Propos recueillis par la journaliste S. Papaioannou
S. PAPAIOANNOU : Un accord a été signé avec l’Italie sur la ZEE. Pourriez-vous nous dire deux mots sur les démarches qui ont précédé cet accord ? Car nous avons compris que jusqu’au dernier moment – vous l’avez aussi dit – la lutte était tenace est longue.
Ν. DENDIAS : Oui, c’est comme vous le dites. C’était une négociation très longue, s’étendant sur plusieurs mois, avec des hauts et des bas. Il serait intéressant à cet égard de vous dire que vendredi après-midi mais aussi dimanche après-midi, aucun accord n’avait encore été conclu. Les divergences étaient si grandes qu’elles ne nous ont pas permis d’avancer. Mais, finalement, cet accord était axé sur une approche différente par rapport au passé et on a pu ainsi éviter l’impasse. Quelle a été l’impasse ?
Essayer d’agencer deux choses différentes, la pêche et l’extension de nos eaux territoriales, autrement dit l’exercice de notre souveraineté, dans un même accord. La distinction entre ces deux choses, qui sont de par leur nature différentes – car la politique de la pêche relève de l’Union européenne, pour ne pas entrer dans des détails d’ordre juridique – nous a permis d’avoir dès le début des textes sur lesquels on pourrait travailler.
Et finalement, au prix de grandes difficultés, nous avons pu parvenir à un accord et le signer, ici à Athènes, le jour d’après. Autrement dit, nous sommes parvenus à un accord lundi soir, à 10h30 environ, lorsque j’ai téléphoné au Premier ministre et je le lui ai dit.
S. PAPAIOANNOU : Quelle est pour la Grèce la véritable réussite de cet accord et quels résultats apportera-t-il à l’avenir ?
Ν. DENDIAS : Tout d’abord, si vous regardez sur la carte la ligne entre la Grèce et l’Italie, vous constaterez – comme j’ai coutume de dire – que la Grèce est devenue plus grande. Nos droits se sont étendus. Cela dit, un pays européen a accepté notre lecture du droit international ainsi que l’influence des îles. Autrement dit, il a accepté le droit international, tel que celui-ci existe et est en vigueur. Vous pourriez affirmer à cet égard que cela est évident. Malheureusement, dans notre région rien n’est évident. Il y a d’autres pays autour de nous qui adoptent des interprétations tout à fait différentes. Ils soutiennent, par exemple, que les îles n’ont pas de zone maritime, elles n’ont pas de plateau continental, elles n’ont pas de zone économique exclusive, ni même la Crète qui est l’une des plus grandes îles de la Méditerranée.
Par conséquent, le fait que la Grèce obtienne pour la première fois une zone économique exclusive, sur la base du droit international, conformément à l’interprétation soutenue par la majorité écrasante des Etats du monde entier, est une chose, de par sa nature, extrêmement importante.
S. PAPAIOANNOU : Envisagez-vous également d’étendre les eaux territoriales à 12 milles nautiques en mer ionienne ?
Ν. DENDIAS : Le pays a le droit émanant du noyau dur de sa souveraineté d’étendre ses eaux territoriales. La date à laquelle le pays décidera d’exercer ce droit est une question de politique. Il s’agit d’un droit qui lui appartient à part entière. Et, indirectement, cet accord passé avec l’Italie lui reconnait ce droit.
Autrement dit, l’Italie accepte que non seulement en mer ionienne mais aussi en Egée et en mer de Libye, la Grèce a le droit de procéder à l’extension de sa souveraineté à 12 milles nautiques et demande à la Grèce – le titulaire de ce droit – l’autorisation de pêcher dans ces eaux, une fois que la Grèce décidera d’exercer ce droit.
S. PAPAIOANNOU : D’après l’opposition, on n’aurait pas pu obtenir l’influence qu’on aurait voulue pour certaines petites îles en mer ionienne. Et M. Cavusoglu aussi, de la part de la Turquie, a affirmé que cet accord constituait une réussite pour les positions turques. Que répondez-vous à cela ?
Ν. DENDIAS : Je vais vous dire. Tout d’abord, il faut parler de nos affaires, de notre patrie. Je pense que la plupart des partis de l’opposition – à l’exception de l’hyper-droite ou de l’extrême droite – ont fait preuve d’une excellente attitude. Ils ont pleinement soutenu l’accord, car ils ont compris ce qui était évident, à savoir que cet accord sert l’intérêt national. Il ne sert pas le gouvernement de Mitsotakis ou de la Nouvelle Démocratie. Et il s’agit d’un accord pour l’atteinte duquel de nombreuses personnes ont consenti des efforts depuis très longtemps, 43 ans. Le fait que personne n’ait pu conclure cet accord auparavant, ne signifie pas qu’il n’y a pas eu des efforts ou la motivation nationale nécessaire à cela.
Pour ce qui est maintenant de l’absence de pleine influence de deux petites îles, pour moi, permettez-moi de le dire, cela est un peu comique. Pourquoi ? Car cet accord est tout à fait équilibré. On parle, pour avoir une idée des pourcentages, d’une partie représentant 0,0019% de la surface en question. C’est cela dont on discute maintenant. Et en contrepartie de ce pourcentage de 0,0019% cédé au niveau des deux extrémités des petites îles, la Grèce obtient le pourcentage correspondant au niveau du centre de cette surface.
Par conséquent, au total, la Grèce obtient exactement la même surface. Elle choisit, elle avait choisi en 1977, sous le gouvernement de Konstantinos Karamanlis, de consentir à cette ligne du plateau continental. Cela ne crée aucun problème et aucun mauvais précédent juridique. Par contre, cela crée un précédent juridique très favorable pour la Grèce. Et tous ceux, dans le pays, qui disent le contraire, tout en connaissant la vérité à mon avis – et par conséquent ils le font intentionnellement, en falsifiant la vérité – commettent une erreur et servent des intérêts étrangers.
Pour ce qui est maintenant des affirmations de M. Cavusoglu. M. Cavusoglu, comme vous le savez, est un ami à moi, nous nous connaissons depuis de nombreuses années. Je lui dirai donc, en tant qu’ancien et bon ami, que s’il pense que cet accord est du goût de la Turquie, on pourrait négocier sur la base des règles de cet accord exactement. L’influence des îles, le plateau continental des îles, les zones économiques exclusives des îles. C’est justement cela que la Grèce soutient depuis toutes ces années. Et la Turquie fait semblant de ne pas l’écouter. Je serais donc l’homme le plus heureux du monde, si cet accord devenait la porte qui permettra à la Turquie d’accéder à la légalité internationale. Et elle pourra à cet endroit, dans la chambre de la légalité internationale, rencontrer la Grèce.
S. PAPAIOANNOU : En vous écoutant, je pense qu’il nous faut probablement une nouvelle approche - l’approche que vous avez adoptée et qu’il serait aussi bon pour le pays de l’adopter - en vue de trouver un certain compromis. Toutes ces années, à cause de certaines positions maximalistes, le pays n’a pas pu procéder à certains accords sur les ZEE. Est-ce qu’il s’agit donc d’une nouvelle approche ?
Ν. DENDIAS : La Grèce n’est pas partisane du maximalisme. Je ne dis pas que certains milieux en Grèce ne sont pas partisans du maximalisme. Il existe, bien évidemment, des extrémistes en Grèce, comme il y en a partout. Les gouvernements grecs toutefois, ont toujours servi l’intérêt national. Et ce, non pas d’une manière abstraite mais conformément à la légalité internationale et aux résolutions des Nations Unies. La politique grecque avait toujours des bases solides. Si la Turquie veut nous rencontrer, je le répète, dans ce cadre, nul ne serait plus heureux que les Grecs. Nous en serons tous très contents. Car nous ne voulons pas duper la Turquie. Nous ne voulons pas prendre possession de quelque chose qui appartient à la Turquie. Nous ne voulons pas limiter la Turquie. Nous ne voulons pas exclure la Turquie de son accès à la mer. Mais nous ne sommes pas du tout disposés à céder à la Turquie nos propres droits nationaux. Par conséquent, nous disons à la Turquie : « Veux-tu que nous réglions nos différends sur la base des règles du droit international et du droit de la mer ? Avec plaisir ». Mais non pas sur la base d’un raisonnement d’après lequel, par exemple, « les îles n’ont pas des zones économiques exclusives, n’ont pas de plateau continental et n’ont rien, sauf des eaux territoriales qui s’étendent à 6 milles nautiques ». Non, cela ne peut pas servir de base de discussion.
S. PAPAIOANNOU : Allons maintenant aborder la question de l’Egypte.
Ν. DENDIAS : Allons aborder aussi la question de l’Egypte.
S. PAPAIOANNOU : Quelle serait à votre avis une issue satisfaisante de votre voyage en Egypte ?
Ν. DENDIAS : Une convergence de vues des deux parties. L’Egypte est un pays amicalement disposé envers la Grèce. C’est un pays qui, sous la direction du Président Sissi, a la même perception de la réalité en Méditerranée orientale et dans la région élargie que la Grèce. Qu’il s’agisse de la Libye, du Golfe ou du Yémen. Dans la région élargie, nous avons une façon similaire de voir les choses avec l’Egypte. Il y a ici un différend. Nous avons une surface maritime à partager.
Nous ne voulons pas, dans ce cas aussi, enlever à l’Egypte quelque chose qui ne nous appartient pas. Et nous voudrions que l’Egypte aussi perçoive cette question de la même manière exactement. Qu’elle cède à la Grèce ce qui lui appartient en vertu du droit international. Je dois vous dire que ces pourparlers sont difficiles. Il y a eu 12 tours de négociations qui n’ont pas abouti. Mais, on peut toujours faire un nouveau départ et consentir de nouveaux efforts. Je l’espère.
S. PAPAIOANNOU : Est-ce que le ministère envisage de procéder à une délimitation partielle avec l’Egypte, autrement dit sans inclure cette bande contestée de Castellorizo ?
Ν. DENDIAS : Castellorizo n’est pas une bande contestée. L’Egypte n’a pas d’intérêt particulier…
S. PAPAIOANNOU : Je veux dire qu’il y a une contestation de la part de la Turquie.
Ν. DENDIAS : L’Egypte ne voudrait pas – j’imagine car je ne le sais pas, elle ne l’a jamais clairement dit - s’impliquer dans une autre question qui n’est pas d’intérêt direct pour elle. Qu’est-ce nous voudrions ? Nous voudrions une pleine délimitation. Cela est normal. Pourquoi vouloir une délimitation partielle alors que nous pouvons avoir une pleine délimitation ? En outre, l’Egypte a exprimé, comme je vous l’ai expliqué, un point de vue différent du nôtre. On verra. Si une délimitation partielle est dans l’intérêt de la Grèce, si cette délimitation partielle peut avoir lieu et s’il y a un processus convenu en vue de mener à bien cette délimitation, on pourrait examiner les détails y relatifs et prendre les décisions nécessaires en la matière. Donc, on préférerait une pleine délimitation et on consentirait à une délimitation partielle si cette dernière était obtenue dans des conditions satisfaisantes pour nous.
S. PAPAIOANNOU : Et cela ne vous inquiète-t-il pas ? A savoir qu’en excluant l’influence de Castellorizo d’une éventuelle délimitation avec l’Egypte cela pourrait…
Ν. DENDIAS : Je pense que nous disposons d’excellents juristes. Tant au sein du Service juridique spécial qu’en dehors de celui-ci.
Je pense avoir appris moi-même bien des choses ces derniers mois sur la façon dont on pourrait éviter la conclusion d’un accord nuisible aux intérêts nationaux et parvenir, au contraire, à un accord qui renforcerait nos intérêts nationaux. Et, quoi qu’il en soit, non seulement nous, non seulement le gouvernement de Mitsotakis, mais aucun gouvernement grec ne signera un accord qui pourrait compromettre à l’avenir la souveraineté et les droits souverains de notre patrie. Nous voulons que notre pays devienne plus grand et améliorer sa position. Nous ne voulons pas le rendre plus petit et l’affaiblir.
S. PAPAIOANNOU : Avez-vous des indications selon lesquelles la Turquie s’apprête à empêcher la signature d’un accord avec l’Egypte ?
Ν. DENDIAS : Je ne peux pas dire qu’il y a des indications bien fondées à cet égard. Toutefois, il y a des indications claires à l’égard du fait que la Turquie, souvent, fait à tous les pays avec lesquels la Grèce est en train de s’entretenir des propositions qui ne s’intègrent pas souvent dans le cadre du droit international, à travers des concessions faites d’une manière maximaliste. Car, bien évidemment, la Turquie peut être très généreuse lorsqu’elle concède quelque chose qui ne lui appartient pas. Si l’on procède au partage de vos biens, je serai très généreux dans le partage de vos biens, de la manière dont voudrait une partie tierce. La Turquie, donc, fait cela.
S. PAPAIOANNOU : Vous entendez donc par cela que la Turquie dit à l’Egypte : « Nous te donnons…
Ν. DENDIAS : … 30% de plus, 25% de plus que ce que te donnerait la Grèce ». Elle fait cela. Mais, bien évidemment, elle ne le fait pas sur la base du droit international, mais sur une base inventée par la Turquie qui n’existe pas. Car, ces surfaces sont des surfaces maritimes auxquelles la Grèce a droit. La Turquie ne fait qu’offrir des choses qui ne lui appartiennent pas.
S. PAPAIOANNOU : Et que va-t-on faire avec la Libye ? Avec l’accord entre la Turquie et la Libye ?
Ν. DENDIAS : L’accord entre la Turquie et la Libye n’existe pas, tout simplement. Aussitôt qu’un gouvernement sérieux s’installera au pouvoir en Libye, la Grèce y reviendra et règlera cette affaire. Sous l’administration actuelle, les choses sont assez difficiles. De plus, ils nous ont trompés ! C’était moi qui avais parlé avec eux. J’avais parlé avec Siala, le ministre des Affaires étrangères à New York, en septembre, car on était au courant de ces discussions. Il m’a assuré, tête à tête, que cela n’arriverait jamais. Toutefois, vu leur condition complètement vulnérable et le chantage de la part de la Turquie, ils ont été forcés de signer ces deux protocoles d’accord inexistants et infondés.
S. PAPAIOANNOU : Nous avons aussi entendu le Premier ministre affirmer que si la Turquie procédait à une action quelconque en Egée ou formulait une revendication quelconque, elle se trouverait confrontée à l’Union européenne et pas seulement à la Grèce. Est-ce que cela signifie quelque chose ? Avez-vous certaines assurances de la part de l’Union européenne que cette dernière interviendra ….
Ν. DENDIAS : Je tiens à vous signaler la dernière prise de position du Conseil dans laquelle ce dernier constate la pleine nullité de l’accord conclu entre la Libye, l’administration Sarraj et la Turquie. L’Union européenne a pris une série de décisions, pas en faveur des points de vue grecs – cette manière de voir les choses est incorrecte – mais en faveur du droit international. Donc, on pense – et le Premier ministre l’a très bien dit – que l’Union européenne, le seul projet dans l’histoire du genre humain à être axé sur l’application du droit et le respect des droits de l’homme, défendra justement ce pour quoi elle a été créée. Le droit international.
S. PAPAIOANNOU : Comment envisagez-vous de faire face à cette menace de la Turquie d’envoyer un navire en vue de mener des recherches sismiques ? Autrement dit, il y a deux choses : soit ils entreront dans la zone du plateau continental grec, soit ils n’y entreront pas mais créeront une zone grise dans la région qu’ils approcheront.
Ν. DENDIAS : Les Turcs, tout comme de nombreux médias, utilisent ce concept de zones grises. En ce qui me concerne, je ne suis pas prêt à l’accepter. Le fait que la Turquie soutient quelque chose, ne signifie obligatoirement pas qu’une zone puisse devenir grise sur la carte ou que la perception du droit à l’égard de l’île concernée ou de la superficie maritime concernée puisse être modifiée.
Par ailleurs, si on utilisait la palette de la Turquie, la moitié à peu près de la Méditerranée appartiendrait à la Turquie. A mon avis, ils pensent que Soliman le Magnifique était plutôt « modeste » dans ses revendications et qu’ils auraient dû aller jusqu’à Gibraltar afin que la superficie maritime corresponde à la grandeur de la Turquie, telle que l’imagine une partie de l’Etat profond turc.
Car, il existe aussi des puissances très sérieuses en Turquie qui s’opposent à tout cela et considèrent la Turquie comme étant un pays candidat sérieux, qui pourra participer au projet européen, soit en tant que membre de l’Union européenne, soit en tant que pays associé. Toutefois, cela présuppose que la Turquie adoptera la mentalité de ces Etats. Le Premier ministre l’a également affirmé et j’ai d’emblée utilisé cette expression. Si la Turquie considère qu’elle peut aller de l’avant en exerçant la politique de la canonnière, elle commet une grande erreur. Qu’il s’agisse des canonnières réelles ou des canonnières déguisées en navires de recherche. Cette politique ne va pas aider la Turquie. Et nous, nous avons l’obligation constitutionnelle de défendre l’intérêt national et les droits nationaux. Et nous ne pourrons faire rien de moins. Je dis toujours qu’il existe cette disposition spécifique de la Constitution. Tout gouvernement lorsqu’il prend ses fonctions, prête serment à la Constitution et aux lois. Nous allons exercer notre obligation constitutionnelle dans son intégralité. Nous ne lançons pas de menaces, ni ne tenons des propos pompeux, ni ne brandissons des banderoles, ni ne chantons des hymnes. Toutefois, nous disons aux Turcs de faire très attention et de ne pas dépasser les limites du droit international.
S. PAPAIOANNOU : Cela vous inquiète-t-il ? Je vois que le monde s’inquiète. Ils voient un certain agissement, un comportement provocateur de la part des Turcs, ils disent que les Turcs enverront des navires de recherches sismiques. Y a-t-il lieu de s’inquiéter à votre avis ?
Ν. DENDIAS : Je ne peux pas blâmer l’opinion publique puisque cette dernière se trouve chaque jour confrontée à des comportements qui sont provocateurs pour le moins que l’on puisse dire. Toutefois, ce que je dois dire à la société grecque est que son gouvernement, mais aussi son système politique dans son ensemble, s’acquittera pleinement de son devoir pour défendre les intérêts nationaux et finalement l’avenir de cette société. Il ne veut pas de tensions. La Grèce ne veut pas les tensions et cela n’est pas bon aussi pour la Turquie. Je vous l’ai tout à l’heure dit. La Turquie, à mon humble opinion, je me trompe peut-être, doit suivre un modèle tout à fait différent. Atatürk était assez intelligent quand il cernait le parcours de l’Etat turc futur à l’époque, de l’état séculaire, vers l’Occident et le mode de pensée occidentale et le mode d’organisation occidental. Il n’était pas du tout naïf. Bien au contraire. Et, alors qu’il a été appelé à gouverner une Turquie ravagée par la première guerre mondiale, il l’a transformée en un pays sérieux. Et quelle est la raison qui oblige la Turquie maintenant à changer de parcours ? Je ne le comprends pas.
S. PAPAIOANNOU : C’est justement cela que je voudrais vous demander. Qu’est-ce qui empêche - cette question pourrait sembler naïve – pendant toutes ces années la Grèce et la Turquie de parvenir à un accord sur l’Egée ?
Ν. DENDIAS : Pratiquement, il n’y a pas d’obstacle. Mais, afin de parvenir à une solution, les deux parties doivent s’accorder sur un cadre de règles qui permettra le règlement du différend. Tous les différends sont réglés sur la base de certaines règles. Ils ne peuvent pas être réglés sur la base d’un raisonnement selon lequel la force fait le droit ou sur la base des demandes de l’une des parties. Ils sont réglés sur la base de règles. Nous le disons toujours. Il n’y a rien qui nous empêche. Rien de rien. Et j’espère sincèrement que cela deviendra réalité. Que nous parviendrons à régler nos différends.
S. PAPAIOANNOU : Est-ce qu’il existe un canal de communication avec la Turquie ?
Ν. DENDIAS : Il y a toujours des canaux de communication. Mais, afin que les canaux de communication fonctionnent proprement, ils ne doivent pas servir de vecteurs de monologues parallèles. Car dans ce cas, ils n’apportent pas de résultats.
S. PAPAIOANNOU : En d’autres termes les tours de contacts exploratoires qui étaient menés toutes ces années, se poursuivent-ils ou se sont –ils interrompus ?
Ν. DENDIAS : En ce moment, il n’y a pas des tours de contacts exploratoires, ce qui est de la faute de la Turquie.
S. PAPAIOANNOU : Qu’est-ce que cela signifie pratiquement ?
Ν. DENDIAS : Cela signifie qu’il serait bon d’entamer de nouveau les contacts exploratoires mais la reprise de ces contacts ne peut aller de pair avec le comportement provocateur de la Turquie manifesté un jour sur deux. Il ne peut y avoir des survols des territoires grecs. La Turquie ne peut pas lancer des appels d’offres pour des terrains situés à 6 milles nautiques à l’est de la Crète. De quoi allons-nous discuter après ?
S. PAPAIOANNOU : A votre avis, y aura-t-il des flux migratoires pendant l’été en provenance de la Turquie ?
Ν. DENDIAS : J’ai vu quelque chose que je pensais inconcevable. J’ai vu la Turquie utiliser les migrants, les réfugiés pour créer des problèmes à l’Union européenne et à la Grèce, je l’ai vue instrumentaliser la souffrance humaine. Je dois avouer que c’était impensable pour moi de voir un pays faire une chose pareille. Et, pourtant, on l’a vu. Par conséquent, on doit être prêt à parer contre toute éventualité.
S. PAPAIOANNOU : Et vous monsieur le ministre, en partant de ce ministère, qu’est-ce que vous voudriez laisser derrière vous ? Autrement dit, quel était votre rêve ou quel était votre objectif lorsque vous avez pris vos fonctions ?
Ν. DENDIAS : Permettez-moi de dire, en toute modestie, qu’il existe déjà un héritage laissé pour le pays, non pas le mien ou du ministère. Il s’agit de l’Accord de coopération en matière de défense mutuelle [Mutual Defense Cooperation Agreement], conclu avec les Etats-Unis et l’accord sur les zones maritimes avec l’Italie. Je ne vous cache pas que je serais particulièrement heureux si l’on pouvait conclure un accord avec l’Egypte aussi. Je n’ose même pas espérer qu’un accord puisse être signé avec Chypre et avec tous les pays. Je le dis pour y inclure aussi la Turquie. Cela serait probablement au-delà de mes espérances.
S. PAPAIOANNOU : Est-il facile de conclure un accord avec Chypre ? Parce que si cela est facile, pourquoi ne l’avons-nous pas fait toutes ces années ?
Ν. DENDIAS : Car on suit un ordre particulier. Ce n’est pas quelque chose d’irréalisable. Toutes ces années – et je ne parle pas seulement de mon mandat au ministère, car j’ai pris mes fonctions il y a 11 mois – il existe un ordre logique. Nous avons commencé par l’Albanie, il y a eu un accord qui a été annulé par la constitution albanaise. Cela ne signifie pas que nous arrêterons les processus, nous y reviendrons. Je pense qu’on réglera cette question. L’accord avec l’Italie portait sur une très grande superficie. Il y aussi les efforts consentis avec l’Egypte. Cela dit, avec nos frères chypriotes, je pense que les choses sont plus faciles.
S. PAPAIOANNOU : Y a-t-il quelque chose qui vous empêche de dormir la nuit ? Y a-t-il quelque chose qui vous préoccupe ?
Ν. DENDIAS : Je pense que quiconque exerce des fonctions publiques ne peut pas dormir la nuit lorsqu’il pense aux problèmes auxquels son pays pourrait être confronté. Toutefois, espérons que cela ne sera pas le cas.
S. PAPAIOANNOU : Je vous souhaite tout le succès en Egypte.
Ν. DENDIAS : Je vous remercie beaucoup de l’occasion que vous m’avez offerte.
June 18, 2020