Propos recueillis par la journaliste, Olga Tremi
JOURNALISTE : Mesdames et Messieurs, bonjour, vous regardez l'émission « Meeting Point » de Newsbomb avec notre invité, le ministre des Affaires étrangères, M. Nikos Dendias. Bienvenue à l'émission, merci pour votre hospitalité.
N. DENDIAS : Je vous remercie pour l'invitation et l'opportunité.
JOURNALISTE : Permettez-moi de commencer par le crash de l’avion Antonov à Kavala, parce que je pense que c'est une histoire étrange et il peut s'avérer que les choses ne sont pas ce qu'elles semblent être.
Une société privée serbe, derrière laquelle se cache peut-être une personne accusée de contrebande par les États-Unis, loue un avion à une société de transport fantôme ukrainienne pour transporter 11,5 tonnes de projectiles d'entraînement vers le Bangladesh, selon une déclaration du ministre serbe de la Défense.
J'aimerais donc que vous me disiez, parce que tout cela semble quelque peu paradoxal, surtout après le crash de cet avion particulier, quelle est votre propre aperçu de la situation. Et dites-moi également si les enquêtes qui ont été menées dans la région, nos propres enquêtes, soutiennent effectivement l'idée qu'il s'agissait de projectiles d'entraînement.
N. DENDIAS : Je me limiterai à ce que concerne le ministère des Affaires étrangères sur cette question particulière, pour de nombreuses raisons. Cela n'a aucun sens pour moi d'entrer dans une discussion et de vous dire que je connais plus largement dans le cadre du gouvernement ou…
JOURNALISTE : Pour ce qui est du dernier point, je suppose que vous en êtes au courant, c’est pourquoi je vous le demande.
N. DENDIAS : Je vous dirai toutefois quelle est notre propre implication dans cette affaire. La partie serbe - parce que l'avion a décollé de Serbie et a été chargé en Serbie et puisque celui-ci transportait le contenu spécifique, ce qui n'est pas contesté - aurait dû informer en la matière les parties concernées.
JOURNALISTE : Sans aucun doute, vous avez également fait une démarche.
N. DENDIAS : C'est pourquoi nous avons effectué une démarche auprès de la partie serbe.
Et aussi, parce qu'il y a une implication ukrainienne, en ce qui concerne l'avion, nous avons également effectué une démarche auprès du gouvernement ukrainien. Nous avons demandé des clarifications aux deux pays.
La question dans son ensemble bien sûr, n'est pas gérée par le ministère des affaires étrangères.
JOURNALISTE : Vous avez bien effectué une démarche, mais nous savons, d'après les déclarations du Président de la Serbie, que ce dernier n’en était pas au courant d'une part et d’autre part il a même affirmé, et je cite, « quel est le besoin d'une démarche puisque », comme il l'a dit, « cette histoire, cette affaire est claire comme de l'eau de roche ». Et je me demande comment est-il possible qu'un avion avec une telle cargaison entre dans notre espace aérien (FIR), et que les autorités grecques n'en aient aucune idée ?
N. DENDIAS : Je ne vais pas commenter les propos du président Vučić, mais ce que j'ai à dire, c'est ce que vous venez d'inclure dans la question.
Il est, je pense, tout à fait évident que, conformément aux règlements et dispositions applicables, la partie serbe aurait dû informer la Grèce, l'autorité de l'aviation civile, du contenu de cet avion particulier, de la cargaison.
Cela n'a pas été fait, et la partie serbe ne peut donc pas prétendre que tout a été fait correctement. Ce n'est pas le cas. Cela dit, bien sûr, nous attendons des explications par la voie diplomatique.
JOURNALISTE : En tout cas, vous n'avez pas de réponse à l'heure où nous parlons ?
N. DENDIAS : Non.
JOURNALISTE : Je vais insister un peu sur un aspect de cette question qui ne relève sans doute pas de la compétence de votre ministère, car je vois que la question suivante a également été soulevée dans la presse serbe : « Comment est-il possible, alors qu'il s'agit de projectiles d'entraînement quatre fois moins chers que les projectiles normaux, que l'on choisisse un moyen de transport aussi coûteux ? ».
Et après tout, Monsieur le ministre, aucun pays n’a hâte d’obtenir des projectiles d'entraînement, et si leur livraison était retardée de quelques jours ou non, je ne pense pas que cela aurait fait une différence. Cela soulève des questions et aussi des soupçons quant à savoir s'il s'agit d'un accident ou d'autre chose.
N. DENDIAS : Je suis désolé, je ne peux rien apporter de plus à cette discussion. Je comprends les questions, elles sont raisonnables, je pense que la plupart des gens les partagent, mais ce n'est pas quelque chose qui concerne le ministère des Affaires étrangères.
JOURNALISTE : Je crois que vous avez été informé, il est impossible que vous n'ayez pas été informé, ce sont des questions raisonnables.
N. DENDIAS : Oui, tout simplement je ne mêle pas préoccupations personnelles et fonctions ministérielles.
JOURNALISTE : Par coïncidence, trois jours avant le crash de l'avion... Excusez-moi avant de terminer avec la question de l'avion, la boîte noire se trouve-t-elle sur le territoire grec ou pas ?
N. DENDIAS : La boîte noire, évidemment, se trouve là où l'avion s'est écrasé.
JOURNALISTE : Bon, nous serons donc en mesure de donner des réponses aux questions auxquelles je fais référence ?
N. DENDIAS : Il est évident que la boîte noire contient des informations spécifiques sur le parcours, la vitesse, l'altitude, les raisons du crash.
JOURNALISTE : Et peut-être aussi les raisons de la chute. C'est donc de là que nous pourrons faire toute la lumière sur cet incident.
N. DENDIAS : Encore une fois, je vous réponds sur la base de connaissances générales, et non sur la base des connaissances spécifiques que j'acquiers en tant que ministre des Affaires étrangères. Je ne sais pas.
JOURNALISTE : Cela va de soi. Vous savez pourquoi j'insiste là-dessus ? Parce qu’il existe dans l'opinion publique un soupçon diffuse non seulement à ce sujet, mais aussi concernant d'autres questions. Il y a un sentiment que peut-être nous ne saurons jamais ce qui s'est passé. Pouvez-vous nous assurer que nous apprendrons ce qui s’est passé ?
N. DENDIAS : L'État grec, tout d'abord, permettez-moi de faire un commentaire général, la Grèce est un pays où il est rare que l’on n’apprenne pas tout. Je ferme cette parenthèse.
Mais la deuxième chose est que, de toute façon, le gouvernement grec a donné des signes d'une entente ouverte avec la société grecque et les autorités d'enquête ont l'obligation, dans la mesure où il n'y a pas de problème de sécurité nationale, et ici il n'y a pas de problème de sécurité nationale, d'informer l'opinion publique de ce qui s'est passé.
Et en fin de compte, le citoyen grec a été mis en danger par le survol de cet avion sans que l'État grec ne sache ce qu'il contenait.
JOURNALISTE : Je voudrais revenir sur ce que j'ai commencé à dire. Par coïncidence, trois jours avant le crash de l'avion, Interpol - les avertissements du chef d'Interpol Jürgen Stock datent du 3 juin, mais ils ont été rendus publics à nouveau il y a quelques jours – a soulevé la question de savoir s'il y a un contrôle des armes, du matériel de guerre envoyé en Ukraine par l'Occident. Et, ce dans le sens où le pays en question est considéré comme ayant eu un passé lourd, c'est-à-dire qu'il était soupçonné de faire de la contrebande.
Et ce n'est pas la seule autorité à soulever cette question, Mme Spartz également, membre de la Chambre des représentants, insiste exactement sur la même chose.
Je voudrais donc vous demander, parce que je pense que c'est crucial, s’il y a quelque chose qui vous préoccupe, s’il y a quelque chose qui devrait éventuellement préoccuper les institutions européennes compétentes, et si, à votre avis, quelque chose devrait être fait dans ce sens, à savoir faire assurer que le matériel envoyé reste en Ukraine et ne va pas ailleurs, parce que nous avons nous aussi envoyé du matériel militaire.
N. DENDIAS : Bien sûr, franchement, je ne pense pas que les quantités grecques et le moment où elles ont été envoyées soient ceux dont Interpol s'est préoccupé de quelque manière que ce soit, et la dernière question concernant l'Ukraine concerne les véhicules et, en effet, les véhicules obsolètes.
D'autre part, il est évident que le matériel de défense n'est pas n'importe quel matériel ; il doit être sécurisé que le dit matériel aille dans une direction précise et soit destiné à un usage spécifique. Tout cela se fait au nom de certains principes, Mme Tremi.
JOURNALISTE : L'Europe peut-elle soulever cette question ? L'Europe pourrait-elle demander à M. Zelensky de créer un mécanisme qui, pour l'instant, semble ne pas exister ?
N. DENDIAS : Je ne sais pas s’il existe, donc je ne peux pas vous donner une réponse hypothétique sur ce qui devrait être fait.
Mais encore une fois, le soutien de l'Ukraine avec du matériel provenant de l'Occident se fait au nom de certains principes : démocratie, stabilité, paix, sécurité. Il n'est donc pas possible que l'exportation elle-même soit une hypothèque sur les valeurs pour lesquelles elle est réalisée.
Mais je dois dire que j'imagine - je ne sais pas - j'imagine que les pays occidentaux seront particulièrement prudents à ce sujet. En particulier les grands pays, qui fournissent également une quantité importante de matériel.
JOURNALISTE : Mais je ne peux pas imaginer pourquoi Interpol poserait une telle question. Les pays peuvent être prudents, mais ils n'ont pas la capacité de contrôler ce qui se passe avec le matériel.
N. DENDIAS : Ecoutez, je pense qu’il n’est pas évident qu’Interpol, qui est active dans un domaine de lutte contre la criminalité organisée, ait toujours les informations nécessaires au niveau du soutien d'un pays avec du matériel de guerre par les canaux d'exportation de matériel de guerre. J'imagine toutefois que les pays exportateurs fourniront les assurances nécessaires. C'est quelque chose qui doit être fait, il n'y a aucun désaccord sur ce point.
JOURNALISTE : La question dont nous parlons, à savoir l'envoi de matériel de guerre à l'Ukraine, de notre côté, du côté grec, a rendu « glaciales» nos relations avec la Russie.
Mais la Russie, qui, tout d'abord, est liée à la question chypriote, a fait un pas sur l'échiquier, à savoir qu'elle a annoncé qu'elle établirait dans les territoires occupés un bureau pour les relations commerciales et économiques avec le pseudo-État, pour ainsi dire. Elle est également liée au Traité de Paris - puissance garante, elle a pris pied en Libye.
Ν. DENDIAS : Le Traité de Paris est de 1947 et porte sur le Dodécanèse.
JOURNALISTE : Oui, je veux dire la démilitarisation...
N. DENDIAS : Parce que vous avez utilisé le terme « puissance garante ».
JOURNALISTE : Cela n'était-il pas exact ?
N. DENDIAS : Ella a été consignataire en tant qu’Union soviétique.
JOURNALISTE : Et concernant le pied qu’elle garde en Libye pour compléter l'association, et, bien sûr vous allez dire que tel est le but de toute façon. La question est donc la suivante : Pourquoi, puisque nous avons besoin de la Russie, pour le dire de manière simpliste, avons-nous décidé de laisser nos relations en arriver là ?
N. DENDIAS : Je pense que vous faites, si je puis me permettre, un saut logique. Vous dites « pourquoi avons-nous décidé d'amener nos relations à ce point ?». Ce n’est pas nous qui avons décidé d'amener nos relations au point où elles en sont aujourd'hui.
Nous avons fait un effort énorme, je l'ai fait personnellement, en consultation avec le Premier ministre, pendant presque trois ans, pour améliorer les relations avec la Russie, des relations que nous n’avons pas trouvées à un niveau particulièrement bon.
JOURNALISTE : Non. Elles étaient, si vous voulez, froides, mais maintenant elles sont glaciales. Et cela est dû à notre position sur l'Ukraine et, en particulier, à l'envoi d'équipements de défense à l'Ukraine.
N. DENDIAS : Non, non. C’est là le saut logique.
JOURNALISTE : Eh bien, comment non ? Quelle mouche les a piqués ?
N. DENDIAS : Non, non. Si vous considérez l'invasion de l'Ukraine comme une mouche, on peut l'appeler comme on veut, mais la réalité est que la Russie a envahi...
JOURNALISTE : Je parle de l'envoi de matériel de guerre, monsieur le ministre. Je parle de l'envoi de matériel de guerre et de la façon dont cela a été fait. Je veux dire le fait que nous sommes le quatrième pays en Europe en termes d'envoi de matériel de guerre et le huitième dans le monde. C'est bruyant, pour ainsi dire.
N. DENDIAS : A quoi faites-vous référence, au temps ou à la quantité ?
JOURNALISTE : Je me réfère à la quantité.
N. DENDIAS : Je ne pense pas que ce soit...
JOURNALISTE : En fonction des données que j'ai consultées, mais si vous voulez on peut voir cette question à nouveau.
N. DENDIAS : Le matériel de guerre, de toute façon, ne relève pas de la responsabilité de mon ministère. Le classement donc du pays n’a aucun sens pour moi. Et la question serait de savoir, si vous voulez le faire encore, ce que vous prenez en compte. Prenez-vous en compte les véhicules ou non ? Prenez-vous en compte les casques ou non ? Qu'entendez-vous par matériel de guerre ?
JOURNALISTE : Monsieur le ministre, pour le meilleur ou pour le pire, la Russie a été contrariée. Sommes-nous d'accord sur ce point ?
N. DENDIAS : Laquelle a envahi un pays indépendant...
JOURNALISTE : Elle n’a pas été tellement gêné par un autre pays, c'est ce que j'essaie de dire.
N. DENDIAS : Pourquoi dites-vous cela ? Je ne le pense pas.
JOURNALISTE : Mais elle parle à tout le monde.
N. DENDIAS : Comment ça, elle parle à tout le monde ?
JOURNALISTE : Ne parle-t-elle pas à Macron, ne parle-t-elle pas au Finlandais, ne parle-t-il pas à l'Allemand ?
N. DENDIAS : Ces pays n'ont-ils pas donné... ?
JOURNALISTE : L'Italie ne prend-elle pas des initiatives avec la Chine pour désamorcer les tensions sur le champ de bataille ? Et trouver une solution ?
N. DENDIAS : Tout d'abord, vous faites une hypothèse de travail. Vous dites que la Russie ne nous parle pas. Nous, allons-nous parler à la Russie ?
JOURNALISTE : C’était nous qui avons rompu les relations ?
N. DENDIAS : Non, nous n'avons pas rompu nos relations. Vous dites qu’elle parle au Président Macron. Le président Macron a demandé à parler avec le président Poutine et il l'a fait. La France est l'un des pays, comme la quasi-totalité des pays européens, qui a fourni du matériel de guerre à l'Ukraine. L'Allemagne est l'un des pays de l'Union européenne qui fournit du matériel de guerre à l'Ukraine. Vous présentez la situation comme si la Grèce avait soudainement décidé de détériorer ses relations avec la Russie.
JOURNALISTE : Non, je ne dis pas ça et je ne pourrais pas soutenir une telle position, parce que cela est tout d’abord absurde. Ce que je dis, c'est que les choix que nous faisons ont considérablement détérioré nos relations avec la Russie, ce qui, j'ajouterais, n'est pas dans notre intérêt parce qu'elle nous rend la vie difficile sur de multiples questions. Je vous l'ai dit, la question chypriote, le Traité de Paris, sa présence en Libye.
N. DENDIAS : Si je comprends bien, vous exprimez un point de vue différent de celui choisi par l'Union européenne dans son ensemble.
JOURNALISTE : Je vous pose une question, je n'exprime pas une opinion. Je fais une description.
N. DENDIAS : Non, si vous chronométrez la question et la réponse, vous comprendrez que vous exprimez une opinion. Je la respecte, il n'y a rien de mal à exprimer une opinion, mais permettez-moi d’exprimer la position européenne.
JOURNALISTE : Bien sûr, mais c'est pourquoi je vous pose la question.
N. DENDIAS : L'Union européenne, dans sa quasi-totalité, a adopté une position très spécifique. Cette position concerne la protection de l'intégrité territoriale et des principes de la Charte des Nations Unies, et donc de l'acquis européen.
La Grèce a toujours soutenu cette position comme une évidence. Vous posez la question comme si la politique étrangère grecque avait le choix. Comme si le ministère de la Défense ou le gouvernement grec avaient le choix. Il n'y avait pas de choix. La Russie, contrairement à ce qu'elle a dit, contrairement à ce qu'elle m'a dit - j'étais à Moscou quatre jours avant l'invasion - a dit qu'elle n'allait pas envahir.
JOURNALISTE : Avez-vous toujours une ligne de communication ouverte avec Lavrov ?
N. DENDIAS : Si vous me demandez si j'ai été en contact avec Sergey Lavrov depuis que l'invasion a eu lieu, la réponse est non. Pour ne pas dire que nous n'avons presque aucune communication. Mais ce n'est pas personnel.
La Russie a fait deux choses. Premièrement, elle a envahi et deuxièmement, dans une ville où il y avait une minorité grecque - et c'est pourquoi j'avais informé et plaidé pour leur effort - la réponse russe a été de détruire complètement cette ville avec des pertes énormes. Quel aurait été, selon vous, le sujet de discussion ?
JOURNALISTE : Vous aviez été sur place et aviez vu les choses de près.
N. DENDIAS : J'étais là avant l'invasion de Marioupol. Après l'invasion, je suis allé à Odessa.
JOURNALISTE : Dites-moi, je ne doute pas que vous faites tout ce qui est en votre pouvoir mais pensez-vous que la communauté grecque est suffisamment protégée aujourd'hui ?
N. DENDIAS : A Marioupol ? Marioupol a été détruite par l'artillerie russe et par l'armée russe.
JOURNALISTE : Pas à Marioupol, en général la communauté grecque, parce qu'ils ne sont pas venus ici, les gens sont restés là-bas. C'est ce que je veux dire.
N. DENDIAS : Quand j'ai demandé au Consul - qui est revenu de Marioupol et il était le dernier occidental à partir, la ville était presque occupée avant son départ - « qu'avez-vous vu, avez-vous vu des corps dans les rues ?», il a répondu « je n'ai pas vu de corps, j'ai vu des parties de corps humains ». De quelle protection parlons-nous ? La ville de Marioupol a été traitée avec une brutalité flagrante.
JOURNALISTE : Dites-moi quelque chose. Estimez-vous que cette guerre va se terminer rapidement ? Y a-t-il donc des éléments permettant de penser que la voie d'une solution diplomatique s'ouvre éventuellement ou non ?
N. DENDIAS : Il n'y a rien à l'horizon pour le moment qui nous rende optimistes. Absolument rien. Le récit russe est en totale contradiction avec le récit ukrainien et, si vous voulez, avec le récit qui est conforme au droit international. La Russie affirme qu'elle mène une opération de « dénazification » en Ukraine, le reste de la planète affirme qu'il s'agit d'une invasion. Comment voyez-vous ces deux choses se réconcilier ?
JOURNALISTE : Donc vous ne pensez pas que cette guerre prendra bientôt fin ?
N. DENDIAS : Je ne peux pas le savoir. Je dis juste que les messages...
JOURNALISTE : Je veux dire que les preuves que vous avez à votre disposition ne vont pas dans cette direction.
N. DENDIAS : Je ne vois pas de progrès et je suis désolé de le dire.
JOURNALISTE : Passons aux relations gréco-turques. Le 20 juillet est pour Chypre et pour nous un anniversaire noir. On a récemment entendu dire qu'Erdogan envisageait d'annexer les territoires occupés à Chypre. En tout cas, les actions qu'il a entreprises entre-temps vont dans ce sens. C'est-à-dire d'une manière très influente qui frise l'osmose entre le pseudo-État et la Turquie.
Mais je veux que vous me disiez si vous pensez que cela s’intègre dans sa stratégie. Et si cela pouvait être favorisé par le fait que nous sommes dans un environnement où le révisionnisme est florissant.
N. DENDIAS : Si je commence par votre dernière constatation, il est évident que la partie turque penche vers le révisionnisme. On ne peut pas considérer que le comportement général de la Turquie au cours de la dernière période est conforme au droit international et aux traités. Et l'occupation de près de 40 % du territoire de la République de Chypre en est la pleine preuve, malheureusement pas la seule preuve, il y en a beaucoup d'autres.
Mais au-delà de cela, je crois que la Turquie ne procédera pas à des actes irréfléchis, comme celui que vous avez mentionné avec l'annexion de la partie nord de la République de Chypre.
JOURNALISTE : Nous constatons une tendance d'Erdogan à surpasser les kémalistes dans d'autres domaines également. Donc, vous envahissez, nous annexons. Vous créez des zones grises, nous contestons la souveraineté des îles.
J’ai déjà posé ma question, mais j'aimerais que vous nous disiez, si ces choses restent au niveau rhétorique, parce que la finalité est évidente, ou si nous craignons que le niveau rhétorique ne soit dépassé.
N. DENDIAS : Il faut toujours se préparer au pire et espérer le meilleur. Quoi qu'il en soit, la partie turque est allée plusieurs fois au-delà des limites permises.
JOURNALISTE : Vous avez affirmé très récemment, il y a environ deux mois, au site d’information Newsbomb, que le casus belli n'est pas dénué de sens. Voulez-vous expliquer ce que vous vouliez dire exactement ? C’est-à-dire qu’il n’est plus question d’incident chaud et sommes-nous entrés dans une nouvelle phase, où l'on craint quelque chose de pire que cela ?
N. DENDIAS :Je ne vous dis rien de nouveau. Je n'ai rien dit que le citoyen grec moyen ne sache pas. La Turquie est le seul pays sur la scène internationale - il n'y a aucun autre pays- qui a émis une menace de guerre, qui plus est contre un pays allié. En outre, l'élément supplémentaire est que la menace de guerre a été émise au cas où la Grèce exercerait son droit légal d'étendre ses eaux territoriales.
JOURNALISTE : Oui, à 12 miles.
N. DENDIAS : Donc, lorsqu'il existe une telle formulation, qui, malgré les appels répétés des Grecs et pas seulement des Grecs, n'a pas été révoquée, comment pouvons-nous jamais la considérer comme dénuée de sens ? Comment pouvons-nous considérer qu'il s'agit d'une figure de rhétorique ?
JOURNALISTE : Le mot «plus » m'a perturbé, « elle n’est plus dénuée de sens ». Le « plus » m'a perturbé. Je pensais qu'en tant que pensée, elle était alimentée par ce que nous avons vu récemment du côté d'Ankara, c'est-à-dire cette escalade excessive d'agressivité.
N. DENDIAS : Et pas seulement contre la Grèce. La Turquie a envahi plusieurs pays, l'Irak, le nord de la Syrie, elle a envoyé des forces militaires en Libye, elle a été impliquée dans le Caucase, et c'est un pays qui semble ne pas avoir la même compréhension de la légitimité internationale que nous, et je le dis avec indulgence. Par conséquent, comment quelqu’un qui s'intéresse à la politique étrangère grecque peut considérer le casus belli comme une simple figure de rhétorique ? C'est impossible.
JOURNALISTE : Vous dites que nous ne devons rien exclure, si je comprends bien.
N. DENDIAS : Sans vouloir être alarmiste.
JOURNALISTE : Restons maintenant sur les relations gréco-turques et la question du dialogue au plus haut niveau entre les deux parties qui a été interrompu. Qu'en est-il du dialogue entre Dendias et Çavuşoğlu ? Y en a-t-il un ? Votre homologue répond-il ? Et si oui, quelle importance accordez-vous à cela ? Dans le sens où cela pourrait éventuellement affecter le climat général. Pas vraiment, je pense.
N. DENDIAS : Je connais très bien M. Çavuşoğlu. Par conséquent, si vous me demandez s'il existe un canal de communication entre nous, à un niveau personnel, il y a toujours un canal de communication. Mais si cela peut être un canal de discussions interétatiques, je pense que le président Erdogan a rompu cela de la manière la plus absolue. Il a rompu tout contact.
JOURNALISTE : Je parlais du climat. Je ne vous demande pas si des miracles peuvent être faits. Je vous demande si cela peut affecter le climat.
N. DENDIAS : En tout cas, dans la situation actuelle, ce que nous essayons de faire, c'est d'éviter une nouvelle aggravation. Nous sommes très loin d'une entente cordiale ou d'un climat de discussion.
JOURNALISTE : Laissez-moi faire une parenthèse ici. Vous avez mentionné la question de l'extension, notre droit légal d'étendre nos eaux territoriales à 12 miles. Il existe des informations, que je vous demande d'infirmer ou de confirmer, selon lesquelles nous sommes suffisamment proches de l'Albanie pour étendre nos eaux territoriales à 12 miles. C'est vrai ?
N. DENDIAS : Cela a déjà été fait. L'Albanie a 12 miles et nous avons 12 miles. Dans la mer Ionienne, nous avons 12 milles.
JOURNALISTE : Cela a été fait avec l'Albanie.
N. DENDIAS : ... Cela a été fait. Cela n'a pas été fait « avec », cela a été fait unilatéralement. Parce que c'est notre droit. Mais cela a été fait avec la pleine compréhension des deux parties.
JOURNALISTE : Oui, je veux dire l'institutionnalisation de cette chose. Sommes-nous proches ?
N. DENDIAS : Ce qui doit être fait avec l'Albanie, c'est de parvenir à un compromis à travers lequel nous saisirons La Haye de nos différends.
La question de la frontière maritime avec l'Albanie est une question résolue par la ligne médiane. Les Albanais et nous sommes allés jusqu'à 12 miles. Et là où il n'y a pas de 24 miles, et dans une grande partie de ma patrie Corfou il n'y a pas de 24 miles, il y a la ligne médiane.
Maintenant, si des discussions techniques sont nécessaires dans le cadre du recours à La Haye, celles-ci peuvent avoir lieu. Mais en principe, le différend avec l'Albanie sera résolu dans le respect total du droit international et de la Convention sur le droit de la mer, UNCLOS : 12 milles, pleins droits sur les îles, recours à La Haye pour le règlement de tout différend.
JOURNALISTE : Parfois, il existe aussi la porte de derrière. Et je dis cela parce que nous sommes informés que vous préparez un événement conjoint avec les Américains sur les océans. C'est l'environnement, c'est le changement climatique, mais c'est aussi d'autres choses.
N. DENDIAS : Merci de me poser cette question, nous en sommes très contents. Il y aura une conférence appelée Ocean Conference. Il y a l'envoyé spécial américain, M. Kerry, et la Grèce a pris la responsabilité d'organiser la conférence sur les océans pour 2024, et en fait, lundi, nous en aurons la présentation au centre culturel de la Fondation Stavros Niarchos.
Comme vous l'avez très bien dit, la question primordiale de cette initiative est l'environnement, la protection de l'environnement. La protection de l'environnement s'accompagne, bien sûr, de règles de gestion de la mer, des zones maritimes, de la manière dont le milieu marin peut être protégé. Évidemment, tout un concept de richesse marine fait partie de ce débat.
Mais, bien sûr, la question absolument primordiale, avec laquelle je pense que personne ne peut être en désaccord et qui peut être un terrain d'entente pour nous tous, est la protection des mers. Ce qui se passe est désastreux pour l'humanité, pour les générations futures. Le le plastique déversé dans la mer Égée et la Méditerranée est à lui seul une tragédie.
JOURNALISTE : Maintenant, pour conclure ce débat, Monsieur le ministre. L'hiver prochain va être extrêmement difficile. Ce sera un hiver de choc. Nous pourrions nous retrouver face à un thriller énergétique, la Commission européenne recommande déjà une réduction de 15 % - une réduction du gaz. Cela signifie que la production industrielle sera réduite. Cela signifie que la croissance en sera aussi affectée. Étant donné que nous entrons dans un contexte électoral, pouvez-vous m'expliquer pourquoi le gouvernement devrait continuer… ?
N. DENDIAS : Il s'agit d'une décision du Premier ministre, qui repose sur une logique spécifique. La logique spécifique est de créer une compréhension institutionnelle des choses.
Il l'avait annoncé de manière indubitable. Au-delà de cela, je pense que c'est un point de vue qui, encore une fois, repose sur une raisonnement spécifique. Absolument soutenable. On peut avoir une perception différente des choses.
Mais en effet, vous avez raison, nous allons avoir un hiver difficile. Vous avez tout à fait raison sur la question de l'énergie et de son incidence sur notre niveau de vie. Espérons, mais rien ne nous incite à cet optimisme, que le problème créé par l'invasion de l'Ukraine par la Russie sera résolu et que l'approvisionnement énergétique de l'Europe pourra être rétabli aux niveaux d'avant la crise.
JOURNALISTE : Vous avez également quelques impressions du Conseil des affaires étrangères. C’est l'Union européenne, selon la presse internationale, qui est la plus touchée par les sanctions, la plus touchée par la Russie. Et, bien sûr, l'Amérique, pour d'autres raisons, est en quelque sorte épargnée, mais pour d'autres raisons, bien qu'elle soit également touchée, mais moins.
N. DENDIAS : Je ne suis pas d’accord. Tout d'abord, je ne mettrais pas en balance les conséquences plus graves ou moins graves que subissent la Russie ou l'UE.
JOURNALISTE : Non, moi je voudrais savoir quel est votre raisonnement. Parce que quand on est touché, on peut changer notre manière de voir les choses, et c'est ma question en tout cas. C'est-à-dire, sur la base de ce raisonnement, est-ce que l’Europe pense à mettre de l'eau dans son vin, par exemple, ou au contraire, est-ce qu’elle s’en tient à son point de vue initial, en évaluant les choses avec un raisonnement différent ?
N. DENDIAS : La tendance, la tendance générale, et tout le monde le sait, est l’indépendance vis-à-vis des sources d'énergie russes. Telle est la réalité. En outre, l'Union européenne planifie également la manière dont ce problème pourrait être résolu, les sources d'énergie alternatives disponibles et la manière dont les déficits auxquels nous sommes confrontés pourraient également être comblés. Ce n'est pas facile du tout. Mais vu l'évolution de la situation internationale, je pense qu'il est sage de le faire, d'y réfléchir et de le planifier.
A partir de là, espérons - un tout petit espoir, mais il est bon de l'exprimer - que les conditions d'un changement de cap pour la Russie seront créées. Parce que ce que vous avez dit sur les dommages causés à l'Europe est très vrai, mais laissez-moi vous dire que la Russie est également très endommagée, et que l'avenir de la société russe est également endommagé. Le déficit des exportations de produits technologiques vers la Russie crée un énorme problème tant pour l'économie russe que pour le développement de la Russie dans les années à venir, et je ne suis pas heureux de vous le dire.
Les futures générations de Russes paieront pour cela et je ne suis pas heureux de vous le dire. En tant que pays, la Russie a offert à la communauté mondiale une immense tradition culturelle, une immense richesse culturelle, qui fait partie de notre culture européenne unifiée. Ce qui se passe en ce moment, et qui me rappelle le discours de Churchill à Fulton, Missouri, en 1946, « Un rideau de fer tombe sur l'Europe », c'est une chose extrêmement triste tant pour l'Union européenne que pour la Russie.
La Grèce est un pays, Madame Tremi, qui a toujours soutenu que la Russie devait être incluse dans la logique de sécurité européenne, et ce qui se passe a complètement bouleversé nos espoirs. Mais tout ce que je veux dire en guise de conclusion, c'est que ce n'est pas notre responsabilité. Il y a eu un choix particulier qui était complètement contraire au droit international et cela ne peut pas être accepté.
JOURNALISTE : Maintenant, vous me ramenez au droit international. Je voulais terminer en vous demandant quelque chose de plus...
N. DENDIAS : La politique étrangère grecque est comme ça. C'est comme son évangile.
JOURNALISTE : ...banal, au sens ordinaire du terme. Remaniement ministériel. Des scénarios se font à nouveau entendre. Mais, Dendias reste solide.
N. DENDIAS : C'est pourquoi, à moins de 150 mètres, il y a le Palais Maximou et la personne responsable pour y répondre. Je ne peux pas faire de commentaires.
JOURNALISTE : Merci beaucoup, Monsieur le ministre.
July 21, 2022