JOURNALISTE : Νous allons nous entretenir avec le ministre délégué aux Affaires étrangères en charge des Affaires européennes, M. Giorgos Katrougalos. Bonjour M. le ministre.
G. KATROUGALOS : Bonjour à tous nos auditeurs.
JOURNALISTE : Quel est l’objectif principal du Sommet euro-arabe ?
G. KATROUGALOS : Nous avons mis en œuvre une série d’initiatives multipartites de notre diplomatie internationale ces derniers temps sur la scène internationale. Vous savez que le Premier ministre par exemple a mis en œuvre une initiative portant sur la rencontre des 7 leaders du Sud européen, au niveau des ministres des Affaires étrangères nous avons la Conférence de Rhodes qui entend mettre sur pied un système de stabilité et de sécurité dans la région du Moyen-Orient avec plus de 24 pays. Dans le cadre de la diplomatie économique, l’une des initiatives majeures que nous avons entreprise et qui, comme vous l’avez mentionné à juste titre, en est à sa 3e année, est la réunion de haut niveau des dirigeants de l’Union européenne et des pays arabes.
Cela est fait au plus haut niveau, avec la participation de Présidents de la République, comme le Président de Chypre, de Premiers ministres également des pays arabes. L’objectif est double : d’un côté créer le bon cadre de la coopération politique – et la présence d’un si grand nombre de dirigeants importants prouve que nous avons réussi – et les contacts entre les milieux entrepreneuriaux des pays arabes et européens. Nous avons eu 800 participants. Je pense donc qu’il s’agit d’une initiative réussie à plusieurs égards.
JOURNALISTE : Un grand nombre. On peut parler de 800 sociétés, autrement dit des représentants de sociétés, d’hommes d’affaires, c’est ce que vous voulez dire ?
G. KATROUGALOS : 800 provenant de la société privée des entreprises.
JOURNALISTE : D’éminents acteurs économiques je dirais.
G. KATROUGALOS : C’est exact.
JOURNALISTE : Cela montre pour le moins que la Grèce demeure un pont d’amitié et de stabilité en Méditerranée.
G. KATROUGALOS : Cela est incontestable. La position internationale de notre pays a été revalorisée, tout au long de notre gouvernance. Imaginez que le président des Etats-Unis a choisi la Grèce pour sa dernière visite d’Etat et le Président de la République française pour sa première visite d’Etat. Cela étant dit, la Grèce n’a jamais été une puissance coloniale. Elle avait une diaspora dans les pays arabes du Proche et Moyen Orient et n’avait pas le caractère de puissance dirigeante auprès des sociétés locales, mais de coexistence.
Tout cela, associé à l’élément traditionnel immuable de notre politique étrangère avec les initiatives que nous avons entreprises, nous permet de nous distinguer en tant que pays qui résout les problèmes dans notre région. Le cas de Prespès est caractéristique au niveau bilatéral, simplement j’aimerais que les auditeurs sachent qu’il en va de même au niveau multilatéral.
JOURNALISTE : J’ai entendu le Premier ministre dire hier que si la Grèce se rapproche en tant que puissance européenne, autrement dit si elle rapproche l’Europe du monde arabe, il sera possible de revaloriser le rôle géostratégique de notre pays, de réaliser des objectifs économiques et d’importants résultats.
J’ai vu que de grands acteurs économiques ont participé et j’ai entendu le Premier ministre parler de certains projets d’infrastructure très importants, des gazoducs par exemple, et dire que la Grèce pouvait devenir une plaque tournante énergétique, etc. et donc dans le cadre de ce sommet quelles questions de ce type – qui permettraient au pays de devenir une plaque-tournante énergétique en puissance – pourraient faire l’objet de discussions ?
Je pose la question pour que le public ait un aperçu global des aspirations économiques.
G. KATROUGALOS : S’agissant de savoir quels pipelines passeront par la Grèce, cette question fait d’ores et déjà l’objet d’accords internationaux. Nous nous trouvons en ce moment dans la phase d’exécution et nous voulons que les sociétés grecques y participent. Et ce, par le biais de partenariats car il faut le dire en raison de la crise et de l’impact de nos sociétés sur les liquidités, celles-ci peuvent difficilement investir d’importantes sommes d’argent par elles-mêmes.
Notre objectif est donc de raviver leur présence toujours marquée dans le monde arabe, avec d’un côté celles qui peuvent avoir une présence autonome et de premier plan – et ces entreprises existent – et de l’autre celles qui participent à des partenariats.
Mais les systèmes sont très complexes. Je vais vous donner un exemple concernant le tourisme. Il y a une réflexion en ce moment avec le Liban – et les ministères du tourisme compétents y travaillent d’ores et déjà – portant sur la création d’une Route des Phéniciens. A l’instar de la Route de la soie sur l’initiative de la Chine, pour des raisons touristiques, cela peut être une croisière, il peut y avoir d’autres choses qui mettent en avant la culture et les beautés naturelles ou les synergies entre nous, au Liban, en Tunisie, dans ces pays où les Phéniciens avaient une présence coloniale parallèlement aux Grecs. Plusieurs idées ont été mises sur la table, elles font l’objet de discussion et le principal débat porte toujours sur leur mise en œuvre.
JOURNALISTE : Très juste. Monsieur le ministre, changeons un peu de sujet. Que pensez-vous du décès de notre compatriote. L’Etat grec, après les démarches accomplies, a-t-il tiré des conclusions sur cette affaire, sur ce qui s’est passé exactement ?
G. KATROUGALOS : Non, une enquête est en cours. Nous avons dès le début dit, en tant que ministère des Affaires étrangères, que nous devons faire la lumière sur cette affaire, connaître les faits exacts et notamment si le principe de proportionnalité a été respecté dès le début, si le décès était inévitable et si la police a pris toutes les mesures qui s’imposaient. Si c’était la priorité première. L’une de nos priorités est la défense des droits des Grecs de l’étranger. C’est l’une des principales missions du ministère des Affaires étrangères. Par ailleurs, nous avons également à cœur d’empêcher que cet incident n’influe sur les relations entre les deux pays. Et cela ne doit pas être fait au détriment des deux premiers points qui sont une priorité. Je veux dire par-là empêcher une rhétorique – bien entendu cela doit se faire des deux côtés, selon le principe de la réciprocité – qui puisse entraver les bonnes relations entre les deux pays.
JOURNALISTE : J’aimerais m’en tenir à deux points et vous demander de les commenter. Tout d’abord, le Premier ministre albanais s’est empressé de le taxer d’ « extrémisme », sans tenir compte du fait qu’une vie humaine a été perdue et je vois aussi la réaction du ministère albanais des Affaires étrangères qui se dit déçu de la réaction du ministère grec des Affaires étrangères – comme l’indique le communiqué – qui non seulement n’a pas condamné l’attaque armée perpétrée contre les forces de l’ordre, mais parle de pertes inacceptables de la vie. Une telle réaction, une telle position aident-elles ?
G. KATROUGALOS : Comme je l’ai souligné tout à l’heure, il faudra que les deux parties baissent le ton, qu’elles servent l’intérêt national de leurs pays sans recourir à des formulations extrêmes. Je pense que ma réponse est suffisante.
JOURNALISTE : Je comprends bien que le plus important est d’enquêter sur ce qui s’est passé en Albanie afin que nous puissions avoir un aperçu plus clair de la situation et tirer nos conclusions calmement. Toutefois, j’aimerais poser la question suivante : Etant donné que des questions peuvent surgir par rapport à cette affaire, des questions pouvant concerner notre pays, à savoir par exemple qu’est-ce qui a motivé cette personne de partir de Giannena pour se rendre dans son village d’origine armée d’une kalachnikov. Y a-t-il des recherches dans ce sens, dans notre pays, afin que nous essayions de voir ce qui s’est réellement passé ?
G. KATROUGALOS : Bien entendu. Des actions ont été entreprises au niveau policier et aussi judiciaire. Au niveau des chefs de police tout d’abord, nous avons eu une communication dès le premier jour de l’incident, une demande d’entraide judiciaire a été soumise de part et d’autre et d’après ce que je sais, le Parquet de Ioannina procède aux investigations dans le sens que vous venez de dire. Nous voulons donc faire toute la lumière sur cette affaire mais aussi sur ce qui a motivé cet acte.
JOURNALISTE : J’imagine que vous allez devoir aller, dans peu de temps, à la réunion du groupe parlementaire…
G. KATROUGALOS : Ce qui est un événement important…
JOURNALISTE : Oui, mais comme la révision constitutionnelle sera au cœur des débats et que vous êtes spécialiste en la matière M. Katrougalos, pensez-vous qu’un consensus sera atteint pour faire les changements requis ?
G. KATROUGALOS : La révision constitutionnelle implique des consensus et des conflits. Il y a des consensus sur des questions étant arrivées à maturité, comme par exemple la fin de l’immunité parlementaire que tout le monde demande. Si vous regardez les propositions soumises par la Nouvelle Démocratie en 2014, où le mouvement pour le changement (KINAL) était absent, certains d’entre eux – la moitié environ – reflètent des demandes plus que mures du même ordre. Il y en a d’autres, comme la nécessité de contrecarrer le néolibéralisme, où un abîme nous sépare, car ce sont des enjeux de la confrontation politique. Nous avons engagé le dialogue très tôt avec la décision du Premier ministre de commencer un processus de discussion et de consultation en 2016. Et vraiment je suis impressionné par la décision que semblent avoir pris les partis de l’opposition, du moins le parti de l’opposition, de ne pas participer. Il semblerait que ce soit essentiellement une tentative de ne pas avoir de mot à dire dans quelque chose qui représente le couronnement de l’effort de réforme dans ce pays. Non pas que je sois spécialement surpris, non seulement parce que la politique de la Nouvelle Démocratie est nulle, mais aussi parce qu’elle n’a pas fait les réformes quand elle pouvait les faire, même les réformes neutres, comme le cadastre ou les cartes forestières.
JOURNALISTE : Je comprends qu’il y a des questions par exemple qui non seulement symbolisent et concernent, quant au fond, le conflit idéologique, central entre le gouvernement et l’opposition, comme par exemple la défense du caractère public des universités. Je comprends que l’essentiel, dans une révision constitutionnelle, est de trouver ce chiffre, ce consensus qui déterminera le chiffre qui fera en sorte que tout cela possible.
G. KATROUGALOS : Mais prenez les choses dans l’autre sens et regardez ce que tout cela empêchera. En ne consentant pas à ce que ces choses qui sont considérées comme des aspects emblématiques du néolibéralisme ne soient pas inclues dans la révision, comme l’abolition du caractère permanent des fonctionnaires, l’abolition de l’article 106 de la Constitution qui permet à l’Etat d’intervenir en vue de réduire les inégalités, la question des universités privées essentiellement. En fait nous empêchons leur révision pendant 10 ans, puisque notre Constitution prévoit que cette même révision ne peut commencer avant qu’un délai de 5 ans ne se soit écoulé.
Donc, au-delà de l’agenda social que nous devons promouvoir et pour lequel il existe à notre sens le consensus nécessaire, ce que nous faisons, en empêchant ce que nous considérons comme étant de mauvaises réformes institutionnelles, est également un « plus ».
JOURNALISTE : Vous avez très probablement vu où je voulais en venir. Ce que je me préparais à vous demander est que la séparation entre l’Eglise et l’Etat est une question immuable que pose la gauche en Grèce ; il est particulièrement difficile de trouver le consensus parlementaire et social pour faire avancer la question.
G. KATROUGALOS : Tout dépend de la façon dont cela va se passer. Je pense que tout cela est arrivé à maturité. C’est une demande qui concerne non seulement l’Etat – un Etat européen doit être caractérisé par une neutralité religieuse – mais aussi l’Eglise. Autrement dit, j’ai du mal à comprendre pourquoi le contrôle de l’Etat exercé sur les procédures purement ecclésiastiques devrait satisfaire l’Eglise.
JOURNALISTE : Certes. Mais peut-être que le paiement des salaires du clergé satisfait l’Eglise.
G. KATROUGALOS : C’est une question complexe ayant des origines historiques et que nous n’avons pas l’intention de renverser car cela créerait avant tout un grand problème social à ceux qui ne sont pas privilégiés. Il y a tout un débat à ce sujet. Je dirais que la Gauche en Grèce, contrairement à d’autres pays du sud européen comme la France ou l’Espagne, n’avait pas une tradition anticléricale. Parce que l’Eglise est en réalité une création de l’Etat, ce n’est pas comme l’Eglise catholique qui était une rivale de l’Etat et par excellence une institution reflétant les points de vue conservateurs et réactionnaires, mais parce que le clergé lui-même était divisé à des moments cruciaux de notre Histoire. Autrement dit, pendant la période de la Résistance, l’un des «Mavroskoufides» (bérets noirs) d’Aris Velouchiotis était Papanikopoulos.
JOURNALISTE : Je suis originaire de ces villages, je le sais personnellement, M. Katrougalos.
G. KATROUGALOS : Dans le « gouvernement de la montagne » à Koryschades, je me souviens qu’il avait choisi les trois métropolites pour la cérémonie de bénédiction. Par conséquent, alors que nous voudrions, pour des raisons évidentes historiques, avoir une séparation entre l’Eglise et l’Etat, nous n’avons pas de front contre l’Eglise.
JOURNALISTE : Nous vous remercions M. le ministre.
G. KATROUGALOS : Merci à vous aussi.
October 30, 2018