JOURNALISTE : Vous étiez en Turquie dimanche dernier, dans la région touchée par le tremblement de terre. Et nous avons vu Mevlut Cavusoglu vous accueillir avec une accolade qui a suscité l'espoir. Quel est le tableau en Turquie et quel est l'état d'esprit en Turquie à l’egard de la Grèce ?
N. DENDIAS : Après les tremblements de terre du 6 février, la Turquie est confrontée à une catastrophe sans précédent, dont toutes les conséquences ne sont pas encore ressenties et qui assombrira longtemps la vie du pays voisin.
Ma présence en Turquie, la première visite d'un ministre européen des Affaires étrangères depuis les tremblements de terre dévastateurs, procède de notre désir évident d'exprimer le soutien total et la solidarité de la Grèce avec le peuple turc et de l'assurer de notre intention sincère de continuer à fournir une assistance de toutes les manières possibles, tant au niveau bilatéral qu'en tant qu'État membre de l'Union européenne.
Les images que nous avons vues sont bouleversantes, la tristesse que nous avons ressentie est difficile à décrire. Les témoignages des membres de la mission d'aide grecque, qui ont tout fait pour sortir les civils des décombres, sont tout aussi bouleversants.
Dans cette atmosphère morose, mon homologue turc, Mevlut Cavusoglu, nous a accueillis avec une grande cordialité, a exprimé sa gratitude au gouvernement grec, au Premier ministre grec et au peuple grec, et a loué sans réserve le travail des sauveteurs grecs.
Les expressions spontanées des citoyens turcs sont tout aussi chaleureuses et humaines. Ils ont accordé toute leur confiance aux sauveteurs grecs et se sont empressés de leur demander de l'aide, tout en exprimant leur gratitude par des messages touchants sur les réseaux sociaux.
JOURNALISTE : Cette visite a-t-elle réellement ouvert une nouvelle page dans les relations gréco-turques ? Quelles perspectives voyez-vous ? Pensez-vous que suite à la solidarité de la Grèce face à la tragédie qui a frappé la Turquie, nous pouvons espérer un changement de rhétorique et la perspective d'une reprise du dialogue ?
N. DENDIAS : L’enthousiasme avec lequel l'État et la société grecs se sont empressés d'aider le pays voisin et, respectivement, la gratitude avec laquelle la société turque a accepté cette aide mettent en évidence des paramètres fondamentaux que nous ne devons pas oublier : la proximité des deux peuples et l'engagement indéfectible de notre pays à soutenir le peuple turc chaque fois que le besoin s'en fait sentir.
Toutefois, permettez-moi d'observer que cette approche est loin d'être réaliste en ce qui concerne les relations gréco-turques. Nous ne pouvons pas associer l'aide de la Grèce au peuple turc qui souffre à une quelconque évolution géopolitique, ni à un quelconque effort ou différend. Quoi qu’il en soit, je note avec prudence la déclaration de mon homologue, mon ami Mevlut Cavusoglu, qui a exprimé l'espoir que des efforts seront faits pour résoudre nos différends (plateau continental et ZEE) par le dialogue.
Le changement de ton de la Turquie, après trois ans de tension, est le bienvenu. Il permet un certain optimisme quant à la possibilité de passer d'un « modèle » révisionniste de relations bilatérales à un climat de bon voisinage, régi par le respect des principes fondamentaux du droit international et garantissant les conditions de paix et de stabilité dans notre région élargie.
Toutefois, nous ne devons pas oublier que nous nous trouvons toujours dans un environnement régional complexe et dans une période de développements politiques en Turquie, dans la perspective des prochaines élections. En tout cas, l'accalmie dans la tension qui a caractérisé jusqu'à présent la rhétorique turque peut être utilisée pour formuler un nouveau cadre de rapprochement.
JOURNALISTE : Quel est l'ordre du jour et que signifie la visite de M. Blinken à Athènes le 21 février ? Pensez-vous que cette visite du Secrétaire d'Etat américain en Grèce et en Turquie est aussi un message en faveur de la stabilité dans la région à l'ombre des tensions des mois précédents ?
N. DENDIAS : Madame Fotaki, permettez-moi, tout d'abord, de souligner l'importance de cette visite du Secrétaire d'Etat américain, Anthony Blinken, en Grèce. Il s'agit d'une visite qui démontre une fois de plus, de la manière la plus tangible, la confiance des Etats-Unis dans le rôle indéniable de notre pays dans la défense de la stabilité et de la prospérité dans la région élargie, au milieu d'évolutions géopolitiques rapides. En même temps, cette visite scellera l'émergence de la Grèce - grâce aux efforts intensifs du gouvernement Mitsotakis - comme l'un des partenaires les plus fiables des Etats-Unis au niveau géostratégique. Les entretiens avec M. Blinken porteront notamment sur les questions de coopération bilatérale, avec comme fer de lance le Dialogue stratégique entre la Grèce et les États-Unis. J'informerai également mon homologue américain sur les questions régionales, en particulier sur les développements en Méditerranée orientale.
JOURNALISTE : Nikos Christodoulidis est le nouveau président de la République de Chypre. Son élection ouvre-t-elle une nouvelle page pour Chypre et que peut-on attendre de la question chypriote ? Qu'est-ce que cela signifie dans les circonstances géopolitiques actuelles ?
N. DENDIAS : Tout d'abord, permettez-moi de dire que je suis très heureux de l'élection de mon ami Nikos Christodoulidis à la présidence de la République de Chypre, avec qui nous avons eu une bonne coopération lorsqu'il était ministre des Affaires étrangères.
Je lui ai déjà adressé mes plus chaleureuses félicitations et j'attends avec grand plaisir de l'accueillir à Athènes, afin de reprendre les discussions sur les questions qui nous intéressent. Tout d'abord, bien sûr, la question de la reprise des pourparlers en vue d'une solution juste et viable au problème chypriote, sur la base des résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies. Cela signifie qu'il faut sortir les pourparlers de l'impasse dans laquelle ils se trouvent depuis un an et demi. Et j'espère que, lorsque les processus électoraux en Grèce et en Turquie seront terminés, nous aurons un point de départ plus clair.
JOURNALISTE : Vous étiez récemment en Israël. Que signifie la position de Cohen en faveur de l'intégrité territoriale et des droits souverains de la Grèce ? Le projet EastMed est-il toujours d'actualité ? Après l'élection du nouveau Président de la République de Chypre, quand peut-on espérer une réunion du format « 3+1 » (Grèce – Chypre -Israël + US) qui semble avoir été « gelée » ?
N. DENDIAS : Après l'élection du nouveau gouvernement en Israël, j'ai été le premier ministre européen des Affaires étrangères à visiter le pays et le deuxième en général, après M. Blinken.
Ce qui a été réaffirmé, c'est que la relation entre la Grèce et Israël est un partenariat durable d'importance stratégique, fondé sur des intérêts communs et des vues convergentes sur les questions et les défis de la région. Cela ressort également de la déclaration explicite de M. Cohen, pour la première fois - je le souligne – sur le respect de la souveraineté et des droits souverains de la Grèce.
En ce qui concerne la deuxième partie de votre question, je dirais qu'il est un peu prématuré de parler de futures réunions, de formats différents. Le gouvernement en Israël est nouveau et le Président de la République de Chypre vient d'être élu. Mais la Grèce est aussi entrée, pratiquement, dans un cycle électoral, donc nous devrons attendre un peu.
Les projets énergétiques offrent un domaine de coopération important dans la région élargie, et encore plus en cette période de crise énergétique. C'est un sujet dont nous avons discuté en Israël, ainsi que d'autres domaines, bien sûr. La Grèce poursuit et intensifie l'exploration des hydrocarbures à l'ouest de la Crète et, dans le même temps, fait progresser rapidement la coopération sur l'interconnexion électrique avec l'Afrique et l'Asie, ce qui en fait un facteur important de la sécurité énergétique de l'Europe.
Journaliste : La politique étrangère s'arrête-t-elle en période électorale ? À quoi allez-vous aspirer dans la prochaine période ?
N. DENDIAS : Évidemment, elle ne s'arrête pas, car les développements internationaux ne s'arrêtent pas et la défense des intérêts nationaux dans cet environnement international en constante évolution ne nous permettent pas de nous payer le luxe d'une « pause électorale ». Dès le premier jour de son mandat, le gouvernement Mitsotakis a mené une politique étrangère de principe, cohérente et fondée sur un plan, avec pour objectif de renforcer le pays, d’améliorer son statut géopolitique et accroître son prestige international.
Nous avons agi avec un esprit créatif et novateur, mais en gardant toujours comme boussole les principes qui sont la pierre angulaire de la politique étrangère grecque : le droit international, le respect de l'indépendance et de l'intégrité territoriale de tous les États, le règlement pacifique des différends, le développement de relations de bon voisinage.
Dans ce contexte, nous avons entrepris d'approfondir les relations avec nos partenaires et alliés traditionnels. Mais dans le même temps, nous avons également cherché à élargir les horizons de la politique étrangère grecque, en cultivant des relations avec des pays auxquels nous n'avions pas jusqu'à présent accordé l'importance nécessaire, malgré leur rôle croissant dans la politique internationale. C'est précisément la logique qui sous-tend mes récentes visites dans des pays d'Afrique subsaharienne et d'Amérique latine, dont certains ont reçu pour la première fois un ministre grec des Affaires étrangères.
Je peux donc vous assurer que nous continuerons dans le même esprit et avec le même dynamisme dans la période à venir jusqu'à la fin de notre mandat. Nous attendons déjà la visite de mon homologue américain la semaine prochaine. Elle sera suivie de ma visite au Tadjikistan. Je me rendrai également à New York, où je m'adresserai à l'Assemblée générale des Nations unies sur la guerre en Ukraine.
February 18, 2023