Propos recueillis par le journaliste K. Papachlimintzos
JOURNALISTE : Vous avez eu une petite aventure avec votre santé hier. Tout va bien maintenant ?
N. DENDIAS : Heureusement, il s'est avéré que ce n'était rien de grave. Il s'agissait d'un épisode d'hypotension orthostatique, qui était dû à mon insistance, malgré l'admonition contraire du saint abbé Alexios, du saint monastère de Xénophon, à assister à la Divine Liturgie debout à l'aube, alors que mon programme précédent était particulièrement chargé. Ce qui m'attriste, c'est que je n'ai pas poursuivi la visite des deux autres saints monastères comme je l'avais prévu. Mais j'espère le faire bientôt. Le plus important, cependant, n'est pas cette petite « aventure », mais le fait que j'ai découvert par moi-même au cours de ma visite que le Mont Athos est une arche de l'orthodoxie, que le gouvernement est déterminé à soutenir. L'importance géopolitique du soutien au Mont Athos est évidente, en outre, à une époque de bouleversements dans notre région plus élargie et en Europe de l'Est.
JOURNALISTE : Tayyip Erdogan continue de proférer des menaces contre notre pays, parlant tantôt d'une invasion, tantôt d'une attaque de missiles. Comment évaluez-vous ces menaces ?
N. DENDIAS : Ces derniers mois, la Grèce a été confrontée à une menace croissante de la part de la Turquie. Il semble donc raisonnable de se demander si cette méthode essentiellement constante consistant à inverser la réalité et à formuler des allégations non fondées est liée au contexte politique interne de la Turquie, dans la perspective des prochaines élections dans le pays, ou si elle est associée à un effort visant à satisfaire des ambitions géostratégiques plus larges. Permettez-moi de dire que je trouve inacceptable et impensable de faire de la politique en menaçant d'utiliser la force, surtout lorsque la menace est émise par un pays à l'encontre d'un de ses alliés. La Grèce a choisi de répondre à cette escalade verbale sans précédent de menaces avec calme et détermination. Comme je l'ai souligné à plusieurs reprises, les menaces ne nous dissuadent pas. Nous controns la menace de guerre par une argumentation solide, basée sur le droit international et le droit international de la mer. Les questions relatives à notre souveraineté nationale ne sont pas ouvertes à la discussion ou à la contestation. Quant à savoir si la recrudescence des intentions agressives de la Turquie est liée aux prochaines élections dans le pays voisin, la conjoncture joue certainement un rôle, mais je ne suis pas sûr que ce soit la seule raison. Par conséquent, comme le montrent toutes les démarches de la Grèce, nous ne sommes pas complaisants.
JOURNALISTE : Existe-t-il un canal de communication ouvert entre Athènes et Ankara et à quel niveau ? Avez-vous des attentes raisonnables quant à la reprise d'un dialogue significatif entre les deux parties et avec quel ordre du jour ?
N. DENDIAS : Nous sommes voisins de la Turquie et, comme avec tous nos voisins, c'est une bonne chose que nous puissions résoudre nos différends de manière pacifique. Notre gouvernement, le Premier ministre et moi-même avons souligné qu'un dialogue constructif avec la Turquie est toujours souhaitable, à une condition incontournable : qu'il soit mené sur la base du respect du droit international et du droit de la mer sur le seul différend que nous avons, la délimitation du plateau continental et de la ZEE en mer Égée et en Méditerranée du Sud-Est. Cependant, depuis une période longue, d’une durée sans précédent, la Turquie sape le climat qui serait nécessaire comme condition préalable à l'ouverture d'un dialogue, en formulant des revendications inacceptables, en remettant même en cause la souveraineté de nos îles et en proférant un crescendo de menaces contre notre pays. En utilisant un langage impensable et souvent insultant, elle ne fait pas que saper toute possibilité d’entente, mais empoisonne en même temps les relations entre les deux peuples. À ce stade et compte tenu de la période électorale en Turquie, à laquelle j'ai fait référence précédemment, je ne suis pas optimiste quant à la possibilité de renverser cette situation. Cependant, il est important, même dans ces circonstances, ou plutôt, à cause de ces circonstances, que nous puissions nous parler à un certain niveau pour éviter des situations désagréables. Pour notre part, nous continuons à déconstruire calmement et sobrement les considérations et les revendications turques, sans nous impliquer dans des disputes et des caractérisations personnelles, en espérant toujours qu'à un moment donné, l'autre partie procédera au « dépassement » nécessaire pour parvenir à un accord sur la base du droit international et du droit de la mer.
JOURNALISTE : Comment jugez-vous l'attitude de nos partenaires et alliés de l'UE et de l'OTAN face au comportement d'Ankara ?
N.DENDIAS : Je pense qu'aujourd'hui, nos partenaires de l'UE comprennent parfaitement les enjeux et condamnent la rhétorique menaçante d'Ankara, tant verbalement que par écrit, avec des déclarations qui commentent de manière absolument négative et condamnent catégoriquement l'attitude du voisin dans son ensemble. En ce qui concerne l'OTAN, au niveau des États membres, il en va de même dans une large mesure, mais on sait bien que nous souhaiterions que les positions du Secrétaire général soient plus claires et sans équivoque. Permettez-moi de vous rappeler que dans le rapport de l'UE sur les progrès de la Turquie d'octobre dernier, ainsi que dans les conclusions du Conseil de l'élargissement d'il y a quelques jours, il y a, entre autres, une référence claire aux survols des îles grecques et aux menaces rhétoriques directes contre la souveraineté grecque. Dans le même temps, on ne peut négliger les sanctions que les États-Unis ont imposées à la Turquie concernant l'achat et le renouvellement d'équipements militaires. Ni les fréquentes interventions du porte-parole du State Department en réponse aux questions sur le comportement provocateur turc à l'égard de la Grèce. Pour notre part, la campagne concertée visant à internationaliser les provocations turques porte ses fruits. Il s'agit bien entendu d'un effort permanent, que nous poursuivrons de manière encore plus intensive et ciblée. Je dois cependant admettre que ces derniers temps, le plus souvent, les déclarations absolument inacceptables des hauts fonctionnaires turcs ont rendu notre travail évident, en ce sens qu'il n’est même pas nécessaire d’émettre des commentaires supplémentaires.
JOURNALISTE : Quand le compromis avec l'Albanie pour saisir la Cour internationale de La Haye de la question relative à la délimitation de la ZEE sera-t-il signé ?
N. DENDIAS : Lors de la rencontre que j'ai eue avec mon homologue albanaise il y a quelques jours, l'ordre du jour était important : Les relations bilatérales, la coopération dans des domaines tels que l'énergie, qui a acquis une nouvelle importance et un nouvel élan après la guerre en Ukraine, et, bien sûr, la question majeure concernant le point en suspens dans les relations bilatérales, la délimitation des zones maritimes. Au cours de notre rencontre, il a été établi qu'il existe une volonté commune de faire avancer les négociations, dans le cadre de l'accord politique de principe qui a été obtenu, pour soumettre ce différend à La Haye par le biais d'un compromis. Nous pensons que nous approchons du moment où nous signerons le compromis pertinent (sur la délimitation des zones maritimes). Dans un esprit de coopération avec le gouvernement albanais, cette question peut être et sera résolue. En outre, comme l'a déclaré le Premier ministre Mitsotakis, la Grèce a prouvé qu'elle cherchait à résoudre ces questions en suspens conformément au droit international, et c'est ce que nous ferons également dans ce cas. Ce que nous disons à nos voisins albanais, c'est tout d'abord que les relations entre les deux peuples, le grec et l'albanais, sont extrêmement importantes parce qu'elles sont basées sur notre longue coexistence. Et deuxièmement, que l'Albanie a choisi l'Europe - à juste titre - et que son chemin européen, que nous soutenons, passe par Athènes et par les relations de bon voisinage avec la Grèce.
JOURNALISTE : La Turquie établit une base permanente en Libye, entreprend l'exploration d'hydrocarbures et cosigne une lettre provocatrice à l’égard de la Grèce adressée à l'ONU. La Libye est-elle un voisin « perdu » pour notre pays ? Quelles initiatives avez-vous l'intention de prendre ?
N. DENDIAS : Tout d'abord, la position de notre pays est claire et reste ferme sur la question de la Libye. Nous sommes toujours prêts à tenir un dialogue et à coopérer avec le gouvernement qui émergera des élections dans le pays, afin que ce gouvernement élu représente la volonté réelle du peuple libyen. Malheureusement, en ce moment, la Grèce, l'ensemble de la communauté internationale et, surtout, le peuple libyen lui-même, sont confrontés à un gouvernement de transition qui, contrairement à son obligation légale et à son engagement, retarde la tenue immédiate d'élections. Et, plus important encore pour nous, il conclut des accords illégaux avec la Turquie au détriment de notre pays. À ce stade, il convient de rappeler la position des Nations unies selon laquelle le gouvernement libyen n'est pas autorisé à signer des accords internationaux. Une formulation sur laquelle la Grèce a travaillé intensivement au sein de l'organisation internationale. Il convient également de mentionner la récente lettre que m'a adressée le Haut Représentant J. Borrell, dans laquelle il condamne dans les termes les plus forts le mémorandum illégal entre la Turquie et le gouvernement de transition en Libye. Cette lettre, qui réaffirme la position de l'UE, déjà exprimée par le Conseil européen en décembre 2019, est une réponse à une lettre de ma part, immédiatement après ma visite dans l'est de la Libye.
JOURNALISTE : La guerre en Ukraine dure depuis dix mois et il n'y a aucun espoir de paix. Comment un processus de paix peut-il avancer et comment la communauté internationale doit-elle avancer à l'avenir vis-à-vis de la Russie ? Notre pays va-t-il continuer à envoyer des équipements en Ukraine ?
N. DENDIAS : Dès le début, la Grèce a adopté une position de principe contre l'invasion russe en Ukraine. Nous avons condamné l'invasion sans équivoque et sans exceptions. Parce que le respect de l'intégrité territoriale et de la souveraineté nationale, ainsi que l'abstention du recours ou de la menace de recours à la force, sont des principes fondamentaux du droit international. Ils ont également été les principaux piliers, l’« évangile », comme je le souligne toujours, de la politique étrangère grecque contre le révisionnisme, d'où qu'il vienne. C'était, après tout, le message envoyé par ma présence à Kiev au milieu des bombardements, ainsi que par mes deux visites à Odessa après le début de l'invasion russe. C'est pourquoi nous avons participé activement aux efforts de l'UE pour faire pression sur la Russie en lui imposant des sanctions. Et c'est pourquoi nous avons choisi de soutenir activement l'Ukraine. Soutien politique, militaire, économique, humanitaire. C'est un message que j'ai eu l'occasion de transmettre lors de la Conférence de solidarité pour l'Ukraine il y a deux semaines à Paris, mais aussi lors de ma visite à Kiev en octobre, qui s'est déroulée dans des conditions de sécurité compliquées. Les principes de la politique étrangère grecque exigent que nous continuions à apporter notre soutien à l'Ukraine, certainement dans la mesure de nos capacités. Et en veillant toujours à ce que la capacité de dissuasion de notre pays ne soit du tout affectée.
JOURNALISTE : Alexis Tsipras a déclaré que notre pays devait immédiatement procéder à l'extension de ses eaux territoriales à 12 miles nautiques en Méditerranée orientale. Quel est le plan du gouvernement pour étendre la zone côtière à 12 miles nautiques ?
N. DENDIAS : L'extension des eaux territoriales à 12 milles nautiques est un droit unilatéral, inaliénable et non négociable de notre pays, qui découle de la Convention des Nations unies sur le droit de la mer (UNCLOS). C'est un droit qui existe à perpétuité et il appartient à chaque gouvernement de décider quand, où et comment l'exercer, dans le seul but de défendre l'intérêt national.
JOURNALISTE : 2023 est l’année des élections nationales. Le vote à deux tours est-il une voie à sens unique ? Comment le pays sera-t-il gouverné après les élections si la Nouvelle Démocratie est le premier parti mais sans obtenir la majorité absolue du parlement ?
N. DENDIAS : En effet, en raison du changement de la loi électorale par Syriza, il devient plus difficile pour le premier parti d'obtenir la majorité absolue au sein du parlement. Il est donc probable qu'un second tour soit nécessaire. J'espère cependant qu'après cela, le pays sera doté du gouvernement de majorité absolue de la Nouvelle Démocratie, avec pour horizon une nouvelle période de quatre ans pour la mise en œuvre de notre programme. Et je suis convaincu que, dans un climat d'unité sur nos questions nationales, le gouvernement de la Nouvelle Démocratie continuera, au cours de son second mandat, à défendre et à promouvoir l'intérêt national.
December 30, 2022