Propos recueillis par la journaliste K. Makris
JOURNALISTE : Première émission de la saison avec le ministre des Affaires étrangères, M. Nikos Dendias qui est déjà en ligne. Monsieur le ministre, bonjour.
N. DENDIAS : Bonjour à vous aussi et à vos auditeurs. Je vous souhaite un bon début et un bon printemps. Car je pense que cette période de l’année est déjà arrivée.
JOURNALISTE : Oui, c’est vrai. Je voudrais tout d’abord vous remercier car je sais que vous n’avez pas l’habitude d’accorder des interviews. Je vous remercie d’être avec nous en cette période aussi cruciale.
N. DENDIAS : Je vous en prie.
JOURNALISTE : Je voudrais commencer par le fait que vendredi dernier vous avez invité l’ambassadeur de la Turquie au ministère des Affaires étrangères pour lui demander des explications sur les flux croissants de réfugiés. Bien évidemment, vous pensez que cela n’est pas une coïncidence et qu’Erdogan a de nouveau commencé à laisser passer les réfugiés pour nous faire pression.
N. DENDIAS : Je voudrais être sincère à cet égard. Nous ne pouvons pas avoir une certitude absolue à l’égard de ces questions. Toutefois, c’est l’obligation contractuelle de la Turquie, obligation qui découle de l’accord de 2016 avec l’Union européenne, de ne pas se transformer en lieu de transit des migrants en situation irrégulière.
Par conséquent, le fait lui-même, indépendamment des motifs de l’autre partie, le fait lui-même que nous soyons de nouveau dans la même situation qu’en 2012, c’est-à-dire plus de 500 personnes à Lesbos et environ 700 au total, constitue une violation de la part de la Turquie et le gouvernement grec a estimé, suite à la décision du Premier ministre, que cela était très grave et qu’ il faudrait faire une démarche auprès de la partie turque afin que cette dernière comprenne que la situation actuelle n'est pas considérée comme un processus normal, une journée normale.
JOURNALISTE : Parmi les mesures convenues samedi au sein du Conseil Gouvernemental des Affaires Etrangères et Défense figurait celle relative à la participation de la marine de guerre aux patrouilles à nos frontières maritimes. Cela m’a surpris. Est-ce que cela signifie un durcissement de l’attitude ? L’ordre qui est désormais donné est-il le refoulement ?
N. DENDIAS : Le refoulement ne fait pas partie du droit international et ne figure pas parmi les mesures prises par la Grèce ou mises en œuvre par cette dernière traditionnellement. La présence de la marine de guerre signifie le rassemblement de toutes les forces du pays pour lutter contre le phénomène migratoire et déployer des efforts du point de vue humanitaire pour pouvoir contrôler la situation.
Je pense que notre marine de guerre aussi fait partie du dispositif global de la République hellénique. Par conséquent, fort aussi de mon expérience en tant que ministre de la Défense aussi, je peux vous assurer qu’il n’y a pas de raison pour que notre marine de guerre ne participe pas à cet effort global et collectif.
JOURNALISTE : Je voudrais maintenant qu’on aborde le dossier gréco-turc, monsieur le ministre où on constate une escalade…
N. DENDIAS: Vous avez choisi une « question facile » pour commencer.
JOURNALISTE : Oui, j’ai commencé par une question facile pour passer maintenant à une question encore plus facile. On constate une escalade. Une grande escalade des tensions en Egée, manifestée par des violations et des confrontations. Avec tout ce qui se passe dans la ZEE chypriote mais aussi avec Erdogan pris en photo devant une carte sur laquelle la moitié de la mer Egée est représentée comme faisant partie du territoire turc.
Ma question est donc la suivante : craignez-vous que l’étape suivante soit Castellorizo ou même la Crète du sud ?
N. DENDIAS : Je vais vous dire. Tout d’abord, commençons par la question de Chypre. Chypre est un Etat membre indépendant de l’Union européenne. Il est tout à fait clair que la Turquie viole tant la souveraineté que les droits souverains de la République de Chypre.
Et l’Union européenne a pris des mesures et nous espérons que la Turquie s’y conformera pour éviter que des mesures plus dures soient prises contre elle.
Les frontières des Etats et les limites des zones – je me réfère à la carte dont vous avez parlé – relevant de la souveraineté ou de la juridiction des pays ne sont pas fixées à travers une carte, quelle qu’elle soit, dressée par une personne quelle qu’elle soit au sein du ministère de sa préférence, mais sur la base du droit international. Et les campagnes à caractère médiatique ne peuvent pas, à mon avis, changer la légalité internationale, qui plus est les photographies.
Je pense qu’il s’agit de tentatives visant à créer des impressions et ces actions infractionnelles ne font que consolider l’image de la Turque en tant qu’infracteur. Ces actions ne produisent pas des effets juridiques.
Les points de vue de la Turquie, si vous me le permettez Mme Makris, à l’égard de ces questions, représentent la minorité d’un pays au sein de la communauté internationale. La Turquie devient de plus en isolée et pour notre part, nous considérons que la condition à la stabilité est l’application du droit de la mer tel que celui-ci est en vigueur et non tel qu’il est interprété par une personne, quelle qu’elle soit, qui dresse des cartes comme si celles-ci étaient des tableaux de peinture néo-surréalistes.
Et, en outre, en parlant en toute franchise à la partie turque, car les Turcs sont nos voisins, nous voudrions pouvoir nous entendre avec eux, car nous ne sommes pas disposés à les suivre dans ce processus menant de nouveau à une balkanisation de la région ni à adopter leur mentalité de provincialisme régional. Cette attitude n’est pas sérieuse.
Ils feraient bien de se montrer sérieux, de se remettre sur la voie du droit international afin que nous puissions discuter sérieusement. Nous sommes des voisins. La Turquie actuellement se comporte comme un fauteur de troubles dans la région. Cela n’est même pas dans l’intérêt d’elle-même. Et, quoi qu’il en soit, nous ne sommes pas disposés à nous laisser entraîner sur cette pente.
JOURNALISTE : Je note ce que vous avez dit, il faut en discuter sérieusement, car c’est ma question suivante. Toutefois, je voudrais insister un peu sur le fait qu’en dépit de ce que vous avez dit dans le calme et avec retenue, Erdogan fait toujours preuve d’une attitude provocatrice. Est-ce que Castellorizo par exemple vous préoccupe, c’est-à-dire qu’il pourrait faire aussi ce geste de provocation ?
N. DENDIAS: Je vais vous répondre en toute franchise. Avec retenue certes, mais fermement. Car personne n’a le droit de céder la souveraineté et les droits souverains de la République hellénique. Personne. Et jamais cela n’est arrivé dans l’histoire.
Par conséquent, il faut toujours faire preuve de retenue mais il serait bon que cela ne suscite pas des malentendus. Le fait que nous ne nous comportions pas comme des fauteurs de troubles dans les Balkans ne signifie pas que nous ne savons pas protéger nos droits nationaux.
Et je répète que cette photo me contrarie. Cette image n’est pas sérieuse.
JOURNALISTE : Malgré cela, vous ne répondez pas à ma question concernant Castellorizo et la Crète du sud. Je comprends bien les raisons. Je pense que…
N. DENDIAS : Je pense avoir répondu à votre question.
JOURNALISTE : Vous m’avez répondu de manière indirecte.
N. DENDIAS : Je pense avoir répondu de la manière dont, si vous me le permettez, le ministre des Affaires étrangères doit exprimer ses réflexions et de la manière dont il convient de le faire. Nous ne tomberons pas dans le piège de l’autre partie Mme Makris. Nous n’agissons pas de la même façon. Nous sommes un pays sérieux, solide, démocratique, européen et nous espérons que la Turquie suivra cet exemple. Cela sera dans son intérêt aussi.
JOURNALISTE : Vous avez dit qu’il faudrait en discuter sérieusement. Telle est aussi l’intention d’Erdogan. Il veut que nous nous asseyions à la table des négociations en vue de partager avec lui les éventuels gisements. Est-ce qu’il existe une telle éventualité monsieur le ministre ?
N. DENDIAS : Je vous répondrai en toute franchise. Je ne pense pas que la Turquie veuille en discuter sérieusement car des discussions se tiennent depuis de nombreuses années. Cela n’est pas seulement valable sous notre gouvernement qui n’a même pas encore entamé, dans le cadre des dizaines de cadres de dialogue qui existent, les discussions sur les mesures de confiance, etc.
Quel est le cadre de référence dans lequel la Turquie veut lancer un dialogue ? Si le cadre de référence est le droit de la mer et le droit international, nous engagerons cette discussion bien évidemment. Mais dans ce cadre seulement. Non pas dans celui des revendications néo-surréalistes qui sont manifestées à travers un tableau et sont photographiées afin de transmettre de manière indirecte un message à la Grèce. Cela n’est pas un cadre de discussion.
JOURNALISTE : Vous ne vous êtes toutefois pas encore entretenu avec votre homologue turc.
N. DENDIAS : En dépit du fait que je le connaisse très bien et depuis très longtemps.
JOURNALISTE : Exactement. Est-ce que cette rencontre aura lieu en marge de l’Assemblée générale de l’ONU ?
N. DENDIAS : On verra bien Mme Makris. Mais afin de tenir une rencontre et pour que cette rencontre soit profitable, il faut avoir un cadre sérieux. La Turquie doit y contribuer. Elle doit le comprendre.
Nous n’allons pas nous laisser entraîner dans des rencontres sous la contrainte. Cela ne se fait pas. Nous sommes un pays européen sérieux. Bien évidemment, chaque ministre ici, et tel est l’ordre donné par le Premier ministre, veut entretenir des relations de bon voisinage avec tout le monde.
Je veux, bien évidemment, m’entretenir avec M. Cavusoglu. Je vous ai dit qu’il s’agit d’une personne avec laquelle j’entretiens des relations amicales mais il faut avoir un cadre. Si la Turquie crée tout le temps des problèmes, comment est-il possible de mettre en place un cadre de rencontre ?
JOURNALISTE : Nous avons acheté des frégates à Macron, comme j’ai pu le lire dans la presse ce week-ed.
N. DENDIAS : Il y a en effet eu une discussion à cet égard. La frégate Belharra est une arme exceptionnelle capable d’assurer des missions de protection antiaérienne. C’est un système d’armement que les forces armées grecques aimeraient bien avoir. Cela étant, nous verrons comment nous pourrons matérialiser une telle coopération avec nos alliés et amis français.
JOURNALISTE : Passons maintenant à une autre question, l’accord de Prespès. Vous vous êtes rencontrés il y a quelques jours en Finlande avec M. Dimitrov et vous lui avez demandé de respecter fidèlement l’accord de Prespès.
N’est-ce pas un changement de position de votre part car avant les élections vous aviez déclaré qu’il s’agissait d’un très mauvais accord. Comment en êtes-vous arrivé à dire de le respecter fidèlement ?
N. DENDIAS : Si vous me le permettez, j’aimerais rappeler notre position à la société grecque. M. Kyriakos Mitsotakis, lorsqu’il s’est à maintes reprises positionné à ce sujet, a dit que si l’accord était signé il devra être respecté. L’Etat assure la continuité. Telle est la position du chef de la Nouvelle Démocratie. C’est sur cette base qu’il a été élu.
Il n’a pas dit qu’il renverserait la situation dès qu’il sera élu car même s’il le voulait il ne pourrait le faire. Nous sommes un parti sérieux, nous avons émis des avertissements avant l’élection, avant la signature. À l’heure actuelle, Skopje, la Macédoine du Nord doit s’engager à appliquer l’accord.
JOURNALISTE : Et l’applique-t-elle ?
N. DENDIAS : Je constate un effort de sa part pour l’appliquer. Mais en même temps je constate des réticences de la part d’une partie du mécanisme étatique. Nous n’avons pas l’intention d’accepter des écarts, quels qu’ils soient. Je l’ai clairement fait savoir à M. Dimitrov. Il m’a assuré, je tiens à le dire, de l’intention du gouvernement de la Macédoine du Nord de respecter l’accord à la lettre. Il ne s’y est pas opposé.
Il y a eu un accord à cet égard. Mais c’est quelque chose que nous observons et que nous aimerions voir. Nous ne serons pas des interprètes indulgents, mais des observateurs très précis.
JOURNALISTE : Si en octobre, par exemple, au Conseil des Affaires générales, la question de la date du lancement des négociations pour Skopje est de nouveau mise sur le tapis, allez-vous donner le feu vert ?
N. DENDIAS : Si, si, si, c’est trois fois si…
JOURNALISTE : Et encore une fois si, cela fait quatre…
N. DENDIAS : S’ils respectent les dispositions convenues de manière stricte.
JOURNALISTE : Quoi qu’il en soit, des invitations n’ont pas été adressées de part et d’autre pour que vous vous rencontriez.
N. DENDIAS : Dans la conjoncture actuelle, des invitations n’ont pas été adressées. Nous avons traversé une longue période avec Skopje, ou plutôt la Macédoine du Nord, car il faut nous habituer à sa nouvelle appellation, une période faite de méfiance, de différends, etc… Bien entendu, nous avons essayé de construire une nouvelle relation, mais il faut que l’autre partie fasse preuve de sa bonne volonté et de sa fiabilité.
La Grèce est là pour aider. Je le redis, nous sommes un pays européen dans les Balkans. Nous ne sommes pas un pays balkanique en Europe. Nous allons exporter cette conception européenne à nos pays voisins, mais ils doivent également partager cette conception. D’ailleurs, la Macédoine du Nord et l’Albanie veulent aussi appartenir à l’Europe.
Voici une belle occasion pour eux de comprendre le modèle européen et de le suivre et non pas de tenter de fuir de ce qu’ils ont convenu.
JOURNALISTE : Je vous remercie beaucoup pour cet entretien et vous souhaite une bonne journée.
N. DENDIAS : Je vous remercie également.
September 2, 2019