M. ANASTASSOPOULOU : Nous accueillons à ce stade le ministre des Affaires étrangères, M. Nikos Dendias. Bienvenue Monsieur le ministre.
N. DENDIAS : Bonjour.
D. OIKONOMOU : Bonjour M. le ministre.
N. DENDIAS : Bonjour à nos téléspectateurs.
D. OIKONOMOU : Commençons maintenant par une question qui va de soi, M. le ministre. Beaucoup de gens, qui ne suivent pas la question de près, s’interrogent à ce sujet et se demandent pourquoi cet accord est tout aussi important qu’historique, comme vous l’avez-vous-même qualifié ainsi que votre collègue italien ?
N. DENDIAS : Le Premier ministre également.
D. OIKONOMOU : Le Premier ministre aussi.
N. DENDIAS : Je pense que nous avons tous agrandi la Grèce. Nous avons acquis… D. OIKONOMOU : Vous dites que nous avons agrandi la Grèce ?
N. DENDIAS : Ce qu’ont essayé de faire de nombreuses personnes, pendant 40 ans, quatre décennies, a été fait maintenant. Et je pense que d’agrandir son pays et ses droits et le laisser aux générations futures est quelque chose d’exceptionnel. On peut réduire l’image et voir quels droits nous avons, ce que nous avons réussi à garantir. Mais lorsque nous grossissons l’image, nous voyons que les frontières de notre pays se sont agrandies. Notre espace s’est agrandi.
M. ANASTASSOPOULOU : Cet accord, M. le ministre, peut-il constituer un test [pour des accords futurs] ou ouvrir la voie à d’autres accords également ? Comme avec l’Albanie par exemple ?
N. DENDIAS : Nous allons recommencer à discuter avec l’Albanie. En 2009, nous avions conclu un accord avec l’Albanie, qui avait été annulé par la cour constitutionnelle albanaise. Et à l’unanimité malheureusement. J’ai lu la décision de justice. La Grèce a une ambition. Se mettre d’accord avec tous ses voisins, dans le cadre du droit international. Avec tous ses voisins. La Turquie également. Et définir les zones économiques, dans l’intérêt des sociétés et des peuples. Et c’est cette voie que nous avons tracée depuis le début que nous allons suivre. Car il s’agit du deuxième accord signé sous le gouvernement Mitsotakis. Le premier – il n’a pas de rapport direct, je le rappelle – était un accord en matière de défense avec les Etats-Unis. C’était aussi un grand accord. Qui permettait de conclure un autre chapitre. Ici, nous ouvrons un énorme chapitre, que le pays n’a pas réussi à ouvrir en dépit des efforts consentis aux cours de ces décennies.
D. OIKONOMOU : Quels seront les prochains pas M. le ministre ? Il y a l’Albanie qui, comme vous dites, revient sur de nouvelles bases…
N. DENDIAS : Les prochains pas sont un voyage en Egypte, le 18 de ce mois.
D. OIKONOMOU : Quelles sont les attentes ?
N. DENDIAS : Les mêmes. D’aboutir à un moment donné. Je ne sais pas si cela aura lieu demain ou plus tard, je ne sais pas si je pourrais signer…
D. OIKONOMOU : Vous voulez dire qu’il est possible que nous aboutissions à quelque chose lors de ce voyage ? Cela est-il possible ?
N. DENDIAS : Non, c’est trop rapide. Je ne veux pas et nous ne devons pas être trop optimistes.
D. OIKONOMOU : Vous disiez la même chose pour l’Italie, mais vous nous avez pris de court.
N. DENDIAS : Je ne vous ai pas pris de court. Nous travaillons depuis un an sur l’Italie. Ces derniers temps d’ailleurs, pour être franc, il y avait de nombreuses personnes, sous la direction du Secrétaire général du ministère, M. Demiris, qui travaillaient pendant 14 ou 15 heures. Cela fait bien longtemps que le Service juridique spécial du ministère n’a pas eu un week-end de libre.
D. OIKONOMOU : En ce qui concerne l’Egypte, pouvez-vous nous expliquez M. le ministre en quoi cela nous concerne ? Car on a entendu parler de Castellorizo, que les Egyptiens soulèvent une question à ce sujet. Est-ce seulement cela ?
N. DENDIAS : Non, ils ne soulèvent pas la question de Castellorizo. Les Egyptiens essaient de ne pas s’impliquer dans d’autres affaires parallèles d’autres pays de la région. C’est leur philosophie en matière de bureaucratie. Pour le dire autrement, je dirais que s’ils le pouvaient, ils éviteraient de froisser les susceptibilités de la Turquie.
D. OIKONOMOU : Par conséquent, vous dites que cet accord froisse les susceptibilités de la Turquie.
N. DENDIAS : Par nécessité, cet accord contredira, si nous y parvenons et de quelque manière que ce soit, c’est un autre accord…
D. OIKONOMOU : Nous voyons ici, par exemple, M. le ministre, dans le cas d’un prétendu accord avec l’Egypte, que cette carte touchera les limites du soi-disant accord turco-libyen. N’est-ce pas ?
N. DENDIAS : L’accord turco-libyen – pour être franc et les Turcs le savent également – est une fabrication qui serait rejeté par toute école de droit, dès le premier mois, et non pas la première année.
D. OIKONOMOU : Oui, mais il existe et nous préoccupe.
N. DENDIAS : Bien entendu.
D. OIKONOMOU : Il nous dérange.
N. DENDIAS : Bien entendu qu’il nous préoccupe, mais du point de vue du droit et du droit international, il est absolument arbitraire et tout le monde l’a condamné. Il n’y a pas un seul pays pour dire qu’il est légal.
M. ANASTASSOPOULOU : Nous allons y venir, mais tenons-nous en à la question de l’Egypte. Notre objectif, l’objectif du gouvernement grec est-il de parvenir à un accord avec l’Egypte, même s’il s’agit d’un accord partiel M. le ministre ?
N. DENDIAS : Quand on ne peut résoudre la totalité et que résoudre une partie peut présenter des avantages – à condition bien entendu de voir de quel type d’accord il s’agit – alors on peut en discuter. D’ailleurs, vous savez, souvent il est important de commencer par quelque part. Mais avec l’Egypte, il y a une base de discussion. C’est un pays ami et ces derniers temps, sous ce gouvernement, nous nous sommes rapprochés. Nous appartenons à un groupe d’amis qui voit la région du même œil.
D. OIKONOMOU : Dans la pratique, un tel accord annulerait-il le protocole d’accord entre la Turquie et Tripoli ?
N. DENDIAS : Bien entendu. Cela serait un problème, même du point de vue de son existence logique, car il n’y a pas d’acte juridique et donc l’accord est dénué de fondement. Cela étant, étant donné qu’il va de soi qu’il y aurait recoupement, car d’un côté on aurait un accord légal, de l’autre un accord totalement illégal et illogique, vous comprenez bien que les choses ne seraient pas simples. C’est la raison pour laquelle la Turquie fait une surenchère à l’Egypte. Il faut le savoir. La Turquie dit alors aux Egyptiens : « nous vous donnons 30%, 40% de plus que ce que vous donnent les Grecs ».
D. OIKONOMOU : Pour qu’ils concluent un accord avec eux.
N. DENDIAS : Car bien entendu pour les Turcs, cela est facile. Ils ne donnent que du vent. Il est donc facile pour eux de tout promettre. Et aux Libyens, ils ont « donné » - entre guillemets – car cela est un mythe.
D. OIKONOMOU : C’est un mythe, mais c’est aussi une réalité, M. le ministre, qui nous préoccupe beaucoup.
N. DENDIAS : Absolument.
D. OIKONOMOU : Ils dénoncent nos droits souverains.
N. DENDIAS : Absolument.
D. OIKONOMOU : Vous avez vu qu’il y a une possibilité qu’ils aillent en-dessous de la Crète. Ils vont à l’est de nos îles, Rhodes, Kasos, Karpathos, etc., de manière arbitraire là-aussi.
N. DENDIAS : Absolument.
D. OIKONOMOU : Ils disent qu’ils vont y envoyer des appareils de forage.
N. DENDIAS : Absolument. Et pour nous entendre avec nos voisins turcs. Aucun gouvernement grec, pas même le gouvernement Mitsotakis, ne permettra, le moins du monde, la contestation des droits nationaux. Aucun gouvernement n’en a le droit. Tous les gouvernements prêtent serment sur la Constitution. Il y a une disposition pertinente très claire dans la Constitution.
D. OIKONOMOU : Vous voulez dire s’ils nous provoquent ?
N. DENDIAS : Si la Turquie considère qu’elle peut faire pression sur la Grèce afin que celle-ci renonce à des intérêts nationaux, acquis et légaux conformément au droit international, elle commet une grave erreur.
M. ANASTASSOPOULOU : Cela signifie que si un navire turc, exploratoire ou de forage, pénètre dans le plateau continental grec, que fera la Grèce, M. le ministre ?
N. DENDIAS : Elle défend ses intérêts légaux. Ni plus, ni moins.
D. OIKONOMOU : Autrement dit, on peut arriver au point…
N. DENDIAS : On n’a pas la possibilité de faire autre chose.
D. OIKONOMOU : M. Panagiotopoulos a dit, avant-hier que nous pouvons même arriver à une intervention militaire. Est-ce que notre pays en est là ?
N. DENDIAS : Je suis certain que M. Panagiotopoulos, avec lequel j’ai une coopération excellente, n’a pas dit que la Grèce recherchait une intervention militaire. Nous ne le voulons pas.
D. OIKONOMOU : C’est clair.
N. DENDIAS : Nous sommes le pays le plus pacifique qui existe. Nous voulons sortir de la crise économique, développer notre société, notre économie. Nous en espérons de même pour la Turquie pour être francs. Nous ne sommes pas du genre à nous bagarrer dans la région. Cela a été très clair.
M. ANASTASSOPOULOU : Mais s’il le faut, cela se produira.
N. DENDIAS : Nous avons l’obligation constitutionnelle de défendre notre intérêt national. Nous n’avons pas le choix. Vous ne savez pas, ce n’est pas que nous avons deux choix et que nous choisissons l’un des deux.
D. OIKONOMOU : Oui, mais vous dîtes que c’est une voie à sens unique, par conséquent...
N. DENDIAS : Tout gouvernement grec en a l’obligation constitutionnelle et tous les gouvernements l’ont fait.
D. OIKONOMOU : Nous pouvons ouvrir des voies de communication avec la Turquie, M. le ministre. À l’heure actuelle, nous traversons une étape très difficile. La Turquie ne cesse de tout contester. Elle provoque tous les jours, que ce soit dans les mots ou dans les actes. Nous voyons cette triste image d’Erdogan. Et je le dis vraiment dans le sens politique. Ce dont nous sommes témoins ici.
N. DENDIAS : Je ne veux pas qualifier le président de la Turquie. Il est le dirigeant d’un pays, je respecte son rôle et son pays et j’espère que nous pourrons trouver un terrain d’entente pour pouvoir discuter. Il est dommage que deux pays voisins, qui pourraient développer une mer de paix et de coopération, soient deux pays qui ne peuvent pas s’entendre et l’une des deux parties en est responsable. Soyons franc, la Turquie ne coopère pas.
D. OIKONOMOU : Est-ce que vous parlez avec M. Cavusoglu, votre homologue ?
N. DENDIAS : Je l’ai dit ouvertement. Avec M. Cavusoglu j’ai une relation datant depuis des années….
D. OIKONOMOU : Une vieille relation.
N. DENDIAS : Je continue d’avoir cette relation.
D. OIKONOMOU : Oui mais maintenant ?
N. DENDIAS : Cette relation n’a pas été interrompue parce que nous sommes devenus ministres des Affaires étrangères !
D. OIKONOMOU : Je ne vous demande pas si vous parlez amicalement. Je vous demande si vous parlez des questions qui nous préoccupent d’un point de vue politique.
N. DENDIAS : M. Cavusoglu est enraciné dans une politique que la Grèce a du mal à communiquer.
M. ANASTASSOPOULOU : En fait, vous faites des monologues chacun de votre côté.
N. DENDIAS : Je ne dirais pas cela, mais cela n’est pas complètement faut. J’essaierais de trouver une manière plus constructive de décrire ce que vous venez de dire.
D. OIKONOMOU : Selon vous, quel est l’objectif poursuivi par la Turquie ? Continuera-t-elle sur la même longueur d’onde ? Est-ce que l’environnement actuel lui est favorable ? Car les professeurs nous expliquaient tout à l’heure que ce qui se passe à l’heure actuelle aux Etats-Unis joue un rôle. Il y a une instabilité là-bas, il y a une certaine préoccupation, tension. Peut-être que c’est la fin du mandat Trump, nous ne le savons pas. Par conséquent, elle veut profiter de cette conjoncture.
N. DENDIAS : La période électorale aux Etats-Unis comporte toujours des risques, car il n’y a aucun pays capable d’intervenir. Certes, les Etats-Unis ne sont pas le seul pays puissant, il y a d’autres pays puissants. L’Union européenne est une entité puissante, la France est un pays très puissant. Après-demain, je me rendrais à Paris afin d’assister au Conseil des ministre avec mon homologue français, afin de discuter des provocations de la Turquie, une question qui a été soulevée par Grèce,
D. OIKONOMOU : Vous irez après-demain.
Ν. DENDIAS : Oui, mais nous serons ensemble. Nous serons ensemble du même côté. Devant le même écran, en prenant position à l’égard du comportement provocateur de la Turquie.
D. OIKONOMOU : Telle est la question sur laquelle se penchera le Conseil.
Ν. DENDIAS : Ce n’est pas seulement cette question, celle-ci figure parmi d’autres questions. Toutes les parties doivent avoir à l’esprit cet aspect sémantique. Et la France est un pays très puissant.
Ce que je veux dire par là est que de nombreux pays voudraient que la légalité internationale soit respectée. Il ne s’agit pas de pays qui apprécient la Grèce ou qui détestent la Turquie. Nous ne détestons pas la Turquie non plus. Nous voulons que la légalité soit respectée. Et qu’est-ce que nous voulons défendre ? Nos droits, tels qu’ils nous sont conférés par le droit international. Et nous avons dit à la Turquie, Mitsotakis l’a à plusieurs reprises affirmé. « N’êtes-vous pas d’accord ? Très bien. Allons donc entamer des procédures qui règlent les différends ».
D. OIKONOMOU : La Haye ?
Ν. DENDIAS : Le recours à La Haye pourrait figurer parmi ces procédures, sous certaines conditions. Ce que l’on ne peut accepter c’est la loi du plus fort, telle que la Turquie la perçoit. J’exerce des pressions sur toi pour arriver à mes fins. Cela est impossible.
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June 10, 2020