Interview accordée par le ministre des Affaires étrangères, Nikos Dendias à la chaîne de télévision « ANT1 » et aux journalistes Giorgos Papadakis, Giorgos Grigoriadis, Alexandra Kaimenou et Dimitris Christoulias (11 novembre 2019)

Interview accordée par le ministre des Affaires étrangères, Nikos Dendias à la chaîne de télévision « ANT1 » et aux journalistes Giorgos Papadakis, Giorgos Grigoriadis, Alexandra Kaimenou et Dimitris Christoulias (11 novembre 2019)G. PAPADAKIS :  Nous allons nous entretenir avec le ministre des Affaires étrangères, M. Dendias.

N. DENDIAS : Bonjour. Bonjour à vos téléspectateurs.

G. PAPADAKIS :  Je ne parle pas chinois pour vous dire bonjour…

N. DENDIAS : Le Président parle anglais.

G. PAPADAKIS : On aura l’occasion de parler de cela, mais vu le temps limité que nous avons à notre disposition – car votre programme est un peu chargé  aujourd’hui et on vous remercie d’avoir accepté notre invitation – mais maintenant abordons certaines questions majeures qui nous préoccupent. Parlons de la question des réfugiés et des pressions que nous devons exercer sur les Européens, à savoir qu’il faut leur signaler que notre pays ne devra pas devenir un « entrepôt d’âmes » et que cette question ne doit pas être gérée par la Grèce mais par l’Europe. Que faites-vous à cet égard monsieur le ministre ?

N. DENDIAS :  Il existe deux niveaux différents. Tout d’abord je commencerai par quelque chose qui n’est guère insignifiant. Nous demandons à la Turquie de respecter ses obligations vis-à-vis de la communauté internationale et de l’Union européenne et de protéger son propre espace géographique. Aucun pays dans le monde, aucun pays civilisé et organisé ne peut permettre que son territoire devienne une voie de passage de l’immigration irrégulière. Par conséquent, nous demandons aux Turcs de faire preuve de sérieux à cet égard et de ne pas permettre de survenir ce qu’il survient.

Le deuxième niveau concerne nos partenaires européens. Nos amis. Notre famille européenne. Nous sommes tous ensemble. Par conséquent, nous devons tous supporter les charges tout comme les obligations. Cela signifie que chaque pays au sein de l’Union européenne a des obligations spécifiques.  Ce n’est pas seulement la Grèce qui a dû supporter cette charge énorme en raison de sa position géographique. Il y a aussi d’autres pays de l’Union européenne.  Et si certains de ces pays n’acceptent pas de supporter la charge qui leur incombe en tant qu’Etats membres de l’Union européenne, ces pays ne doivent pas de la même manière profiter des fonds communs. Ils ne peuvent pas percevoir des subventions pour leurs produits agricoles ou des aides relatives aux infrastructures qui sont accordées par l’Union européenne. N’êtes-vous pas d’accord ?  On doit alors se partager les charges tout comme les obligations.

G. PAPADAKIS :  Qui peut contester cela ? Toutefois…

N. DENDIAS : Personne à mon avis.

G. PAPADAKIS :  Je suis tout à fait d’accord.

N. DENDIAS : Toutefois, je dois vous dire M. Papadakis que si certains ne s’y opposent pas dans les mots, leurs actes attestent de leur complet désaccord.

G. PAPADAKIS : Permettez-moi toutefois de vous dire ce qui se passe. M. Erdogan aussi reste indifférent à tout ça. Erdogan a instrumentalisé la question des réfugiés. Il menace sans cesse « d’ouvrir le robinet ». Ni l’Union européenne, ni les Etats-Unis n’ont imposé des sanctions contre Erdogan. Ce dernier poursuit toujours sa propre tactique.

Nous lui disons qu’il doit respecter les accords, le droit international car il reste indifférent à tout ça. Et, de l’autre côté, nous avons les Européens qui à travers leurs déclarations semblent avoir une politique stricte à cet égard mais ils ont fermé les frontières. Souvenez-vous de ce que M. Chryssochoidis a affirmé devant le parlement européen ? Il a dit que les Européens n’ont pris en charge ni un seul enfant non accompagné. Que la situation est non gérable et incontrôlable parce que l’Europe n’a pas assumé son rôle.  Par conséquent, est-ce qu’il faut en fait ne pas se contenter à des pressions verbales ? Ne faut-il pas leur dire de faire ce qu’ils doivent faire et nous, pour notre part, prendre en tant qu’Europe les mesures nécessaires ? Tout le monde y est d’accord, mais on ne le fait pas.

N. DENDIAS : Comme vous le comprenez,  la question des réfugiés/migratoire est d’une ampleur énorme. Et vous avez bien dit qu’elle comporte plusieurs paramètres. Il y a des paramètres relatifs à la Turquie, à l’Europe, aux pays de l’Europe, aux relations entre nous-mêmes. Ce n’est pas simple.

Au niveau de la politique étrangère – car moi je gère cet aspect et pas la question migratoire dans son ensemble – c’est une question également liée à d’autres paramètres de la politique étrangère du pays. Cette question n’est pas autonome. Elle ne peut pas être isolée de son contexte.  Il s’agit d’un système de priorités étroitement liées dans le cadre duquel nous essayons en tant que Grèce de concert avec des pays amis, des pays qui comprennent ce que nous disons, de parvenir au meilleur résultat possible.

Je pense, je peux déjà affirmer  avec sérieux, qu’on parviendra à un résultat. Ce résultat serait-il le meilleur résultat possible auquel on pourra parvenir ? Je ne suis pas en position de vous dire cela mais je peux vous dire une chose qui est connue, à mon avis, de tous les Grecs. Il s’agit d’une question unique en termes de complexité. C’est un défi énorme. Et par conséquent, je voudrais choisir prudemment mes mots avant de dire ce que nous avons fait concrètement.

Pour assurer l’efficacité de nos actions, certaines choses ne doivent et ne peuvent pas être portées à l’attention du public.

G. PAPADAKIS : On ne le contestera pas et cela concerne le gouvernement actuel et l’ancienne opposition quand ils assumaient des rôles différents, car certaines fois certaines choses ne doivent pas être rendues publiques et faire l’objet de discussions, comme celles engagées au café du Commerce, sans pour autant vouloir sous-estimer…

N. DENDIAS : Dans la politique étrangère en général, car c’est à elle que je me réfère, je ne parle pas de la question de la protection des frontières, car cela est différent, il faut choisir prudemment ses mots ainsi que parler au moment opportun.

G. PAPADAKIS : On va clore pour l’instant ce dossier car la question  migratoire et des réfugiés est un vaste sujet et doit être réglée. Sous votre gouvernement, il y a des réactions qu’on n’a pas vues auparavant. Et ce à cause du plan de transférer les réfugiés ayant le profil de réfugié  qui se trouvent sur les îles vers l’arrière-pays car ceux qui n’ont pas ce profil seront transférés dans des camps fermés.  Est-ce que ces réactions sont dues au fait que vous avez cultivé chez les gens une espérance différente concernant la gestion de cette question ?

N. DENDIAS : Tout d’abord je serai le dernier à soutenir que notre gouvernement est parfait. Il s’agit d’une question très difficile. Nous avons amélioré la protection des frontières. Je pense qu’à cet égard il y aura une amélioration encore plus grande dans les semaines et les mois à venir, et nous allons aussi améliorer le système de gestion global des flux migratoires et des réfugiés ainsi que des retours.

Autrement dit, ceux qui n’ont pas droit à une protection conformément aux dispositions du droit international, rentreront dans leurs foyers en dignité et leurs droits seront respectés mais ils n’auront aucun droit de rester en Grèce ou en Europe. Cela est tout à fait clair.

On doit également améliorer les processus relatifs à l’asile  afin d’assurer la protection dans les plus brefs délais de ceux qui ont droit à cette protection et par la suite sera décidé quelles personnes doivent retourner dans leurs foyers.
Et on doit aussi consentir des efforts au niveau des ministres compétents en la matière en vue d’harmoniser les processus d’octroi d’asile en Europe. Car on ne peut avoir en Europe un problème commun et 15 différentes solutions et processus. Tout cela n’est pas sérieux.

Ce que vous avez dit est très correct. Vous avez dit : «  est-ce que vous avez suscité des attentes extravagantes et maintenant vous devez affronter la société ? ». Je vous dirai en toute sincérité que cela est toujours une réflexion qui peut être exprimée ainsi qu’une question bien fondée.

Je pense que la Nouvelle Démocratie a été sincère et elle est d’ores et déjà en train d’accomplir une large partie des projets qu’elle avait annoncés : l’amélioration de la surveillance des frontières, l’accélération des processus d’octroi d’asile, les efforts visant à l’harmonisation du droit en matière d’asile en Europe ainsi que la mise en place d’un programme de retours et la sensibilisation – j’utilise ce mot pour ne pas utiliser un autre – des partenaires européens à ce problème, afin d’avoir une répartition des charges.

Il est à la société grecque de juger  dans quelle mesure nos efforts ont été couronnés de succès. Quoi qu’il en soit, à mon avis les ministres compétents en la matière consentent des efforts considérables dans ce sens.

G. PAPADAKIS : Toutefois, il y a des réactions qui se sont intensifiées aussi par les positions exprimées par certains membres de votre parti.

N. DENDIAS : A cet égard je ne peux émettre aucun commentaire.

G. PAPADAKIS : Je me rappelle de Nikos Dendias quand il était un simple député, c’est pourquoi que je pose cette question. J’ai un peu confondu les choses. Je sais que devant moi il y a aussi un ministre, le ministre des Affaires étrangères. Je sais qu’il y a quatre mois vous aurez répondu à ma question.

N. DENDIAS : J’étais en charge de la gestion de la question migratoire au cours de la période 2012-2014.  Force est de vous rappeler que j’ai mis en place le premier bureau d’asile en Grèce, le bureau de premier accueil en Grèce, les centres d’accueil fermés et c’était dans ce cadre établi à l’époque que M. Michalis Chryssochoidis, le ministre actuel, avait mis en place le centre d’accueil  d’Amygdaleza. A l’époque, vous vous en souvenez, des accusations étaient portées contre nous, ils nous disaient qu’Amygdaleza n’était pas…etc. J’avais dit que le centre d’accueil d’Amygdaleza à l’époque par rapport à celui de Moria d’aujourd’hui pourrait être comparé à l’hôtel Hilton.

Toutes ces choses sont à eux-seules extrêmement difficiles. Je pense toutefois que la société grecque est assez mûre pour évaluer correctement l’enjeu et les efforts consentis.

G. PAPADAKIS :  Est-ce que les discussions qui devraient être engagées – dans le cadre desquelles vous jouerez un rôle de premier plan – avec nos voisins, les Turcs et le climat dans lequel celles-ci seront déroulées pourront apporter des résultats ?

Est-ce que la discussion que nous tiendrons avec eux pourra régler certains problèmes, tels que les provocations quotidiennes, les revendications et les travaux de forage qui pourraient, demain, après-demain être menés dans nos eaux territoriales, ou cette tactique douce en faveur du dialogue facilite la tâche à Erdogan ?

N. DENDIAS : Monsieur Papadakis, la tactique de la Grèce n’a été jamais, traditionnellement, mais aussi sous le gouvernement actuel, douce. Sa tactique est européenne, moderne.  Nous vivons au 21e siècle, nous ne croyons pas à la logique de la canonnière, à chaque provocation de la Turquie nous n’envoyons pas nos bateaux faire des défilés. Nous sommes un pays qui a sa propre politique et c’est justement cette politique qu’il met en œuvre. Nous n’exerçons pas une politique réactive. Nous avons notre propre politique. En outre, nous pensons que nous devons toujours maintenir les canaux de communication ouverts avec la Turquie, indépendamment des problèmes. Telle a été notre approche depuis 1974 à ce jour. Quoi qu’il arrive, on doit parler avec l’autre partie.

Il est impossible de s’entendre si on ne parle pas. Le fait que nous parlons avec l’autre partie ne signifie pas que nous sommes d’accord avec ses points de vue ou que nous renonçons à nos intérêts nationaux. Par ailleurs, l’engagement du dialogue et la poursuite de la paix constituent des obligations constitutionnelles visées explicitement dans l’article 2 de la Constitution.

Cela dit, force est de signaler, pour que nous soyons clairs à cet égard, et je m’adresse à la société grecque et à nos interlocuteurs internationaux, que la Grèce est un pays avec confiance. Notre attitude face à la Turquie n’est pas celle d’un interlocuteur impuissant mais une attitude d’égal à égal.

Nous sommes une société européenne, un pays européen dans les Balkans, avec des forces armées puissantes, avec une économie émergente, un pays que la Turquie peut prendre pour modèle dans plusieurs domaines.

Nous espérons que la Turquie adoptera une attitude propre à un pays ayant une perspective européenne, en faveur du respect des droits de l’homme et qu’elle œuvrera pour le développement de sa société afin que nous ne soyons pas seulement des voisins mais des partenaires et des amis étroits.

Cela peut prendre du temps, cela nécessite des efforts et l’engagement d’un dialogue. C’est justement cela que nous ferons. Mais, je répète, car il faut que nous soyons clairs à cet égard, ces efforts  sont déployés dans un esprit d’égalité avec l’autre partie, dans le respect de cette dernière, avec confiance mais aussi en fonction de la protection de nos propres droits.

G. PAPADAKIS : Toutefois, l’autre partie ne fait pas preuve de la même attitude.


N. DENDIAS :  Oui, je suis d’accord avec vous et je vous dis qu’il s’agit d’un effort à long terme comportant des difficultés innées, d’une part en raison de nombreux problèmes liés probablement à la géographie elle-même, et d’autre part à cause de la situation en Turquie, de  la société turque et de plusieurs autres problèmes.

Toutefois, nous ne renoncerons pas à  nos efforts. Mais nous ne renoncerons pas aussi aux efforts liés à nos droits, il faut que nous soyons clairs à cet égard. Discuter, faire preuve de compréhension ne signifie pas renoncer à ses droits. Vous savez, ceux qui protègent les droits du pays ne sont pas ceux qui haussent le ton mais ceux qui avec constance poursuivent leurs objectifs à long terme et savent tenir le gouvernail du pays.

G. PAPADAKIS :  Une dernière question pour tenir notre engagement envers vous, car on vous a promis que cet entretien serait bref, et à un autre moment nous aurons l’occasion d’aborder plus de questions. L’opposition ainsi que certains journalistes ont indiqué que l’Union européenne était en train de discuter d’un éventuel changement de l’accord de Dublin et à ce débat participent des pays  qui débattent des frontières extérieures de l’Union européenne, en première ligne desquelles se trouvent des pays tels que la Grèce, Malte, l’Espagne,  mais sans que la Grèce soit  invitée à ce débat, sans que Dendias soit invité à participer. N’est-il pas tout à fait légitime pour le citoyen grec de penser que l’Union européenne alors qu’elle veut aider la Grèce ne donne pas à cette dernière la possibilité de se prononcer à cet égard ?

N. DENDIAS : Si j’ai bien compris votre question M. Papadakis, vous dites qu’il y a certains pays au sein de l’Union européenne, je ne voudrais pas les désigner par leur nom, un groupe de pays bien spécifique qui a ses propres points de vue à cet égard. Toutefois, la Grèce participe et participe de manière très active par le biais de ses ministres compétents en la matière, aux processus liés au changement de Dublin II, à la transition c’est-à-dire vers  Dublin III.

G. PAPADAKIS : Le Royaume-Uni,  qui dans quelques mois ne sera plus membre de l’Union européenne,  a participé à ce débat, mais pas la Grèce.
N. DENDIAS : Je vous raconterai une blague : En 2072, des gens se sont rassemblés devant Berleymont et tout d’un coup le Premier ministre britannique fait son apparition : On se demande donc : « Qu’est-ce qui se passe ? ». « Il dit qui est venu pour demander une prolongation », « Pour quoi faire ? », « On ne sait pas pourquoi, mais une demande a été déposée, cela se fait chaque année ».

G. PAPADAKIS : En 2072 !

N. DENDIAS : Le Royaume-Uni est un cas particulier. Nous gérons cette question et c’est le ministre délégué aux Affaires étrangères qui s’en est chargé. Et je pense qu’il a fait un très bon travail concernant les questions relatives au Brexit. Il s’agit d’une situation très difficile car cela ne dépend pas de nous mais d’une réalité qui est en constante évolution.

Cela dit, permettez-moi de dire que le gouvernement de Mitsotakis représente le pays avec sérieux et confiance. Un pays qui est sorti de la crise et qui avance. Sommes-nous infaillibles ? Non. Nous faisons tout ce qui est notre pouvoir et cherchons à parvenir à une entente nationale.

Dans la politique étrangère, la politique partisane n’a pas de place. On doit, dans la mesure du possible, envisager ces questions en fonction des intérêts nationaux. Tel est le mandat du Premier ministre et c’est dans ce chemin que nous nous sommes engagés.

G. PAPADAKIS : Monsieur le ministre on vous remercie…

N. DENDIAS : Merci à vous.

[Seul le prononcé fait foi]

November 11, 2019