Interview accordée par E. Vénizélos, vice-premier ministre et ministre des Affaires étrangères, à l'agence de presse athénienne-macédonienne et à la journaliste Nina Melisova

JOURNALISTE: Ces sont les premiers jours de la Présidence hellénique au Conseil de l'UE. Ce sont des moments critiques pour la Grèce, mais aussi pour l'Europe et notre intention est de promouvoir les questions majeures pendant cette période. Abordons plus en détail ces questions majeures érigées en priorités de la Présidence hellénique par le gouvernement grec. Commençons par le "two pack" croissance et chômage. Que fera la Grèce au niveau européen afin que ce "two pack" ne demeure pas qu’un vœu irréalisable?

E. VENIZELOS : Je voudrais vous présenter mes meilleures vœux pour l'année nouvelle et ainsi que tous le succès à l'agence de presse athénienne-macédonienne dans l'accomplissement de ses objectifs. Les présages sont très bons pour la Présidence hellénique qui s'ouvre actuellement car la Grèce dispose d'une riche expérience dans l'exercice de la présidence de l'UE. Toutefois, cette présidence,  au cours du premier semestre de 2014, est la 5e après 1981, date d’adhésion de la Grèce aux Communautés européennes.

Les Présidences helléniques ont été historiquement assimilées à des étapes très importantes dans le parcours vers l'intégration européenne ainsi qu'à de grandes vagues d'élargissement de l'UE. Nous savons très bien que la Présidence, en tant qu'institution européenne, doit être à la hauteur des priorités des sociétés européennes.

Mais la Présidence n'est pas omnipuissante. Elle des possibilités très précises, limitées, mais pas négligeables. Le problème majeur auquel sont confrontées toutes les sociétés, qu'il s'agisse d'un pays en crise ou d'un pays disposant d'une économie puissante, comme la Grèce ou comme l'Allemagne respectivement, est, sans aucun doute, le modèle de croissance, la compétitivité, les taux de croissance satisfaisants - car il ne suffit pas d'enregistrer des taux près de zéro - et, bien évidemment, un problème encore plus grave pour tous les citoyens européens est le chômage, que ces derniers soient déjà au chômage ou menacés de l’être, et cela concerne la nouvelle génération.

La Grèce enregistre des taux de chômage trop élevés ce qui est inacceptable, notamment chez les jeunes. Le Conseil européen et le Conseil des ministres sont convenus d'un train de mesures pour lutter contre le chômage et, bien évidemment, ils parlent très souvent de la croissance et de la compétitivité. Il existe des textes sur lesquels nous nous sommes mis d'accord au sein de l'Europe, il y a des décisions, mais il faut mobiliser beaucoup plus de fonds à travers les fonds structurels et le Fonds social européen, mais aussi par le biais des capacités offertes par la Banque européenne d'investissement ou par la Banque européenne pour le développement et la restructuration.

Par conséquent, notre objectif est,  à travers les différentes compositions dans lesquelles sont tenues le réunions du Conseil, l'ECOFIN, le Conseil des Affaires sociales, le Conseil des ministres de la Compétitivité, de promouvoir ce concept unique, cette ligne unique d'après laquelle, nous pouvons soutenir l'économie réelle, les entreprises et financer ces politiques annoncées, par exemple, donner la possibilité à chaque jeune qui termine les études d'avoir accès au marché du travail, soit à travers ses études postuniversitaires,  soit  à travers un stage ou un poste d'emploi.

JOURNALISTE: La promotion de l'union bancaire jouera-t-elle un rôle dans ce sens?

E. VENIZELOS : Ecoutez, la crise a montré - nous avons nous aussi eu cette expérience ici avec les banques grecques - que les banques sont un maillon critique qui unit la sphère financière et la sphère de l'économie réelle. Les banques doivent assurer les dépôts et par conséquent les épargnes des citoyens et financer les entreprises, les investissements, la croissance et l'emploi.

Il s'agit du niveau critique. Si nous voulons une Europe véritablement unie, intégrée, sans inégalités intérieures, nous devons établir une union bancaire, un marché bancaire unique. Toutefois, cela ne signifie pas seulement un mécanisme de surveillance unique pour les grandes banques européennes, les banques systémiques, les cent trente banques majeures, dont quatre banques grecques, ou un mécanisme unique de liquidation lorsqu'une banque a des problèmes. Cela signifie également un mécanisme unique de garantie des dépôts. Car il se peut que dans un pays les taux d'intérêts des dépôts soient plus attrayants que dans d'autres pays, mais à long terme chaque bénéficiaire d'un compte accorde une importance plus grande à la sécurité qu'aux taux d'intérêt.  Par conséquent, il est très important de mettre en place un mécanisme paneuropéen de garantie des dépôts.

JOURNALISTE: Une autre priorité que vous avez fixée est l'immigration. Il s'agit d'une question majeure et complexe, ayant des paramètres humanitaires ainsi que des paramètres liés à la sécurité nationale, et puisque la Grèce constitue une porte d'accueil des immigrants pour toute l'Europe, il est d'ores et déjà bien évident que notre pays ne peut pas contrer ce phénomène tout seul.

E. VENIZELOS : Il y a de nombreuses inégalités entre les pays européens au niveau de l'immigration et de la gestion des flux migratoires. Car c'est justement le statut juridique lui-même, ledit règlement Dublin II qui est en vigueur, qui a une inégalité innée car la charge principale incombe au pays frontalier, au pays situé aux frontières extérieures de l'Europe.

La Grèce est un tel pays. Sur les pays méditerranéens, les pays ayant un long littoral, tels que la Grèce, l'Italie et sur les pays insulaires, tels que Malte et Chypre, sont exercées de grandes pressions de manière disproportionnelle. La crise dans le monde arabe, au Moyen-Orient et à l'Afrique du nord provoque de nouvelles vagues de réfugiés.

Mais derrière ces réfugiés qui ont le droit légitime de se déplacer, il existe l'immigration illégale organisée. Et derrière ce problème humanitaire, comme vous l'avez dit, se cache le problème de la sécurité car on ne connaît pas l'identité des personnes affluant sur le territoire européen, ni leurs intentions. Nous avons pris un grand nombre d'initiatives avec l'Italie, Malte et d'autres pays méditerranéens. Des mécanismes sont actuellement mis en place, tels que la FRONTEX, l'EUROSUR qui nous permettent de répartir la charge au sein de l'Europe de manière équitable, mais beaucoup d'actions doivent encore être prises dans ce sens.


Comme vous le comprenez, notamment pour un pays comme la Grèce, mais aussi pour d'autres pays voisins, par exemple la Bulgarie laquelle est confrontée à de grandes pressions sur ses frontières terrestres, cela constitue une question d'importance majeure. Par conséquent, cela est une priorité dont tous acceptent le caractère urgent et notre Présidence a l'occasion de stimuler et d'encourager tous ces processus.

JOURNALISTE: Vous avez une coopération avec l'Italie qui vous succèdera à la présidence concernant cette question.

E. VENIZELOS : Notre coopération avec l'Italie est globale car, par coïncidence, cette dernière exercera la présidence au cours du deuxième semestre. L'Italie est un pays méditerranéen qui a beaucoup de problèmes communs avec la Grèce. Nous sommes convenus, il y a longtemps, de la même série de priorités ainsi que de l'institution de l'Année méditerranéenne car nous avons deux présidences et des objectifs communs  généraux, mais aussi très précis concernant la région adriatique-ionienne, une région que nous voulons voir devenir une macro-région sur la base d’un modèle européen. Cela offre plus de possibilités de croissance et nous avons bien évidemment une coopération dans le domaine énergétique, une coopération d'importance majeure. Le gazoduc TAP nous offre également des possibilités de coopération supplémentaires avec l'Italie et la région adriatique et ionienne élargie.

JOURNALISTE : Ma prochaine question concerne la promotion de la politique maritime qui est synonyme de richesse, de croissance et qui nous rapproche des pays de l’Afrique du nord, nos frontières maritimes.
E. VENIZELOS : Nous entretenons de toute façon des relations très étroites avec le Moyen-Orient et l’Afrique du nord. Des relations traditionnelles, historiques, économiques et ledit voisinage sud de l’UE revêt pour nous une grande importance, comme pour les autres pays ; Pour la présidence lituanienne, par exemple, qui vient de s’achever, le voisinage oriental revêtait une grande importance, comme l’Ukraine, l’Arménie, etc. Nous mettrons donc l’accent sur le voisinage sud et nous entretenons ces relations. L’exemple le plus parlant étant celui des derniers mois, à savoir la relation que nous avons tissée avec l’Egypte qui est très utile à plusieurs égards pour l’ensemble de la région et de la Méditerranée.
Mais pour un pays comme la Grèce, dont l’élément maritime fait partie de sa physionomie, avec sa marine marchande, sa tradition, il est impensable que la politique maritime ne soit pas une priorité, une priorité qui dépasse toutes les autres.
La politique maritime signifie aussi la croissance et l’énergie, l’environnement, la culture et le tourisme ainsi que l’aménagement du territoire. Elle signifie aussi l’application du droit international, la valorisation des zones maritimes, tel que prévu par le droit international. Nous avons donc une croissance bleue, une croissance maritime, qui est elle aussi un élément principal du modèle européen de croissance. Encore faut-il que l’Europe comprenne qu’elle est méridionale et méditerranéenne.

JOURNALISTE : Cette année, nous fêtons les 100 ans depuis la proclamation de la première guerre mondiale et ce serait une occasion de marquer pacifiquement la fin de ce centenaire en promouvant l’élargissement des Balkans occidentaux. Quelle marge de manœuvre a-t-on en période de crise ?

E. VENIZELOS : On ne célèbre pas la proclamation d’une guerre, mais la fin. L’élargissement est assimilé aux présidences grecques. La présidence précédente de 2003 avait mis en avant la perspective européenne des Balkans occidentaux comme objectif, qui figure toujours parmi nos priorités, adopté par l’UE.

Le 21 janvier s’ouvre la négociation sur l’adhésion de la Serbie, la Conférence intergouvernementale sur l’ouverture des négociations entre l’UE et la Serbie. Cela est très important pour la Serbie, très important pour le Kosovo comme perspective, et nous sommes donc, comme toujours, fidèles à cette politique d’élargissement et d’intégration européenne de tous les Balkans occidentaux.

Naturellement, il y a des cas qui posent problème, comme l’ARYM, Skopje, car le gouvernement même du pays ne contribue pas, en raison de sa position, à ce que les critères auxquels doit satisfaire tout pays candidat puissent être remplis, conformément aux critères de Copenhague, au respect du droit international et aux relations de bon voisinage.

Mais il y a des pays qui peuvent être promus plus vite, comme le Monténégro. La position de l’Albanie, par ailleurs, est satisfaisante et nous nous sommes positionnés en faveur de l’attribution du statut de pays candidat à l’Albanie, question qui sera réexaminée en juillet, sous Présidence hellénique.

Il y a également la difficulté institutionnelle avec la Bosnie-Herzégovine qui devra trouver petit à petit sa perspective européenne, ce qui n’est pas facile pour des raisons purement internes. Ces évolutions sont importantes.

Je visiterai ces pays, en ma qualité de Président du Conseil, afin d’avoir des contacts avec les gouvernements et que nous voyons comment nous pourrons faciliter cette perspective, là où il existe une volonté de facilitation de l’autre côté. Je pense que c’est une occasion, au cours de ce semestre, de discuter de la perspective des Balkans occidentaux également et d’entreprendre des actions bien précises qui donneront un sens à cette perspective européenne.

JOURNALISTE : Pendant la Présidence se tiendront les élections européennes. Êtes-vous soucieux de la montée des forces anti-européenne ? En France, par exemple, Le Pen voit sa cote de popularité s’envoler.

E. VENIZELOS : Dans tous les pays d’Europe, on observe des tendances d’euroscepticisme. Ce n’est pas nouveau. Il y a toujours eu des puissances ou des pays eurosceptiques, qui sont réticents et il va de soi que la crise attise  l’euroscepticisme, la xénophobie, le racisme et l’extrémisme.

En Grèce, nous avons l’exemple caractéristique de l’Aube Dorée, le plus éloquent au niveau européen, car c’est un parti prônant ouvertement le nazisme.

En effet, le calendrier de la Présidence est plus court, puisque le Parlement européen est dissout en raison des élections. Nous avons donc à notre disposition 4 mois parlementaires et d’un autre côté, la Présidence du Conseil coïncide avec la période d’ouverture du grand débat sur l’avenir de l’Europe. Ce débat, à lui seul, ne veut rien dire.

La réponse des Etats membres, des gouvernements, des organes européens doit être concrète et pratique par rapport aux grands problèmes que nous avons vus et qui s’intègrent dans le cadre des priorités de la Présidence. Autrement dit, si l’Europe apporte une réponse à la croissance, à l’emploi, aux investissements, à la sécurité, à la protection des droits, l’euroscepticisme aura aussi la réponse qu’il devra avoir.

JOURNALISTE : Grosso modo, quel est votre souhait, votre préoccupation et qu’estimez-vous comme étant plus crucial ces prochains mois ?

E. VENIZELOS : La Présidence du Conseil de l’UE est une mission institutionnelle européenne. Nos priorités sont les priorités de l’Europe. Mais nous avons en même temps nos grandes priorités nationales. Le premier semestre 2014 est le semestre de la Présidence, mais ce qui importe le plus pour le citoyen grec est que ce semestre sera celui du tournant vers la sortie définitive de la crise et du mémorandum.

Maintenant on verra ce que signifie la réussite de l’excédent primaire.

Maintenant on verra ce que cela signifie de faire des sacrifices pour le peuple grec depuis tant d’années pour que le pays se stabilise du point de vue budgétaire.

Maintenant on verra ce qu’il va se passer avec la restructuration de la dette publique et qu’est ce que veut dire viabilité de la dette, afin qu’il y ait un soulagement, que nous puissions le ressentir dans la réalité économique, au niveau du marché, des subventions des entreprises, des possibilités d’investissement et de la création d’emplois.

Maintenant on verra bien que nous pouvons réparer les injustices qui se sont produites nécessairement lors de l’effort consenti pour réaliser les grands objectifs budgétaires. Nous pourrons adopter des mesures plus respectueuses envers certaines catégories de citoyens, comme les handicapés, les personnes du troisième âge, qui ne sont pas couverts par la sécurité sociale, comme la grande catégorie des chômeurs qui ne peuvent pas continuer de ne pas bénéficier de soins médicaux. Donc le virage vers la sortie de la crise est pris et les injustices commencent à être réparées.

Nous méritons d’être plus optimistes, de nous sentir plus en sécurité car la Grèce est fière, elle a été humiliée à plusieurs reprises dans le passé et maintenant l’occasion nous est donnée de reconquérir la place que nous méritons en Europe et dans l’économie mondiale.

January 7, 2014