuis, il y a eu plusieurs semaines cruciales pour les relations UE – Turquie. Certaines étaient marquées par des pas positifs, d’autres non. Dans ce sens, la semaine prochaine n’est ni le début, ni la fin pour ces relations. La question de la Turquie restera sur la table.
Et j’ajouterais encore une chose. Le niveau des relations UE – Turquie dépend de l’attitude de la Turquie.
Dans ce contexte, nous attendons avec intérêt le rapport que soumettra le haut représentant et la Commission européenne au Conseil européen. Nous avons souligné les points positifs que ce rapport devrait, à notre sens, comporter. Mais nous ne sommes pas ceux qui l’élaborent.
Notre position ferme est que l’UE devra avoir une approche double pour ce qui est de la Turquie : avec un agenda positif, mais aussi avec des propositions sur des conséquences bien précises à son encontre, en fonction de son comportement.
Nous serions prêts à examiner les points d’un agenda positif, dans différents domaines, comme l’union douanière, la question migratoire ou encore la question de la libération des visas, mais à une stricte condition [indérogeable] : que la Turquie respecte pleinement les obligations qu’elle a assumées. La Turquie ne peut, par exemple, demander la revalorisation de l’union douanière dès lors qu’il est prouvé qu’elle la viole de manière flagrante. Il en va de même de la question migratoire et des obligations qu’elle a assumées dans le cadre de l’application de la déclaration conjointe de 2016. On ne peut donner carte blanche à la Turquie, tout comme on ne peut le faire pour aucun pays.
En même temps que l’agenda positif, néanmoins, l’UE doit faire clairement savoir que l’attitude de la Turquie est sous surveillance continue et que si elle entreprend de nouveau des actions de violation, des mesures restrictives seront imposées. La perspective des prises de mesures continuera d’exister après mars. Comme je l’ai déjà dit dans le passé, nous ne pouvons pas « absoudre » la Turquie « de ses pêchés ». Certes, nous devrons toujours tenir compte du fait que les décisions au sein de l’Union européenne sont prises à l’unanimité. Autrement dit, les 27 pays doivent être d’accord.
JOURNALISTE : La semaine prochaine, vous assisterez à la rencontre des ministres des Affaires étrangères de l’OTAN, avec la présence du nouveau Secrétaire d’Etat américain, Antony Blinken. Qu’attendez-vous de cette rencontre ?
N. DENDIAS : Il y a quelques semaines, j’ai eu une discussion particulièrement amicale avec Tony Blinken. Compte tenu de ses déclarations récentes devant la Chambre des Représentants américaine, concernant les évolutions en Méditerranée orientale et dans le dossier chypriote, mais aussi de l’intervention du Secrétaire d’Etat américain de l’époque, Mike Pompeo, lors de la réunion ministérielle de l’OTAN en décembre dernier, nous observons qu’il y a une réaction très claire aux actions turques de l’autre côté de l’Atlantique. Aussi bien avant, qu’après les élections présidentielles américaines. À savoir maintenant si et comment celle-ci se concrétisera, l’avenir le dira. Mais ce changement, par rapport à un passé qui n’est pas très lointain, est particulièrement important pour le bien-fondé des positions grecques. J’aimerais à ce stade souligner un développement qui a eu lieu il y a quelques jours. Dans le communiqué conjoint publié après la réunion par visioconférence des chefs d’Etats et de gouvernements du Dialogue quadrilatéral pour la sécurité – Quad, auquel participent l’Australie, les Etats-Unis, le Japon et l’Inde, il est clairement et expressément fait mention du rôle primordial qu’accordent ces pays au droit international et notamment tel que formulé dans la Convention des Nations Unis sur le droit de la mer. C’est un développement très intéressant car quatre puissances maritimes importantes reconnaissent au plus haut niveau l’importance de l’UNCLOS.
En tout état de cause, nous attendons avec intérêt la prise de position du nouveau Secrétaire d’Etat américain lors de la réunion des ministres des Affaires étrangères de l’OTAN. Pour notre part, nous insisterons sur le rôle de notre pays, en tant que pôle de stabilité et de sécurité dans la région, ainsi que sur la nécessité d’éviter des actions qui mettent en danger la cohésion de l’Alliance.
Enfin, en marge de la réunion ministérielle de l’OTAN, j’ai l’intention de me rendre à Düsseldorf afin de rencontrer le nouveau président de l’Union chrétienne-démocrate d’Allemagne (CDU), Armin Laschet, qui devrait être candidat de son parti au poste de chancelier fédéral aux élections législatives d’octobre. Cette rencontre revêt son importance aussi bien du point de vue symbolique que de sa substance. J’ai toujours pensé qu’une politique étrangère doit être basée sur des fondements diplomatiques solides et sur le développement des relations interpersonnelles.
March 20, 2021