Propos recueillis par le journaliste Apostolos Chondropoulos
JOURNALISTE : Monsieur le Ministre, que signifie la visite du Premier ministre aux Etats-Unis et la rencontre avec le Président américain Joe Biden et quelles sont les attentes de notre pays ? La rencontre à la Maison Blanche aura lieu à un moment où la Turquie se montre de plus en plus provocante. Quel est le message du gouvernement grec aux responsables politiques américains sur cette question et à quoi attribuez-vous cette escalade à un moment où l'ambiance positive dans laquelle s’est déroulée la rencontre Mitsotakis-Erdogan avait créé des attentes pour un apaisement de tensions et un été calme ?
N. DENDIAS : Je ne vais pas anticiper les résultats de la visite du Premier ministre aux États-Unis. Mais je soulignerai qu'il s'agit d'une visite très importante à un moment très grave, compte tenu des développements dramatiques dans notre région et du rôle que la Grèce est appelée à jouer en raison de sa position géostratégique, mais aussi de sa contribution à la promotion de principes et de valeurs communs.
La revalorisation du rôle d'Alexandroupolis, tant dans le secteur énergétique, avec le début de la construction d'une unité flottante de gazéification, qu'en ce qui concerne le port de la ville, par lequel des forces armées sont acheminées vers d'autres pays de l'OTAN, souligne l'importance que revêt la modification de l'accord de coopération en matière de défense mutuelle, que j'ai signé en octobre dernier et qui a été ratifié par le Parlement il y a quelques jours.
Le discours du Premier ministre Kyriakos Mitsotakis devant une session conjointe du Congrès, un privilège accordé pour la première fois à un Premier ministre grec, est sans aucun doute un moment historique dans les relations entre la Grèce et les États-Unis.
Il s'agit d'un geste symbolique important du côté américain, qui vise à souligner l’unanimité d’Athènes et de Washington dans le domaine des valeurs et des perceptions.
Elle est considérée à juste titre comme la visite la plus importante d'un Premier ministre grec au cours de ces dernières années. Bien évidemment, je participerai à la rencontre du Premier ministre avec le Président américain.
Parallèlement, je devrais avoir des rencontres séparées avec mon homologue américain Antony Blinken, avec lequel je me suis entretenu il y a quelques jours dans le cadre du dialogue « 3+1 », ainsi qu'avec l'ancien Secrétaire d'État et envoyé spécial du président américain pour le changement climatique, John Kerry.
Avec M. Kerry notamment, nous devrions annoncer une initiative conjointe pour la protection des mers, fondée sur le respect du droit international de la mer et sur l'intérêt pratique et continu du gouvernement grec pour l'environnement.
En ce qui concerne nos relations avec la Turquie, le message est intemporel et clair : nous sommes en faveur d'un dialogue constructif fondé sur le droit international et en particulier sur le droit de la mer.
Les violations de la souveraineté nationale, des droits souverains, la répétition constante de la menace du recours à la force et le révisionnisme n'ont pas leur place dans ces relations. Ces pratiques ne sont pas seulement inacceptables, elles sont condamnables. Et elles sapent certainement la cohésion de l'OTAN à un moment critique.
JOURNALISTE : Comme vous l'avez dit à la conférence de la Nouvelle Démocratie, notre pays a signé plus de 200 accords bilatéraux et multilatéraux sous ce gouvernement. Qu'est-ce que cela signifie pour les alliances du pays et quelles sont les prochaines étapes dans cette direction ?
N. DENDIAS : Le gouvernement de Kyriakos Mitsotakis, dans un environnement international extrêmement défavorable et complexe, a conclu, avec sérieux et responsabilité, une nombreuse série d'accords politiques, diplomatiques et de défense. Parmi ceux-ci figurent des accords de la plus haute importance, puisque des objectifs vieux de plusieurs décennies ont été atteints, comme les accords avec l'Italie et l'Égypte.
Et bien sûr, en plus des accords avec les États-Unis, je voudrais rappeler les accords comportant une clause d'assistance mutuelle que nous avons signés d'abord avec les Émirats arabes unis et ensuite avec la France. Dans le même temps, nous avons également établi un large cadre de coopération avec d'autres pays sur presque tous les continents.
Pour moi, cela signifie quelque chose de simple. La Grèce a élargi ses horizons. Elle a cessé de mener une politique étrangère d’envergure limitée « centrée sur la Turquie ».
Nous ne sommes pas un pays de la périphérie des Balkans. Nous sommes au centre des développements internationaux. Il est désormais clair que la Grèce a un rôle et une voix à faire entendre. Nous avons laissé derrière nous les limitations qui nous ont marqués pendant des décennies et nous forgeons méthodiquement des partenariats et des alliances dans toutes les régions géographiques du monde, au-delà de l'Europe.
Cela est aussi attesté par le soutien massif à notre candidature à un siège au Conseil de sécurité des Nations unies. Plus de 100 Etats membres de l’ONU soutiennent notre candidature.
Nous jetons également les bases pour déposer d’autres candidatures au Conseil des droits de l'homme en 2027-28 et à la présidence de l'Assemblée générale en 2035. Nous nous sentons fiers et justifiés dans notre politique étrangère.
JOURNALISTE : Dans quelle mesure craignez-vous que les effets de la guerre dans le secteur de l'énergie ne finissent par mettre à l'épreuve la cohésion de l'UE, étant donné les différences d'approches et la lenteur des réflexes en termes de prise de décisions communes pour soutenir les sociétés européennes ? Et dans quelle mesure êtes-vous inquiet de la possibilité que les effets de la guerre, et surtout la hausse des prix, puissent conduire à une nouvelle montée de populisme en Europe ?
N. DENDIAS : L'invasion de la Russie et la guerre en cours en Ukraine ont créé des circonstances nouvelles, et je dirais même sans précédent, pour les pays d'Europe et dans le secteur de l'énergie.
Jusqu'à présent, l'UE a pris des décisions sur cinq trains de sanctions contre la Russie. Comme vous pouvez le constater, la concertation entre les États membres n'est pas facile car tous les pays ne sont pas dépendants du pétrole russe de la même manière ou au même degré. Il faut également garder à l'esprit que le coût déjà élevé de l'énergie a provoqué des difficultés et des pressions inflationnistes sur les sociétés et les économies européennes.
Ce n'est certainement pas une décision facile à prendre. Tant les gouvernements que les sociétés européennes sont sous pression. Cependant, nous nous trouvons à un tournant pour l'UE, où nous devons trouver un équilibre entre, d'une part, le renforcement de son unité et de sa détermination à défendre ses principes et ses valeurs et, d'autre part, le souci de consolider la sécurité énergétique des citoyens.
Je suis convaincu que, comme avec la pandémie, l'UE et les États membres se montreront à la hauteur des circonstances et qu'une solution sera trouvée, qui ne laissera aucun citoyen sans protection.
JOURNALISTE : Il y a quelques jours, le Parlement a également ratifié l’accord de coopération en matière de défense avec les Etats-Unis et tous les partis politiques ont pris une position claire à ce sujet. Que pensez-vous de ce débat et que signifie cette coopération dans la nouvelle situation géopolitique actuelle, après l'invasion russe de l'Ukraine ?
N. DENDIAS : Tout d'abord, M. Chondropoulos, je voudrais souligner qu'au cours des trois dernières années, la coopération stratégique de notre pays avec les États-Unis a été renforcée à un degré sans précédent.
En particulier, en ce qui concerne le deuxième amendement à l'accord de coopération en matière de défense mutuelle entre la Grèce et les États-Unis (MDCA), celui-ci reflète dans un cadre juridique la volonté des deux pays d'approfondir encore leurs liens historiques d'amitié et leur relation de coopération de longue date.
Les États-Unis ont choisi la Grèce pour cet investissement dans la défense, confirmant ainsi le rôle stratégique et stabilisateur important du pays dans la région plus élargie, qui plus est, à un moment où l'Indo-Pacifique était le centre de leur attention.
Pour notre part, notre position est claire en termes d'intérêt national : nous voulons la présence militaire américaine dans le pays, avec l'objectif ultime de tirer parti de cette coopération au profit de la Grèce, au profit du peuple grec.
À ce stade, permettez-moi de répéter que cet accord est purement défensif, il n'est pas dirigé contre une quelconque tierce partie. Il renforce encore la défense de notre pays contre les menaces extérieures.
Toutefois, le contenu de la relation stratégique de notre pays avec les États-Unis n'est pas exclusivement reflété dans l'accord MDCA.
Il se reflète également dans la lettre du Secrétaire d'État américain, Antony Blinken, au Premier ministre, qui accompagne ce protocole d'amendement, ainsi que dans la loi sur la défense et le partenariat interparlementaire entre les États-Unis et la Grèce, qui a été adoptée par le Congrès en 2021 et qui prévoit, entre autres, la mise à disposition d'équipement, des prêts, des financements pour la formation, la participation au programme F-35, le remplacement d'équipements et la coopération dans le cadre du groupe « 3+1 ».
JOURNALISTE : Comment pensez-vous que l'impact énergétique de la guerre en Ukraine affecte la stratégie pour les énergies renouvelables et plus largement pour la lutte contre la crise climatique ? Cela pourrait-il conduire à des changements ?
N. DENDIAS : Déjà, les problèmes auxquels nous sommes confrontés aujourd'hui, en tant qu'Europe, en raison de notre dépendance à l'égard de l'énergie russe, nous montrent une voie à suivre, celle d'assurer la diversification des approvisionnements et de façonner une nouvelle carte énergétique européenne, dans une perspective à long terme.
À cette fin, en Grèce, nous travaillons déjà intensivement à l'établissement de nouveaux partenariats dans le secteur de l'énergie avec des pays tels qu'Israël, l'Égypte et, bien sûr, Chypre.
Permettez-moi de rappeler le projet portant sur l'Interconnecteur Euro-Asie (interconnexion électrique entre la Grèce, Chypre et Israël), celui de l'interconnexion électrique entre la Grèce et l'Égypte, les unités de gaz naturel liquéfié à Revithoussa, le terminal flottant en cours de construction à Alexandroupolis et, bien sûr, les gazoducs tels que l'IGB, qui devrait entrer en service dans quelques mois, ainsi que l'East Med.
Dans le même temps, la stratégie de transition complète vers les énergies propres est une priorité essentielle du gouvernement Mitsotakis et cela ne change pas.
Le gouvernement Mitsotakis est, en ce sens, un « gouvernement vert ». Nous comprenons les difficultés de la situation actuelle et nous nous y adaptons. C'est pourquoi nous avons autorisé une augmentation de la production de lignite pour les deux prochaines années, afin de réduire la dépendance au gaz naturel.
Il s'agit toutefois d'une mesure temporaire, car l'objectif d'une réduction de 55 % des émissions d'ici à 2030 reste en vigueur.
L'ambition du gouvernement Mitsotakis est de faire de la Grèce un leader dans le développement de l'énergie verte, ce qui conduira également à l'application de nouvelles technologies et à la création de nouveaux emplois, revitalisant ainsi la périphérie du pays.
Outre l'empreinte environnementale faible, voire nulle, des énergies renouvelables, leur développement est également l'une des voies sûres vers l'indépendance énergétique de notre pays à moyen et long terme, avec les conséquences géopolitiques que cela implique.
JOURNALISTE : Vous avez dit que l'invasion russe de l'Ukraine a changé le monde. Selon vous, quelles seront les caractéristiques du jour d’après et dans quelle mesure est-il réaliste de penser, compte tenu des circonstances actuelles, que cette guerre prendra bientôt fin ? Voyez-vous des « fenêtres » ouvertes pour la diplomatie ?
N. DENDIAS : En ce moment, toute prédiction sur la date de fin de la guerre est extrêmement risquée. Évidemment, nous souhaitons tous une solution diplomatique qui respecte les principes fondamentaux du droit international, tels que l'indépendance et l'intégrité territoriale de l'Ukraine.
En tout cas, les scènes d'horreur que nous voyons tous et que nous condamnons tous aggravent inévitablement le climat. La perpétration éventuelle de crimes de guerre dans l'ensemble du pays, y compris dans les zones où vit la communauté grecque, doit faire l'objet d'une enquête.
Tel sera le message que je transmettrai à mes interlocuteurs de la Cour pénale internationale de La Haye, que je visiterai dans quelques jours.
Maintenant, en ce qui concerne le jour d’après. Quels que soient les développements, il ne fait aucun doute que l'invasion russe de l'Ukraine façonne une nouvelle réalité internationale.
La Russie a été confrontée à tous les pays démocratiques, mais aussi aux sociétés démocratiques, qui semblent se réveiller. Prenez la Finlande, par exemple. Il y a un an, moins de 20 % de la population était favorable à l'adhésion à l'OTAN. Aujourd'hui, ce chiffre est passé à 76 %.
Le message est clair : Des pratiques qui pouvaient être acceptables au XIXe siècle ou même pendant une partie du XXe siècle ne le sont plus.
Des concepts et des principes tels que le respect du droit international et des traités internationaux, le respect de l'intégrité territoriale et de la souveraineté des États, le règlement pacifique des différends, l'absence de recours à la force ou de menace de recours à la force, reviennent, de manière spectaculaire, au cœur des relations internationales, ce qui vient délégitimer tout récit révisionniste. Avec tout ce que cela signifie pour le monde entier, mais aussi pour notre région.
May 15, 2022