V. PETOURI : Monsieur le Ministre, merci beaucoup d'avoir choisi la télévision publique pour l'une de vos rares apparitions, vous ne parlez pas souvent et vous intervenez maintenant à un moment crucial, avec une guerre qui nous a tous secoués au cœur de l'Europe.
Nous devons préciser que cette interview est enregistrée, car immédiatement après, vous partez pour New York, où vous aurez une série de rencontres tout d’abord avec le Secrétaire général des Nations unies, et non seulement.
N. DENDIAS : Merci à vous pour cette occasion.
En effet, il y a une rencontre prévue avec le Secrétaire général, M. Guterres, il y a un certain nombre de sujets qui nous préoccupent, à commencer évidemment par l'invasion russe en Ukraine, mais pas seulement.
Il y a les questions de la Méditerranée orientale, il y a les questions de la Libye et, en général, on fera un aperçu globale de la situation après l'invasion russe.
V. PETOURI : J'imagine, bien sûr, que tous ces contacts se feront précisément dans l'ombre de la guerre, de l'invasion russe. Je sais que vos pensées vont à la diaspora grecque en Ukraine et en particulier à Marioupol, et je sais que vous allez aborder et demander leur protection, l’adoption d’une série de mesures visant à les protéger.
N. DENDIAS : Madame Petouri, il est extrêmement malheureux que cela se produise. Tout d'abord, comme nous le voyons tous sur nos écrans de télévision, Marioupol est la principale cible des forces russes en ce moment. Le théâtre dans lequel plus de 1 000 personnes avaient trouvé refuge a été bombardé, heureusement elles étaient au sous-sol. J’avais vu le bâtiment et j’espère qu’il résistera aux bombardements. Telles sont les premières informations qui nous sont parvenues.
Mais, dans tous les cas, ce qui se passe est un crime de guerre absolument indéniable.
Je voudrais vous dire aussi, et je soulèverai aussi cette question au Secrétaire général, que la Grèce est l'un des 38 pays qui ont demandé à la Cour pénale internationale de La Haye d’ouvrir une enquête sur les crimes de guerre commis pendant cette invasion.
V. PETOURI : Oui, donc la CPI sera aussi saisie de cette affaire.
N. DENDIAS : Mais j'aurai aussi l'occasion de voir Mme Greenfield, la représentante permanente des États-Unis auprès des Nations unies - elle est aussi membre du cabinet des ministres - pour avoir le point de vue de la partie américaine sur la façon dont, à partir de maintenant, l'effort pour arrêter cette invasion inacceptable et illégale peut se poursuivre.
V. PETOURI : Monsieur le Ministre, maintenant que vous êtes là, nous allons tout examiner, nous allons examiner le facteur américain, nous allons examiner le rôle de l'OTAN.
Je voudrais commencer par une question, simpliste si vous voulez, mais dont on entend beaucoup parler : après 23 jours de guerre et alors que les pourparlers se poursuivent au niveau diplomatique, alors qu'il y a une forte mobilité, dans quelle mesure la fin de cette guerre est-elle proche ? La diplomatie l’emportera-t-elle sur les hostilités ?
N. DENDIAS: Je suis désolé mais je vais vous répondre en toute franchise que je ne sais pas. Tout comme personne ne le sait. Nous exprimons tous de l'espoir et faisons de notre mieux.
Parce que ce qui se passe n'est pas seulement une tragédie humanitaire, ce n'est pas seulement une incompatibilité totale avec le droit international, c'est quelque chose de totalement inacceptable pour le 21ème siècle.
Mais au-delà de cela, je ne peux pas prévoir quand l'invasion russe prendra fin.
Ce que je veux vous dire, c'est que nous, avec nos forces, quelles qu'elles soient, faisons et ferons tout ce que nous pouvons dans cette direction. Et nous faisons et ferons tout ce qui est en notre pouvoir, et vous l'avez très bien dit tout à l'heure, pour protéger la diaspora grecque dans ces régions.
V. PETOURI : Monsieur le ministre, on pourrait peut-être spéculer sur ce qui pourrait se passer si l'on savait quels sont les objectifs de Vladimir Poutine. Cela s'est-il cristallisé au niveau politique ? Ses objectifs ont-ils été évalués ? Veut-il s'emparer peut-être de toute l'Ukraine, comme on entend parler, d’après un scénario extrême ? Est-il simplement intéressé par l'annexion de la Crimée et de l'Ukraine orientale ? Veut-il déployer des troupes ? L'économie russe peut-elle supporter cette charge ?
N. DENDIAS : J’éviterai entièrement de faire l’apologie ou d’expliquer l’attitude russe pour une simple raison : car quelles que soient les priorités du président Poutine, après l'invasion russe, une chose est claire, elles sont totalement contraires au droit international, à ce que prévoit la Charte des Nations unies.
Et je dois souligner, et je tiens à le faire, que la Russie est un membre permanent du Conseil de sécurité, et donc, en théorie, un des piliers de l'application de cette Charte au sein de l'humanité.
Par ailleurs, il est clair que la Russie cherche à démembrer l'Ukraine et à la neutraliser. Nous ne savons pas et ne pouvons pas savoir quel est le plan global de la partie russe.
V. PETOURI : Je dois vous dire puisque nous abordons l’aspect opérationnel, et nous allons terminer par cela parce qu'il y a très peu de choses que nous pouvons dire à ce stade, comme vous l'avez dit, parce que personne ne sait quels sont les objectifs de Poutine, et nous allons passer à l’aspect diplomatique pour voir si une solution et un cessez-le-feu sont possibles.
Je voudrais attirer votre attention sur toutes ces critiques que l'opposition a exercées contre vous, pas contre vous personnellement, et même selon certains scénarios - vous souriez - vous seriez contre l'envoi d'équipements militaires en Ukraine.
N. DENDIAS : Tout d'abord, je ferai un commentaire personnel, puis j'en viendrai aux autres questions.
Depuis le premier jour où j’ai pris mes fonctions au sein de ce ministère, je suis fatigué de lire que je suis constamment en désaccord, que j'ai une attitude différente tout le temps et de choses pareilles.
Une chose est évidente : je suis ministre des Affaires étrangères du gouvernement Mitsotakis et je reste ministre des Affaires étrangères du gouvernement Mitsotakis. Je pense que cela résume tout. Si j'avais une opinion différente sur une question importante de politique étrangère, la voie que j'aurais dû emprunter est évidente.
V. PETOURI : Y a-t-il une possibilité que nous envoyions plus de matériel militaire ?
N. DENDIAS : Nous sommes un pays européen. L'Union européenne, à une écrasante majorité, pour ne pas dire à l'unanimité, a décidé de renforcer l'Ukraine de toutes les manières possibles, et c'est ce que nous essayons de faire, en mettant à la disposition d’un pays qui est envahi du matériel de défense.
Des principes bien clairs régissent les relations internationales de la Grèce. Pour nous, l'intégrité territoriale des États est un évangile, et c'est ainsi que nous abordons toujours notre politique étrangère. Si vous voulez, c'est aussi notre intérêt national, en plus d'une position de principe à laquelle nous croyons profondément.
Ainsi, en aidant chaque pays qui lutte pour son indépendance et son existence, nous promouvons en fait ce que nous - et quand je dis nous, je ne parle pas du gouvernement Mitsotakis, je ne parle pas du Premier ministre, je parle de l'ensemble de la société grecque - croyons.
V. PETOURI : Savez-vous de quoi ils vous accusent ? Que les relations avec la Russie, traditionnellement bonnes depuis des décennies, ont été « rompues » - puisque en raison aussi du dogme chrétien, les contacts étaient plus étroits - et que la Grèce s'est retrouvée à s’aligner sur la tactique des pays baltes et de la Pologne, sur la tactique défensive au sein de l'Europe, qui est un miroir de l'OTAN, et non pas sur la tactique française.
C'est ce que l'opposition vous reproche, je ne fais que citer ses arguments, à savoir que chaque pays défend son intégrité territoriale.
N. DENDIAS : Tout d'abord, ce que nous faisons, la France l'a fait aussi, pour être clair sur ce point.
Mais au-delà de cela, en effet, nos relations avec la Russie sont historiques, et je garde l'espoir qu'elles seront restaurées à un moment donné. Quand ? Quand la Russie revient à la légitimité internationale.
Bien sûr, car je veux être honnête, lorsque j'ai assumé mes fonctions en tant que ministre des Affaires étrangères, nos relations avec la Russie n'étaient pas au beau fixe et j'ai travaillé consciemment et beaucoup pour les améliorer.
Et je suis très, très désolé, franchement, de la situation dans laquelle elles se trouvent aujourd'hui, mais la Grèce n’a pas de part de responsabilité à cet égard.
La Grèce est un pays qui agit sur la base de principes et de valeurs et ne peut qu'aider tous les pays qui souscrivent à ces principes et se battent pour eux. Si cela l'amène nécessairement à contredire d'autres pratiques, cela ne peut être considéré comme une responsabilité de la Grèce.
V. PETOURI : M. le Ministre, avez-vous été surpris par cette intervention ? Quelques 24 heures avant, M. Lavrov vous a assuré qu'il n'y aurait pas d'intervention et il y a eu beaucoup de discussions à ce sujet.
N. DENDIAS : Je veux être honnête avec vous maintenant, parce que cela est connu de tous. Nous avons reçu des avertissements clairs, tant du côté américain que du côté britannique, qu'une invasion était imminente. Et pas de simples avertissements, des avertissements accompagnés de matériel photographique et de preuves.
D'autre part, un certain nombre d'acteurs du côté ukrainien et M. Kuleba, avec qui je me suis entretenu lors de ma visite en Ukraine, nous ont assurés que cela n'arriverait pas, que la Russie essayait de faire pression pour trouver une solution. L'expression utilisée était : ambiguïté stratégique.
Et, bien sûr, la Russie disait à toutes les parties qu'elle n'allait pas intervenir ce dont m’a assuré M. Lavrov lors de la conversation que nous avons eue en privée, et la même chose s’est passée avec le président Poutine et le président Macron.
Mais en général, notre réaction et notre opposition à tout ce qui implique une violation barbare de la légitimité internationale est constante. Nous ne pouvons jamais, jamais entrer dans la logique selon laquelle il est prévisible et acceptable de violer la légitimité internationale.
V. PETOURI : Vous savez ce qui a aussi provoqué une surprise et ranimé beaucoup de discussions ? Que quelques heures après l'invasion, Lavrov a parlé de « Chypre du Nord ».
N. DENDIAS : Oui, quelques jours. Quelques jours après, je pense.
V. PETOURI : Quelques jours ? Bref, c'était très, très proche.
N. DENDIAS : C'est évidemment un faux pas. Je ne peux pas l'interpréter, quelque chose comme cela ne s'est pas produit lorsque j'étais à Moscou et cela ne s'est jamais produit au cours de nos entretiens, que ce soit cet entretien ou les précédents.
V. PETOURI : Eh bien, allons voir maintenant à quel point nous pouvons être optimistes, à quel point des progrès ont été réalisés au niveau diplomatique en termes de pourparlers. Nous constatons qu'il y a également un recul de la part de Poutine en termes de nazification, c'est-à-dire qu'il n'aborde pas la question...
N. DENDIAS : Du renversement du gouvernement.
V. PETOURI : Exactement, le renversement du gouvernement Zelensky. Il y a également des concessions de la part de l'Ukraine sur la question de la neutralité, de l'adhésion à l'OTAN.
Bien sûr, il y a aussi de nombreuses questions épineuses, à savoir l'annexion de la Crimée.
Dans quelle mesure êtes-vous optimiste et pensez-vous que des pas sont faits en ce moment ?
N. DENDIAS : Je ne suis pas un magicien. Je suis très heureux car il y a des contacts entre les deux parties. Et j'exprime également, - je pense que tout le monde le fait sans être nécessairement impliqué dans la diplomatie - le souhait que cette tragédie humanitaire prenne fin.
Au-delà de cela, vous avez tout à fait raison de dire qu'il y a des divergences par rapport aux positions initiales des deux parties, mais d'un autre côté, les deux narrations à ce stade, ne semblent pas compatibles.
La Russie demande à la partie ukrainienne des concessions que le président Zelensky n'est pas prêt à faire. Et je comprends parfaitement sa position. Il a un public interne, l’opinion publique de son propre pays pour laquelle il se bat, des gens se sont sacrifiés pour cela, il n'est pas facile de renoncer à toutes ces positions pour les quelles la société ukrainienne et l'armée ukrainienne se battent en ce moment.
V. PETURI : Poutine reculera-t-il à votre avis ?
N. DENDIAS : C'est difficile. Le président Poutine, pour sa part, a créé une narration en présentant en effet l'invasion comme une opération de police. En fait, Moscou ne parle pas d’invasion, ni de guerre, il est donc difficile pour lui de reconsidérer sa position initiale.
Néanmoins, la diplomatie n'est pas un processus qui consiste à résoudre les problèmes évidents et faciles. Au contraire, il s'agit d'un processus difficile, pour lequel tous les efforts sont nécessaires.
J'espère, je répète, j'espère, que lors de ma rencontre avec le Secrétaire général ce dernier m'informera également des efforts qui sont faits et qui peuvent être faits pour obtenir un résultat immédiat, le résultat immédiat étant tout d’abord une cessation des hostilités. C'est une chose terrible de bombarder des civils au 21ème siècle. Terrible.
Et si je peux dire quelque chose en passant, en ce qui concerne la partie grecque maintenant, indépendamment de la légalité ou de l'illégalité ou de l'image donnée par la partie russe, la partie grecque a pris ses mesures. Nous avons publié trois communiqués d'affilée, en tant que ministère des Affaires étrangères, à la connaissance bien évidemment du Premier ministre.
Dans le premier, nous avons demandé aux Grecs, plusieurs jours avant l'invasion, d'arrêter les voyages en direction de ce pays. Dans le deuxième, dix jours avant l'invasion, on leur a demandé de quitter l'Ukraine, et dans le troisième, si je me souviens bien, trois ou quatre jours avant l'invasion, on leur a de nouveau demandé de quitter l'Ukraine, précisément parce que les informations dont nous disposions allaient vers le scénario d’une invasion.
Donc, dans ces cas, on agit sur la base de la prévision sûre. Quelle est la prévision sûre ? Assurer la sécurité des ressortissants grecs et celle des membres de la diaspora qui veulent partir. Donc on leur dit « partez !».
V. PETOURI : C'est une guerre menée sur le territoire européen et la question est de savoir si cette guerre a réveillé l'Europe et si elle l'a réveillée à deux niveaux.
Le premier est le niveau de son intégration, et ce n'est pas une coïncidence si la question du volet militaire de l'Union européenne est maintenant discutée de manière intensive, une question qui a été abandonnée dans le passé, une question qui a été laissée de côté, une question qui a été reprise, si je ne me trompe pas, par votre prédécesseur au poste de ministre des Affaires étrangères à l'époque, Georges Papandreou.
Et le deuxième est la question de l'énergie, c'est-à-dire dans quelle mesure cette relation énergétique très étroite avec Moscou constitue une piège, pour le dire ainsi, pour l’Europe ?
Ce sont deux grandes questions, je vous pose deux grandes questions.
N. DENDIAS : Tout d'abord, je tiens à vous dire que je suis très, très fier du projet européen et très fidèle à celui-ci. Non pas parce qu'il est parfait, non pas parce qu'il ne présente pas trop de problèmes, mais parce que, à mon avis, c'est peut-être l’exploit le plus fier de l'histoire de l'humanité. Un espace commun de paix, de sécurité et de protection des droits de l'homme. C’est une grande première dans l'histoire de l'humanité, malgré ses nombreux défauts et ses nombreux problèmes.
Cet espace, dont la durée de vie est de quelques décennies, devra parcourir un long chemin pour être achevé. Je le compare toujours aux religions monothéistes, à l'exception de l'Islam. Cela prend 300 ans.
V. PETOURI : Cette guerre va-t-elle servir de détonateur ?
N. DENDIAS : Mais cette crise crée des conditions de maturation violente. De même que la crise pandémique a créé une maturation violente au niveau économique et qu'il y a eu une acceptation de l'euro-obligation, qui, il y a trois ou quatre ans, faisait l’objet d’une forte réprobation par certains pays, de même cette crise crée le besoin de créer un bras défensif au sein de l'Union européenne, ce qui est absolument nécessaire. S'il y a une bonne chose à tirer de cette tragédie, c'est celle-ci. C'est la vitesse à laquelle nous avançons.
V. PETOURI : A votre avis les partenaires européens feront-ils des pas dans ce sens ?
N. DENDIAS : Mais il y a une question énorme qui doit aussi être discutée comme un paramètre, le réarmement de l'Allemagne. Les 100 milliards qui ont été annoncés sont un chiffre énorme. L'armée allemande qui émergera de cet investissement sera une armée très puissante.
L'Europe doit donc discuter très sérieusement des règles qui régiront la création de son autonomie en matière de défense et je voudrais être clair à propos de la Grèce. La Grèce voit notre autonomie, l'autonomie européenne, en liaison avec l'OTAN et en liaison avec la présence américaine et pas comme étant en opposition à l'OTAN et à la présence américaine.
Nous pensons qu'il existe une communauté d'intérêts des démocraties qui pourrait, à travers ce réveil violent, oeuvrer dans ce sens. Et, bien sûr, c'est très important, et je dois le signaler, pour nos propres intérêts nationaux.
V. PETOURI : Bien sûr, très, très important, c'est très important d'avoir un bras européen -- quand on se trouve à l’extrémité de l’Europe - vis-à-vis de la Turquie.
N. DENDIAS : Je ne pense pas avoir besoin de m'étendre davantage.
V. PETOURI : Je pense que cela va sans dire pour nous tous. Parlons un peu d'énergie, puis je voudrais examiner le rôle de l'OTAN à cet égard.
N. DENDIAS : En termes d'énergie, l'Europe est approvisionnée à environ 40 % par la Russie. C'est un pourcentage extrêmement élevé.
En Grèce, nous avons fait des choix qui se sont avérés justes.
Tout d'abord, la transition aux sources d'énergie renouvelables, certainement à long terme, ne se fait pas du jour au lendemain.
Deuxièmement, les différentes installations de regazéification du gaz, ce qu'on appelle FSRU (Unité flottante de stockage et de regazéification), il y en a une à Revithoussa et il y aura une autre à Alexandroupolis, ce qui nous donne la possibilité de recevoir des importations de gaz de pays comme l'Algérie, les États-Unis et d'autres pays de l'autre côté de la mer.
Tout cela donne une deuxième possibilité à toute l'Europe. Au lieu de s’approvisionner en énergie russe, les pays de l’Europe peuvent obtenir de l'énergie à travers la Grèce et cela met en valeur la Grèce en tant que centre énergétique.
V. PETOURI : Exactement.
N. DENDIAS : Le grand pari d'Alexandroupolis pour nous, qui fera partie du premier accord que j'ai signé avec les États-Unis d'Amérique, a été gagné. Alexandroupolis n'était pas connue sur la carte géopolitique, elle n'existait pas sur la carte géopolitique. Alexandroupolis a été placée sur la carte géopolitique en 2009 et depuis elle connaît une croissance à une vitesse fulgurante.
La Grèce a donc quelque chose à gagner. Cela ne signifie pas que nous sommes heureux de la situation actuelle, mais en tout cas, la Grèce, ayant cette position géographique et ayant fait ces choix, a un rôle accru à jouer.
Et permettez-moi de donner une autre dimension, qui n'est pas très connue, à l'accord gréco-égyptien. L'accord gréco-égyptien sur les zones maritimes garantit la possibilité d'installation d’un câble, d'un pipeline, entre l'Afrique et l'Europe. C'est une grande réussite historique. Pour le pays, c'est une question d'une énorme importance et c'est précisément la raison pour laquelle le pays a conclu cet accord et est absolument prêt et disposé à le défendre.
V. PETOURI : Nous reviendrons sur l'énergie lorsque nous parlerons des relations gréco-turques, car ces dernières ont fait l'actualité, et la presse turque y fait également référence aujourd'hui.
Mais je voudrais maintenant vous interroger sur le rôle de l'OTAN. Nous pouvons constater que l'OTAN est ici, qu'elle observe cette guerre de loin, qu'elle est très prudente quant à son implication par voie aérienne, quant à son implication en Ukraine, malgré les appels constants de Zelensky.
N. DENDIAS : L'OTAN est basée sur l'article 5, elle s'implique lorsqu'il y a une menace ou une guerre contre un Etat membre. L'Ukraine n'est pas membre de l'OTAN, donc l'OTAN doit nécessairement être extrêmement prudente. Je rappelle que la Russie et certains pays de l'OTAN sont des puissances nucléaires. Vous comprenez donc ce que signifierait une confrontation entre la Russie et l'OTAN.
V. PETOURI : Oui, un cauchemar.
N. DENDIAS : Mais au-delà de cela, en termes de droit international plus large, l'OTAN fait son devoir, en aidant l'Ukraine et en l'aidant autant qu'elle le peut. J'ai vu le président Biden annoncer hier un nouveau paquet d'aide et d'assistance militaire à l'Ukraine. Ainsi, l'OTAN apporte son aide à l’Ukraine, qui se bat pour son existence et son indépendance. La non implication est bien évidente. Hélas, il n'y aurait alors aucune distinction entre membre et non-membre.
V. PETOURI : Et le rôle des Etats-Unis est également prudent, ce qui signifie que plusieurs fois nous avons entendu Zelensky exprimer un mécontentement et vouloir plus...
N. DENDIAS : Peut-être une amertume.
V. PETOURI : Une amertume, le souhait d'un soutien plus actif.
N. DENDIAS : Ecoutez, sa position et son attitude sont compréhensibles et, si je peux prédire, peut-être ses appels vont être encore plus pressants dans cette direction. Mais d'un autre côté, dès le début l'OTAN et les États-Unis ont été clairs sur leur non implication.
V. PETOURI : Zelensky ne se sentait-il pas soutenu ?
N. DENDIAS : Il avait du soutien dans le sens large du soutien exprimé en faveur de ses points de vue et positions.
V. PETOURI : Oui, ne se sentait-il pas soutenu et a-t-il pris cette position ?
N. DENDIAS : Ecoutez, s'il avait l’impression qu'il y aurait une intervention militaire de l'Occident, alors il a fait une grosse erreur. Et je vous l'ai dit plus tôt, la prédiction que je recevais du côté ukrainien est qu'il n'y aurait pas d'invasion.
V. PETOURI : Bon. Nous reviendrons sur l'aspect économique, en ce qui concerne l'Europe, et je propose à ce stade que nous fassions une pause et immédiatement après nous aurons contact avec notre rédacteur diplomatique Nikos Meletis, pour examiner les relations gréco-turques qui sont dans l'actualité en raison de la guerre d'une part, mais aussi en raison de la rencontre entre le Premier ministre et le Président Erdogan.
[pause]
V. PETOURI : Mesdames et Messieurs, nous sommes ici au ministère des Affaires étrangères, nous reprenons notre entretien avec le ministre des Affaires étrangères, M. Nikos Dendias, et nous allons maintenant discuter du rôle de la Turquie, d'Ankara, qui est très important.
Nous avons d'abord cru, après l'appel de l'Ukraine à la fermeture des détroits, que Tayyip Erdogan était coincé entre deux choix ; ses relations avec la Russie sont au beau fixe, à en juger par les déclarations de Lavrov.
Par contre, avec l'Ukraine, les relations ne sont pas du tout à un mauvais niveau, Erdogan se présente comme une puissance garante, il a même demandé que la rencontre Poutine-Zelensky se fasse sur le territoire turc, s'il y en a une.
Et en même temps nous assistons à une évolution de la situation au niveau du dossier énergétique ; la presse turque parle aujourd'hui de coopération « Athènes-Ankara » et rapporte même que « cette question a été évoquée lors de la rencontre du Premier ministre avec le Président turc ».
Je vous ai ainsi présenté l'ensemble des développements dans les relations gréco-turques de ces derniers jours et nous allons également avoir un contact avec Nikos Meletis.
N. DENDIAS : Tout d'abord, c’est M. Mitsotakis qui a eu la gentillesse de m’informer en détail lundi matin du contenu de son entretien avec le président Erdogan. Et je dois vous dire qu'une telle question - parce que je suis au courant de diverses affirmations en Turquie sur une co-exploitation etc. - ce genre de questions n'ont pas été soulevées. Et, aussi, cela ne fait pas partie des positions immuables de la politique étrangère grecque.
V. PETOURI : Vous parlez de la co-exploitation en mer Égée ? Ah bon, je vois, vous vous référez aux déclarations d'Akar après la réunion avec le ministre de la Défense.
N. DENDIAS : C'est ce que disent les Turcs, mais vous savez, je veux être honnête. Ce n'est pas la première fois que nous entendons cela. Trop souvent, le côté turc, diverses personnes du côté turc, affirment des choses pareilles, voulant donner l’impression que ces propos ont été effectivement tenus.
Cela n'est jamais arrivé. Notre position de principe sur la Turquie est très claire. Nous affirmons que nous avons un différend, un différend spécifique, et nous proposons la méthodologie pour résoudre ce différend, le droit international, la Convention sur le droit de la mer. Quelles discussions ? Si nous ne sommes pas d'accord, on peut recourir à La Haye.
V. PETOURI : Les positions nationales.
N. DENDIAS : Nous n'avons pas de divergence, je pense qu'il n'y a pas de divergence nationale sur ce point. Il y a un large consensus de tous sur cette position.
Comment pouvons-nous procéder à une co-exploitation lorsque nous ne nous sommes pas mis d'accord sur ce qui appartient à l’une et à l’autre partie ?
V. PETOURI : Je suppose que vous voulez dire qu'il n'y a pas de délimitation.
N. DENDIAS : Il n'y a pas de délimitation des zones économiques exclusives et il n'y a pas de délimitation du plateau continental. Et il n'y a pas de règles par lesquelles cela sera fait parce que la Turquie n'accepte pas ce qui est correct, légal et évident, à savoir que la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer, l'UNCLOS, doit être appliquée.
V. PETOURI : Allons maintenant nous entretenir avec Nikos Meletis aussi, via Skype. Bonjour, Nikos.
N. MELETIS : Bonjour, Monsieur le Ministre, bonjour, Valia.
N. DENDIAS : Bonjour, M. Meletis, c'est un plaisir de vous entendre.
V. PETOURI : Alors, quelles sont vos propres informations et vos propres évaluations sur cette question ? Et sur ce qui est écrit aujourd'hui dans la presse turque - nous sommes le jeudi aujourd'hui, je dois le préciser – où il y a de nombreuses références à cette coopération. Nous avons également eu les déclarations d'Akar sur la co-exploitation en mer Égée, sur la coopération énergétique et sur le fait que cette question a été soulevée, comme je l'ai déjà dit au ministre, lors de la rencontre entre les deux hommes.
N. MELETIS : Maintenant, sur la question de la co-exploitation, je ne pense pas qu'une telle question fasse partie de cette discussion.
V. PETOURI : Coopération énergétique, pas co-exploitation en mer Égée.
N. MELETIS : Oui, sur la question de la coopération énergétique. Il n’est pas question d’aborder ce dossier. Le ministre l'a dit très simplement et je pense que toutes les forces politiques grecques et tous les Grecs qui pensent rationnellement comprennent qu'il ne peut y avoir de co-exploitation nulle part en mer Égée à moins qu'il n'y ait d'abord une délimitation des zones concernées afin que nous puissions procéder à une co-exploitation.
Au-delà de cela, bien sûr, pour parler maintenant de la réunion au sommet entre le Premier ministre et le Président turc, c'est une réunion qui est intervenue après une période de tension et de discours trop élevés de ton durant laquelle un autre problème est venu s’ajouter à nos relations, une revendication unilatérale de la Turquie.
Et je parle du lien qu'il tente d'établir entre la soi-disant démilitarisation et le statut de souveraineté des grandes îles grecques.
Les deux dirigeants tentent de reprendre le fil, comme ils l'ont fait par le passé, à partir de choses simples, à savoir les questions de coopération, où les deux pays peuvent travailler ensemble sans tension.
Secteur économique, commerce, tourisme et énergie peut-être. Et à partir de là, jeter des bases plus solides, plus durables car toutes les autres questions, la délimitation du plateau continental et de la ZEE et les revendications unilatérales de la Turquie sont des questions….
V. PETOURI : Il y a une erreur de connexion.
N. MELETIS : ...mais l'objectif est au moins de ne pas avoir la tension qui existait il y a deux ans. Ce n'est pas un processus facile, nous devons l'admettre et le reconnaître, car même les questions simples, de basse politique, et toute cette coopération positive achoppe à un moment donné sur les questions des revendications unilatérales de la Turquie.
Tout est jugé en fonction de résultats et, bien sûr, je dois dire que les circonstances peuvent être assez favorables parce que M. Erdogan veut apparaître comme un pacificateur en général, comme un facteur de stabilité, dans le but d'améliorer les relations...
V. PETOURI : Et en tant que puissance garante.
N. MELETIS : Oui, pour améliorer ses relations avec les Etats-Unis et l'Union européenne, car il a aussi une année électorale très difficile devant lui. Voilà pour ce qui est de la rencontre.
Cependant, en voyant et en entendant la conversation que vous avez eue tout à l'heure avec le ministre, j'aimerais vraiment entendre le point de vue du ministre. Nous voyons que la Turquie ne fait pas preuve d’une neutralité habile, comme on a coutume de dire – elle n’est pas du tout neutre puisque elle offre des armes à l'Ukraine, et de l’espace aérien à la Russie.
Cependant, pensez-vous, Monsieur le Ministre, qu'à travers ce rôle que la Turquie tente de jouer, elle pourrait réclamer ou obtenir des contreparties sur d'autres fronts ? Peut-être en relation avec la Grèce ou Chypre ?
N. DENDIAS : Les positions immuables de la politique étrangère grecque ne sont pas similaires à celles de la politique étrangère turque.
Si vous voulez remonter dans l'histoire, la Turquie, si je me souviens bien, a déclaré la guerre, pendant la Seconde Guerre mondiale, à l'Allemagne quelques semaines avant la fin de la guerre, peut-être même quelques jours avant la fin de la guerre.
La Grèce a des principes très fondamentaux, je les ai mentionnés plus tôt. Elle procède sur la base de ces principes. Ce sont ses valeurs, et cela est dans son intérêt.
La Turquie choisit un rôle différent. Et c'est ce que nous voyons se dérouler à l'heure actuelle pendant l'invasion russe de l'Ukraine. Elle essaie de parler aux deux parties, elle condamne mais n'impose pas de sanctions, elle a fermé le détroit aux navires de guerre avec retard. C'est la position de la Turquie.
Il n’y a aucune chance que la Turquie, avec la manière dont elle agit par rapport au dossier russo-ukrainien, obtienne des résultats concernant ses différends avec la Grèce.
Au contraire, si vous me permettez de faire une prédiction, le regroupement de l'Union européenne et la création d'un bras de défense de l'Union européenne à long terme offrira à la Grèce des capacités importantes dont notre pays ne disposait pas à ce jour au niveau qu’ il aurait souhaité.
Et je fais référence au soutien de l'Union européenne pour une raison simple, logique et compréhensible. Il ne peut y avoir moins de protection et d'assistance à un État membre qu'à un État non membre.
L'article 42.7 des traités européens est l'avenir de la défense européenne.
V. PETOURI : Peut-il y avoir un point de convergence, Monsieur le Ministre, sur la question de l'énergie, tant au niveau de l’espace de la Grèce que de celui de Chypre, entre les deux parties ? Parce qu'il s'agit d'une question majeure qui a été peut-être mise au second plan pour le moment à cause de la guerre en Ukraine, mais c'est quelque chose que je pense que nous allons revoir - n'est-ce pas, Nikos ? - dans le futur, dans un futur proche.
N. MELETIS : Oui, bien sûr, nous avons vu les plans d'implication de la Turquie dans les affaires énergétiques en Méditerranée orientale être à nouveau discutés, surtout après la visite du président israélien, M. Herzog, à Ankara.
Bien sûr, il y a là de sérieux obstacles, qui sont aussi politiques. Car l'implication de la Turquie dans les affaires énergétiques de la Méditerranée orientale signifie qu'elle devra discuter avec la République de Chypre, ce qu'elle refuse de faire.
V. PETOURI : Exactement.
N. MELETIS : Ce que je ne sais pas, et j'aimerais avoir l'avis du ministre là-dessus, c'est si, au cours de la prochaine période, il y aura une certaine pression pour que la Turquie participe à ces projets, soit à travers le gazoduc qu'elle veut construire à partir d'Israël, soit à travers le Forum du gaz de la Méditerranée orientale, auquel elle n'a pas participé jusqu'à présent, bien sûr.
N. DENDIAS : Oui, M. Meletis, merci pour la question. Le fait que la Turquie ne participe pas incombe à sa propre responsabilité, et vous l'avez dit vous-même. Elle ne participe pas parce qu'elle ne reconnaît pas la République de Chypre.
La Grèce n'a aucune tendance à exclure la Turquie des affaires internationales, ce n'est pas quelque chose que la Grèce souhaite. Et le gouvernement Mitsotakis, en particulier, considère, en fonction de ses valeurs, que la Turquie doit faire partie des réponses à un certain nombre de problèmes.
Mais c’est à la Turquie d’en décider tout d’abord, car il y a là une question de règles. Conformément à quelles règles le fera-t-elle ? Une règle de base est qu'elle ne peut pas faire des affaires avec l'Union européenne et, en même temps, ne pas reconnaître l'un des États membres, à savoir la République de Chypre.
Une autre est qu'elle ne peut pas, comme nous l'avons déjà dit, parler de droits sur le plateau continental ou sur la zone économique exclusive sans reconnaître le droit international de la mer et la convention sur le droit international de la mer qu'elle ne l'a pas signée.
Si la Turquie, au contraire, adopte une vision positive de l'évidence, à partir de ce moment-là, la Grèce, comme toujours, tendra à la Turquie une main de coopération et une main secourable.
Je rappelle que c'est la Grèce qui, à partir de 2000, a soutenu les efforts de la Turquie pour devenir membre de l'Union européenne. Mais à une condition préalable, que la Turquie accepte l'acquis européen, y compris la CNUDM. Et la Grèce est toujours prête à le faire, la Grèce n'est pas une puissance anti-turque.
Mais la Grèce a également l'obligation de défendre ses droits nationaux et, si vous voulez, le droit international. Parce que, dans ce cas, ces deux-là sont absolument identiques. Le droit international est notre évangile, je l'ai déjà dit à propos de l'Ukraine, et il s'applique également aux relations gréco-turques.
Rien ne nous réjouirait plus qu'un changement d'attitude de la Turquie, qui conduirait finalement à une coopération étroite avec la Grèce.
Et comme cela a été dit au Parlement l'autre jour, il serait impressionnant de voir quelle dynamique se développerait grâce à cette coopération, que ce soit dans le secteur économique ou dans tout autre domaine.
V. PETOURI : Dans ce contexte, Monsieur le Ministre - et je voudrais votre aide ici, Nikos - j'imagine que vous pensez que votre politique d'ouverture aux pays d'Afrique du Nord vise précisément à cela, à renforcer les intérêts nationaux.
Et dans quelle mesure la Grèce, par le biais d'alliances, peut établir de bien meilleures relations et progresser davantage sur les questions nationales.
Pensez-vous que la guerre en Ukraine, en ce qui concerne l'énergie, met à niveau ces accords qui ont été conclus ?
N. DENDIAS : Bien évidemment.
N. MELETIS : C’est moi qui commence le premier ?
Β. PETURI: Tous les deux. Et pose ta question aussi Nikos.
N. DENDIAS : M. Meletis, s'il vous plaît, vous avez la parole parce que vous avez votre question à poser. Moi, je ne fais qu’y répondre.
N. MELETIS : Oui, il est évident que la mise à niveau de la région de la Méditerranée orientale est due au besoin de l'Union européenne - ce que nous disons et écrivons depuis tant d'années - de sources d'énergie et de voies de transport d'énergie nouvelles et indépendantes.
Cela devient maintenant une nécessité urgente, et nous voyons que la Commission fixe la date limite de 2027 pour le découplage du gaz russe, et bien sûr, cela ne se fera pas du jour au lendemain.
Il y a environ deux mois, nous avons vu les Américains de ne plus s’intéresser au gazoduc East Med, en arguant qu'il n'est pas économiquement viable. Cela est logique, car les grands gisements qui pourraient alimenter ce pipeline n'ont pas encore été trouvés et aucun intérêt n'a été exprimé.
Cependant, nous avons vu ces derniers jours, par exemple, le président de Chevron, la grande entreprise américaine, dire que nous devrions réexaminer ces projets, y compris l'East Med.
Le jeu de la Méditerranée orientale commence donc maintenant. Le projet d'interconnecter l'Europe via la Grèce avec l'Asie, avec Israël, mais aussi avec l'Afrique, avec l'Égypte, est très important.
Ce projet avance, le ministre l'a mentionné au début. J'aimerais vraiment avoir l'assurance, une évaluation du ministre, que ce projet ne sera pas retardé, et qu'il n'y aura pas de retard du côté égyptien, comme nous l'avons vu dans le passé, à cause des objections soulevées par la Turquie.
Parce que je vous rappelle que le câble passe par la zone qui fait l’objet de l'accord de délimitation gréco-égyptien, comme l'a dit le ministre, mais aussi par la région qui, d’après la Turquie, fait l’objet du mémorandum turco-libyen.
N. DENDIAS : Oui, merci. Permettez-moi une remarque plus générale et une réponse directe. Tout d'abord, je pense que la politique grecque, la politique étrangère grecque, a très bien interprété les développements.
Les développements nous ont amenés très justement, tout d'abord, à la constatation que l'ancienne division israélo-arabe a cessé d'exister. Et nous avons réussi en très peu de temps à conclure des accords importants avec Israël et avec un certain nombre de pays arabes.
Hier, nous avons fait passer au parlement l'accord de défense avec les Émirats arabes unis. Les pays ne signent pas facilement des accords de défense. Cela a été confirmé par le rapporteur du PASOK, M. Loverdos ; c'est une chose très importante lorsque l'une des plus puissantes puissances militaires du monde arabe vient se ranger à nos côtés.
En outre, nos relations avec l'Égypte sont plus étroites que jamais. Et l'accord gréco-égyptien atteste de cette relation étroite. Tout comme nos relations avec l'Arabie Saoudite, avec tous les pays du Golfe, jusqu'à Oman, avec l'Irak, avec la Jordanie.
Nous voyons donc que la politique grecque s'est développée comme un deuxième cercle. J'évalue la politique étrangère grecque sur la base d'une série de cercles concentriques, qui se développement et s’entrecroisent.
Le deuxième cercle, donc, qui est la Méditerranée orientale et l'Afrique, se développe extrêmement bien et enregistre des succès impressionnants.
Maintenant, l'interconnexion de la Grèce et de l'Égypte, l'accord gréco-égyptien, comme je l'ai dit plus tôt, est existentiel pour la Grèce. Il sécurise l'espace par lequel un pipeline peut passer, un câble peut passer, l'énergie peut être transportée de l'Afrique à l'Europe. Car l'Afrique, avec ses grandes surfaces, est le lieu - notamment l'Afrique du Nord et la péninsule arabique - où l'on produira de l'énergie solaire et où l'on produira de l'hydrogène vert.
Il n'y a aucune possibilité de retard, ni du côté grec, dont je parle en connaissance de cause, ni du côté égyptien, car je sais très bien comment ils pensent. La semaine prochaine, je serai de retour au Caire pour m’entretenir avec Sameh Shoukry. Il est impossible que l'accord gréco-égyptien ne soit pas pleinement soutenu, quoi qu'il en coûte du côté grec.
V. PETURI : Oui, tu as eu ta réponse, Nikos, je pense que c'était clair. Merci beaucoup pour cette contribution à l'émission.
N. MELETIS : Merci à vous.
V. PETOURI : Monsieur le Ministre, pour en venir maintenant à l'aspect économique de cette guerre dont l’impact est ressenti en Grèce à un moment où il y a une flambée des prix après une crise de longue durée, la crise économique liée à la pandémie et tout l'environnement n’est guère favorable. Et à cela viennent s’ajouter les effets de la guerre. L'impact des sanctions imposées par l'Union européenne à Moscou, qui n’exercent pas seulement de pressions sur Vladimir Poutine lui-même, mais aussi sur les économies nationales de l'Union européenne elle-même.
Certaines personnes parlent d'une révision budgétaire. Dans ce contexte, comment voyez-vous l'évolution de la politique européenne dans la période à venir, la politique économique, et qu'est-ce que cela implique pour la politique économique grecque ?
N. DENDIAS : Ici, en Grèce, nous avons appris à vivre uniquement dans les crises. Nous avons eu l'énorme crise de la dette. Dès qu'elle s'est terminée, on a eu la pandémie, et dès qu'il semblait que nous sortions de la pandémie, on a eu le déclenchement de la guerre. C'est en effet le pire moment possible. Parce qu'il était évident qu’après les crises jumelles, il y avait une éclaircie ce qui présentait un grand potentiel de croissance pour la Grèce. Les investissements étrangers avaient énormément augmenté, le climat économique était très favorable et les Grecs commençaient à voir des jours bien meilleurs se lever. Et en ce moment même, nous sommes confrontés aux conséquences d'une invasion, qui, comme vous l'avez bien dit, provoque la hausse des prix et de l'inflation.
V. PETOURI : Les prix étaient élevés avant l'invasion, n'est-ce pas ? Et maintenant l’invasion provoque de hausses supplémentaires.
N. DENDIAS : Vous savez, je veux être honnête. Des signes inflationnistes commençaient à se manifester, en rapport avec les effets de la pandémie.
Β. PETOURI : Et des augmentations des prix des produits.
N. DENDIAS : Difficultés de transport, difficultés de ressources, parce que soudainement la demande a augmenté sans une augmentation correspondante de l'offre. Mais on espérait pouvoir, après le mois d’avril, contrôler la situation, grâce à un retour à la normalité. Mais l'invasion russe de l'Ukraine est venue maintenant créer un mélange explosif.
Chaque jour, les stocks de pétrole reculeront de 8 millions de barils, qui proviennent du marché russe. 30 % de la production mondiale de blé provient de la Russie et de l'Ukraine. Il y a aussi le nickel. Un certain nombre d'autres métaux. Tous ces éléments sont inflationnistes, ils créent d'énormes problèmes et, je suis désolé de le dire, mais à ceux problèmes aussi, le seul espoir d'une réponse sérieuse est une réponse européenne.
V. PETOURI : Le fait est qu'en ce moment, l'Europe est réticente, surtout l’Allemagne, à l'euro-obligation, qui pourrait être une solution au problème et une bouffée d’air pour l’économie. Et la question est de savoir comment elle va gérer cette crise.
N. DENDIAS : Le gouvernement grec fait tout ce qu'il peut, comme il l'a fait lors de la pandémie. Il a poursuivi une politique consistant à essayer d'aider les plus faibles économiquement par des prestations spécifiques et ciblées. Et je pense que cela a bien marché.
Le tissu social qui aurait pu facilement se déchirer - en étant déjà affaibli par la crise de la dette qui a duré dix ans - par la pandémie, a non seulement été préservé, mais il s'est avéré clairement prêt à se lancer dans une croissance économique dynamique.
V. PETOURI : Mais savez-vous ce qui se passe maintenant, M. le Ministre ? Il y a déjà des ménages avec des budgets financiers faibles et l'énergie, le coût de l'énergie est très, très cher. Il y a des factures de 500 et 600 euros qui ne sont pas gérables.
N. DENDIAS : Je comprends tout à fait cela.
V. PETOURI : Et ces citoyens ne savent pas quoi faire. Et comment procéder. Et en même temps, il y a des augmentations des prix des produits alimentaires. Le gouvernement intervient avec une série de mesures qui ont été annoncées hier et précisées aujourd'hui par le ministre des finances, et l'opposition vous dit que ces mesures ne sont qu’une goutte d'eau dans l'océan.
N. DENDIAS : Vous savez, toujours, depuis que je suis en politique, toujours l'opposition, quoi que les gouvernements fassent, a quelque chose à dire.
V. PETOURI : Y compris la Nouvelle Démocratie ?
N. DENDIAS : Probablement. Nous n'avons pas toujours été irréprochables.
V. PETOURI : Vous savez, je demande à un politicien qui ne se cache pas. Il parle rarement, mais ce qu'il a à dire, il le dit directement.
N. DENDIAS : Et nous avons nous aussi souvent en tant qu’opposition fait tort aux gouvernements, mais rappelez-vous toujours les deux phrases clés - soit des miettes, soit une goutte dans l'océan.
La réalité est que le gouvernement Mitsotakis, vous avez entendu le Premier ministre hier, a mené une politique de subventions pendant la pandémie, qui s'élevait à plus de 40 milliards.
Il n'y a pas de précédent dans le pays. Et aujourd'hui, avec l’augmentation des prix, qui même si elle n'a pas atteint son sommet, il est clair que ses racines sont dans les problèmes de la pandémie, en liaison avec ce qui s'est passé avec la crise en Ukraine.
Alors le gouvernement essaie d'aider qui ? Les plus faibles économiquement avec un nouveau train de mesures. Si quelqu'un pense que l’argent pousse sous les arbres et que nous pouvons aller les cueillir, je pense que nous ne nous y opposerions pas.
V. PETOURI : Cela aussi est un argument permanent.
N. DENDIAS : Oui, vous savez qu’il existe ici une logique. Le budget grec, la Grèce est une économie de 200 milliards. C'est ce que c'est en ce moment. Nous espérons le développer. C'est ce que c'est. Il y a des possibilités spécifiques dans ce budget. Celui qui nous reproche de ne pas donner assez d’argent, a aussi l'obligation de nous dire où nous pouvons trouver plus d’argent. Je comprends le besoin d'aider, surtout les plus faibles.
V. PETOURI : Qui dit qu'il faut plafonner les prix des carburants, qu’il faut utiliser les instruments dont dispose l'Union européenne ?
N. DENDIAS : Excusez-moi, mais faire plafonner les prix en tant qu’expression ne signifie pas trouver de l’argent, mais fixer une limite supérieure aux prix. Le problème qui...
V. PETURI : Cela signifie que les consommateurs ne verront pas leurs revenus diminuer davantage.
N. DENDIAS : Oui, mais cela signifie aussi une réduction des recettes publiques si certains prix de base sont dépassés. Je ne dis pas qu'à un moment donné, on ne pourrait pas recourir à n’importe quels moyens pour remédier à cette situation. Je dis simplement que celui qui propose des mesures a aussi l'obligation d'expliquer comment seront couvertes ces ouvertures budgétaires.
C’est de telle manière que se comporte une opposition sérieuse et responsable. Et il faut aussi dire que nous épuiserons tous les moyens pour soutenir les plus faibles économiquement.
Vous savez que la Nouvelle Démocratie est un parti populaire. Notre titre historique est « parti populaire ».
V. PETOURI : Quand vous avez dit que vous épuiseriez tous les moyens [pour soutenir les plus faibles économiquement], je me suis dit que je n’aurais pas à vous poser la question de savoir si ces annonces sont de caractère préélectoral et si on parle d'élections anticipées.
N. DENDIAS : Mais je pense que le Premier ministre a fait connaître sa position à cet égard tellement de fois que la plupart des gens en ont assez de l'entendre. Le Premier ministre a une perception institutionnelle des choses, et ce qu'il pense et ce qu'il a dit, c'est que la vie politique se normalisera si les gouvernements arrivent au bout de quatre ans de leur mandat.
Cela dit, pour vous dire la vérité, s'il y a quelque chose d'absolument extraordinaire qui exige que la société grecque exprime son avis avant qu'un choix soit fait, je pense qu'il serait inconstitutionnel, au contraire, de ne pas lui demander son avis.
Β. PETOURI : Je voudrais conclure cette interview en abordant la politique étrangère et je voudrais résumer brièvement les principaux axes de la politique étrangère grecque en ce moment, sous le mandat de Nikos Dendias.
N. DENDIAS : Non - permettez-moi de dire - c’est sous le gouvernement Mitsotakis et, dans une large mesure, avec un consensus national absolu, comme cela a été démontré hier au Parlement.
La politique étrangère grecque a tout d’abord été adaptée au 21e siècle. Qu'est-ce que cela signifie ? La mondialisation a diminué les distances et élargi le besoin de communication et d'influence. La Grèce a donc tenté d'entrer en contact avec des pays et des possibilités qui se trouvaient auparavant hors de sa portée. Elle a signé 146 accords bilatéraux et quelque 40 accords multilatéraux au cours de ces presque trois années.
Et elle a créé un espace de compréhension plus large, fondé sur le droit international, qui lui permet à la fois de promouvoir ses intérêts et ses concepts, mais aussi de créer un terrain pour promouvoir ses exportations et ses capacités.
La Grèce considère à la fois la péninsule arabique, le Golfe et l'Afrique, ainsi que les pays de la région indo-pacifique plus élargie qui partagent ses vues sur le droit international, et même les pays d'Amérique latine qui ont des vues similaires, comme des pays avec lesquels elle devrait établir des relations.
Nous devons sortir de cet environnement étroit des Balkans, sans que cela implique que cette région ne nous intéresse pas, et nous ouvrir à la nouvelle donne.
Et d'autre part, en même temps, nous devons parler, approfondir nos relations bilatérales avec les pays membres de l'Union européenne.
Une chose problématique que je pourrais relever, est que nous pensions que seule notre adhésion à l'Union européenne garantirait nos relations bilatérales dans le cadre de l'Union.
Aucun ministre des Affaires étrangères ne s’est rendu au Royaume-Uni depuis 2013. Est-ce possible ? C’est un État membre du Conseil de sécurité. Le Brésil est un pays membre du Conseil de sécurité. Aucun ministre grec des affaires étrangères ne s'y est jamais rendu.
V. PETOURI : Parlez-vous de votre prédécesseur ? Ou plutôt de vos prédécesseurs ?
N. DENDIAS : Non. Je fais référence à notre perception des choses. Depuis mon arrivée à ce ministère, je n'ai pas émis une seule critique à l'encontre d'un précédent ministre des Affaires étrangères. Je pense que cela serait inopportun.
V. PETOURI : C'est vrai.
N. DENDIAS : Il est important d'avoir une perception claire, d'en discuter au parlement national, d'en discuter avec les partis de manière informelle, claire, afin que chacun puisse dire ce qu'il pense et que nous puissions mettre en œuvre des objectifs nationaux communs.
Nous ne sommes ni trop grands ni trop nombreux pour pouvoir avoir de grandes différences entre nous. Et laissez-moi vous dire quelque chose qui m'a marqué en tant que connaissance historique.
L'hellénisme était historiquement divisé sur les questions de politique étrangère. Nous ne pouvons pas permettre que cela se reproduise.
V. PETOURI : C'est vrai. Des tragédies nationales.
N. DENDIAS : De grandes tragédies. 100 ans se sont écoulés depuis 1922.
V. PETOURI : Merci beaucoup pour cette interview, dans cette conjoncture critique.
N. DENDIAS : Je vous remercie beaucoup.
V. PETOURI : Je vous souhaite bonne chance dans vos entretiens à New York et retournons maintenant au studio.
March 19, 2022