Interview accordée par Nikos Kotzias, ministre des Affaires étrangères, au site web EURACTIV et au journaliste Sarantis Michalopoulos (Luxembourg, 24 juin 2018)

Interview accordée par Nikos Kotzias, ministre des Affaires étrangères, au site web EURACTIV et au journaliste Sarantis Michalopoulos (Luxembourg, 24 juin 2018)JOURNALISTE : Dans quelle mesure l’accord sur la dette grecque pourrait influer sur la politique étrangère grecque, vu que vous avez entrepris une série d’initiatives visant à la normalisation des relations dans les Balkans ?

Ν. ΚΟΤΖΙΑS : Nous avons pris un grand nombre d’initiatives. Je viens juste de rentrer de Rhodes où nous avons organisé l’initiative de Rhodes avec 25 Etats arabes et européens, alors qu’il y a trois ans nous n’étions que 11 Etats. Il s’agit d’une initiative visant à l’élaboration d’un agenda positif entre le monde arabe de la Méditerranée orientale et l’Europe du Sud-est. En outre, nous participerons à la dernière initiative pour cette année en Bolivie, à l’initiative de grandes civilisations à laquelle participent, entre autres, la Chine, l’Inde, le Pérou, l’Italie, etc. Il s’agit d’une politique étrangère active et ce que nous avons essayé de faire ces dernières 3 années était de sortir la Grèce de la boue dans laquelle elle a été traînée au lieu de continuer à être le « fardeau » de la politique économique.

Je pense que la politique étrangère que nous avons suivie a mis aussi en avant les capacités du pays, à remonter le moral de notre peuple et a contribué à promouvoir le rôle géostratégique de la Grèce, rôle qui va au-delà de tout problème économique.

JOURNALISTE : Qu’attend la Grèce du Conseil des ministres des Affaires étrangères de demain ? Vous avez récemment évoqué la présence d’un groupe de pays de l’Europe du nord qui s’est opposé au parcours européen de l’ARYM et de l’Albanie.

Ν. ΚΟΤΖΙΑS : Ils ont écrit une lettre dans laquelle ils ont présenté leurs objections. La discussion commencera lundi lors de la séance du matin par la question de l’Albanie et nous poursuivrons nos discussions mardi où la première question de l’agenda est l’élargissement. Je pense qu’il y a des Etats importants qui se trouvent en désaccord sur la question suivante : l’Europe doit-elle poursuivre son élargissement ou son approfondissement ?

A notre avis, dès lors que la Commission européenne a fixé une échéance pour entamer cet été les négociations formelles avec la Macédoine du Nord et l’Albanie, nous devons honorer la promesse que nous leur avons donnée.

J’invite toutes les parties à comprendre qu’il existe des problèmes avec ces pays, nous étions les premiers à les soulever, mais ces problèmes peuvent être réglés de manière plus efficace si ces pays adhèrent à un processus de « monitoring » et de « screening ».

Je dis à mes collègues qu’ils peuvent faire preuve d’autant de sévérité qu’ils veulent. Mais on ne doit pas priver ces pays de cette perspective. Je crains que tous ces efforts que nous avons consentis, au prix de grands sacrifices et compromis ne soient compromis, si une date d’ouverture de négociations n’est pas fixée pour la Macédoine du Nord. En outre, si le processus commence pour l’un des deux pays et que l’Albanie par exemple est exclue, une situation d’instabilité sera créée dans la région.

Si certains avaient des objections à cet égard, ils auraient dû le dire plus tôt avant que la Commission européenne établisse son rapport et avant d’arriver à la proposition d’examiner l’ouverture de la négociation. L’Europe doit tenir ses promesses.

L’Allemagne doit également mieux répondre aux propositions de Μ. Macron ou, donner au moins une réponse concernant l’avenir de l’Europe. Mme Merkel a donné une réponse mais j’imagine qu’il nous faut plus de clarifications à cet égard. Et la partie française doit consentir à ce que ces négociations commencent, en tenant compte aussi d’une attitude plus positive dont fera preuve Berlin. Nous n’avons rien à gagner ou à perdre. Il n’est pas nécessaire que nous soyons divisés en deux camps, celui des vaincus et celui des vainqueurs. Ce que nous devons faire est de promouvoir la vision européenne.

JOURNALISTE : Quels sont les pays qui ont exprimé jusqu’à ce jour des objections à l’égard de l’ARYM et de l’Albanie ?

Ν. KOTZIAS : Au début c’était le Danemark, la Belgique, les Pays-Bas et la France. Il y a eu certaines contradictions dans la politique allemande. En Allemagne, il existe un différend au sein de l’alliance gouvernementale et cela rend Mme Merkel assez réticente quant aux mesures qui pourraient intégrer des tiers ou à la façon d’envisager la question migratoire. Je le comprends.

Les Français ne sont pas satisfaits de la façon dont avance le débat sur l’avenir de l’Europe. Et les Hollandais ont exprimé des désaccords mais je pense qu’il sera facile pour eux de les surmonter. Par conséquent, la question est d’avoir une entente entre la France et l’Allemagne et de ne pas provoquer la déstabilisation des Balkans.

JOURNALISTE : Υ-a-t-il des objections à l’adhésion de ces pays à l’OTAN aussi de la part de certains pays ?

Ν. ΚΟΤΖΙΑS : Si nous voyons de près les objections élevées par des Etats européens, une partie de leur argumentation ne concerne pas l’OTAN. Une autre partie est relative à l’OTAN. Toutefois, au sein de l’OTAN, le rapport des forces qui sont favorables à leur adhésion et de celles qui ont des doutes est différent.

JOURNALISTE : Avez-vous le sentiment que les pays balkaniques, après tant d’années de stagnation, commencent à régler leurs problèmes et que certains pays européens ne veulent pas ce changement ?

Ν. ΚΟΤΖΙΑS : La Grèce est un pays ami des pays balkaniques. Nous entretenons des relations amicales de longue date avec la Serbie. Mais je me demande pour combien de temps l’Albanie supportera de voir la Serbie accélérer et achever les négociations, tandis qu’elle n’aura pas même entamé les négociations ? Ce sont des éléments déstabilisateurs car les gouvernements ne pourront pas gérer ces situations. Et les changements dans la région des Balkans, à l’exception de la Grèce, ne sont pas toujours faciles et agréables.

JOURNALISTE : La grande majorité des gouvernements européens a salué l’accord avec l’ARYM, à de rares exceptions près, comme par exemple le Premier ministre hongrois. Que vous ont dit les Européens ?

Ν. ΚΟΤΖΙΑS : C’était la meilleure nouvelle de l’Europe depuis ces 5 dernières années. En une période marquée par la crise de la zone euro, la crise d’identité, l’affrontement sur la priorité entre l’approfondissement et l’élargissement, le Brexit, la question migratoire, on a pu régler un problème qui concernait aussi l’UE.

Il est important de souligner que le règlement de la question du nom a mis en exergue la capacité de la diplomatie à régler des problèmes et le fait que l’Europe n’a plus le regard tourné vers arrière.

JOURNALISTE : Toutefois, le Parti populaire européen (PPE) a fait une déclaration. Certains hommes politiques de centre-droit se sont dits satisfaits mais il n’y a pas eu de déclaration formelle.

Ν. ΚΟΤΖΙΑS : Je pense que le PPE a un problème : les forces d’inertie qui sont partisanes du non-règlement des problèmes sont des membres de ce parti et ne peuvent pas les aider et les orienter vers une politique européenne, une politique de solutions. Et par politique européenne j’entends une politique de consensus et de compromis. Telle est la particularité de l’Europe d’aujourd’hui et non pas le conflit et la violence.

Les compromis qui ont été faits n’ont pas plu aux partis de l’opposition à Skopje et à Athènes. Il semble que pendant toutes ces années ces partis étaient « alimentés » par le non règlement des problèmes de la région et maintenant ils ont du mal à s’adapter à la nouvelle réalité.

Et, malheureusement, le PPE semble s’intéresser plus aux besoins de ces deux partis qu’à l’avenir européen. Cela est triste car, d’une part, il montre qu’ils sont satisfaits au fond du fait que nous avons réglé le problème mais, d’autre part, ils ne veulent pas que le bénéfice émanant de la solution revienne à ceux qui ont eu le courage de régler ces problèmes.

Autrement dit, ils veulent que nous réglions les problèmes et que leurs partis gagnent les élections.

JOURNALISTE : Pensez-vous que la Nouvelle Démocratie votera en faveur de l’accord ? Et, à Skopje, le gouvernement de Zaev résistera-il aux pressions ?

Ν. ΚΟΤΖΙΑS : Au parlement, j’ai dit à l’opposition qu’elle se comporte comme si elle était la filiale du parti VMRO à Athènes. De même, le parti VMRO se comporte comme s’il était la filiale de la Nouvelle Démocratie à Skopje. A Skopje ils accusent Zaev d’avoir tout cédé à la Grèce. A Athènes, ils nous accusent d’avoir tout cédé à Zaev.

Il est vrai que cette querelle a mis en avant une ligne de séparation aujourd’hui. Les gouvernements de la Macédoine du Nord et de la Grèce soutiennent les solutions, la coopération entre les Etats et l’orientation européenne de Skopje est aussi dans l’intérêt de leurs peuples et il y a aussi les puissances qui ont joué un jeu politique et ont tiré des profits du non règlement en sapant l’avenir de leurs peuples et de la démocratie.

La ligne séparatrice n’est plus « Eux à Skopje et nous à Athènes », mais entre ceux qui veulent le règlement des problèmes et la perspective européenne et ceux qui insistent sur le non règlement. Je pense que Zaev résistera aux pressions qui lui sont exercées. C’est un homme politique d’une très grande résistance comme j’ai pu le constater depuis ma première rencontre avec lui.

JOURNALISTE : Êtes–vous près d’un règlement avec l’Albanie sur la question de la Zone économique exclusive ?

Ν. ΚΟΤΖΙΑS : Ecoutez, en Albanie j’ai trouvé des questions demeurées en suspens depuis 100 ans. Par exemple, nos deux Etats sont encore en état de guerre. Nous sommes tous les deux des Etats membres de l’OTAN, nous avons signé un pacte d’amitié, mais formellement il existe cet état de guerre. Nous avons mis dans un paquet tous ces problèmes. Nous avons réglé certains problèmes mineurs, particulièrement ceux qui facilitent les travailleurs et les migrants de la part de l’Albanie.

Maintenant nous devons régler les questions majeures. A Athènes a été convoqué le comité d’experts et de technocrates pour la ZEE et nous avons fait un grand pas en avant. Je pense que nous allons régler les questions, à condition que l’hystérie ne gagne les partis de l’opposition dans les deux Etats. Je suis triste d’entendre ce que dit l’opposition en Grèce. Ils disent que nous sommes en train de discuter de la question "des Chams". Nous n’en discutons pas. La question "des Chams" n’avait jamais été soulevée dans le cadre de cette discussion.

Et je voudrais aussi vous dire, et c’est la première fois que je le dis, que la question "des Chams" a été débattue par un autre gouvernement au début des années 90’. J’ai aussi des preuves à cet égard. Ils se comportent comme si c’était la première fois qu’ils s’occupaient de la politique et n’avaient aucun passé.

Et, en général, l’opposition a tendance à créer, tout au long de sa gouvernance, des faits accomplis et par la suite, de nous accuser d’avoir créé ces faits accomplis. Ils disent aussi que nous allons céder l’Epire du nord à l’Albanie. Il faut qu’ils comprennent, s’ils ne l’ont pas déjà compris, qu'avec les traités internationaux et l’accord final d’Helsinki, l’Epire du nord fait partie de l’Albanie et en ce qui nous concerne nous n’avons aucune intention de changer les frontières. Ce sont des psychoses qui nuisent au pays et elles n’ont aucun rapport avec la politique européenne du dialogue et du compromis.

Les Balkans, avec la Grèce qui a plus d’expérience, avanceront ensemble vers un avenir commun. Car aucun pays de la région ne comptera beaucoup au sein d’une Union future à 40 - 45 Etats membres.

Le Monténégro avec une population de 600 000 à 800 000 habitants ou la Macédoine du nord avec 1,6 millions d’habitants et l’Albanie avec 2,5 millions d’habitants a sein d’une UE qui comptera 600 millions, n’auront pas de rôle. Ni la Grèce avec sa population de 11 millions.

Toutefois, nous aurons un rôle à jouer tous ensemble, avec un plan pour notre région, la mise en place de réseaux de développement et de partenariats sociaux.

En fin de compte, pour la Grèce, son grand problème et son grand voisin envers duquel nous sommes favorablement disposés, mais il y a aussi des tensions, n’est aucun de ces Etats.

JOURNALISTE : Vous avez réglé la question macédonienne, d’après de ce que je comprends et la question albanaise est sur la bonne voie. Qu’est-ce que la Grèce a à y gagner dans la pratique ?

Ν. ΚΟΤΖΙΑS : La Grèce ne peut être encerclée lorsqu’elle règle ses problèmes. En outre, maintenant que nous sommes en train de sortir de la crise économique, il serait bon que nous sortions tous ensemble, avec toute la région, afin de renforcer davantage le développement et les opportunités offertes.

Dans la région, il y a un grand nombre de tensions, de la Libye jusqu’en Irak, et il est difficile pour cette région de parvenir à un développement stable. Je suis profondément convaincu qu’avec les autres pays balkaniques nous formons le meilleur groupe d’Etats pour parvenir à un développement commun et avancer vers l’avenir avec optimisme.

Le fait que nous avons consacré tout notre temps à ces problèmes, nous a rendu « prisonniers de l’histoire ». Le ministère des Affaires étrangères grec est, en général, un ministère conservateur et la majorité écrasante de nos fonctionnaires soutiennent l’accord parce qu’ils ont de l’expérience. Ils ont vu que notre capital diplomatique a été gaspillé, que notre pays au lieu de s’occuper de son avenir, s’occupait de ces problèmes et que les grandes puissances de la région voulaient que nous nous occupions de ces problèmes.

JOURNALISTE : Un tout puissant Erdogan, après les élections, désamorcera-t-il la situation avec la Grèce ?

Ν. ΚΟΤΖΙΑS : On m’a posé cette question avant les élections et j’ai répondu que la Grèce ne fondait aucun espoir sur le fait qu’une victoire de l’opposition, je me réfère à l’opposition « kemalienne », pourrait changer la situation. Si Erdogan arrache une nette victoire, il devra faire preuve de plus de flexibilité et de volonté en vue de régler de manière créative les problèmes.

J’espère qu’après une victoire électorale, il fera preuve de moins de nervosité.

JOURNALISTE : Quand envisagez- vous d’ouvrir de nouveau le dossier chypriote ?

Ν. ΚΟΤΖΙΑS : Le S.G. de l’ONU a nommé une nouvelle représentante et nous avons tout de suite donné notre consentement car nous avons confiance en le SG et en l’instance de l’ONU. Les Turcs ne l’ont pas fait, mais je pense qu’ils le feront après les élections.

Les puissances garantes doivent discuter, avant d’aller à une conférence internationale, de la possibilité de parvenir à une solution commune aux questions des garanties et de la sécurité. Si une solution n’est pas trouvée à ces deux questions, il n’y a aucune raison d’entamer de nouveau les négociations. Contrairement à ce qui s’est passé à Genève et à Crans-Montana, nous commencerons d’abord par cette question et j’ai le sentiment que la Turquie est raisonnable à cet égard, c’est-à-dire à l’égard de la méthodologique qui doit être suivie pour parvenir à une solution.

June 25, 2018