Interview du ministre délégué aux Affaires étrangères, G.Katrougalos sur News 24/7 - Propos recueillis par le journaliste V. Skouris

Interview du ministre délégué aux Affaires étrangères, G.Katrougalos sur News 24/7 - Propos recueillis par le journaliste V. Skouris Dans quelques jours, vous vous rendrez à Moscou en vue de participer à la Réunion interministérielle des deux pays. Qu’en attendez-vous Monsieur le ministre ?

La Grèce est un pays pacifique, qui exerce systématiquement une politique étrangère multidimensionnelle, fondée sur le respect et l’égalité entre les Etats. La Russie, quant à elle, est un pays avec lequel nous entretenons des relations traditionnelles amicales et partageons des traditions historiques et culturelles. D’ailleurs, cette année, nous fêtons le 190e anniversaire de nos relations diplomatiques. Lors de la réunion interministérielle, nous signerons des accords relatifs à la coopération économique et institutionnelle des deux pays et rechercherons des moyens de renforcer la coopération dans le secteur du commerce et des investissements.

La visite d’Alexis Tsipras et sa rencontre avec Vladimir Poutine peut-elle marquer un tournant dans la normalisation des relations entre les deux pays ? Dans quelles conditions ?

En effet, il y a eu quelques “nuages” dans nos relations traditionnellement bonnes. Notre réaction à l’époque n’était pas due à des différends en matière de politique étrangère, mais à des raisons ayant trait à la souveraineté de notre pays et au respect des règles diplomatiques. Car en fin de compte, les bons comptes font les bons amis. Mais tout cela appartient au passé. Maintenant, les deux dirigeants discuteront sur le fond, sur les pas à entreprendre en vue d’améliorer les relations entre les deux pays, notamment au niveau des relations économiques bilatérales et du contact des deux peuples. Nous réfléchissons à ce que 2019 soit l’année de la Culture Grèce – Russie.

Ces derniers temps, il semblerait qu’il existe en Turquie une surenchère en termes de nationalisme. D’ailleurs, un chef de parti a même déclaré que Chypre est turque. Est-ce que ce phénomène vous préoccupe ?

Le nationalisme a toujours eu une voix forte dans le pays ami. Il est important pour nous de ne pas nous engager sur cette voie dangereuse, non seulement au niveau de la politique du gouvernement, où la modération et la stabilité vont de soi, mais à tous les niveaux. L’extrémisme et l’intransigeance alimentent mutuellement les excès et polluent les sociétés. Notre pays a une politique étrangère constante basée sur le respect de la légalité internationale et pour cette raison nous n’avons aucun intérêt à surenchérir dans une polémique rhétorique. Cela n’est manifestement pas de la complaisance. Nous refusons toute tentative de révisionnisme et de création de faits accomplis et insistons sur la résolution des différends au moyen du dialogue.

Si les forages à Chypre sont entravés, que fera Athènes, M. le ministre ?

En ce qui concerne les relations des deux Etats, la justice ne suffit pas à elle seule, encore faut-il qu’elle soit appliquée. « Quel fléau que l’injustice qui a les armes à la main », dit Aristote dans Politique. Pour cette raison, la Grèce et la République de Chypre ont développé un effort diplomatique systématique et coordonné visant à soutenir les intérêts nationaux. Cet effort a porté ses fruits : tout d’abord, au niveau européen, où le Conseil européen a condamné les violations systématiques du droit international de la part de la Turquie et l’a invitée à respecter la légalité internationale. Une simple comparaison entre cette déclaration et celle d’après l’épisode d’Imia montre les réels progrès de notre diplomatie dans ce domaine. La diplomatie multilatérale que notre pays et Chypre ont développée, avec des modèles de coopération stratégique tripartites dans la région, avec l’Egypte et Israël par excellence, est tout aussi importante. Nous ne devons pas nous inquiéter de la provocation turque. Nous coordonnons nos actions avec Chypre afin que ses droits souverains ne soient pas menacés.

Il se peut que de nouvelles négociations commencent au début de l’année concernant Chypre. Avec quelles positions la Grèce viendra-t-elle à la table des négociations ?

Le principal point pour nous est de mettre en avant le fait que le problème chypriote est avant tout une question de respect du droit international et des résolutions de l’ONU. Sous cet angle, nous accordons une attention particulière à la sauvegarde de l’acquis de Crans Montana, autrement dit à l’abolition nécessaire du régime inadmissible des garanties et à la fin de la présence des forces armées étrangères sur l’île. Il va de soi que la République de Chypre est bien celle qui a son mot à dire sur les aspects intérieurs du problème.

La visite annoncée d’Alexis Tsipras à Ankara vise quel objectif ? Quels résultats pourrait-elle apporter ?

Nous voulons désamorcer les tensions, maintenir les voies de communication ouvertes qui avaient été rétablies suite à la visite d’Erdogan à Athènes et promouvoir dans la mesure du possible, en fonction de la volonté et de la réaction de l’autre partie, le dialogue entre nous.

La révision constitutionnelle en ARYM avance-t-elle normalement ? Est-ce qu’Athènes est préoccupée à ce sujet ?

Une très bon cadre de communication et de coopération avec l’autre partie a été rétabli, qui nous permet de suivre les évolutions. Je ne doute pas que nos voisins, tout comme nous, suivent l’esprit et la lettre de l’Accord de Prespès et cela se reflètera fidèlement et sera appliqué dans la révision de la constitution qui est en cours.

Des cadres de partis de l’opposition, comme par exemple le chef du parti “POTAMI”, estiment que l’accord, une fois « adopté » par Skopje, ne sera pas ratifié par le parlement grec actuel. D’autres notent que l’accord ne recueillera pas la majorité requise. Un commentaire à ce sujet…

J’ai dès le début déclaré que je n’avais pas le moindre doute au sujet de la ratification de l’Accord.

Athènes, M. le ministre, se positionne-elle en faveur de la création d’une vraie armée européenne ? Pensez-vous qu’une telle chose soit possible ?

Il est important que l’Europe renforce son autonomie en matière de défense. Qu’elle puisse protéger de manière efficace ses citoyens et ses frontières. Le Traité comprend une disposition, celle de l’article 42 par. 7, similaire à celle de l’article 5 du Traité de l’OTAN, qui apporte la base juridique nécessaire à cela. Il ne reste plus que la volonté politique afin que la souveraineté européenne acquière un sens, avec celui que je viens de donner un peu plus haut, autrement dit celui de la garantie commune du territoire des Etats membres en tant que territoire de l’Union.

Le 13 décembre vous rencontrerez votre homologue américain sur le dialogue stratégique USA – Grèce. De quoi allez-vous convenir ? Quel sera l’agenda ?

La revalorisation des discussions avec les Etats-Unis au niveau du dialogue stratégique reflète la mise en avant de notre pays en tant que facteur de stabilité et de promotion des solutions dans la région ainsi que le progrès important de nos relations bilatérales. La récente Foire de Thessalonique, avec comme pays d’honneur les Etats-Unis, a eu un succès sans précédent et a permis de donner une impulsion aux affaires économiques bilatérales. Le dialogue stratégique s’étend à ces deux champs : d’une part la mise en valeur de notre pays comme prestataire de sécurité dans une région particulièrement troublée. D’autre part, la promotion des intérêts économiques mutuels, tant pour ce qui est de l’accueil des investissements américains, que pour ce qui est de la valorisation de la Grèce en tant que porte de synergies économiques dans la région élargie des Balkans.

Qu’allez-vous faire avec la ZEE dans la mer ionienne ?

Comme l’a déjà annoncé le Premier ministre, après la séance d’information aux autres partis et un débat public substantiel, nous allons promouvoir au moyen d’une loi l’extension de notre mer territoriale dans la mer Ionienne, comme nous en avons le droit souverain inaliénable reconnu par la Convention sur le Droit de la Mer.

Enfin, j’aimerais votre commentaire sur Nikos Kotzias et son mandat au ministère des affaires étrangères…

J’estime – et je ne suis pas le seul à le penser– qu’il était l’un des meilleurs ministres des Affaires étrangères pendant la période de la transition de la dictature à la démocratie, avec une conception stratégique bien claire et des capacités de négociation très rares. Il a marqué de son empreinte l’Accord de Prespès et, en dépit de l’issue malheureuse de la négociation, s’agissant de la question chypriote également, il a mis en avant les priorités nationales, à la lumière du droit international.

November 26, 2018