E. KOUTSOKOSTA : Le ministre des Affaires étrangères, M. Nikos Dendias, est aujourd’hui avec moi ici à Bruxelles. Je vous remercie M. le ministre d’être avec nous.
N. DENDIAS : Je vous remercie de cette occasion que vous me donnez. C’est un grand plaisir pour moi.
E. KOUTSOKOSTA : Tout d’abord, malgré les appels lancés par certains pays membres, y compris les pays des Balkans et la Pologne, le ministre des Affaires étrangères de l’UE a décidé de ne pas imposer de nouvelles sanctions aux hauts fonctionnaires russes pour la détention d’Alexei Navalny. Êtes-vous d’accord avec cette approche ? Quelle doit être l’attitude de l’Europe vis-à-vis de la Russie à ce stade ?
N. DENDIAS : Nous sommes tous d’accord avec la position de la grande majorité des Etats membres, telle qu’elle a été exprimée par Josep Borrell, à savoir que l’UE doit donner une chance à la Russie de réexaminer la question. Et dans 30 jours, la question fera de nouveau l’objet d’une discussion. Voilà où nous en sommes.
E. KOUTSOKOSTA : Pour ce qui est maintenant des sanctions. Les sanctions, qui, depuis des mois, faisaient l’objet de discussions concernant les activités illégales de la Turquie en Méditerranée orientale, demeurent en suspens malgré la décision politique du Conseil européen de décembre. Et nous avons entendu clairement le ministre allemand des Affaires étrangères dire hier que le nouveau climat positif créé récemment par la partie turque ne doit pas être affecté par de nouvelles sanctions. Pensez-vous que ce nouveau climat justifie cela ? Que les sanctions soient retirées de la table des discussions ?
N. DENDIAS : Tout d’abord, permettez-moi de vous dire que les sanctions hier n’étaient pas sur la table pour être retirées de la table. Bien naturellement, Heiko Maas a dit exactement ce que vous avez dit, mais les sanctions n’ont pas été abordées hier, elles ne faisaient pas partie de l’ordre du jour. Ce dont nous avons discuté, étaient des questions d’actualité. Et les questions d’actualité, comme vous l’avez si bien dit, étaient la description du revirement de la politique turque, de la puissance de la diplomatie des canonnières à un genre de tentative de convaincre le monde que la Turquie devient un interlocuteur normal qui va discuter avec nous sur la base du droit international. Attendons de voir ce que les Turcs ont l’intention de faire. Mais nous pouvons être optimistes. Et là encore, cela ne veut pas dire que l’Union européenne ne garde pas les sanctions comme éventuel moyen de réaction vis-à-vis de la Turquie, si cette dernière violait de nouveau le droit international.
E. KOUTSOKOSTA : Vous dites donc que les sanctions demeurent sur la table ?
N. DENDIAS : L’Union européenne dit que les sanctions sont sur la table et l’Union européenne espère ne pas les appliquer. Et pour qu’elles ne soient pas appliquées, la Turquie devra se conformer au droit international.
E. KOUTSOKOSTA : Et quel est le message que vous avez reçu de vos contacts et rencontres avec des hauts fonctionnaires ici, notamment en vue du sommet de mars, que cette question sera de nouveau inscrite à l’ordre du jour tout comme l’agenda positif qui reviendra sur la table ?
N. DENDIAS : Ecoutez, tout d’abord, la Grèce a toujours été en faveur de la double approche et c’était aussi la position exprimée par le Premier ministre, Kyriakos Mitsotakis lors de nombreux conseils européens. Et les discussions que j’ai eues avec M. Josep Borrell, avec les vice-présidents de la Commission européenne, à savoir M. Dombrovskis et M. Margaritis Schinas, avaient pour objectif que je comprenne la façon dont ils perçoivent la question, cette situation et comment nous pourrions mieux suivre cette double approche en vue du sommet de mars.
E. KOUTSOKOSTA : Ne pensez-vous pas qu’il y ait un risque que la Turquie obtienne ce qu’elle veut au moyen de cette attitude positive vis-à-vis de l’UE et que finalement elle revienne à son attitude initiale ?
N. DENDIAS : Espérons que le Président Erdogan et son ami Mevlut Cavusoglu verront clairement quel est l’intérêt de la société turque. Et je fais partie de ceux qui pensent que le vrai intérêt de la société turque est le maintien de bonnes relations avec l’Union européenne.
Et peut-être, qui sait, à un moment donné, à l’avenir, ils deviendront membre de l’Union européenne. Mais cela voudra dire des relations plus étroites et un alignement total avec l’acquis européen.
Permettez-moi toutefois, de rappeler que l’acquis européen, inclut également la convention des Nations Unis sur le droit de la mer (UNCLOS). Par conséquent, la Turquie devra finalement se conformer avec ces règles, ce qui pourrait aboutir au règlement de nos différends.
E. KOUTSOKOSTA : Passons maintenant aux contacts exploratoires qui reprennent pour la première fois après cinq ans. Je voulais vous demander ce que vous attendez, d’un point de vue réaliste, de cette procédure qui est décrite de façon très positive par vos homologues en Europe comme un pas très important en avant. Quelle est donc votre attente réaliste ?
N. DENDIAS : Permettez-moi d’être d’accord avec vous. Tout le monde dit qu’il s’agit d’un pas important, mais permettez-moi de dire que cela n’est pas le grand pas en avant. Les pourparlers exploratoires ne sont pas des négociations. Ce sont des discussions au niveau des ambassadeurs, visant à déterminer les termes de référence dans le but d’engager de vraies négociations. C’était donc la première rencontre après cinq ans. Soyons francs : la Turquie est celle qui a interrompu les rencontres en 2016 et non la Grèce, comme l’affirme la Turquie. Mais outre cela, ce qui importe c’est que les pourparlers ont repris. C’était une première rencontre. Je comprends que c’était une rencontre pour « renouer le contact ». Nous verrons où cela nous mènera. Nous devons être réalistes mais aussi optimistes.
E. KOUTSOKOSTA : Mais il y a une très grande divergence de vues entre les deux parties, je pense que rien n’a changé – c’est ce que vous avez dit – quelles sont donc les lignes rouges dans ce processus ?
N. DENDIAS : Ne définissons pas un argument par les « lignes rouges » et essayons de voir le côté positif des choses. D’ailleurs, la Turquie a décidé que cette diplomatie des canonnières ne mène nulle part. Et elle revient en s’efforçant de parvenir à une meilleure compréhension avec la Grèce, Chypre, l’Union européenne. J’estime cela comme étant particulièrement important et j’espère que nous pourrons valoriser tout cela. Car cela sera l’intérêt de nos sociétés, l’intérêt de l’Europe, l’intérêt de la Turquie, l’intérêt de la Grèce, l’intérêt de Chypre. C’est un point positif.
E. KOUTSOKOSTA : Et dans ce contexte, vous l’avez dit récemment, la semaine passée, la Grèce a étendu ses eaux territoriales à l’Ouest, dans la mer Ionienne, et bien entendu elle a l’intention de faire de même à l’Est. Campez-vous sur cette position, malgré les avertissements, les nouveaux avertissements de la Turquie de mener une action militaire si la Grèce entreprend une telle chose ?
N. DENDIAS : Je dois dire que cela avait déjà été annoncé par le premier ministre Mitsotakis le 22 août. Et l’extension des eaux territoriales d’un pays constitue son propre droit, une déclaration. Il ne s’agit pas d’un droit qu’il doit négocier avec qui que ce soit. De ce fait, c’est un droit souverain de la Grèce et la Grèce l’exercera dès lors que le gouvernement grec le jugera opportun. En outre, la Grèce n’a nullement l’intention de négocier sur cette base avec la Turquie ou sur cette question avec tout autre pays, quel qu’il soit.
E. KOUTSOKOSTA : Il n’y a donc pas une perspective de calendrier ?
N. DENDIAS : Ecoutez, même s’il y en avait une, je ne vous répondrai pas.
E. KOUTSOKOSTA : Regardons maintenant au-delà de notre continent, l’Europe, un nouveau changement s’est produit aux Etats-Unis avec le nouveau gouvernement. Aussi savons-nous qu’Erdogan a perdu un très bon ami de la Maison Blanche. Pensez-vous maintenant que le nouveau gouvernement sera plus favorable aux intérêts de la Grèce ?
N. DENDIAS : Ecoutez, nous ne demandons pas que le nouveau gouvernement américain nous fasse des faveurs. Et concernant l’amitié entre le Président Trump et le Président Erdogan, je dois dire que la Grèce n’a jamais eu de problème avec le Secrétaire d’Etat américain Pompeo. Mike Pompeo connaissait très bien les questions liées à la région et tout ce qu’il a essayé de faire a été perçu très positivement de la part de la Grèce.
Et le nouveau gouvernement Biden – nous le savons bien – connait également très bien les Balkans, l’Europe du sud-est ainsi que la situation prévalant dans la région. Nous comptons donc sur une coopération étroite avec eux, non pas – je le redis – parce que nous attendons qu’ils nous fassent des faveurs, mais parce que la coopération avec des personnes connaissant la région aidera beaucoup à la résolution des différends existants.
E. KOUTSOKOSTA : Oui nous avons entendu de nombreux hauts fonctionnaires et dirigeants dire vouloir coordonner leur politique étrangère avec le nouveau gouvernement dans cette nouvelle ère des relations transatlantiques. Qu’est-ce que cela signifie pour vous ?
N. DENDIAS : Ecoutez, nous devons être francs. Il est très important que l’Union européenne et les Etats-Unis soient sur la même longueur d’onde. D’ailleurs, nous croyons aux mêmes règles, aux mêmes principes. Par conséquent, il est très important de resserrer de nouveau nos relations et indépendamment des différends qui ont existé, nous devons essayer de résoudre ces problèmes et d’avancer ensemble. Il y a une profonde compréhension entre les Etats-Unis et l’Union européenne et cela nous pouvons le valoriser.
E. KOUTSOKOSTA : Puisque nous parlons de ces différends que la Grèce a en Méditerranée orientale, nous nous focalisons surtout sur l’exploitation des ressources naturelles et nous avons vu que la Grèce a conclu de nombreux accords avec de nombreux acteurs dans la région, comme Israël, l’Egypte et d’autres pays. Est-ce que cela signifie que la Grèce peut avancer sans la Turquie ? Est-ce que la Turquie peut être finalement exclue de ce processus ?
N. DENDIAS : Μais nous ne voulons pas exclure la Turquie de quoi que ce soit. Cela est totalement faux. Bien au contraire. Nous voulons que la Turquie participe à tout. Mais sur la base d’un ensemble de règles. Et quelles sont ces règles ? Les règles du droit international. La Grèce aimerait avoir une relation cordiale mutuellement profitable avec la Turquie. Je pense que c’est cette voie que la Grèce doit suivre et cette voie que la Turquie doit suivre, c’est cette voie que doivent suivre tous les pays. Nous n’essayons par conséquent pas d’exclure la Turquie. Mais la Turquie doit comprendre que pour devenir membre des pays d’une entente profonde, qui perçoivent les choses de la même manière, elle doit respecter le droit international.
E. KOUTSOKOSTA : Une dernière question sur un autre sujet qui est très important pour l’Union européenne. Il s’agit des Balkans occidentaux. Est-ce que vous craignez que le nouveau veto de la Bulgarie lors des négociations d’adhésion de la Macédoine du Nord puisse compromettre l’Accord de Prespès conclu il y a quelques années ? Pensez-vous que la Grèce doive faire quelque chose pour sauver, disons-nous, l’avenir européen de la région ?
N. DENDIAS : Ecoutez, après l’agenda de Thessalonique, la Grèce est un fervent défenseur de la perspective européenne de la péninsule balkanique et bien entendu des Balkans occidentaux. Et en tant que pays entretenant des relations amicales avec la Bulgarie et la Macédoine du Nord, nous allons essayer de faciliter la résolution de leurs différends dans la mesure du possible. Et je suis certain que tout le monde l’appréciera.
E. KOUTSOKOSTA : Avez-vous l’intention de prendre des initiatives bien précises à ce sujet ? De jouer par exemple le rôle de médiateur ?
N. DENDIAS : Ecoutez, le mot initiative est sans doute trop fort. Nous sommes amis avec tout le monde et essayons d’aider tout le monde. Mais là encore, je dois dire que nous devons avoir une vue d’ensemble et cette vue d’ensemble est l’avenir des Balkans au sein de l’Union européenne.
E. KOUTSOKOSTA : Avez-vous l’intention de rencontrer bientôt votre homologue turc, M. Cavusoglu ?
N. DENDIAS : Comme vous le savez, je suis très bon ami avec Mevlut et certes je vais le rencontrer et j’aimerais le rencontrer. Je ne l’ai pas rencontré depuis longtemps et cela n’est pas bon, mais là encore – et certes ce n’est pas une condition préalable – mais disons que l’environnement doit être tel que cette rencontre doit produire quelque chose de positif et d’utile. Une rencontre à caractère social ne sert à rien pour aller de l’avant.
E. KOUTSOKOSTA : Nous vous remercions beaucoup Monsieur le ministre pour cet entretien.
N. DENDIAS : Je vous remercie.
January 27, 2021