JOURNALISTE : Que faisons-nous en tant que pays afin que nos voisins mènent une enquête sérieuse et objective sur les causes du décès de notre compatriote ?
G. KATROUGALOS : Nous avons évidemment trois priorités, la première est celle que vous avez évoquée, à savoir faire toute la lumière sur les faits réels et notamment vérifier si toutes les possibilités ont été épuisées qui auraient permis d’éviter la mort de notre compatriote. Le deuxième objectif immuable est la protection des droits, des intérêts de la communauté grecque afin d’éviter l’instauration d’un climat négatif, ce qui serait aux dépens de nos compatriotes résidant dans le pays voisin. Le troisième objectif est de ne pas perturber les relations bilatérales, sans bien évidemment faire des concessions ou négliger les deux premiers objectifs.
Nous avons procédé en tant que gouvernement à des actions à tous les niveaux. En tant que ministère des Affaires étrangères, nous avons dès le début procéder à une démarche auprès de l’ambassadrice albanaise, en l’invitant ici au ministère des Affaires étrangères, et en lui signalant justement ces priorités.
Notre ambassadeur en Albanie a demandé, par la voie d’une note verbale, que des représentants grecs soient présents aux procédures de l’expertise judiciaire, de l’examen médicolégal pour éviter que des choses se passent en secret.
Et moi personnellement, puisque nous accordons une importance particulière à cette question, j’ai eu hier dans l’après-midi une communication téléphonique avec le ministre des Affaires étrangères, M. Busati, auquel j’ai présenté nos priorités en lui signalant la nécessité d’avoir une coopération, dans le respect de l’indépendance de la justice par les deux parties.
Aux autres niveaux maintenant, au niveau de la police, il y a eu déjà, depuis le jour du décès de notre compatriote, une communication entre les chefs de police afin qu’un officier de police grec soit présent à l’enquête et qu’il puisse être informé sur l’état d’avancement de l’enquête en fournissant des informations à notre partie.
Et enfin, côté justice, il existe l’article 7 du code pénal qui permet de mener parallèlement une enquête judiciaire dans le cas d’un crime commis aux dépens d’un citoyen grec. Le Procureur du Tribunal de première instance d’Ioannina a ordonné l’ouverture d’une enquête qui a été transmise, en raison de compétence, au Procureur de première instance d’Athènes.
JOURNALISTE : Abordons maintenant nos questions nationales en suspens. Je commence par les provocations continues, qui plus est avec acrimonie, dans la région maritime de la Méditerranée orientale : Je parle du navire « Fatih » lequel, d’après ce qui est largement affirmé dans le pays voisin – cela est écrit dans la presse du pays voisin – envisage de circuler dans les eaux appartenant à la ZEE chypriote et, bien évidemment, de la fuite des cartes par le ministère turc de la Défense, d’après lesquelles seule l’île de Gavdos ne fait pas partie du territoire de la Turquie, alors que son territoire s’étend jusqu’à la région située au-dessous de la Crète.
G. KATROUGALOS : Pour ce qui est de la carte, il s’agit d’un malentendu. Selon les informations que nous avons à notre disposition, ladite carte est décrite par la partie turque comme une description de nos propres revendications, à savoir il ne s’agit pas de l’illustration de la ZEE turque mais de la ZEE grecque. Ils veulent mettre en valeur « le caractère abusif » de nos positions, à savoir que nous voulons soi-disant étendre notre territoire jusqu’à la Turquie.
Par conséquent, les choses sont telles que je les décris, sans que cela n’exclut ce que vous venez de dire, à savoir qu’il existe un effort immuable de la politique étrangère turque allant dans une direction révisionniste, sans tenir compte du droit international de la mer et notamment de la Convention internationale sur le droit de la mer, ainsi que du travail de préparation effectué entre la République de Chypre et les pays voisins concernant la délimitation de la ZEE, son objectif étant de créer des « faits accomplis ».
Des faits accomplis ne sont pas créés dès lors que nous prenons toutes les mesures nécessaires, au niveau diplomatique aussi, à travers des démarches qui remettent en cause la création d’un précédent juridique mais aussi à travers la présence réelle d’une frégate grecque dans la région, afin que nos droits légitimes ne soient pas seulement conformes à la lettre de la loi mais qu’ils soient aussi renforcés par la présence nécessaire de notre propre force.
Toutefois, la protection la plus substantielle de nos intérêts nationaux a été le fruit du travail de préparation systématique au niveau diplomatique entre la Grèce et la République de Chypre et qui porte sur la mise en place de formes de partenariat tripartites – notamment avec Israël et l’Egypte – afin que la sauvegarde juridique et politique de nos droits légitimes soit assurée, mais aussi à travers le travail de préparation y relatif qui a été accompli après que la République de Chypre ait confié la sous-traitance de la recherche d’hydrocarbures aux grandes sociétés multinationales qui jouissent bien évidemment du soutien politique correspondant de leurs gouvernements, notamment de la France et des Etats-Unis.
Nous n’avons par conséquent aucun souci à l’égard des évolutions, nous les suivons bien évidemment de près en vue d’éviter que des faits accomplis soient créés à nos dépens. Je pense toutefois que nous nous trouvons en meilleure position par rapport au passé, justement parce que maintenant nous agissons et la Turquie essaye de réagir.
Nous promouvons nos propres intérêts et ce, non à l’encontre du droit international mais comme l’impose le droit international.
JOURNALISTE : Il existe des préoccupations face à l’éventualité que la Turquie provoque un incident grave en vue de nous impliquer dans une discussion à laquelle nous ne voulons pas participer.
G. KATROUGALOS : Il existe deux facteurs dissuasifs à cet égard. Premièrement, le renforcement du prestige diplomatique de notre pays et notamment la présence, comme je vous l’ai tout à l’heure dit, non seulement de nos propres forces mais aussi de celles d’autres Etats, notamment dans la région de Chypre, ce qui assure le respect de ce qui a été convenu.
D’autre part, cette période est marquée par un effort de la Turquie de s’ouvrir à l’Occident, et notamment à l’Europe, justement en raison de ses problèmes économiques. Je considère comme hautement improbable – mais pas impossible bien évidemment car la Turquie a coutume de faire des gestes imprévisibles – que la Turquie procède à une action de nature à annuler les efforts qu’elle a consentis en vue de sauver son économie.
JOURNALISTE : Abordons maintenant la question relative aux douze milles nautiques. Est-ce que le communiqué émis par le ministre des Affaires étrangères sortant, M. Nikos Kotzias était prématuré ? Ce communiqué a-t-il été fait à un mauvais moment ? Vous savez, nombreux sont ceux qui considèrent que des gestes de ce genre ne sont pas annoncés à l’avance, tout comme le remaniement du gouvernement, ou encore la dévaluation de la monnaie nationale lorsque nous avions une monnaie nationale.
G. KATROUGALOS : Savez-vous pourquoi je ne suis pas d’accord avec ce point de vue et pourquoi le Premier ministre a même annoncé que nous procèderions aux démarches nécessaires au sein du parlement - en allant plus loin – et non pas à travers des décrets présidentiels ?
Justement parce que ce genre de questions nécessitent des consensus élargis – si nous pouvons y parvenir – et au moins la tenue d’un débat public. Afin que le peuple grec comprenne l’enjeu.
L’enjeu est simple : Pendant 40 ans, peut-être 30, si nous tenons compte de la ratification par la Grèce de la Convention internationale sur le droit de la mer en 1995, nous réitérons – ce qui est le cas en fait- que notre droit inaliénable est d’étendre notre souveraineté sur les eaux territoriales. Vu toutefois la complexité de la question et des réactions de la Turquie – alors que notre droit souverain n’est bien évidemment pas contesté – il existe une inertie et nous remettons à plus tard la prise de certaines mesures.
Nous ne sommes donc une force d’inertie. S’agissant d’une série de questions – l’accord de Prespès est emblématique tout comme la question de la sharia en Thrace, pour ne pas m’étendre aux réformes intérieures qui sont du point de vue politique neutres, comme le cadastre ou les cartes forestières – nous voulons casser des œufs car autrement nous ne pouvons pas promouvoir les intérêts nationaux et l’intérêt public.
Par conséquent, nous entamons cette procédure de discussion depuis la région ionienne où nous avons besoin de l’extension de nos eaux territoriales ainsi que concernant des questions liées à la délimitation de la ZEE avec l’Albanie et l’Italie.
Et nous voulons que ces questions que nous sommes en train d’aborder ici, à la station radio, soient débattues avec les forces politiques qui seront invitées par le Premier ministre et que le peuple soit informé en la matière par le biais de ce débat qui sera engagé au sein du parlement.
JOURNALISTE : Passons maintenant à l’accord de Prespès. Que pensez-vous de l’état d’avancement de cette question ? C’est-à-dire quand est-ce que cet accord sera soumis au vote au sein du parlement afin qu’il soit ratifié et dans quelle mesure êtes-vous optimiste ou le contraire, pessimiste à l’égard du vote qui aura lieu au sein du parlement ?
G. KATROUGALOS : Cette semaine est d’une importance cruciale car nous allons apprendre la formulation exacte des dispositions constitutionnelles. Nous avons, bien entendu, des contacts et nous suivons de près la situation afin d’assurer que cette formulation ne soit pas éloignée de ce qui a été convenu…
JOURNALISTE : Excusez-nous de l’interruption monsieur le ministre. Pensez-vous qu’il pourrait y avoir une nouvelle négociation sur un ou deux points ? Nombreux sont ceux qui soulèvent cette question, à savoir si l’on pourrait insister sur la question de la citoyenneté, afin que cette dernière soit une citoyenneté « nord macédonienne » et non pas « macédonienne » tout court.
G. KATROUGALOS : Par rapport à ce que j’étais en train de dire avant l’interruption, je voudrais, pour conclure, dire que nous suivons de près la révision constitutionnelle. Concernant maintenant votre dernière question, il existe la conviction bien établie que l’accord ne pourrait pas être davantage amélioré et s’agissant des points qui pourraient faire l’objet d’une nouvelle négociation, ces derniers ont été abordés de manière exhaustive. Et chaque accord est un compromis.
Concernant maintenant la citoyenneté, vous dites bien que l’idéal serait d’avoir simplement une référence à la citoyenneté « nord macédonienne ». On a eu une solution intermédiaire à cet égard. A savoir, alors que jusqu’à présent ces personnes venaient en Grèce – et leurs touristes en Grèce du nord - munis des passeports sur lesquels figurait simplement l’appellation « Macédoine », maintenant a été ajouté, en tant que déterminant, l’adjectif « citoyenneté macédonienne / ressortissant de la Macédoine du nord ».
Je répète que c’est un compromis. Si cela est associé aux autres dispositions de l’accord et notamment à l’article 7 qui fait clairement la distinction entre leur définition et la nôtre du nom Macédoine, à savoir qu’ils n’ont aucun rapport avec la Macédoine grecque ancienne, ni avec l’histoire de notre Macédoine, ce compromis est, à mon avis, dans notre intérêt.
Je répète qu’il ne s’agit pas d’une solution satisfaisante à 100%. Mais on ne parvient pas au 100% par le biais des accords, mais à travers des guerres et des accords qui sont humiliants pour l’autre partie, ce qui rend les accords non opérationnels. Lorsque l’autre partie retrouve un peu de ses forces, elle remet en cause les accords de ce genre.
Maintenant, pour ce qui est de votre première question, à savoir si je suis optimiste, je ne suis pas simplement optimiste car il y a la volonté bien déclarée de la part d’un grand nombre de députés mais de la part de certaines forces politiques. Le parti POTAMI a pris position à cet égard.
Il existe actuellement une majorité au sein du parlement, en dépit de l’objection de notre partenaire mineur, ce qui conduira à l’adoption de l’accord. Je ne peux prévoir la date à laquelle l’accord sera soumis au vote car Skopje a l’obligation de tenir pendant une certaine période une consultation ce qui n’est pas prévu par la constitution mais qui constitue, en partie, une décision politique. A un certain moment, d’ici au mois de mars bien évidemment, l’accord sera soumis au vote au sein du parlement et il sera approuvé.
JOURNALISTE : Je vous remercie monsieur le ministre. Je vous souhaite une bonne journée.
G. KATROUGALOS : Je vous remercie également. Bonne journée à vous.
October 31, 2018