Interview accordée par le ministre des Affaires étrangères, Nikos Dendias au journal télévisé de la chaine STAR et à la journaliste Mara Zacharea (Athènes, 18.05.2022)

M. ZACHAREA : C'est un jour critique après le voyage aux États-Unis, mais aussi parce que vous êtes arrivé à midi, d'après ce que j’ai cru comprendre, donc vous devez être assez fatigué.

N. DENDIAS : C’est moi qui vous remercie pour cette opportunité, Mme Zacharea. Je suis très, très heureux parce que c'était une visite extrêmement difficile. Pour nous, c'était vraiment une expérience sans précédent. C'est pour cela qu'il n'y a pas de fatigue.

M. ZACHAREA : Je veux commencer par le reportage qui a précédé et avoir votre commentaire, une première réaction concernant les Turcs. Ils semblent très sérieusement ennuyés par cette visite.

N. DENDIAS : Je dois dire que je suis toujours étonné par la Turquie. Parce qu’elle a certains réflexes de réaction que je ne comprends pas. Qu'a fait la Grèce ? Qu'a fait le Premier ministre ? Il a fait son travail de Premier ministre de la Grèce. La visite ne revêtait aucun caractère antiturc. Il a défendu les intérêts grecs, expliqué les positions grecques, développé les problèmes de la région. Ce que la Turquie devrait peut-être faire de son côté, c'est d'avoir une raison convaincante de s'adresser à la superpuissance et à la communauté mondiale. Le fait qu'elle soit ennuyée montre exactement cela, son manque d'arguments.

M. ZACHAREA : Nous savons que vous avez eu une discussion avec votre homologue américain A. Blinken, et que vous avez ouvert l'éventail des revendications turques. Je voudrais que vous nous disiez quelle a été la réaction du côté américain et, bien sûr, ce dont vous avez discuté au sujet des Balkans occidentaux également.

N. DENDIAS : Je connais M. Blinken maintenant. J'ai eu l'occasion de lui montrer, peut-être, d'autres cartes de la Maison Blanche. Parce qu'il y avait un problème. La question des survols ces derniers temps. Un problème particulièrement perturbant. On ne peut pas, à un moment où l'OTAN est confrontée à une menace extérieure et à une crise internationale, avoir deux pays alliés qui ont ces problèmes. Et avec la responsabilité absolue de l'un d'entre eux, la Turquie. Il faut donc expliquer cela à la partie américaine pour qu'il y ait une compréhension claire du terrain.

Au-delà de cela, maintenant, toute la discussion n'était pas, comme vous l'avez très bien observé, uniquement sur la Turquie. Il y a un certain nombre de défis dans la région, les Balkans occidentaux sont l'un d'entre eux, la Libye en est un autre, notre région élargie, la Méditerranée orientale, la possibilité de coopération, le format 3+1, la situation dans le monde arabe, les opportunités de coopération avec le monde arabe et au-delà du monde arabe, avec l'Inde, avec l'Égypte, cela a également fait partie de mes discussions avec A. Blinken.


M. ZACHAREA : Vous avez aussi vu M. Kerry. C'est l'envoyé spécial des États-Unis pour l'environnement et le climat. Vous avez également parlé des mers. Quelqu'un peut-il dire maintenant que le climat entre dans la conversation avec le secrétaire d'État ? Mais il y a un élément intéressant ici qui explique pourquoi il est important que nos mers soient incluses dans des sites NATURA, et j'aimerais que vous l'expliquiez un peu pour que nos téléspectateurs puissent le comprendre.

N. DENDIAS : Tout d'abord, M. Kerry est une personnalité importante. Il a été secrétaire d'État, il a été candidat à la présidence, il est issu d'une famille philhellène, il a reçu le prix Byron du philhellénisme, c'est une personne extrêmement importante sur la scène américaine. Rien que pour cela, il mérite d'être vu.

Mais ici, la question est plus pratique. La Grèce est un pays connecté à la mer et c'est le pays qui possède la plus grande industrie de navigation commerciale de la planète. Nous envisageons donc, avec la partie américaine, une sorte d'initiative sur les mers. Et sans devoir annoncer quoi que ce soit pour le moment, nous le ferons avec la partie américaine en juin, mais je peux vous assurer que la réunion avait quelque chose de beaucoup plus pratique qu'une vision générale de l'horizon.

M. ZACHAREA : Qui protège la mer Égée ?

N. DENDIAS : Qui concerne à la fois les intérêts grecs et la protection globale de l'environnement.

M. ZACHAREA : Nous qui n'étions pas là, comme vous, avons vu que le Premier ministre a été très chaleureusement accueilli. Nous avons vu des réactions très chaleureuses et des commentaires très, très positifs sur son discours au Congrès. On peut raisonnablement se demander si tout cela aura un quelconque impact proactif sur nos propres intérêts nationaux. Pour le dire très simplement. Si les survols continuent, si, à un moment donné, il y a un incident chaud dans la mer Égée, pouvons-nous espérer une aide et une réponse américaines fortes ?

N. DENDIAS : Tout d'abord, Mme Zacharea, vous avez beaucoup d'expérience et vous avez certainement en tête les images des différentes visites des premiers ministres grecs à Washington. Je dois dire que la chaleur de cette visite est sans précédent. Le fait que le Premier ministre se soit vu offrir la première opportunité pour un Premier ministre grec - il n'y en a qu'une dans notre histoire, celle de Georges II pendant la guerre et non ...

M. ZACHAREA : C'était des circonstances spéciales alors.

N. DENDIAS : Et ce n'était pas une réunion conjointe des deux corps. La façon dont le président Biden s'est adressé à lui, les paroles de la Première Dame lors de la réception qui a eu lieu le soir même à la Maison Blanche, étaient sans précédent pour la Grèce. Et ce sont eux-mêmes les signes d'une relation qui s'est construite pas à pas au cours des dernières années.

A partir de là, tout cela traduit une ambiance et l’ambiance reflète la position américaine vis-à-vis des problèmes plus larges de la région.


Nous ne nous attendons pas à ce que les États-Unis deviennent les ennemis de la Turquie, ni à ce qu'ils la chassent de l'OTAN. Nous attendons des États-Unis qu'ils adoptent une position claire sur les questions de droit international et de droit de la mer. Et, si vous voulez, la possibilité qu'ils ont, non pas d'intervenir en cas d'incident, mais de prévenir un incident. Agir de cette manière ne nous amènera pas au point que vous avez décrit plus tôt. Et je pense que la visite de Mitsotakis, cette fois aux États-Unis, nous a permis de dire que les États-Unis comprennent la position grecque.

M. ZACHAREA : Je voudrais en venir à une autre nouvelle qui est ressortie de cette visite, à savoir les F-35 et le fait que le premier ministre a annoncé que nous les acquerrons progressivement, au moment même où la Turquie fait pression pour une mise à niveau de ses propres F-16. Où en sommes-nous à ce sujet et que signifient pour nous les F-35 dans la mer Égée ?

N. DENDIAS : Laissez-moi vous dire que ce n'est plus qui est compétent, c'est Nikos Panagiotopoulos. Je vais faire une prise de position générale. Les F-35 sont une excellente arme, c'est un avion de 5ème génération, qui, à un moment donné, doit faire partie de l'arsenal grec. Ce qui s'est passé avec cette visite du Premier ministre c’est le début d'un long processus, qui prendra du temps. Mais ce que je dois vous dire, c'est que cette demande a trouvé un écho cordial. Je n'ai vu personne se demander si nous devrions le faire, si les États-Unis veulent nous les donner, si c'est juste, si c'est utile. Et c'est une autre récompense pour l'attitude cohérente et sérieuse de la Grèce pendant tout ce temps.

En ce qui concerne la Turquie, maintenant. La Grèce n’est pas en confrontation avec la Turquie. Elle dit quelque chose de simple, pourtant. Que si la Turquie dispose de certains systèmes d'armes, elle doit donner l'assurance qu’elle ne les utilisera pas contre la Grèce. Par conséquent, la Grèce ne peut pas accepter, dans la mesure où elle a son mot à dire, de fournir des systèmes d'armes à la Turquie ou de moderniser des systèmes d'armes existants si, après un certain temps, elle nous menace. Nous ne pouvons pas le faire. Par conséquent, la Grèce utilisera toutes les possibilités qu'elle a, là où elle les a, pour arrêter la modernisation des systèmes d'armes turcs, dans la mesure où la Turquie viole le droit international, dans la mesure où la Turquie nous menace, dans la mesure où la Turquie continue avec le casus belli. Si nous parlons d'une autre Turquie, alors il y aura une autre attitude grecque. Et la Grèce espère toujours, avec constance, qu'il y aura cette autre Turquie.

M. ZACHAREA : Au vu de ces arguments tels que vous nous les avez décrits, au vu des discussions qui ont eu lieu aux États-Unis d'après les informations dont vous disposez, diriez-vous que vous avez trouvé des oreilles favorables au Congrès ?

N. DENDIAS : Je ne vais pas vous le dire. Regardez les photographies et les instantanés. Je pense que vous comprendrez. Je dois vous rappeler que le président de la commission des Affaires étrangères est M. Menendez. Les positions du Congrès à l'égard de la Turquie sont également bien connues. Je n'ai pas le droit de parler au nom du Congrès américain, je n'ai pas le droit de parler au nom du Président des États-Unis, je n'ai pas le droit de parler au nom d'Antony Blinken.

Mais toute la sémantique de cette visite et la façon dont nous avons été reçus et écoutés, je pense, apporte toutes les réponses qui doivent être données.

Cela étant, c'est à la Turquie, à travers son comportement, à travers son attitude, de changer le regard des Etats-Unis. Pour prouver qu'elle est un allié solvable cohérent qui se soucie de l'autre et ne menace pas ses voisins.

M. ZACHAREA : Je veux en venir à une autre question. La Finlande et la Suède ont fait une demande officielle d'adhésion à l'OTAN. S'agit-il d'une évolution positive ou l'Europe doit-elle s'en inquiéter ? Et je dis cela parce que Poutine a utilisé la demande, la volonté de l'Ukraine de rejoindre l'OTAN, pour envahir [l’Ukraine].

N. DENDIAS : Le président Poutine, je vais vous dire, s'est positionné sur cette demande, puisqu’on en parle, et il a dit qu’il n’était pas concerné par la demande d'adhésion de la Finlande et de la Suède à l'OTAN. Cela l’aurait concerné, s’il y a avait dans ces pays des systèmes déployés qui seraient dirigés contre la Russie.

Je pense que ce que le président Poutine a réussi avec l'invasion de l'Ukraine, pour vous dire la vérité, est ce qu'il ne souhaitait pas, à savoir le renforcement de l'OTAN, une plus grande unité de l'OTAN et l'entrée de nouveaux pays dans l'OTAN.

La Grèce est absolument positive. Je me suis, d’ailleurs, positionné avant le dîner à Berlin sur l'entrée de la Suède et de la Finlande. Ce sont deux pays amis, deux États membres de l'UE, deux démocraties avec lesquelles nous parlons la même langue et avons une compréhension commune d'un certain nombre de choses.

Et ce qui nous surprend le plus, c'est l'attitude de la Turquie face à la demande des deux pays.

M. ZACHAREA : C’était ma prochaine question car nous voyons qu'Erdogan a commencé à marchander sur cette question.

N. DENDIAS : Je vais vous dire, je pense que l’heure n’est pas aux marchandages. Il y a une crise mondiale, la Turquie est déjà très exposée en n'imposant pas de sanctions à la Russie. Le fait que tous les méga yachts des oligarques russes soient amarrés à Bodrum et sur la côte turque, expose en soi la Turquie, à un moment où les Ukrainiens se battent pour leur existence et pour leur indépendance.

Cela étant, la dernière chose que la Turquie devrait faire, si je puis dire, car c'est un pays indépendant, c'est de commencer à faire du marchandage turc. Cela ne leur profitera pas. Elle n'en tirera aucun avantage. Et parce que j'ai entendu Mevlut Cavusoglu, lors du dîner informel, développer l'argument turc selon lequel il y a un problème de sécurité pour la Turquie du fait de l'entrée de la Finlande et de la Suède, je dois dire que ce n'est pas du tout convaincant. La Turquie qualifie de terroriste toute personne qu'elle n'aime pas.

M. ZACHAREA : Permettez-moi d'aborder une autre question dont vous et le Premier ministre avez beaucoup discuté aux États-Unis. Celle de l'énergie. Alors comment la Grèce peut-elle « exploiter » tout ce que nous voyons en Europe en ce moment avec la guerre en Ukraine pour devenir une plaque tournante de l'énergie non seulement pour nous - pour que nous ayons une suffisance énergétique ici - mais aussi pour pouvoir donner à nos voisins ?


N. DENDIAS : Mme ZACHAREA, c’est ce qui se passe. C’est ce qui se passe maintenant que nous en discutons. Une nouvelle unité flottante de stockage et de regazéification (FSRU) à Alexandroupolis permettra d'approvisionner la Bulgarie et un certain nombre d'autres pays d'Europe orientale et des Balkans en GNL, qui aura bien sûr été regazéifié.

La Grèce est en train de devenir la plaque tournante du transport de l'énergie vers l'Europe centrale et l'Europe de l'Est. Et je pense que cette évolution est une énorme récompense pour le choix d'Alexandroupolis et le rôle d'Alexandroupolis.

De plus, les interconnexions, la transmission de l'électricité depuis l'Afrique et l'Asie, sont des développements qui seront mis en œuvre dans un délai très court. Je ne parle pas de quelques semaines ou de quelques mois. Et ils confirmeront la véracité de ces faits. C'est-à-dire que la Grèce sera la plus importante plateforme de transport énergétique de la Méditerranée orientale.

Cela vient renforcer notre rôle géopolitique, cela vient renforcer notre empreinte et aussi créer de la croissance et des emplois dans notre pays.

M. ZACHAREA : Je voudrais conclure sur un commentaire de votre part sur les affirmations de l'opposition. Nous avons entendu beaucoup de choses ces dernières 48 heures. Nous avons entendu que nous n'avons rien obtenu de tangible en conséquence, que nous n'avons pas entendu M. Biden dire explicitement qu'il ne va pas donner de F-16 à la Turquie, que nous sommes devenus le 51e, 52e État des États-Unis, etc. J'aimerais donc avoir votre avis sur tout cela également.

N. DENDIAS : Je pense que le jour se lève ou, en tout cas, il semble que le temps des élections soit à l'horizon. Et cela oblige l'opposition à prendre des positions qui, si je puis dire, sont mesquines et sonnent misérables. Ce que j'attendrais d'une véritable opposition, qui a le droit de nous critiquer et qui doit nous critiquer, c'est qu'elle dise quelques mots positifs sur la visite du Premier ministre à Washington, aux États-Unis, une visite qui a été excellente pour la Grèce. Parce que le gagnant, vous savez, n'est pas Mitsotakis ou la Nouvelle Démocratie, c'est notre pays. Et il n'y a pas de place ici pour les mesquineries partisanes. Nous n'avons pas de capital national à partager. Il nous appartient à tous, il est pour nous tous, et nous devons tous célébrer. Si j'étais à la place du chef de l'opposition, j'aurais, avec tout le respect que je lui dois, félicité Kyriakos Mitsotakis pour son excellent discours devant le Congrès.

Μ. ΖΑCHΑRΕΑ : Monsieur le ministre, je vous remercie pour notre discussion.

Ν. DENDIAS : Je vous remercie.

May 18, 2022