Interview accordée par le ministre des Affaires étrangères, Nikos Dendias sur le site « Efimerida ton Syntakton » - propos recueillis par le journaliste Babis Agrolabos (23.01.21)

JOURNALISTE : Monsieur Dendias, le Parlement a adopté, il y a quelques jours, la loi sur l’extension des eaux territoriales en mer Ionienne à 12 miles nautiques. Qu’est-ce que cela signifie dans la pratique et quelle sera la suite ?

N. DENDIAS : C’était un grand honneur pour moi de m’adresser au Parlement hellénique, au nom du gouvernement Mitsotakis afin de présenter l’adoption de la loi visant à étendre la Grèce d’au moins 10 000 kilomètres carrés, voire 13 000 kilomètres carrés si l’on y ajoute la fermeture des baies. Mais permettez-moi de souligner que l’adoption de ladite loi constitue un acte collectif revêtant une importance historique. Tant pour ce qui est de son symbolisme, que de son empreinte positive tangible dans la garantie de nos droits nationaux. Les limites de la Grèce grandissent. Et elles grandissent de manière pacifique, en application du droit international, avec tout ce que cela implique.

Le gouvernement a non seulement annoncé qu’il étendrait la mer territoriale, mais aussi il a agi. Pendant des décennies, la Grèce déclarait avoir ce droit, mais se réservait de l’exercer et ne l’avait pas jusqu’à présent utilisé. En outre, l’extension est un fait. Comme je l’ai déjà dit dans le passé, nous avons entamé la partie technique afin de nous préparer à procéder à l’extension des eaux territoriales dans d’autres régions du pays. Nous conservons le droit inaliénable d’étendre nos eaux territoriales à 12 miles nautiques, où que ce soit et à tout moment, lorsque cela est jugé opportun.

À ce stade, j’aimerais souligner l’attitude positive de la majorité écrasante des partis de l’opposition qui ont voté en faveur dudit projet de loi. Et le fait qu’aucun député n’a voté contre. Je saisis donc cette occasion pour exprimer, encore une fois, mes remerciements à mes collègues députés, car le projet de loi a été adopté dans un climat d’unité nationale et les altercations insignifiantes ainsi que les manigances servant les intérêts des partis ont été, dans une large mesure, évités. Prouvant concrètement que l’unité nationale peut être atteinte face aux grands défis sécuritaires auxquels est confronté le pays. Comme l’a dit le premier ministre, le cadre de l’unanimité nationale a été élargi.

JOURNALISTE : Avez-vous un aperçu sur le processus et le cadre de déroulement des pourparlers exploratoires avec la Turquie ? Est-ce qu’ils peuvent durer pour une durée indéterminée, comme le cycle des discussions qui a été interrompu en 2016 ou bien est-ce que cette fois nous parlons d’un calendrier ? Et que se passe-t-il dans le cas où la délégation turque soulève des questions de démilitarisation des îles, de changement des limites de responsabilité en matière de recherche et de sauvetage en Egée, de zones grises ou de toute autre chose qu’elle estime étant dans l’intérêt de ses projets ?


N. DENDIAS : Cinq années environ se sont écoulées depuis le dernier tour des contacts exploratoires, qui se sont arrêtés [de la faute de la Turquie] en mars 2016. Pour cette raison, ces contacts ont revêtu – permettez-moi d’utiliser cette expression – une « dimension mythique ».
Je suis réaliste par nature.

J’aimerais donc souligner ce que ne sont pas les contacts exploratoires : les contacts exploratoires ne sont pas des négociations. Leur objectif est d’explorer des points de convergence sur d’éventuelles négociations futures portant sur une seule et unique question. Lesdits contacts sont, par ailleurs, informels. Des procès-verbaux ne sont pas tenus et aucune partie n’est tenue d’assumer des obligations ou des engagements.

J’aimerais être clair : l’objet des éventuelles négociations futures sera la délimitation de la zone économique exclusive et du plateau continental en Egée et en Méditerranée orientale, sur la base du droit international et comment y arriver. Si après les négociations qui suivront probablement les contacts exploratoires, les deux parties ne parviennent pas à un accord, elles devront s’accorder sur un texte qui fera l’objet du recours intenté devant la cour de justice internationale de la Haye.
J’aimerais préciser, par ailleurs, que les questions de démilitarisation des îles ne sont pas abordées lors des contacts exploratoires. Les questions ayant trait à la souveraineté nationale ne font pas l’objet de discussions.

Nous venons à ces discussions dans un esprit de bonne foi. Dans un esprit constructif et, surtout, nous ne sommes pas provocateurs. Nous ne souhaitons pas l’escalade. Ni n’essayons de saper les discussions exploratoires d’une manière ou d’une autre. Au contraire, nous espérons que ces contacts mèneront à la désescalade. C’est ce qu’a d’ailleurs souligné le Conseil européen de décembre dernier lorsqu’il se référait à la « poursuite sans heurt » des contacts exploratoires. J’espère que la partie turque viendra à ces contacts exploratoires dans le même esprit.

En ce qui concerne le calendrier, il serait utile de faire la distinction entre les différentes théories et hypothèses et les données qui sont irréfutables. Tout d’abord, nous parlons de reprise des contacts.

Officiellement, ces contacts exploratoires n’ont jamais pris fin, ils ont été interrompus pendant une longue période. Leur périodicité n’a jamais été chose acquise. En deux décennies environ, qui se sont écoulées depuis la première rencontre, il y a eu 60 tours. Donc, il y a eu en moyenne trois tours par année. Mais la réalité est tout à fait différente. Au cours des cinq dernières années, il n’y a eu aucun tour. Une année, il y avait eu plus de dix tours. D’autres années, sous différents gouvernements à Athènes, nous avions seulement un tour par an. Donc, nous ne pouvons faire des prévisions sûres à l’avance. La seule chose certaine est l’approche positive d’Athènes qui, nous l’espérons, trouvera un écho positif auprès d’Ankara et que cette dernière adoptera également la même approche positive.

JOURNALISTE : Quand aura lieu, à votre avis, une rencontre avec M. Cavusoglu ?

N. DENDIAS: Comme chacun sait, une longue amitié nous unit avec mon homologue turc, depuis l’époque où nous étions tous deux membres de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe. Notre plus récente rencontre a eu lieu à Bratislava en octobre dernier. À l’époque, M. Cavusoglu avait promis que la partie turque proposerait des dates pour les contacts exploratoires. Et au lieu de cela, il a envoyé le navire « Oruc Reis ». La suite, vous la connaissez bien. Mais cela ne veut pas dire que nous avons coupé les canaux de communication. Après le récent séisme qui a frappé Samos et notamment Izmir, je l’ai appelé et j’ai offert l’aide de la Grèce pour secourir les personnes vivantes ensevelies sous les décombres. Un peu plus tard, lorsque j’ai dû me mettre en quarantaine, à titre préventif, M. Cavusoglu m’a appelé pour s’enquérir de ma santé. Maintenant à la question de savoir quand aura lieu une prochaine rencontre bilatérale, je répondrai : lorsque les circonstances le permettront, que le climat sera approprié pour permettre qu’une telle rencontre soit productive.

JOURNALISTE : Concernant la mise à jour de la déclaration commune en matière migratoire qui devrait être soulevée en mars lors du débat général sur les relations euro-turques, y a-t-il des prévisions supplémentaires sur les obligations de la Turquie afin de ne pas répéter le phénomène d’instrumentalisation des réfugiés aux frontières avec la Grèce ?

N. DENDIAS : J’aimerais préciser, s’agissant de cette question, que nous suivons conjointement avec le ministère compétent de l’immigration et de l’asile, qu’il n’est pas question de mettre à jour ou de modifier la déclaration commune UE – Turquie de mars 2016. Une telle discussion ouvrirait la boîte de pandore. La déclaration de 2016 mentionne expressément trois obligations que la Turquie a assumées et dont elle doit s’acquitter : 1) protéger ses frontières afin de réduire les flux migratoires illégaux, 2) ne pas permettre la création de nouvelles voies de migration et 3) accepter des retours. Malheureusement, la Turquie ne remplit aucune de ces obligations de manière satisfaisante.

JOURNALISTE : De l’autre côté de notre voisinage. Qu’en est-il du parcours d’adhésion de l’Albanie et de la Macédoine du Nord après la menace de veto du gouvernement bulgare concernant la deuxième ? Voyez-vous une nouvelle initiative de la part de la présidence portugaise ?

N. DENDIAS : Permettez-moi une petite remarque avant de répondre à votre question. Il y a quelques jours, nous fêtions le 40e anniversaire d’un événement historique, très certainement pour la Grèce d’après-guerre et j’oserais même dire pour le parcours historique du pays en général, à savoir notre adhésion à ce qui était alors la CEE, laquelle a pu voir le jour grâce à Konstantinos Karamanlis qui était un visionnaire. A l’époque, la Grèce était le seul pays des Balkans à être entré dans ce cercle restreint.

Suite à cela, nous avons l’obligation morale de contribuer activement aux efforts des pays des Balkans occidentaux d’adhérer à l’Union européenne. Car cela est avant tout dans notre intérêt. Leur intégration permettra d’instaurer la sécurité, la prospérité et la stabilité dans la région. Et parallèlement, elle empêchera de consolider des influences révisionnistes et extrémistes ou la tentative de faire revivre des empires relégués au passé.

Pour cette raison, nous offrons toute aide possible. Nous sommes concrètement aux côtés de nos voisins. En outre, nous déployons des efforts, dans le cadre de l’Union européenne, pour qu’ils puissent être approvisionnés en vaccins afin de faire face à la pandémie de Covid-19.

Mais leur intégration se fera sur la base de la conditionnalité et de la performance individuelle de chaque pays candidat. Il y certains critères fondamentaux qui doivent être remplis par les deux pays. Comme, par exemple, l’application de l’Accord de Prespès. Cela est une question que j’ai abordée de manière approfondie avec mon homologue de la Macédoine du Nord, M. Osmani la semaine passée. Et je lui ai précisé que même si du travail avait été accompli dans le sens de l’application du changement de nom, des progrès supplémentaires étaient nécessaires, d’un côté, dans la mise en œuvre et l’utilisation cohérente du nom et, d’un autre côté, dans la suppression du « programme d’archaïsation ». J’ajouterais également, en ce qui concerne l’Albanie, la position de notre pays et de l’Union européenne pour faire efficacement face aux questions concernant la minorité grecque.

JOURNALISTE : Pensez-vous qu’avec la nouvelle administration américaine sous Joe Biden, les Etats-Unis marqueront un retour et combleront le vide créé dans la région du Moyen-Orient et de la Méditerranée ces dernières années ?

N. DENDIAS : J’attends avec impatience de rencontrer mon homologue américain, Antony Blinken, afin de discuter des perspectives d’approfondissement de la coopération bilatérale, dont la mise à jour de l’accord bilatéral de coopération en matière de défense (MDCA) et les évolutions dans la région élargie. Nous comptons sur une présence plus active des Etats-Unis en Méditerranée orientale et sur l’élargissement de leur empreinte stratégique dans notre région. Il reste à clarifier la forme et l’horizon de cette présence. Ce que nous espérons, par ailleurs, est que le nouveau gouvernement américain mette l’accent sur le développement des institutions transatlantiques et la coopération avec l’Union européenne.

JOURNALISTE : S’agissant du dossier chypriote, vous avez dit que vous n’étiez pas optimiste, en vue des pourparlers informels lors de la réunion à cinq parties, du fait que la Turquie déclare ouvertement vouloir la solution à deux Etats, égaux du point de vue politique et de la souveraineté. Est-ce qu’il peut y avoir discussion lorsque nous avons deux points de vue diamétralement opposés ?

N. DENDIAS : La cadre de règlement de la question est unique et il est bien connu : une fédération bizonale, bicommunautaire sur la base des résolutions du Conseil de sécurité des Nations Unies et compatible avec l’acquis européen. En tout état de cause, les pourparlers informels lors d’une réunion à cinq parties que convoquera le Secrétaire général de l’ONU ne constituent pas une négociation officielle.

January 23, 2021