JOURNALISTE : Avant d'aborder le volet politique de ce qui s'est passé ce week-end, j'aimerais commencer sur un plan humain. C'est différent pour nous de voir les images de destruction à travers nos écrans et j'imagine que c'est différent pour vous de les voir et de les vivre en direct. Quel est le sentiment que vous avez ressenti ?
N. DENDIAS : [Le sentiment] d'une immense tragédie. La ville, celle que j'ai visitée, Hatay, parce que ce n'est pas la seule ville à avoir été touchée, a été dévastée. Non seulement la plupart des bâtiments sont tombés ou se sont inclinés ou ont subi d'énormes dégâts, mais tout le réseau d'infrastructures, l'aéroport, les routes, le réseau électrique, le réseau de gaz, tout a subi d'énormes dégâts. C'est un désastre indescriptible et une immense tristesse.
JOURNALISTE : Maintenant, nous avons les morts sous les décombres et je suppose que les conditions de vie vont être extrêmement difficiles pour les survivants aussi.
N. DENDIAS : Absolument, parce que la température baisse beaucoup la nuit. C'est une zone où les températures sont inférieures à zéro la nuit. Ils ont besoin d'une aide énorme, des tentes aussi vite que possible. Un très, très grand nombre. On estime qu'il faut 65 000 tentes. Ils ont besoin de conteneurs et de capacités pour loger la partie la plus vulnérable et la plus sensible de la population. Il n'y a plus de lits d'hôpitaux dans la région, les hôpitaux de campagne doivent être relocalisés. Il y a un besoin énorme de soutien de nos semblables dans cette région du monde. Je dois dire, bien sûr, que je fais référence à la Turquie. Ce que je dis s'applique aussi à la Syrie, avec la difficulté supplémentaire qu'en Syrie nous avons un gouvernement avec lequel nous ne pouvons pas parler.
JOURNALISTE : D'après ce que j'ai lu, la zone sinistrée ressemble à une Grèce et on dit que la reconstruction pourrait prendre 20 ans.
N. DENDIAS : Cela nécessite beaucoup de temps parce que les réseaux ont été touchés, pas seulement certains bâtiments mais toute la zone. Il y a eu deux tremblements de terre, tous deux d’une magnitude supérieure à 7,5 sur l’échelle de Richter, l'un de 7,6 et l'autre de 7,8, avec la particularité supplémentaire que les deux tremblements de terre étaient malheureusement très près de la surface, à 7 km sous le sol. Il faut donc, avant toute chose, rétablir la confiance des habitants. Les gens, les quelques habitants avec lesquels j'ai parlé, sont terrifiés. Ils sont terrifiés, en larmes, pleurent leurs morts. La possibilité qu’ils ont de vivre dans cet endroit est remise en question à l’heure actuelle. La file d'attente des voitures quittant la région est énorme. Même Adana, une ville qui est assez éloignée et dont les dégâts ne sont pas si importants, est presque une ville fantôme. Elle a été abandonnée par ses dizaines de milliers d'habitants.
JOURNALISTE : Y a-t-il encore des répliques ?
N. DENDIAS : Je me réfère à ce que m'a dit mon collègue Mevlut Cavusoglu, parce que je ne suis pas sismologue ; il m’a donc dit qu'il y a eu 1.600 répliques, qu'une réplique a dépassé une magnitude de 6 sur l’échelle de Richter et que si les répliques ne s'arrêtent pas, il n'y a aucune chance que les gens soient convaincus de rester dans la région.
JOURNALISTE : La Grèce et l’EMAK (l’Unité spéciale de lutte contre les catastrophes) était là dès les premiers instants. Nous sommes tous fiers des images que nous avons vues. L'aide est également recueillie auprès des citoyens ordinaires. À Athènes, à Thessalonique, dans d'autres villes. L'État lui-même va-t-il continuer à aider et de quelle manière ? Avez-vous parlé à votre homologue de ce dont il a besoin en particulier ?
N. DENDIAS : Tout d'abord, j'avais consulté le Premier ministre et j'ai donc transmis ce que le Premier ministre m'a dit. La Grèce continuera à aider la Turquie de manière bilatérale avec toutes les possibilités dont elle dispose, mais aussi dans le cadre de sa propre participation à l'UE et dans le cadre de la protection civile de l'UE. Il va sans dire que nos voisins turcs, ainsi que nos voisins syriens dans la mesure de nos possibilités, bénéficieront de notre soutien total.
Cela étant, le gouvernement turc a fait un travail adéquat, pour autant que je puisse le voir, en ce qui concerne ses besoins. Nous essaierons, dans la mesure du possible, d'aider à répondre à ces énormes besoins. Mais, encore une fois, le désastre est si grand que toute possibilité que nous avons pour le moment ne correspond pas à la réalité.
Je voudrais dire encore une chose, si je peux me permettre. Qu'il pourrait être judicieux qu'il y ait un effort national concerté, y compris de votre part, pour atteindre un objectif qui montre la solidarité des Grecs envers nos voisins turcs. Peut-être une plateforme en ligne, vous le savez mieux que moi. Mais le fait que je voudrais souligner est la nécessité pour la société grecque dans son ensemble - au-delà du gouvernement, des institutions, des ONG - de montrer son soutien à nos semblables au-delà de la mer Égée, qui sont actuellement en énorme difficulté.
JOURNALISTE : J’aimerais maintenant passer au volet politique. Au message fort que vous avez envoyé. Nous vous avons vu enlacer Mevlut Cavusoglu. Nous avons vu, nous avons lu, nous avons entendu ces derniers jours les louanges des médias turcs. Ces mêmes chaînes, ces mêmes journaux qui ont dit beaucoup de choses contre la Grèce ces derniers temps. Qu'est-ce que cela signifie à partir de maintenant pour les relations gréco-turques ? Qu’attendez-vous ?
N. DENDIAS : Mme Zacharea, je vais garder l'élément humain. Je pense qu'il est trop tôt pour autre chose. Je vais garder l'élément humain et la possibilité pour les gens des deux pays et des deux sociétés de se sentir très, très proches. Le fait qu'il ait fallu la douleur d'une catastrophe pour que cela se produise est peut-être le signe que, quelle que soit la gravité des différends que peuvent avoir les pays du monde, la douleur humaine est bien plus grande que cela. Et notre capacité à surmonter nos différends est toujours là, tout en prenant conscience de la petitesse humaine face à une catastrophe naturelle.
Avec Mevlut Cavusoglu, l'accolade qui a effectivement fait le tour du monde, a tout d’abord à voir avec ce que nous ressentons l'un et l'autre face à cette très grande tragédie. Mais c'est aussi lié au fait que Mevlut Cavusoglu et moi, nous nous connaissons depuis de très nombreuses années et cela, tout le monde le sait.
JOURNALISTE : Mais la glace a également été brisée entre M. Mitsotakis et M. Erdogan. Ils ne s'étaient pas parlé depuis mai dernier, après le discours au Congrès.
N. DENDIAS : Je pense qu'en termes de climat, il y a actuellement une autre réalité. Je ne vais pas faire de comparaison avec le passé, je n'ai aucune raison d'opposer les publications ou les attitudes au passé. Ici il est question d’une tragédie. La Grèce va aider la société turque, le peuple turc et les citoyens turcs, ainsi que les citoyens syriens dans la mesure où elle le peut, et tous les gens qui ont été éprouvés, dans la mesure où elle le peut.
JOURNALISTE : Avez-vous une évaluation au sujet des élections turques ? Nous savions qu'elles auraient lieu le 14 mai. Cette date est-elle susceptible de changer maintenant ?
N. DENDIAS : Je ne pense pas que la constitution turque permette de reporter les élections. Bien sûr, il y aura quelques difficultés dans les zones touchées pour que la société turque puisse exprimer son opinion. Mais les élections turques, je pense, auront lieu à temps.
JOURNALISTE : Je voudrais terminer, Monsieur le Ministre, par un aperçu que vous pourriez nous donner de votre visite. Une image qui, à votre avis, a été la plus puissante. Celle qui vous a le plus bouleversé.
N. DENDIAS : J'ai ressenti une immense fierté parce que mes compatriotes, l'EMAK qui s'est rendue sur place pour aider dès le premier jour a pu sauver des vies humaines sous les décombres. Au total, les sauveteurs européens ont secouru plus de 200 personnes - 205 est le nombre que j'avais jusqu'à hier après-midi ; il a peut-être augmenté d'une ou deux personnes aujourd'hui au moment où nous parlons. Certaines de ces personnes ont été secourues par des mains grecques et j'en suis extrêmement fier. Et aussi, parce que je veux être honnête, il y a une contribution plus tacite, celle des trois chiens de l'EMAK qui ont pu trouver des personnes sous les décombres.
February 13, 2023