Propos recueillis par la journaliste Dora Anagnostopoulou
D. ANAGNOSTOPOULOU : Bienvenue monsieur le ministre au bulletin d’information du soir de la chaîne de télévision « MEGA ».
MINISTRE : Bonsoir à vous et vos téléspectateurs.
D. ANAGNOSTOPOULOU : Nous assistons à une conjoncture difficile marquée par une escalade d’actions agressives de la part de la T urquie. Est-ce que la crise a été surmontée ? Peut-on parler d’une désescalade des tensions ?
MINISTRE : Je pense qu’il y a une désescalade progressive de la part de la Turquie, avec le retour, selon les informations du ministère de la Défense, des navires turcs aux ports et aux bases navales, mais, cela ne signifie pas bien évidemment que les tensions des jours précédents ne reprendront pas de nouveau.
D. ANAGNOSTOPOULOU : Monsieur le ministre, à votre avis, assistons-nous à une guerre des nerfs de la part de la Tur quie ou Erdogan est-il déterminé à procéder, à un certain moment, peut-être pas maintenant, à des forages sur le plateau continental grec ?
MINISTRE : Ce n’est pas à moi de prévoir les futures actions de la Turquie. Par ailleurs, il y a une différence marquée entre la manière dont je vois et dont la Grèce voit en général, tout comme tous les pays européens, les actions qui doivent être entreprises et la manière dont la Turquie se comporte et agit.
D. ANAGNOSTOPOULOU : A votre avis, Erdogan est-il imprévisible ? Car on s’est beaucoup interrogé sur cela, à savoir s’il est imprévisible ou s’il agit selon un plan précis.
MINISTRE : Vous savez, je n’attribuerais pas tout ça en la personne d’Erdogan. Je dirais plutôt que la Turquie a progressivement adopté une logique qui s’écarte de celle d’autres pays qui agissent en fonction du droit international et du droit international de la mer et cela à mon avis est particulièrement nuisible pour la Turquie elle-même aussi.
D. ANAGNOSTOPOULOU : Vous êtes le chef de la diplomatie grecque. Je vous demande de manière directe et j’aimerais une réponse aussi directe de votre part : Est-ce que qu’il a été rendu clair aux Etats-Unis, à l’Allemagne, à Bruxelles le fait que si les droits souverains de la Grèce sont violés, autrement dit, s’il y a une tentative d’effectuer un forage sur le plateau continental grec, cette dernière répondra par la voie militaire ?
MINISTRE : Tout d’abord, permettez-moi de constater que la manière dont vous posez la question comporte un élément inhérent à la politique de notre pays.
D. ANAGNOSTOPOULOU : C’est-à-dire ?
MINISTRE : Cet élément inhérent est le suivant : le gouvernement actuel, le Premier ministre actuel et tous les gouvernements et les Premiers ministres de la République hellénique ont eu, et ont toujours l’obligation constitutionnelle de protéger la souveraineté et les droits souverains du pays et cela a été rendu tout à fait clair par tous et dans tous les sens.
J’ai, à maintes reprises, affirmé que ces obligations découlent de la Constitution du pays et personne ne peut renoncer à ces obligations. Par conséquent, même si on voulait procéder différemment, on ne pourrait pas le faire.
D. ANAGNOSTOPOULOU : Je vous pose cette question monsieur le ministre car, d’après des informations provenant de la presse, Mme Merkel aurait dit à Erdogan que la Grèce est très sérieuse à ce qu’elle dit. Cela est-il valable ?
MINISTRE : Je ne peux ni confirmer ni démentir ce que la chancelière Merkel a signalé au Président Erdogan. Ce que j’ai à vous dire est que s’agissant des droits souverains du pays et sa souveraineté, aucune concession ne peut être faite. C’est une chose complètement acquise sur la base de la Constitution du pays.
Et je veux affirmer cela sur le ton approprié afin que cela ne puisse pas être considéré comme étant une menace contre une partie quelle qu’elle soit. C’est notre obligation. On n’a pas le choix et il ne peut y avoir aucune concession à cet égard.
Nous ferons ce qu’il faut faire, tout comme devrait faire chaque Premier ministre grec ou gouvernement grec ou ministre des Affaires étrangères.
D. ANAGNOSTOPOULOU : Il a été donc rendu clair à nos partenaires mais aussi à la Turquie que la Grèce est déterminée à réagir, en tout état de cause, dès lors que ses droits souverains sont violés.
J’aimerais toutefois m’en tenir un peu au rôle de l’Allemagne. Dans quelle mesure ce rôle a-t-il été finalement déterminant ? Est-ce qu’Angela Merkel a empêché une confrontation entre la Grèce et a Turquie, comme on a lu dans le journal Bild ? Les pourparlers ont eu lieu, on le sait. Aucune partie n’a démenti ou confirmé la substance de ces discussions.
MINISTRE : Je ne peux dramatiser la communication ou l’intervention quelle qu’elle soit, d’un grand pays tel que l’Allemagne qui, force est de signaler, exerce actuellement la présidence de l’Union européenne.
D. ANAGNOSTOPOULOU : Exactement. Est-ce qu’elle veut pour cette raison-là éviter la montée des tensions ?
MINISTRE : Il est aussi de son devoir institutionnel de protéger les pays de l’Union européenne. Chaque présidence, comme vous le savez, a un rôle spécifique qui lui est conféré par l’Union européenne elle-même.
Par conséquent, si l’Allemagne a honoré les obligations que lui confère son rôle, cela est tout à fait compatible avec son devoir.
D. ANAGNOSTOPOULOU : Cela revêt un intérêt particulier car une rencontre secrète a eu lieu, d’après ce que l’on a appris par M. Cavusoglu à Berlin, et je voudrais vous demander si les rencontres de ce genre sont utiles et productives.
MINISTRE : Je vous dirai.
D. ANAGNOSTOPOULOU : Si la Turquie en profite pour embellir son image et faire semblant d’être ouverte au dialogue.
MINISTRE : Je vais être franc avec vous. Elle n’est pas secrète. Il est évident que toutes les rencontres tenues à ce niveau-là, au niveau diplomatique, en l’espèce, ne sont pas obligatoirement rendues publiques. Cela ne signifie pas qu’elles sont secrètes, mais c’est une condition nécessaire afin que chaque partie puisse discuter librement sans être sous les projecteurs.
D. ANAGNOSTOPOULOU : Mais la conjoncture était un peu particulière monsieur le ministre. C’était deux jours après l’annonce sur la conversion de Sainte-Sophie en mosquée.
MINISTRE : Vous avez tout à fait raison. Mais, excusez-moi, j’ai pris une position claire à l’égard de la question de Sainte-Sophie et avec Mme Mendoni nous allons bientôt annoncer une série d’actions très spécifiques visant à maintenir la protection de ce monument sous les feux de l’actualité.
Toutefois, nous avons, à maintes reprises, affirmé que Sainte-Sophie n’est pas et ne doit pas devenir un différend gréco-turc. Nous avons à plusieurs reprises affirmé que cela est un piège dans lequel la Turquie voudrait, avec un grand plaisir, nous conduire. Nous ne devons pas le faire. Sainte-Sophie, la protection du musée est une question internationale.
D. ANAGNOSTOPOULOU : La question des sanctions monsieur le ministre demeure-t-elle ouverte ? Selon certaines sources du ministère, la Turquie sera paralysée si l’Union européenne impose des sanctions. Est-ce que cela portera un coup pénible à Erdogan ?
MINISTRE : Nous avons demandé à nos partenaires européens et des instructions ont été données par le Conseil au Haut représentant, M Borrell – avec lequel je me suis de nouveau entretenu aujourd’hui, après la visite de mon homologue espagnole – d’élaborer une liste de sanctions. Nous n’avons pas demandé l’imposition de sanctions mais la rédaction d’une liste de sanctions portant, bien évidemment, sur d’importants domaines de l’économie turque.
D. ANAGNOSTOPOULOU : C’est-à-dire l’économie sera paralysée si ces sanctions sont imposées ?
MINISTRE : Permettez-moi de vous dire la chose suivante : j’éviterai d’utiliser des expressions qui pourraient provoquer une hausse des tensions. Nous ne voulons pas d’une Turquie pauvre et marginalisée. Toutefois, l’Union européenne doit disposer à l’avance d’un arsenal qui montrera à l’Union européenne quel est son propre intérêt et celui de sa propre société.
D. ANAGNOSTOPOULOU : Un jeu diplomatique intense se joue actuellement en Méditerranée orientale monsieur le ministre. Dans quelle mesure sommes-nous près d’un accord avec l’Egypte sur la délimitation d’une ZEE. Un accord qui « brisera » également le protocole d’accord turco-libyen.
MINISTRE : Tout d’abord, vous faites bien de me poser cette question et je vous en remercie. Toutefois, le protocole d’accord turco-libyen est pour nous inexistant, il est nul et non avenu. J’ai à plusieurs reprises affirmé qu’il s’agit d’une violation du sens commun…
D. ANAGNOSTOPOULOU : Toutefois, il produit d’effets juridiques.
MINISTRE : Non, à notre sens, il ne produit aucun effet en raison de son caractère irrationnel et illégal inhérent.
Nous par contre, négocions avec l’Egypte dans le cadre du droit de la mer et du droit international. Par conséquent, si nous parvenons à un accord avec l’Egypte – nous avons fait du progrès sans pour autant que je puisse vous dire que nous sommes en passe d’y aboutir, mais des progrès ont été réalisés dans ce sens – cela sera quelque chose de tangible. Par ailleurs, tout le monde sait que depuis des mois nous sommes en train de mener des négociations avec l’Egypte. Toutefois, cela sera un accord bien réel, qui produira des effets juridiques, dans le cadre du droit international.
A l’encontre, je le répète, des protocoles d’accord turco-libyens. Car, il ne faut pas oublier qu’outre la question des soi-disant zones maritimes, la Turquie a persuadé l’administration de Tripoli de signer aussi un protocole d’accord sur la coopération en matière de défense et de sécurité ce qui facilite le transfert illégal d’armes de la Turquie vers la Libye.
D. ANAGNOSTOPOULOU : Monsieur le ministre, pensez-vous que l’éventualité d’un recours à la Cour internationale de La Haye est exclu pour le moment ou est-elle une possibilité que l’on pourrait contempler vu l’évolution des relations ?
MINISTRE : Vous vous référez, bien évidemment, à nos relations avec la Turquie.
D. ANAGNOSTOPOULOU : Exactement.
MINISTRE : Je veux être franc avec vous : nous n’avons même pas vraiment commencé à discuter avec la Turquie. C’est dommage. C’est dommage pour deux pays voisins, mais cela n’est pas de notre faute.
Par conséquent, il ne serait pas vrai de dire qu’il existe cette perspective de régler ce différend à travers un processus judiciaire. La Turquie doit d’abord comprendre qu’elle doit discuter, que nous devons régler nos différends dans le cadre du droit international, à travers la discussion et si les discussions aboutissent à une impasse, ce qui est souvent le cas en raison des positions soutenues par les deux parties, on pourrait saisir de ces questions la Cour internationale…
D. ANAGNOSTOPOULOU : Vous êtes donc en faveur du dialogue, si les tensions s’apaisent.
MINISTRE : Oui. Mais il faut que nous soyons clairs à cet égard : le dialogue sera tenu sur les différends réels et pas imaginaires. Nos différends avec la Turquie sont bien spécifiques. Ils portent sur le plateau continental et la zone maritime sus-jacente. Ils ne portent pas sur toute sorte de questions.
D. ANAGNOSTOPOULOU : Bien. Nous remercions le ministre des Affaires étrangères de cette interview.
MINISTRE : Merci beaucoup.
[Seul le prononcé fait foi]
July 27, 2020