Propos recueillis par la journaliste Nikoletta Kritikou
JOURNALISTE : La participation à la manifestation a été nombreuse. Toutefois, les manifestations ne sont pas seulement un moyen d'expression au sein d'une démocratie, comme vous l'avez affirmé, elles produisent également des résultats politiques. Est-ce que cela influencera la position du gouvernement dans la négociation ou même la volonté au sein du gouvernement d'atteindre un accord ?
N. KOTZIAS : Je pense que la participation à la manifestation n'a pas été aussi nombreuse, puisque y ont été présents les partis de centre droit ainsi que l'opposition de droite et d'extrême droite, tout comme les représentants de l'église et d'autres entités. Par conséquent, le message transmis a été que les gens n'accordent pas la même importance à cette question au même titre que la Nouvelle Démocratie. Je pense que cela a été décevant pour cette dernière. D'après nos estimations, 120 000 à 140 000 personnes ont participé à cette manifestation, une grande manifestation, une expression de la volonté démocratique, non pas par tout le monde, mais par le plus grand nombre d'entre eux. Cependant, cela ne change pas la politique du gouvernement et n'influe pas sur la responsabilité que nous avons de régler les problèmes. Car, comme j'ai coutume de le dire, l'histoire doit être une école et non pas une prison.
JOURNALISTE : Ces dernières heures, on constate que le climat entre Athènes et M. Nimetz est lourd. Dans votre communiqué, vous lui avez signalé « qu'il n'était pas compétent pour parler de la politique d'Athènes et que les négociations ne peuvent qu'être menées sur la base de ce qui a été convenu à Davos ». A Davos, la question de l'identité a-t-elle été soulevée? La langue et la nationalité font-elles l'objet d'une négociation ?
N. KOTZIAS : A Davos, nous sommes convenus d'une chose : qu'il y aurait un pacte que - sur la proposition des deux Premiers ministres - nous allons rédiger et toute la démarche sera placée sous ma propre responsabilité. Il semble que certains à Skopje, des subordonnés du Premier ministre, ont reconsidéré la question, qui a été jugée importante par M. Nimetz, et j'ai dû lui rappeler que tout ce qui a été convenu par les deux Premiers ministres est valable pour tous. Pour ce qui est de l'identité, c'est nous qui allons rendre publique notre position à cet égard. Nous exprimerons notre position - nous et non le médiateur - dans le cadre des négociations. Telles ont été mes deux remarques.
JOURNALISTE : Par conséquent, la langue et la nationalité font-elles l'objet de négociations ?
N. KOTZIAS : Toutes les questions font l'objet de négociations.
JOURNALISTE : Il y a ce projet de pacte qui est en cours d'élaboration, lequel comprend sept paragraphes portant sur tout l'éventail d'usage et un chapitre spécial sur l'irrédentisme et la constitution, qui sera remis à M. Dimitrov. Est-ce que cela sera la base de l'accord final qui remplacera l'accord intermédiaire de 1995 ?
N. KOTZIAS : Je ne parlerais pas d'un accord final, mais plutôt d'un accord définitif, par opposition au qualificatif « intermédiaire ». Toutefois, le texte que nous sommes entrain de rédiger est une proposition qui sera soumise à négociation et fera l'objet de discussions. Il ne s'agit pas d'une proposition « à prendre ou à laisser ».
JOURNALISTE : Est-ce que l'éventualité que l'appellation constitutionnelle demeure valable jusqu'à l'adhésion de l'ARYM à l'UE est examinée ? En d'autres termes, allons nous vers un processus par étapes pour ce qui est de l'usage ?
N. KOTZIAS : Il n'est pas question que nous entreprenions des actions juridiquement, historiquement et politiquement erronées, quand il s'agit de deux Etats qui veulent s'entendre. Ce que j’entends par là est que les changements apportés à l'appellation doivent être opérés de manière à faciliter l'adhésion du pays ami voisin aux organisations souhaitées. En ce qui nous concerne, il n'y a aucun empressement et cette question n’est pas notre principale source de préoccupation. C'est leur volonté et nous, nous soutenons cette volonté. Afin d'y parvenir, ils doivent remplir certaines conditions. Chaque fois que nous négocions, nous sommes d'accord sur ce point et, par la suite, certains milieux disent que cela n'est probablement pas nécessaire et que nous devons peut-être suivre une autre procédure. Ce n'est pas sérieux. C'est pourquoi j'avais dit que nous devions respecter ce qui a été convenu. Il ne sert à rien dans une négociation de se mettre d'accord sur un point donné et par la suite annuler ce qui a été convenu et se mettre de nouveau à négocier. Cela est une négociation pour la négociation. Nous voulons résoudre le problème et c'est pourquoi chaque point convenu dans la négociation est considéré comme acquis.
JOURNALISTE : Le changement de l’appellation constitutionnelle est-elle une ligne rouge pour le gouvernement grec ?
Ν. KOTZIAS : Le changement de l’appellation constitutionnelle de l’ARYM est une occasion de faire correspondre les accords internationaux que conclura ce pays avec sa Constitution, car plus tard d’autres puissances pourraient accuser les dirigeants actuels d’avoir violé la Constitution, en concluant un accord international avec nous.
JOURNALISTE : Le nom sera-t-il inclus dans la révision constitutionnelle ?
Ν. KOTZIAS : Je pense qu’il devrait l’être.
JOURNALISTE : Les références irrédentistes dans la Constitution de l’ARYM, dans le préambule et dans certains articles, ainsi que tout ce qui est prévu pour la procédure de modification montrent clairement que même si un accord est atteint, son application sera complexe. Compte tenu du fait qu’une majorité de 2/3 au Parlement est requise, majorité dont M. Zaev ne dispose pas, comment cela se fera-t-il?
Ν. KOTZIAS : M. Zaev dispose d’assez de majorité pour pouvoir ratifier un accord international. Les changements constitutionnels se feront en temps utile.
JOURNALISTE : M. Zaev prépare le terrain pour la tenue d’un référendum. Est-ce que le gouvernement grec continue d’exclure une telle éventualité ?
Ν. KOTZIAS : Le gouvernement grec a assumé la responsabilité de déclarer publiquement qu’il souhaite le changement de nom, que ce nom sera un nom composé pour tous les usages avec un déterminatif précis et nous avons dit publiquement que cette appellation comprendra le terme « Macédoine ». Autrement dit, nous avons fait notre travail. S’agissant de cette appellation composée, j’attends encore que Skopje dise, enfin, publiquement quel sera l’adjectif devant le substantif et qu’il le décrive à sa population. De notre côté, nous préparons, avec toutes les difficultés que cela implique, l’opinion publique. L’autre partie ne fait pas la même préparation, à ce que je vois, et cela me préoccupe vivement aujourd’hui.
La deuxième chose que j’aimerais dire est qu’en Grèce je vois un paradoxe : depuis 25 ans tout le monde a accepté que le terme « Macédoine » soit inclus dans l’appellation composée. Même l’appellation « ARYM », qui signifie « Ancienne République yougoslave de Macédoine », est, si on la qualifie du point de vue strictement juridique, un déterminatif composé qui inclut le terme « Macédoine » avec comme déterminatif temporel le mot « ancien ». Et tout le monde fait comme si le nom « Macédoine » n’existait pas dans cette appellation et que nous l’introduisons pour la première fois, comme si ce pays s’appelait « République centrale des Balkans » et nous, les méchants, voulons le nom « Macédoine ». Je suis extrêmement dérangé par le fait que ceux qui ont conclu des accords sur l’usage du nom « Macédoine » dans le passé et qui ont même proposé que seul le nom « Macédoine », non composé, soit à usage interne, sont ceux qui nous accusent d’avoir intégrer un terme que nous avons trouvé. Ou bien, en d’autres termes, nous n’allons pas au baptême d’un enfant auquel on va pour la première fois donner un nom. Nous allons à un mariage, nous allons conclure un accord avec un pays qui a été reconnu par 130 – 140 pays sous l’appellation incluant le terme « Macédoine ». Nous allons à un processus qui, selon ce qui a été convenu depuis l’accord intermédiaire, comprend le terme « Macédoine » et nous devons être pragmatique et faire en sorte que les deux parties sortent gagnantes.
JOURNALISTE : La partie grecque privilégie-t-elle le nom «Gorna Makedonija» ?
Ν. KOTZIAS : La partie grecque a devant elle toute une série d’appellations composées. Parmi toutes ces appellations, elle préfère celles qui ont une consonance slave mais ce dont nous conviendrons à la fin dépendra de la négociation. Et pour certains choix, la question est de savoir si, par la suite, nous nous mettons d’accord sur les critères du gouvernement de Skopje lui-même.
JOURNALISTE : Que répondez-vous à ceux qui soutiennent que M. Kamenos compte sur l’échec des négociations pour que la question n’ait pas besoin d’être soumise au Parlement ? Et à propos, M. Kamenos, commentant les manifestations a écrit que « c’était l’âme des Grecs que personne ne peut manquer de respecter » ?
Ν. KOTZIAS : Tout le monde respecte l’âme des Grecs. A savoir, maintenant, si l’âme des Grecs était présente à l’une des manifestations ou à l’autre, c’est une question dont nous pouvons débattre. Ce que je sais est que, au sein du gouvernement, il y a la majorité qui décide. Il y a le Premier ministre qui a la responsabilité avec le ministre des Affaires étrangères. Il est possible qu’un autre ministre, qui est d’ailleurs issu d’un parti autre que SYRIZA – auquel moi-même n’appartient pas – ait une opinion différente. Je me demande pourquoi on en fait toute une histoire. Je vais vous donner un exemple précis : prenez le Brexit et le parti conservateur de la Grande-Bretagne. Il y a des points de vue divergents sur le Brexit « hard » et « soft », « dur » ou « souple ». Boris Johnson n’est-il pas en désaccord avec Mme May ? N’est-il pas naturel qu’il y ait des points de vue différents au sein d’un gouvernement. Et s’il est tout à fait naturel qu’il y ait des points de vue différents au sein d’un gouvernement à un parti, il est encore plus naturel que cela soit le cas au sein d’un gouvernement à plusieurs partis. Je vous rappelle qu’en 1991-1992-1993 en Grèce, il y avait un parti, le parti de la Nouvelle Démocratie de M. Mitsotakis avec en son sein M. Samaras, qui avait des points de vue différents, et qui est parti, certes, mais il y avait aussi le trio Evert, Kanellopoulos et Dimas, qui avaient également des points de vue différents. Et c’est pourquoi M. Mitsotakis n’a pas osé assumer la responsabilité politique et conduire le pays vers un accord avec nos voisins du nord. Mais nous, au contraire, en dépit des difficultés, irons jusqu’au bout de ce devoir historique, encore faut-il que l’autre partie en fasse de même jusqu’à la fin. Car cela permet de garantir la meilleure croissance économique de la région, la paix et la stabilité dans la région et de développer nos relations économiques.
February 5, 2018