Interview du ministre des Affaires étrangères, N. Dendias au journal télévisé de la chaîne de télévision «Open» avec la journaliste St. Gantona (07.08.2020)

Interview du ministre des Affaires étrangères, N. Dendias au journal télévisé de la chaîne de télévision «Open» avec la journaliste St. Gantona (07.08.2020)S. GANTONA : Nous avons avec nous le ministre des Affaires étrangères, Nikos Dendias. Bonsoir M. le ministre et merci.

N. DENDIAS : Madame Gantona, je vous remercie de cette occasion que vous me donnez de m’exprimer, bonsoir à vous et à vos téléspectateurs.

S. GANTONA : L’accord, finalement, M. le ministre est-il le fruit d’un compromis ? Pensez-vous qu’il couvre pleinement les intérêts nationaux face à la politique expansionniste de plus en plus intense d’Erdogan ?

N. DENDIAS : A mon avis, c’est un accord équitable qui couvre pleinement les intérêts nationaux. Point. Ce n’est pas un accord qui est dirigé contre qui que ce soit. C’est un accord exemplaire, selon le droit international. Mais la signature elle-même de l’accord montre clairement ce que la communauté internationale sait très bien. J’ai entendu M. Ignatiou le dire clairement, à savoir que l’accord entre l’administration de Tripoli et la Turquie est un document juridique infondé, qui ne se base nulle part, qui n’a aucun rapport avec le droit international, qu’aucun pays ne reconnait, à l’exception de la Turquie bien entendu. Elle est minoritaire. Par conséquent, nous avons un accord légal, conformément aux principes du droit international et du droit de la mer, qui garantit pleinement les intérêts grecs et un exemple d’accord inexistant entre la Turquie et la Libye.

S. GANTONA : Ce matin, M. le ministre, vous avez parlé lors d’une interview sur SKAI de la colère inexpliquée de la Turquie et avez d’ailleurs formé l’espoir qu’elle puisse changer d’attitude et finalement engager un dialogue.

Le Président turc, toutefois, a prononcé un discours cet après-midi à l’extérieur de la Basilique Sainte-Sophie, tout en proférant de nouvelles menaces et en annonçant des travaux de forage.

N. DENDIAS : Ecoutez. Je comprends toujours que pour comprendre une réalité et faire un revirement on ait besoin de temps. Encore faut-il que l’on veuille faire ce revirement. J’ai exprimé mon espoir. Le gouvernement grec aspire toujours à des relations amicales avec tous les pays, et donc la Turquie. Le droit de la mer et le droit international sont clairs. Les zones maritimes sont définies et délimitées par des accords, qui plus est de réels accords. Je ne me réfère pas – je le répète – à l’accord inexistant conclu entre Tripoli et la Turquie. Donc ce que nous espérons c’est que la Turquie le comprenne et qu’elle coopère avec tous les pays de la région, avec la Grèce et Chypre, dans ce sens.

Vous avez raison, les déclarations du Président Erdogan étaient acerbes, elles n’aident absolument pas mais personnes ne peut perdre l’espoir que cela puisse changer dans un futur plus ou moins proche.

S. GANTONA : Si la Turquie envoie l’Oruc Reis dans la ZEE grecque, que ferons-nous ? Allons-nous réagir militairement également ?

N. DENDIAS : Madame Gantona, nous ferons notre devoir. Nous défendrons notre souveraineté et nos droits souverains. Pas le gouvernement Mitsotakis en question, mais nous Grecs, tout gouvernement grec quel qu’il soit, selon l’obligation qui lui est conférée par la Constitution du pays. Et je pense que personne à l’Union européenne, personne de nos partenaires et amis n’attend quelque chose de différent du gouvernement grec.

S. GANTONA : Je vous le demande, M. le ministre, car dans ce journal le conseiller à la sécurité du Premier ministre, M. Diakopoulos, avait dit que « s’ils entrent dans le plateau continental grec, nous allons réagir militairement ». Est-ce que cela est valable ?

N. DENDIAS : Vous savez, je ne fais pas la distinction, je n’exclue pas les forces armées grecques de l’ensemble de l’ordre juridique du pays et de son gouvernement. Les forces armées grecques ont le devoir qui leur est assigné par la Constitution, comme nous tous, qui est de défendre la souveraineté et les droits souverains de notre pays. 
Nous ne menaçons personne, ni ne disons de grandes paroles ou avons des réactions excessives que d’autres pays de la région ont. Nous disons tout simplement que, en tant que pays souverain, nous avons l’obligation constitutionnelle de nous défendre et c’est ce que nous ferons en employant tous les moyens que la Constitution met à notre disposition. Et nous le disons très calmement à tous, que tout le monde le sache dès le départ pour éviter tout malentendu.

S. GANTONA : Bien, je reviens à tout ce qu’a dit aujourd’hui le président turc et j’aimerais vous demander si vous saviez que Mme Merkel a demandé à Erdogan de geler les travaux de recherche. Et qu’il lui a promis de faire une pause, malgré le fait qu’il ne nous fasse pas confiance, pour employer ses mots. Je vous le demande, car le Président turc sous-entend qu’à l’heure actuelle la chancelière a été exposée à cause de nous. Avions-nous informé la chancellerie, M. le ministre ?

N. DENDIAS : Pardonnez-moi, tout d’abord j’apprécie énormément la présence de la Présidence allemande et de la chancelière pour ce qui est des questions liées à la Méditerranée orientale. Nous décelons un effort très clair de la part de la présidence allemande, tout comme il est de son devoir, en tant que pays exerçant la présidence de l’Union européenne, de jouer un rôle positif. La Grèce l’a remarqué. Et la chancelière Merkel a, à maintes reprises, discuté avec le Premier ministre, Kyriakos Mitsotakis, et je suis sûr qu’il a joué un rôle constructif dans l’effort de désescalade des tensions.

Cela étant, si vous me demandez ce que savait la partie allemande, je ne peux vous répondre. Si vous demandez si j’ai discuté avec la partie allemande avant la signature, la réalité est que cet accord – je l’ai dit clairement- a été parachevé au Caire, un peu avant sa signature. Par conséquent, nous n’avions pas eu le temps d’informer. Et cela est naturel, nous n’allions pas informer tous les pays et la présidence européenne (nous n’avions pas assez de temps). Tout de suite après mon retour, bien entendu, nous avons envoyé le texte de cet accord ainsi que les cartes de cet accord à tous les pays avec lesquels nous participons à l’Union européenne et bien entendu à la présidence allemande. Telle est la réalité.

S. GANTONA : Cela étant, pensez-vous que nous entrions dans une nouvelle période de tension avec la Turquie ?

N. DENDIAS : Que voulez-vous que je vous dise. Je ne peux prévoir la réaction turque, car les choses que je souhaite à la Turquie sont différentes de celles que la Grèce souhaite à notre région. Nous œuvrons pour la stabilité et la sécurité dans la région et nous voudrions y inclure la Turquie. Si la Turquie souhaite se comporter comme un trublion, si elle souhaite menacer les pays de la région, si elle souhaite fonctionner en dehors du cadre du droit international, du droit de la mer, cela la regarde. Nous ne pouvons ni prévoir, ni la suivre et nous ne la suivrons pas. Nous sommes un pays contemporain, européen, un pays du 21e siècle. Nous nous sommes éloignés des standards du 19e siècle. Nous avons quitté l’époque des canonnières, des menaces ou des revendications quelles qu’elles soient. Nous sommes un pays européen contemporain qui défend ses droits et les exerce conformément au droit international. C’est ce que nous avons fait avec l’Egypte et ce que nous continuerons de faire.

S. GANTONA : Devrons-nous attendre, éventuellement, M. le ministre certaines initiatives ces prochains jours, afin que nous puissions enfin arriver au dialogue ? Afin que le dialogue redémarre ?

N. DENDIAS : Je ne peux vous le dire. Nous avons à maintes reprises déclaré que nous étions ouverts au dialogue. Même à des moments où le comportement de la Turquie à notre égard n’était pas du tout digne de louanges. Car nous croyons au dialogue. Mais pas un dialogue – pour être d’accord – sur tous les sujets les plus divers. Il y a un différend qui oppose la Grèce à la Turquie et qui est bien existant : il s’agit du plateau continental en Egée et en Méditerranée orientale et des zones maritimes sus-jacentes. Bien entendu, nous sommes toujours prêts à discuter avec la Turquie. Mais à ce sujet – soyons clair – non sous l’emprise des menaces et du chantage. Nous n’avons pas peur, disons-le clairement.

S. GANTONA : Pour finir j’aimerais vous posez la question suivante car tout le monde parle du fait que l’accord exclut une partie de la Méditerranée et de Castellorizo. Devons-nous nous attendre à un moment éventuellement très proche ou plus tard, que cela avance ?

N. DENDIAS : Cet accord est un accord servant les intérêts grecs, c’est un accord qui est dans les limites que nous voulions, à savoir jusqu’au 27ο,59. Dire que « Castellorizo est exclu » ne rend pas justice à cet accord. Les côtes, non seulement de Castellorizo, mais de tout l’archipel à savoir Strongyli et Megistis et une partie des côtes de Rhodes n’ont pas été inclues. Car ces côtes seront utilisées lors d’une délimitation ultérieure, avec l’Egypte et avec Chypre et, si elle le veut à plus long terme et je l’espère – avec la Turquie. Mais ce n’est pas comme si quelque chose était laissé de côté, que l’on avait abandonné quelque chose. Tout comme cela concerne une grande partie des côtes de Crète. L’un des avantages de cet accord c’est qu’une toute petite partie des côtes de Crète a été utilisée. Une très grande partie des côtes de Crète, à savoir 85-90% sont en dehors de cet accord et sera utilisé pour une délimitation ultérieure avec la Libye, soit, peut-être une petite partie avec l’Egypte lorsque la Libye aura un gouvernement fort, un gouvernement qui représente le peuple et la société libyennes.

S. GANTONA : Merci monsieur le ministre pour cet entretien.

N. DENDIAS : C’est moi qui vous remercie Mme Gantona

S. GANTONA : Bonne soirée.

N. DENDIAS : Bonne soirée.

August 7, 2020