JOURNALISTE : Avec votre homologue Hakan Fidan, vous avez entrepris d'enquêter sur l'existence des conditions nécessaires à la délimitation de la ZEE et du plateau continental. En quoi consiste cette enquête, quel en est le calendrier et quelle procédure sera suivie ?
G. GERAPETRITIS : Nous sommes environ 15 mois après la décision prise par les dirigeants des deux pays d'entamer le dialogue gréco-turc de manière structurée et d’emprunter une voie différente pour ce qui est de nos relations bilatérales. Pas à pas, nous avons atteint un niveau de confiance suffisant, avec des canaux de communication ouverts pour prévenir les crises. La coopération en matière de migration, de protection civile et d'agenda positif a produit des résultats tangibles, tandis que les violations de l'espace aérien national ont été réduites à zéro. Ce climat confirme notre volonté de contribuer à la consolidation du calme et de la sécurité dans notre voisinage qui, ne l'oublions pas, est en proie à deux guerres.
En ce moment, les deux ministres des Affaires étrangères ont été chargés d'évaluer si les conditions sont réunies pour procéder à une discussion de fond sur la délimitation du plateau continental et de la zone économique exclusive. Les conditions sont liées au contenu de la discussion, qui ne peut porter que sur cette question particulière, aux principes généraux à appliquer à la délimitation, à savoir la pleine application du droit international, au calendrier et à la forme du dialogue et à un éventuel renvoi à la juridiction internationale, qui pourrait être la fin de cette voie sur la base d'un compromis. J'aurai l'occasion de discuter de ces questions avec le ministre turc des Affaires étrangères lors de sa visite à Athènes, probablement en novembre.
JOURNALISTE : S'agit-il d'une continuation des anciens contacts exploratoires ? Par ailleurs, si les deux parties ne sont pas parvenues à un accord sur la question des eaux territoriales, sur quelle base parlerons-nous de la ZEE ? Sur la base de 6, 12 milles, entre les deux ?
G. GERAPETRITIS : La discussion ne porte pas sur la question des eaux territoriales nationales qui, en tant que question de souveraineté, ne fait en aucune manière l’objet du dialogue gréco-turc, et leur extension est un droit souverain et inaliénable de l'État grec, de la manière et au moment qui seront jugés opportuns. En cas d'accord sur le cadre de délimitation, les deux dirigeants donneront, s'ils le décident, un mandat spécifique lors du Conseil de coopération de haut niveau, prévu en janvier à Ankara, pour entamer des discussions de fond. S'il n'y a pas d'accord entre les parties sur le cadre, la discussion sur la délimitation n'aura pas lieu et nous essaierons de maintenir le climat relativement bon.
En ce qui concerne les contacts exploratoires, je dirai simplement que nous n'avons pas l'intention d'aller jusqu'au 65e tour. Depuis 21 ans et après 64 tours de contacts exploratoires, nous n'avons pas été en mesure d'atteindre un niveau de discussion avec la Türkiye, non pas sur le fond, mais même pas sur le processus. Et ce qui est malheureusement apparu, c'est qu'habituellement, à la fin de chaque tour, nous nous sommes retrouvés dans une position pire qu'au début. Il est désormais prouvé historiquement que dans les questions complexes de politique étrangère, l'inaction est généralement préjudiciable. Seule l’action produit une dynamique utile.
JOURNALISTE : Qu'est-ce qu'Ankara met sur la table ? Nous avons vu ces derniers mois que la Türkiye, malgré des eaux calmes, n'a pas reculé sur ses positions maximalistes, en particulier sur la question du mémorandum turco-libyen, qu'elle a même défendue dans la pratique en juillet dernier.
G. GERAPETRITIS : Nous ne nous attendions pas à ce que la Türkiye renonce du jour au lendemain à ses positions et revendications fondamentales, développées au fil des décennies. Nous serions particulièrement naïfs de le croire - et je vous assure que nous ne le sommes pas du tout. Après tout, la déclaration d'Athènes sur l'amitié et les relations de bon voisinage, signée par les deux dirigeants en décembre 2023, stipule explicitement que les parties ne renoncent pas à leurs positions juridiques fondamentales. La différence est que les positions grecques sont entièrement fondées sur le droit international, en particulier le droit de la mer, et c'est pour cette raison que nous insistons sur son application fidèle. La Grèce n'a jamais reconnu et ne reconnaîtra jamais les revendications turques, telles que celles découlant du mémorandum turco-libyen illégal et sans fondement.
JOURNALISTE : Existe-t-il une réelle possibilité de réouverture de la Faculté de théologie de Chalki ? Des contreparties ont-elles été demandées.
G. GERAPETRITIS : La Grèce ne poursuit pas une politique étrangère transactionnelle mais une politique de principes et de valeurs. C'est pourquoi, dans le cadre de l'exercice de notre souveraineté et dans le respect de l'État de droit, nous assurons l'exercice sans entrave du culte de toutes les religions et la restauration de tous les monuments ayant une valeur culturelle particulière, tels que les monuments ottomans. La réouverture de la Faculté de théologie de Chalki n'est pas une question bilatérale, mais une question d'exigence universelle, une question de respect de la liberté religieuse. Si elle a lieu, il s'agira d'un geste concret et hautement symbolique, que nous saluerons.
JOURNALISTE : Existe-t-il actuellement en Grèce des conditions politiques favorable à une discussion sur un éventuel compromis dans les relations gréco-turques ?
G. GERAPETRITIS : Il n'y a pas besoin de compromis pour soutenir nos positions parce qu'elles sont basées sur le droit international. Bien sûr, en politique, en particulier dans le domaine de la politique étrangère, il y a deux voies. La voie de la rhétorique facile qui cherche à proposer des approches faciles à digérer et la voie de l'honnêteté qui respecte la vérité et vise à un effet bénéfique. Le choix du gouvernement, et, espérons-le, de l'ensemble du système politique, est ce dernier. Car ce qui est national est vrai. Nous avons les connaissances, la confiance et la sagesse nécessaires pour parler à la Türkiye. Mais nous disposons également d'un capital international très fort, que nous avons acquis grâce à notre cohérence et à notre position non négociable en faveur de l'application universelle du droit international. C'est pourquoi le moment est idéal pour la Grèce d'être activement présente sur la scène internationale et de discuter de questions difficiles au niveau bilatéral. Et je pense que c'est l'état d'esprit de la majorité de la société. Celle-ci comprend la valeur d'une paix et d'une stabilité à long terme, alors que notre région et le monde entier sont secoués par des guerres et des crises asymétriques. Ce gouvernement a prouvé qu'il était prêt à relever les défis difficiles.
JOURNALISTE : Qu'en est-il des parcs marins et de l'interconnexion électrique entre Chypre et la Grèce (GSI) ?
G. GERAPETRITIS : Les parcs marins seront mis en place conformément à leur conception initiale. Ils seront mis en œuvre, non pas sur la base de critères géopolitiques, mais sur la base de critères purement environnementaux. C'est pourquoi l'étude technique visant à définir leurs limites évolue progressivement. Le projet d'interconnexion électrique entre la Grèce et Chypre est un projet d'intérêt mutuel pour l'UE, qui le cofinance. Ce projet est d'une grande importance énergétique pour Chypre, car il résout le problème de son isolement énergétique, mais aussi d'une importance géopolitique plus large. Ce qu'il fallait garantir, c'était la viabilité financière du projet. Étant donné que les dirigeants politiques concernés se sont mis d'accord sur les aspects économiques essentiels du projet et que les autorités de régulation de l'énergie de la Grèce et de Chypre ont réglé les dernières questions, le projet se déroule normalement. La Grèce ne revient pas sur son plan initial.
JOURNALISTE : Est-il possible d'être optimiste sur la question chypriote à ce stade ?
G. GERAPETRITIS : Il ne fait aucun doute que la réunion informelle du Secrétaire général de l'ONU avec le Président de la République de Chypre et le dirigeant chypriote turc à la fin du mois est un développement positif. Nous avons fait un grand effort, de concert avec Nicosie, pour faire de la question chypriote une priorité majeure de l'ONU. L'amélioration des relations gréco-turques crée, il est vrai, de meilleures conditions pour la reprise des discussions. Seul un dialogue productif peut aboutir à une solution viable, en tout cas dans le cadre des résolutions du Conseil de sécurité. Aucune discussion ne s'est jamais terminée avant d'avoir commencé.
JOURNALISTE : L'Albanie a reçu une invitation pour les prochaines étapes de l'adhésion à l'UE. Les relations avec Tirana peuvent-elles être améliorées ?
G. GERAPETRITIS : Nous sommes des pays voisins et il est dans l'intérêt de nos citoyens de travailler à l'amélioration de nos relations. L'ouverture des négociations sur la première série de chapitres d'adhésion relatifs aux droits fondamentaux et à l'État de droit s'inscrit dans cette perspective. La Grèce contrôlera l'évaluation, notamment en ce qui concerne le respect de l'acquis communautaire et le respect des droits des minorités, qui constituent un pilier de l'État de droit. Une Albanie plus européenne serait un meilleur voisin pour la Grèce.
JOURNALISTE : Au contraire, le chemin de la Macédoine du Nord vers l'UE a été interrompu, pour des raisons qui n'ont rien à voir avec l'accord de Prespès. Craignez-vous que le gouvernement actuel de Skopje, qui promeut les intérêts de pays tiers dans la région, n’aggrave davantage la situation ?
G. GERAPETRITIS : Vu les particularités et la charge historique importante de la région, nous considérons le soutien de la vision européenne de tous les Etats des Balkans occidentaux, y compris de la Macédoine du Nord, comme étant une voie unique. Après tout, la Grèce a été le pays chef de file de l'Agenda de Thessalonique en 2003. Bien entendu, une condition préalable à cette démarche est le respect par chaque pays candidat de l'ensemble du droit international et, en particulier pour la Macédoine du Nord, le respect intégral et de bonne foi des accords internationaux, notamment de l'accord de Prespès. L'application sélective des traités internationaux ébranle l'architecture de sécurité régionale et internationale et ne peut être acceptée par l'UE.
JOURNALISTE : Comment évaluez-vous la situation au Moyen-Orient ? Compte tenu du mandat de notre pays au Conseil de sécurité, pensez-vous que les difficiles équilibres que la Grèce devra maintenir au cours de la période 2025-2026 pourraient nuire aux relations stratégiques, telles que celles avec Israël ?
G. GERAPETRITIS : L'attaque absolument condamnable de l'Iran contre Israël et la propagation des hostilités au Moyen-Orient nous préoccupent particulièrement. Il est nécessaire d'éviter une nouvelle escalade conduisant à un conflit généralisé. Notre pays, qui mène une politique étrangère fondée sur des principes et, en particulier, sur l'application fidèle du droit international, dialogue avec toutes les parties et constitue un pilier de la stabilité dans l'ensemble de la région. Il est nécessaire d'épuiser toutes les voies diplomatiques pour parvenir immédiatement à la paix. Nous nous y emploierons également en participant au Conseil de sécurité des Nations Unies en 2025-2026. Il s'agit d'un grand défi, mais aussi d'une grande responsabilité. Sans compromis, mais avec connaissance et confiance, nous renforçons la position de la Grèce dans le monde.
October 6, 2024