JOURNALISTE : Monsieur le Ministre, que pensez-vous de l’attitude de la Turquie après le référendum et, notamment ces derniers temps ?
Ν. ΚΟΤΖΙΑS : La Turquie est une puissance nerveuse et révisionniste. Parfois sa manière de s’exprimer porte à croire qu’elle veut changer une partie des traités internationaux ou qu’elle n’accepte pas le droit international. Le leadership actuel du pays, qui a contribué de manière décisive à la formation de la Turquie contemporaine, semble être animé d’un sentiment d’insécurité et de peur et d’un sentiment injustifié de supériorité et d’arrogance. Ce mélange contradictoire requiert une approche prudente afin que l’on ne se laisse pas entrainer par le « cours facile » des choses. Par ailleurs, on doit chercher à trouver des canaux de communication, de confiance et de respect à l’égard des particularités de l’autre partie. On doit aussi, si besoin est, se montrer sévère.
JOURNALISTE : Etes-vous préoccupé par l’éventualité d’un « incident chaud » en Egée ?
Ν. ΚΟΤΖΙΑS : Ce qui m’inquiète plutôt est un éventuel accident à cause du risque que prend l’autre partie et de son attitude provocatrice.
JOURNALISTE : A Chypre aussi ? Ankara profère des menaces en vue des travaux d’extraction pour l’exploitation des gisements.
Ν. ΚΟΤΖΙΑS : Le gouvernement chypriote a pris des mesures. La communauté internationale suit de près la situation. Nous sommes prêts à fournir à la République de Chypre toute aide qui lui serait nécessaire. Ankara fait du chantage à propos des gisements. Toutefois, on ne cède aux chantages que quand on n’a pas la force d’y résister.
JOURNALISTE : Selon les hauts fonctionnaires turcs, Agathonissi n’appartient pas à la Grèce alors qu’Erdogan a pour habitude de contester le traité de Lausanne. Comment va-t-on gérer cette question ? Est-ce que le recours à la Cour de La Haye est une solution ?
Ν. ΚΟΤΖΙΑS : Le gouvernement et l’opposition après le coup d’état raté dans le pays voisin se sont livrés à une surenchère nationaliste qui ne mène nul part. En ce qui nous concerne, nous prenons toutes les mesures nécessaires au niveau de la diplomatie et de la défense. Il serait bon que nos voisins cessent de contester le droit international et les traités internationaux. La Grèce n’est pas un « pays dévasté », ni une « cible facile ». Ils feraient mieux d’accepter la réalité et revenir à un dialogue constructif.
JOURNALISTE : Est-ce que la Grèce soutient la perspective européenne de la Turquie et à quelles conditions ? Que répondez-vous aux puissances européennes qui demandent l’arrêt des négociations ?
Ν. ΚΟΤΖΙΑS: La meilleure perspective pour les relations gréco-turques est une Turquie démocratique européenne qui respectera le droit international et les principes du bon voisinage, avec laquelle nous développerons la meilleure coopération possible dans tous les domaines. Telle est notre politique de principe mais aussi la volonté de la majorité des citoyens turcs.
Les puissances qui demandent l’arrêt des négociations sur la perspective européenne de la Turquie sont souvent celles qui dans tous les autres domaines font des concessions en faveur d’un allié nécessaire. Ce que nous disons est bien clair : nous voulons une Turquie européenne. C’est à cette dernière de décider si elle veut l’être ou ne pas l’être.
JOURNALISTE : Quelles sont les limites de la tolérance de la Grèce en Egée monsieur le Ministre ? Est-ce que les drapeaux pourraient de nouveau être emportés par le vent, comme ce fut le cas à Imia ?
Ν. ΚΟΤΖΙΑS : Monsieur Skouris, je ne suis pas spécialiste des vents. J’ai clairement expliqué aussi bien nos initiatives positives à l’égard du pays voisin que nos lignes rouges. Et s’agissant de ces dernières, aucun vent ne peut les emporter.
JOURNALISTE : Pensez-vous qu’une solution pourrait être trouvée à la question chypriote ? Partagez-vous l’avis d’après lequel le but ultime à ce stade est tout simplement d’assurer la poursuite des négociations ?
Ν. ΚΟΤΖΙΑS : Je veux une solution à la question chypriote. Le point sur lequel j’insiste est la base des résolutions de l’Assemblée générale de l’ONU et du Conseil de sécurité, à savoir que la question chypriote est, dans sa dimension internationale, une question d’occupation. De ce point de vue, à l’égard duquel la Grèce a un mot à dire, le règlement de la question chypriote signifie mettre fin à l’occupation et au système des garanties, supprimer toute possibilité d’invasion à Chypre par un pays tiers et en général supprimer tout droit d’intervention.
JOURNALISTE : Eide joue-t-il le rôle de « placier » de l’autre partie ?
Ν. ΚΟΤΖΙΑS: Eide soutient que les quatre libertés – dans une certaine forme –doivent être aussi octroyés aux Turcs à Chypre. Afin de le prouver, il a invoqué une série d’exemples qui ne sont pas du tout pertinents, tels que l’accord de la Russie concernant Kaliningrad. En réalité, cet accord concerne la possibilité offerte aux Russes de transiter entre les principaux territoires de la Russie et Kaliningrad. Bien évidemment, cela n’est pas le cas de Chypre car cette dernière ne constitue ni une zone de transit de la Turquie, ni une partie de son territoire.
Ici on mélange des choses qui ne sont pas comparables afin de justifier les demandes inopportunes de l’autre partie. Et, qui plus est, elle essaye de rationaliser ces demandes inopportunes à la direction de l’UE. Toutefois, cela n’est pas son travail. Enfin, permettez-moi d’exprimer ma perplexité face au fait – je le dis gentiment – que certains, afin de le justifier, affirment à tort, en toute connaissance de cause, qu’ « on était près d’une solution ».
JOURNALISTE : Pensez-vous qu’une nouvelle délimitation des frontières dans les Balkans soit probable ? Cela doit-il être évité ? Et quelles sont les puissances étrangères qui jouent un rôle dans ce sens ?
Ν. ΚΟΤΖΙΑS: A force de jouer avec le feu, - certains ne doivent pas l’oublier - on finit par se brûler. On ne va permettre à personne de soulever la question des frontières. Nous condamnons de concert avec nos partenaires européens toute personne ayant des aspirations de ce genre.
JOURNALISTE : Voyez-vous un conflit interethnique à Skopje ? Qu’est-ce qu’il faut faire pour l’éviter ? Et comment la Grèce pourrait-elle contribuer dans ce sens ?
Ν. ΚΟΤΖΙΑS : Nous sommes le seul pays à ne pas intervenir dans les affaires intérieures du pays voisin et, toutefois, certains veulent créer une atmosphère de méfiance… Le manque de culture de consensus et de compromis dans le pays voisins nous inquiète. Nous voulons qu’il y ait la démocratie et l’Etat de droit dans ce pays. Pour notre part, nous exerçons une politique de stabilité dans la région et essayons de soutenir les structures de stabilité dans cette région.
JOURNALISTE : Quoi qu’il en soit, les informations que nous détenons font état du fait que Berlin et Paris feront des « concessions » à l’adhésion de l’ARYM à l’UE afin de désamorcer la tension à Skopje. Et qu’ils feront pression sur Athènes.
Ν. ΚΟΤΖΙΑS : Je ne sais pas qui veut faire pression sur qui, mais tout le monde sait que personne ne peut faire pression sur nous et que nous ne reculerons pas devant ce que nous considérons comme étant juste pour les intérêts de notre peuple ainsi que les principes et valeurs européens.
JOURNALISTE : L’éventualité d’une « Grande Albanie » dans les Balkans vous préoccupe-t-elle ? Quelles sont les puissances qui, à votre avis, alimentent cette éventualité ?
Ν. ΚΟΤΖΙΑS : Certains ont « la folie des grandeurs »… Mais aussi bien l’UE que nous-mêmes n’accepteront pas cela. Les frontières en Europe sont définitives et quiconque essaye de les changer devra en subir les lourdes conséquences.
JOURNALISTE : Edi Rama, en tout cas, soutient que la Grèce est l’un des pays à participer à la déstabilisation de l’Albanie. Que répondez-vous ? Et comment évoluent les relations gréco-albanaises ?
Ν. ΚΟΤΖΙΑS: Je n’ai pas entendu les dirigeants du pays voisin dire pareille chose et ils n’auraient pu le dire.
L’Albanie est devenue membre de l’OTAN et sa voie européenne s’est ouverte avec le soutien de la Grèce. Et sans contrepartie d’ailleurs, ce qui était une erreur.
Aujourd’hui, l’Albanie sait que la voie vers l’UE passe par la réforme du système judiciaire, la lutte contre le crime organisé et le trafic de stupéfiants, la défense des droits de la minorité grecque indigène. Cette voie est la voie de la stabilité. Le dépassement de l’instabilité, quelle qu’elle soit, sur le plan interne, en Albanie, nécessite la consolidation de la démocratie et de la culture des compromis.
JOURNALISTE : Est-ce que vous voyez une guerre dans la région, comme l’avertit le KKE (parti communiste grec) ?
Ν. ΚΟΤΖΙΑS : Mon travail est d’empêcher ces éventualités et de tenir le pays loin des conflits. Je ne suis pas un « enregistreur passif » de ces conflits. Depuis deux ans et demi maintenant, je parle du triangle d’instabilité qui entoure notre pays (Ukraine, Libye, Moyen-Orient) et nous nous orientons, en tant que ministère des Affaires étrangères, vers la mise en place de mécanismes – réseaux de stabilité et de sécurité (comme les cinq coopérations tripartites, les trois réunions quadripartites, la conférence arabo-européenne dans quelques jours à Rhodes).
JOURNALISTE : De l’avis général, la situation est difficile. Comment la Grèce doit-elle réagir ? Doit-elle augmenter ses dépenses militaires ?
Ν. ΚΟΤΖΙΑS : Plus une situation est difficile, moins on doit parler et au contraire réfléchir davantage, planifier, programmer. Avoir la tête froide et agir avec modération. Etudier et promouvoir avec patience les choix nécessaires. Mon travail est de trouver des canaux de communication ouverts avec les autres parties, même dans les situations les plus difficiles, d’utiliser obstinément les moyens de la diplomatie.
JOURNALISTE : Certains vous accusent d’être « dur », voire quasiment « nationaliste ». Que leur répondez-vous…
Ν. ΚΟΤΖΙΑS : Ceux qui veulent se rendre sans opposer de résistance trouvent étrange que d’autres le fassent. Quiconque considère le chauvinisme turc comme une affaire juste reconnaît dans le patriotisme grec son ennemi. Il est logique que je dérange quiconque fait preuve d’une docilité démesurée ou ne pense qu’à son propre intérêt… Ce qui étonne, pour ce qui est de l’immoralisme de certains, est qu’ils justifient de plusieurs façons l’occupation de Chypre. Qu’ils veulent que Chypre soit un Etat membre de l’UE de seconde catégorie, tandis qu’ils se plaignent car la Grèce a une voix au sein de l’ONU, n’est pas un membre de l’ONU de seconde catégorie. Le fond de la question demeure le même : plus de 90% du peuple chypriote est d’accord avec les positions que j’ai formulées quant à l’aspect international du dossier chypriote.
JOURNALISTE : Comment sont vos relations avec Panos Kammenos ? Et pourquoi, selon vous, le ministre de la Défense est la cible d’autant d’attaques ?
Ν. ΚΟΤΖΙΑS: Le ministère des Affaires étrangères a comme moyen d’action la diplomatie et les négociations. Le ministère de la Défense a la défense. Et tous deux faisons notre travail. Panos est critiqué car il écarte une grande partie des « Pro Karamanlis » de la Nouvelle Démocratie, et donc toute possibilité de victoire pour ce parti. Et cela enrage certaines personnes…
May 7, 2017