JOURNALISTE : Monsieur le Ministre, la démission de Zoran Zaev provoque des secousses en Macédoine du Nord. Compte tenu du renforcement du parti VMRO et de l'affaiblissement de ceux qui, dans le pays voisin, ont œuvré pour l'accord de Prespès, que pourrait signifier cette évolution pour la Grèce et la poursuite de l'accord ?
N. DENDIAS : Monsieur Melissopoulos, permettez-moi de faire une remarque générale. Dans les sociétés démocratiques, les gouvernements vont et viennent, mais les États et les obligations qu'ils assument demeurent. La Nouvelle Démocratie n'a pas voté en faveur de l'accord de Prespès et avait de fortes objections quant à certaines parties de celui-ci ; elle a averti des conséquences de la manière la plus institutionnelle, à savoir au Parlement grec. Mais elle n'a pas caché après son adoption, comme elle l'a fait dès son arrivée à la tête du pays, qu'elle allait le mettre en œuvre.
Je veux être clair. Lors de mes contacts avec les responsables de ce pays, et j'en ai eu de nombreux ces derniers mois, les deux principales questions que mes interlocuteurs ont soulevées avec moi sont la perspective européenne de notre pays voisin et la manière dont la Grèce peut l'aider dans ce sens, ainsi que le renforcement des liens bilatéraux dans tous les secteurs, tels que l'économie, les investissements, l'énergie, les transports et la défense. La surveillance de l'espace aérien de notre pays voisin par notre armée de l'air est déjà une preuve tangible du bénéfice mutuel qui peut être obtenu.
Pour ma part, j'ai réitéré la nécessité d'une mise en œuvre complète, cohérente et de bonne foi de l'accord de Prespès. Mais j'ai également souligné quelque chose d'autre. Notre pays peut, sous certaines conditions, devenir le meilleur ami de la Macédoine du Nord à l'avenir. La stabilité et la prospérité de ce pays sont également dans notre intérêt. En outre, la Grèce n'a aucune revendication sur son voisin du nord. Bien sûr, nous n'avons aucune raison de parler des problèmes internes de la Macédoine du Nord. Nous nous réjouissons de poursuivre la coopération dans tous les domaines avec le gouvernement qui émergera des processus internes.
JOURNALISTE : De nombreux analystes pensent qu'aujourd'hui, avec l'affaiblissement des promoteurs de l'accord de Prespès en Macédoine du Nord, il existe une excellente opportunité pour Ankara de gagner un espace vital dans notre voisinage. Voulez-vous envoyer un message aux dirigeants de la Macédoine du Nord ?
N. DENDIAS : C'est le même message que nous envoyons constamment à la Macédoine du Nord, aux autres pays de la région, mais aussi à tous nos interlocuteurs internationaux, notamment nos partenaires de l'UE : l'avenir des Balkans occidentaux est dans l'UE.
C'est la perspective européenne et le processus d'adhésion lui-même qui garantiront la stabilité, la croissance économique, la prospérité et les réformes démocratiques aux pays et aux peuples de la région.
C'est la seule façon d'avancer pour la région. Bien sûr, nous savons que, dans le même temps, d'autres forces, non européennes, sont actives dans la région, qui visent à éloigner les Balkans occidentaux de l'Europe, en offrant une soi-disant aide au développement, une coopération militaire et même une coopération dans le domaine de l'éducation, par le biais d'organismes qui ont davantage à voir avec les Frères musulmans et ont peu, voire aucun, lien avec un cadre éducatif européen moderne. Des puissances qui revendiquent des traditions historiques, culturelles et religieuses prétendument partagées avec les pays et les peuples de la région, mais qui, en réalité, promeuvent des idéologies extrêmes et un programme déstabilisateur. Nous appelons donc non seulement la Macédoine du Nord, mais aussi l'ensemble des Balkans occidentaux à rester engagés dans leur parcours européen et à tourner le dos aux forces de l'isolement et de la déstabilisation.
Nous appelons également l'UE à maintenir la dynamique du processus d'élargissement, afin de ne pas permettre aux pays de la région de revenir à leur « passé balkanique ».
JOURNALISTE : M. Dendias, vous avez rencontré ces derniers jours vos homologues serbe et slovène et avez eu des contacts avec des responsables africains lors de votre voyage au Rwanda. Qu'avez-vous appris de tous ces contacts ? Êtes-vous plus optimiste qu'auparavant quant à la position de notre pays dans la région ?
N. DENDIAS : En tant que ministre des affaires étrangères, j’ai des rencontres fréquentes avec les amis et partenaires traditionnels du pays, comme les deux rencontres que vous avez mentionnées avec mes homologues de Serbie et de Slovénie, cette dernière exerçant la présidence du Conseil de l'Union européenne pour ce semestre.
Ces réunions sont l'occasion de discuter à la fois de nos relations bilatérales et de questions d'intérêt commun. À cet égard, un accent particulier a été mis sur la discussion concernant les Balkans occidentaux et la manière dont nous pouvons les aider dans leur perspective européenne.
En même temps, et je tiens à le souligner, la Grèce a mis en œuvre, au cours des deux dernières années, une stratégie visant à renforcer ses relations avec un certain nombre de pays, des relations qui, avec beaucoup d'entre eux, comme les pays du continent africain, n'ont pas été aussi intenses.
C’est dans ce contexte que s’intègre ma visite au Rwanda, où j'ai eu l'occasion de parler avec mon homologue, ainsi qu'avec un certain nombre d'autres hauts fonctionnaires, de l'expansion de nos relations avec ce pays, ainsi que des possibilités de coopération et des initiatives d'investissement.
Et j'espère que d'autres visites de ce type dans des pays d'Afrique, d'Asie et d'Amérique latine suivront bientôt, dans la mesure où la pandémie le permet. L'objectif de toutes ces visites et réunions est également d'ouvrir des canaux de communication, tant pour construire des relations solides au niveau politique et économique que pour aborder des problèmes communs, tels que la pandémie, le changement climatique ou la question des migrants et des réfugiés.
Permettez-moi de souligner ici la contribution du pays à l'effort mondial de lutte contre la pandémie, avec le don de vaccins à divers pays africains, dont la Libye, la Tunisie et l'Égypte, entre autres. De cette manière, nous établissons la Grèce aux yeux de la communauté internationale comme un pont entre l'Europe, l'Asie et l'Afrique et comme un partenaire fiable dans l'effort déployé pour assurer la paix, la stabilité, la sécurité et la prospérité dans notre région élargie.
JOURNALISTE : Monsieur le Ministre, notre pays, par votre intermédiaire, a signé deux accords importants avec les Etats-Unis et la France. Ces accords ont-ils modifié les positions américaines et françaises sur la Méditerranée du Sud-est et la mer Égée ?
Mais aussi lundi, pour autant que je sache, vous vous rendrez en Italie pour finaliser l'accord Athènes-Rome sur la ZEE. Qu'est-ce que cela signifie concrètement pour notre pays ?
N. DENDIAS : La Grèce participe aux développements. Ces deux dernières années, sous le gou-vernement Mitsotakis, notre pays a eu son mot à dire dans les développements régionaux, comme en témoigne son invitation à la conférence sur la Libye convoquée par le président Ma-cron. Déjà depuis 2019, la Grèce a fait un effort systématique pour équilibrer et freiner l'agres-sion turque, en faisant les bons gestes dans sa région et en se rapprochant d'États importants pour la promotion des intérêts grecs. Les accords de défense avec la France et les États-Unis ont des effets multiplicateurs sur la puissance du pays en termes de défense et sur le plan poli-tique dans l'environnement international, et seront valorisés. Les pays avec lesquels nous avons signé les accords soutiennent fermement la Grèce et ont intérêt à ce que la Grèce soit forte et stable. Et bien sûr, vous ne devez pas ignorer l'accord de défense avec les Émirats arabes unis. Ceci, ainsi que la force des forces armées, sont la meilleure garantie.
En outre, les accords sont une reconnaissance du rôle stratégique et stabilisateur que joue la Grèce de la région des Balkans à la Méditerranée orientale.
Il appartient à notre pays de faire usage de ces Accords, qui le rendront fort face aux forces révisionnistes, en gardant toujours à l'esprit que l'environnement géopolitique est très volatile et que l'équilibre entre les « acteurs » change constamment. Mais ce qui reste constant pour nous, et sur la base duquel nous agissons toujours, c'est qu'en ce qui concerne notre souveraineté nationale et l'intégrité territoriale de la Grèce, aucune forme de compromis et de recul n'est permise. Nous continuerons à défendre nos intérêts en respectant pleinement le droit interna-tional, et en particulier le droit de la mer, qui est notre boussole.
JOURNALISTE : Nos relations avec la Turquie ont été sur le fil du rasoir ces dernières années. Récemment, dans un discours prononcé à Londres, vous avez décrit la Turquie comme un « fauteur de troubles régional qui tente de faire revivre le fantôme néo-ottoman ». Toute per-sonne ayant une connaissance de base de l'histoire comprend la gravité de ce que vous avez dit. Dans cette optique, existe-t-il des perspectives de normalisation ou la seule condition re-quise est-elle le consentement de la Grèce aux demandes de la Turquie ?
N. DENDIAS : Comme nous l'avons souligné à plusieurs reprises à nos partenaires internatio-naux, et cela est maintenant immédiatement compris par l'ensemble de la communauté interna-tionale, la politique de la Turquie actuelle n'a malheureusement rien à voir avec la politique de rapprochement avec l'Europe. Avec sa politique expansionniste néo-ottomane, elle a réussi à avoir des problèmes avec presque tous les États de son voisinage immédiat. Les actions de la Turquie sont totalement inacceptables et violent tout concept de droit international et de bon sens. L'un des exemples les plus caractéristiques parmi tant d'autres est le harcèlement, en sep-tembre dernier, par la Turquie du navire de recherche « Nautical Geo », qui se trouvait dans la zone économique exclusive grecque délimitée, à 10 milles nautiques à l'est de la Crète, en affir-mant que le point en question fait partie du plateau continental turc.
Les perspectives de normalisation de nos relations avec la Turquie existeraient à condition que la Turquie respecte le droit international, cesse de menacer notre pays de guerre s'il exerce ses droits légitimes et cesse de violer les dispositions fondamentales de la Charte des Nations unies. Malgré le climat de tension que la Turquie continue d'entretenir, tant sur le terrain qu'en termes de rhétorique, nous pensons qu'il convient de maintenir des canaux de communication ouverts avec notre voisin. Toutefois, nous préconisons une entente avec la Turquie sur la base des dis-positions du droit international et du droit de la mer, toujours dans le contexte de la défense totale de notre souveraineté et de nos droits souverains.
Il convient également de souligner, une fois de plus, que la Grèce ne souhaite pas exclure la Turquie des partenariats régionaux, à condition, bien sûr, que la Turquie remplisse les conditions de participation à ces partenariats. Nous savons, après tout, qu'une partie importante de la so-ciété turque continue de se réjouir de sa perspective européenne. Cependant, le « consente-ment » de la Grèce à des exigences néo-ottomanes déraisonnables est impensable.
JOURNALISTE : Après ce qui s'est passé entre Athènes et Ankara, êtes-vous optimiste quant à la possibilité de nouveaux pourparlers exploratoires avec la Turquie sur les mêmes bases que les années précédentes, avec la perspective d'un recours à La Haye ?
N. DENDIAS : Le gouvernement grec a cherché à reprendre les contacts exploratoires, qui sont des discussions informelles, pas des négociations, mais en fixant un cadre précis pour permettre leur reprise.
Le cadre était très clair : Aucune activité d'exploration dans la ZEE grecque et, conformément aux orientations données par le Conseil européen lui-même, il faut en fait reprendre les discus-sions là où nous nous sommes arrêtés en mars 2016, c'est-à-dire il faut progresser sur la ques-tion de la délimitation de la ZEE et du plateau continental en mer Égée et en Méditerranée orien-tale. Nous avons toujours une attitude sincère et constructive à l'égard des contacts explora-toires.
Nous espérons que la Turquie souhaite cette normalisation non seulement avec la Grèce mais aussi avec l'Europe. Bien entendu, Ankara doit également démontrer dans la pratique qu'elle souhaite un dialogue sincère et constructif.
En ce moment, malheureusement, par sa propre faute, nous avons un dialogue de sourds. En ce qui concerne la possibilité d'un recours devant la Cour internationale de justice de La Haye, la position immuable grecque est que nous pouvons discuter du plateau continental et de la zone économique exclusive. Nous ne discutons pas d'autre chose. Si et quand il y a des conver-gences, alors il y aura à un stade ultérieur soit une négociation, soit un accord conclu entre nos deux pays dans le but de soumettre cette question à la Cour de La Haye. Cela a été et reste toujours le cadre. C'est clair, c'est fixé.
November 6, 2021