Interview accordée par le ministre des Affaires étrangères Nikos Dendias à newsbomb.gr et à la journaliste Amalia Katzou (31.05.2022)

JOURNALISTE : La Grèce s'est tenue dès le début et sans tergiverser du côté de l'Ukraine qui a été envahie par la Russie. D'autre part, la Russie est un pays avec lequel nous avons eu et avons encore des relations amicales de longue date, nous avons des accords économiques et énergétiques et sur des questions nationales également telles que le problème chypriote, elle a eu une attitude positive à notre égard jusqu'à aujourd'hui. Avez-vous calculé ce qu'il en coûte à notre pays de soutenir l'Ukraine ?

N. DENDIAS : Tout d'abord, permettez-moi de noter que les peuples grec et russe sont liés par des liens historiques d'amitié qui ont traversé les siècles. Nous n'avons rien contre la société russe, je le souligne. Une société qui a produit de grandes figures de la littérature, telles que Pouchkine, Tolstoï, Dostoïevski et, plus récemment, Maïakovski et Akhmatova. Et en musique, des personnalités comme Tchaïkovski, Stravinsky et Prokofiev. Nous avons un énorme respect pour la tradition culturelle russe. Bien sûr, je dois vous rappeler que le lien entre les deux peuples est la communauté grecque, qui vit en Russie depuis des siècles. J'ai eu le plaisir de rencontrer des membres de cette communauté lors de ma visite à Sotchi l'année dernière. Je veux croire que les liens entre les deux peuples seront maintenus même après que cette aventure de la guerre sera passée. La Grèce n'a pas décidé toute seule, un jour, de rompre ses relations et ses liens avec la Russie. Elle a décidé, avec ses partenaires et alliés de la communauté internationale, de soutenir un pays (l'Ukraine) qui a été illégalement envahi, en respectant et en défendant la légalité internationale et le principe d'indépendance et d'intégrité territoriale, comme elle le ferait pour tout pays se trouvant dans une situation similaire.

C'était une position de principe. Malheureusement, les dirigeants russes, par leurs interventions et leurs déclarations, comme celles du représentant du ministère russe des Affaires étrangères, aggravent les relations bilatérales, une aggravation dont la Grèce n'est pas responsable. Comme vous l'avez dit à juste titre, nous avons eu des relations politiques, commerciales, énergétiques et culturelles avec la Russie. Il est évident que tant que la guerre durera, du moins, ces relations ne pourront pas rester intactes. D'autre part, dans le secteur de l'énergie, par exemple, et cela ne veut pas dire qu'il n'y a pas de problèmes, la Grèce est dans une meilleure position que d'autres États membres de l'UE en comparaison. Parce que nous nous sommes très vite engagés dans un processus, non seulement pour diversifier nos sources, mais aussi pour devenir un centre de transport d'énergie. Ces développements, outre l'avantage évident de résoudre la crise énergétique, renforcent également notre rôle géopolitique dans la région.

JOURNALISTE : Dans le scénario géopolitique qui se dessine dans notre voisinage, quelle est l'importance du nouvel accord de défense avec les États-Unis ? Et deuxièmement, je voudrais que vous me disiez ce que notre pays a gagné de la récente visite de Mitsotakis aux États-Unis.

N. DENDIAS : Il est absolument clair que cet accord est en faveur des intérêts grecs. Dans une conjoncture géopolitique cruciale, l'accord de coopération mutuelle en matière de défense démontre la nature à long terme de l'engagement des États-Unis à investir stratégiquement dans notre pays, car ils reconnaissent la Grèce comme un partenaire fiable et constant et un facteur de stabilité dans la région. En même temps, l'accord renforce le poids particulier du pays au sein de l'OTAN.

C'est aussi une garantie de sécurité, car il s'agit d'un moyen de dissuasion contre toute politique révisionniste. À Alexandroupolis, nous avons, en plus de la concentration de forces alliées, la construction d'une importante infrastructure énergétique, qui fera de la région un fournisseur de sécurité énergétique pour tous les Balkans. Une preuve supplémentaire de l'importance de l'accord est, si vous voulez, la réaction de notre pays voisin, qui, pour ses propres raisons, y voit une mise à niveau de la Grèce, qui agit comme un contrepoids à sa propre influence et un frein à sa politique révisionniste. En ce qui concerne la visite du Premier ministre aux États-Unis, permettez-moi de souligner quelques points. Tout d'abord, son discours devant le Congrès est le point culminant des excellentes relations qu'entretiennent la Grèce et les États-Unis depuis quelques années. C'était une occasion historique pour les positions grecques d'être entendues dans la législature du pays le plus puissant du monde.

Notre gain le plus important est peut-être le fait que les dirigeants américains et le monde politique américain ont bien compris que la Grèce est un pays clé pour la paix et la stabilité dans notre région élargie. Deuxièmement, dans toutes les réunions à Washington, nous avons eu l'occasion, le Premier ministre et moi-même, de fournir une série de cartes et de données spécifiques sur les transgressions et le comportement généralement provocateur de la Turquie. Troisièmement, notre pays a reçu un vote de confiance de l'administration américaine à l'égard de notre stratégie déclarée de devenir une plaque tournante énergétique en Europe.

En conclusion, dans un système international en constante évolution, secoué par des défis tels que la pandémie, l'invasion de l'Ukraine par la Russie et la crise énergétique, les excellentes relations entre la Grèce et les États-Unis peuvent constituer un héritage pour l'avenir.

JOURNALISTE : Après la lueur d'optimisme le dimanche de l'orthodoxie et la rencontre Mitsotakis-Erdoğan, nous avons eu la visite du Premier ministre à Washington et l'attaque verbale du président turc. Dans le même temps, nous avons une avalanche de survols et une augmentation du flux de migrants vers les îles. Dans la situation actuelle, y a-t-il un tournant dans les relations gréco-turques ? Êtes-vous inquiet, et je ne dis pas que vous avez peur, d'un été chaud en mer Égée et peut-être d'une nouvelle instrumentalisation des migrants par la Turquie ?

N. Dendias : Tout d’abord, j’aimerais souligner encore une fois, en ce qui concerne nos relations avec le pays voisin, que la Grèce n’est pas en opposition avec la Turquie, elle ne souhaite pas s’engager dans un tel processus. La Grèce ne se définit pas par des éléments hexogènes pour ce qui est de sa politique étrangère ; elle a ses propres positions, qui sont régies par le respect et l'application des principes du droit international. Et je pense que cela, comme l'a démontré la récente visite du Premier ministre aux États-Unis, est maintenant établi comme une perception dans l'ensemble de la communauté internationale.

Les positions de la Grèce, absolument claires, sont répétées à chaque fois dans tous les forums internationaux. Malheureusement, la transgression turque à laquelle vous avez fait référence, qui s'inscrit dans l'esprit général de révisionnisme et, j'ajouterais, de néo-ottomanisme qui caractérise l'attitude turque de ces derniers temps, donne pleinement raison aux arguments grecs. Elle démontre en pratique que le casus belli contre la Grèce n'est pas un concept vide de sens, car notre pays est confronté à une menace réelle de la part de la Turquie, qui ne se limite pas à un niveau rhétorique. Et cela expose irrémédiablement la Turquie elle-même sur le plan international. Face aux défis qu'elle doit relever, la Grèce réagit avec calme. Elle ne succombe pas à la tentation de répondre de la même manière. Au contraire, nous décidons quand et comment nous répondons aux provocations turques. Nous ne nous laissons pas entraîner dans une confrontation rhétorique, malgré les provocations constantes de la Turquie, qui revêtent dans la plupart des cas une dimension personnelle. Nous ne faisons pas référence aux individus.

La récente lettre de réponse du représentant permanent de la Grèce auprès des Nations unies au secrétaire général de l'Organisation concernant la prétendue obligation de démilitariser les îles de la mer Égée est un exemple de réaction sobre. Cette lettre documente le caractère infondé des revendications de la partie turque, sur le plan juridique, historique et factuel. Dans le même temps, le danger que représentent les revendications unilatérales turques, non seulement pour notre pays, mais aussi pour la paix et la sécurité régionales, est souligné.

Comme nous l'avons souligné à plusieurs reprises, c'est notre choix conscient et responsable d'engager des discussions avec la Turquie, car nous pensons que les canaux de communication avec notre voisin doivent rester ouverts. Pour cela, il faut bien sûr que la Turquie revoie radicalement son comportement et se conforme pleinement aux principes fondamentaux du droit international, y compris du droit de la mer. Et nous sommes désormais convaincus que c'est ce qu'attendent non seulement la Grèce, mais aussi l'ensemble de la communauté internationale et la grande majorité de la société turque.

JOURNALISTE : La Grèce est résolument en faveur de l'adhésion des pays des Balkans occidentaux à l'UE. Quels seraient les avantages d'une telle évolution pour la Grèce et l'Union ?

N. DENDIAS : Pour la région des Balkans occidentaux, le chemin de l'adhésion à l'UE est la seule voie sûre vers la paix, la stabilité, les réformes et la prospérité. En définitive, c'est le moyen de surmonter bon nombre des raisons qui entretiennent la toile des nationalismes balkaniques et de permettre à la région d'aller de l'avant, en laissant derrière elle ce que nous avions l'habitude d'appeler le « passé balkanique ». D'autre part, pour l'UE, l'intégration des Balkans occidentaux est, avant tout, une nécessité géopolitique. Parce qu'il est important de ne pas permettre la création d'un « vide » sur la carte de l'Europe, que des forces révisionnistes aux ambitions hégémoniques et à l'agenda déstabilisant tenteront de combler. Mais pour la Grèce aussi, il est certainement dans son intérêt de voir les pays de la région avancer sur la voie de l'adhésion. Ce sont des pays voisins, ce sont des peuples avec lesquels nous interagissons depuis des siècles.

Nous avons toutes les raisons de les voir progresser, se développer économiquement, se stabiliser et assimiler les règles de conduite européennes. Et permettez-moi de souligner que la Grèce ne considère pas sa présence dans les Balkans comme une « condamnation ». Elle y voit une mission historique. Nous sommes le plus ancien État membre de l'UE dans la région des Balkans et nous ressentons la responsabilité historique de tourner la région vers l'UE et l'UE vers la région. C'est pourquoi notre pays a pris l'initiative de façonner la perspective européenne des Balkans occidentaux, en adoptant l'agenda de Thessalonique pendant la présidence grecque du Conseil de l'UE en 2003. C'est aussi la raison pour laquelle la Grèce a été le moteur du parcours européen de la région au fil du temps. Et c'est pourquoi nous travaillons encore aujourd'hui pour atteindre cet objectif, en envoyant un message à double sens. D'une part, à nos partenaires européens, que nous appelons à faire preuve de plus d'audace et à donner un nouvel élan au processus d'élargissement. Ils ne doivent pas considérer cette question uniquement sous ses aspects techniques, en laissant de côté sa dimension historique et géopolitique.

Une décision d'ouvrir les négociations d'adhésion avec l'Albanie et la Macédoine du Nord serait un pas décisif dans cette direction. D'autre part, à l'égard de la région et j'ai eu l'occasion de le souligner lors de mes récentes visites à Tirana et Skopje et je le répéterai lors de mes visites dans d'autres capitales dans les prochains jours dans un avenir immédiat. Nous les appelons donc à continuer à remplir systématiquement les conditions préalables à leur parcours européen, à mettre en œuvre les réformes nécessaires, à respecter les relations de bon voisinage et leurs obligations contractuelles, et à résoudre leurs problèmes bilatéraux sur la base du droit international. Ils devraient canaliser toute leur énergie dans cette direction et non dans des tentatives irréalistes de remuer des problèmes inexistants.

May 31, 2022