Interview du ministre des Affaires étrangères, G. Gerapetritis au journal « Kathimerini tis Kyriakis » et au journaliste Vassilis Nedos (16.07.2023)

Interview du ministre des Affaires étrangères, G. Gerapetritis au journal « Kathimerini tis Kyriakis » et au journaliste Vassilis Nedos (16.07.2023)JOURNALISTE : Comment vous êtes-vous senti lorsque le Premier ministre vous a annoncé que vous alliez assumer les fonctions de ministre des Affaires étrangères ? Quels seront vos objectifs dans le cadre de vos fonctions au ministère ?

G. GERAPETRITIS : Bien conscient de l’importance mais aussi des enjeux liées à la prise en charge de la direction politique d’un ministère étroitement lié à l’existence même, à l’histoire et à l’image internationale du pays, je me suis senti à la fois honoré et hautement responsable. Grâce à la confiance et à la reconnaissance internationale que nous avons acquises, ainsi que par le développement de toutes les sources de puissance de la Grèce et de l’Hellénisme à travers le monde, l’exercice de la politique étrangère de notre patrie n’est pas définie par des facteurs extérieurs. En renforçant l’extraversion active et la diplomatie publique et en élaborant une politique étrangère multimodale. Mon intention est d’oeuvrer afin que les Grecs se sentent fiers et protégés. Je suis bien conscient de la responsabilité que j’ai devant tous les citoyens grecs mais aussi devant toutes les générations futures.

JOURNALISTE : Vous avez participé peut-être à la rencontre la plus cruciale entre les dirigeants de la Grèce et de la Turquie de ces quatre dernières années. A votre avis, le calme actuel continuera-il à régner en mer Egée ?

G. GERAPETRITIS : La rencontre du Premier ministre grec avec le Président turc à Vilnius, s’est déroulée dans un climat de volonté en faveur de la compréhension mutuelle. Nous entamons un processus de dialogue tout en ayant de bonnes intentions, notre objectif étant que ce nouvel effort soit consenti dans un climat de sincérité et de confiance. Le premier pas a été fait. L’apaisement des tensions actuellement en Egée est une condition nécessaire à la réussite de ce nouveau début. Mais cela nécessite également la continuité et la cohérence dans une perspective positive d’amitié véritable, de paix et de coopération.

JOURNALISTE : Le président Erdogan se trouve-t-il dans un processus visant à une normalisation sincère de ses relations avec l’Occident ou s’agit-il d’un incident à caractère conjoncturel ?

G. GERAPETRITIS : Je ne peux pas interpréter les causes productives de la volonté du président de la Turquie. Le gouvernement grec souhaite l’instauration d’un climat de coopération et de dialogue. Personnellement, je me réjouis à la perspective d’une relation crédible et stable avec mon homologue turc, avec lequel j’ai déjà entrepris les premiers pas vers un canal de communication direct et substantiel. Pour ce qui est des relations de la Turquie avec l’Occident, et notamment avec l’Union européenne, la position de la Grèce est connue et immuable. Les progrès réalisés dans les relations euro-turques pourraient contribuer à l’instauration d’un climat calme dans une région extrêmement fragile. Et, inversement, les progrès réalisés dans la normalisation des relations entre la Grèce et la Turquie constituent un élément essentiel pour le rapprochement entre l’UE et la Turquie. En tout état de cause, nous jouerons un rôle actif au sein du Conseil européen dans toutes les décisions et conclusions adoptées concernant la Turquie.

JOURNALISTE : Voyez-vous des perspectives d’initiatives communes pour l’exploitation de gisements, etc? Ou s’agit-il d’une discussion désuète ?

G. GERAPETRITIS :  La Grèce a obtenu une autonomie énergétique sans précédent et s’est transformée en une plaque tournante qui contribue de manière décisive à la diversification et à l’indépendance énergétiques de l’Europe. Un résultat indicatif de cette politique est le fait qu’en mai dernier 50 % de nos besoins énergétiques ont été couverts à partir de sources d’énergie renouvelables, ce qui constitue un énorme pas vers l’indépendance de notre pays vis-à-vis des combustibles fossiles. Nous continuerons à avancer pour notre propre compte, en fonction de l'autonomie énergétique du pays.

JOURNALISTE : Comment la Grèce pourrait-elle obtenir des assurances de la part des Etats-Unis ? A travers l’avantage qualitatif des armements fournis par les Etats-Unis par rapport à la Turquie, à travers une aide militaire gratuite ou par des garanties qu’il n’y aura pas des survols ?
G. GERAPETRITIS : Les relations gréco-américaines sont à leur meilleur niveau depuis longtemps. Sur la base aussi de l’accord de coopération en matière de défense qui a été renouvelé, accord par lequel la position stratégique de la Grèce a été revalorisée de manière qualitative, nous avons développé une forte coopération en matière de défense et nous approfondissons notre dialogue politique.

Dans le cadre de cette coopération, il est tout à fait normal et attendu que les Etats-Unis renforcent davantage nos systèmes de défense. En ce qui concerne le Congrès, ce dernier a d’ores et déjà pris une position claire à cet égard, à savoir que les ventes d’ armements de défense doivent prendre en considération la stabilité en Méditerranée orientale et ne doivent notamment pas  être utilisés à l’encontre des alliés de l’OTAN.

JOURNALISTE : En quoi consiste exactement le moratoire qui semble être en place en mer Égée - et va-t-il se poursuivre ? Survols, éviter les exercices dans certaines zones ?

G. GERAPETRITIS : L'atmosphère de calme qui a prévalu en mer Égée a deux objectifs. D'une part, limiter les risques potentiels liés aux activités opérationnelles. D'autre part, disposer d'un mécanisme permanent de communication directe pour la désescalade en cas de crise sur le terrain. Je crois que la volonté commune des parties est de maintenir ces conditions.

JOURNALISTE : Vous êtes juriste et avez l'expérience des négociations internationales. Après avoir pris connaissance des dossiers pertinents, pensez-vous qu'il existe une solution juste et viable aux problèmes gréco-turcs, une solution possible du point de vue politique ?

G. GERAPETRITIS : Provenant du milieu de la science juridique et du rationalisme universitaire, mon objectif est de poursuivre une politique étrangère axée sur de principes et de règles. Je respecte et j'écoute les positions de tous les États lorsque je participe à un débat, mais je suis convaincu que nous ne pouvons pas nous écarter des positions bien établies du droit international, en particulier des principes de la Charte des Nations unies, du respect de la souveraineté et des droits souverains, de l'adhésion aux droits universels. Je ne voudrais pas préjuger de l'issue de la tentative de relance des pourparlers gréco-turcs. Mais il convient de s'appuyer sur le climat positif de ces derniers mois et sur la déclaration commune des dirigeants des deux pays à l'issue de leur récente rencontre.

En d'autres termes, il s'agit de procéder à un processus de rapprochement plus politique, sous la supervision et la responsabilité des deux ministres des Affaires étrangères. Ce processus reposera sur trois piliers : le dialogue politique, un programme positif de coopération dans des domaines particuliers et des mesures de confiance. Les étapes importantes de cette feuille de route seront la tenue du quatrième Conseil de coopération de haut niveau entre la Grèce et la Turquie à Thessalonique dans le courant de l'année et les contacts réguliers que j'aurai avec mon homologue turc. Dans ce contexte, les deux dirigeants pourraient également se rencontrer dans le cadre de l'Assemblée générale des Nations unies en septembre prochain à New York.

JOURNALISTE : Il existe une conviction bien établie selon laquelle les questions gréco-turques sont un jeu à somme nulle. Est-ce qu’elles pourront devenir un jeu gagnant gagnant ?

G. GERAPETRITIS : Quand il s’agit de relations étrangères, il ne faut pas trop simplifier les choses. L’invasion récente non provoquée de l’Ukraine par la Russie a mis en exergue le fait que les certitudes et les constantes dans les relations internationales sont moins nombreuses que ce qu’on ne le pense.  En ce qui concerne les questions gréco-turques, il est certain que le maintien du climat calme et la prévention des tensions constituent en soi une situation mutuellement bénéfique, un exploit important. Le climat de confrontation qui a longuement prévalu par le passé a été extrêmement nuisible tant pour les deux pays que pour la stabilité régionale.   Le devoir des ministres étrangères de la Grèce et de la Turquie est d’explorer les possibilités de consolidation et de développement de cet bon climat, de promotion de la feuille de route mais aussi de développement au sens plus large de relations de coopération bilatérales à multiples niveaux.  Les bonnes relations ouvriront la voie pour des discussions substantielles. Nous n’en sommes pas encore là, mais par le biais d’un mandat politique fort et avec notre capital internationale important, je pense que le moment est venu pour faire face face aux plaies du passé et relever défis de l’avenir. Un agenda audacieux, un héritage pour les générations futures.

JOURNALISTE : On parle beaucoup de la question chypriote. Pensez-vous qu'il est possible d'entamer un processus ?

G. GERAPETRITIS : Pour la Grèce, parvenir à une solution juste, durable, fonctionnelle et mutuellement acceptable à la question chypriote constitue une priorité absolue de la politique étrangère. Nous soutenons la création des conditions favorables au règlement de la question chypriote, nous soutenons fermement une solution de fédération bizonale bicommunautaire, dans le cadre établi par les résolutions du Conseil de sécurité de l’oNU et de l’acquis communautaire et nous n’acceptons aucune discussion sur une solution à deux Etats. Il y a quelques jours, j’ai eu l’honneur particulier de me trouver à Chypre dans le cadre de ma première visite depuis la prise de mes fonctions de ministre des Affaires étrangères. J’ai été reçu par le Président de la République de Chypre et je me suis entretenu avec mon homologue avec lequel j’ai une excellente coopération. Notre perception commune est que la position européenne telle qu’elle a été formulée dans les conclusions du dernier Conseil européen, à travers laquelle l’Union exprime sa volonté de jouer un rôle de soutien actif à tous les stades du processus mené sous l’égide des Nations Unies, ouvre une fenêtre d’opportunité importante.

JOURNALISTE : Vous n'êtes pas un homme politique de carrière, mais vous avez été au cœur de la mise en œuvre de politiques importantes. Au cours des dernières années, quel a été le moment le plus difficile auquel vous avez été confronté au palais Maximou ?

G. GERAPETRITIS : Je dirais, sans hésitation, la gestion des conséquences de l'accident ferroviaire de Tempi. Car cette gestion n'était pas purement administrative ou politique, mais elle revêtait avant tout un caractère émotionnel. Il s'agissait d'une tragédie nationale sans précédent, qui nous a tous marqués en raison de la perte injustifiée d'un grand nombre de nos semblables, en particulier des jeunes. On devait parvenir à une catharsis du chagrin et de la douleur, en particulier des parents des victimes, mais aussi de nous tous. Nous avons travaillé dur dans ce sens, en enquêtant sans aucune concession et en profondeur sur les causes de l'accident et en essayant de résoudre les problèmes qui l'ont provoqué. L'affaire fait l'objet d'une enquête judiciaire menée à un rythme accéléré, tandis que les projets d'amélioration de la sécurité ferroviaire sont en cours d'achèvement.

JOURNALISTE : Le moment est-il enfin venu de procéder à des changements - institutionnels ou administratifs - au sein du ministère des Affaires étrangères, afin de rendre le service plus efficace mais aussi plus actif ?

G. GERAPETRITIS : La tâche extrêmement complexe du ministère des Affaires étrangères ne peut être accomplie que si nous nous appuyons sur son principal atout, ses ressources humaines. Notre personnel se caractérise par un niveau de formation et d'expérience exceptionnel et est doté d'un sens aigu des responsabilités.

Mais pour qu'il puisse atteindre son plein potentiel et répondre aux exigences accrues de la diplomatie moderne, nous devons lui fournir les outils nécessaires.

Le renforcement du budget, la modernisation des structures et des procédures administratives, la mise à niveau numérique, l'investissement dans l'éducation, l'apprentissage tout au long de la vie et l'acquisition de nouvelles compétences en sont quelques-uns. J'ai l'intention de travailler systématiquement à leur réalisation. Nous unissons nos forces et utilisons tout notre personnel pour obtenir les meilleurs résultats en matière de politique étrangère.

JOURNALISTE : La Grèce veut jouer un rôle dans les Balkans occidentaux. Existe-t-il un plan concret à cet effet ?

G. GERAPETRITIS : La Grèce joue déjà un rôle important dans les Balkans occidentaux. Il y a quelques jours, le 21 juin, nous avons célébré le 20e anniversaire de la déclaration historique de Thessalonique, qui affirmait explicitement que l'avenir des Balkans se trouvait au sein de l'Union européenne. Notre pays reste fermement attaché au développement, à la sécurité, à la prospérité et au parcours européen des Balkans occidentaux, car leur intégration et leur perspective européenne sont essentielles pour la sécurité et l'intérêt absolu de l'Union elle-même.

Nous soutenons aussi fermement le parcours européen de la Serbie et du Monténégro, et nous soutenons la poursuite du dialogue Belgrade-Pristina et les efforts du représentant spécial de l'Union dans ce sens. Nous sommes tout aussi fermes dans notre volonté d'adhésion de la Macédoine du Nord à l'UE, dans le cadre de la mise en œuvre cohérente et de bonne foi de l'accord de Prespès. En ce qui concerne l'Albanie, il est évident que son parcours européen est directement lié à la nécessité de respecter les règles fondamentales de l'État de droit.  Pour nous, l'affaire de l'arrestation et de la détention de Fredi Beleri représente non seulement une épine dans nos relations bilatérales, mais aussi une mise à l’épreuve de l'État de droit dans le pays voisin.

July 16, 2023