Interview du ministre des Affaires étrangères Giorgos Gerapetritis au journal « REAL NEWS » et au journaliste Panagios Galiatsatos (19.05.2024)

Interview du ministre des Affaires étrangères Giorgos Gerapetritis au journal « REAL NEWS » et au journaliste Panagios Galiatsatos (19.05.2024)JOURNALISTE : Vous venez de conclure une réunion avec Mme Holguín. Avez-vous constaté à Ankara la possibilité de surmonter l'intransigeance turque sur la position de deux États concernant le problème chypriote?

G. GERAPETRITIS : Le problème chypriote reste une priorité absolue de la politique étrangère grecque. Nous nous efforçons d'amener le président chypriote et le dirigeant des Chypriotes turcs à la table de dialogue. J'entretiens d'excellentes relations avec l'envoyée personnelle du Secrétaire général des Nations unies et avec le Secrétaire général lui-même. Nous communiquons et nous nous rencontrons régulièrement afin d'activer le mécanisme de dialogue entre les deux parties. Nous sommes d'accord avec le gouvernement chypriote pour dire qu'une amélioration des relations gréco-turques ne peut qu'avoir des résultats positifs pour le lancement du dialogue sur le problème chypriote. Nous avons effectivement discuté du problème chypriote à Ankara. La position grecque est claire. Les deux parties doivent discuter sur la base des résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies d'une fédération bizonale et bicommunautaire. Le dialogue doit être lancé et il doit y avoir une discussion productive, qui nous conduira à une solution viable et bénéfique pour le problème chypriote dans le cadre des résolutions. Je pense que la partie turque comprend également l'importance du dialogue. Après tout, c'est dans ce dialogue que nous investissons également dans les relations gréco-turques. J'espère et je prie pour que nous ayons bientôt une évolution positive sur la question chypriote également.

JOURNALISTE : Après la visite à Ankara, quel est le calendrier des prochaines rencontres?

G. GERAPETRITIS : La prochaine étape est le mois de septembre à New York, dans le cadre de l'Assemblée générale des Nations Unies, où une réunion entre les deux dirigeants aura lieu. Les deux dirigeants seront également au sommet de l'OTAN à Washington. Le cas échéant, ils s'y rencontreront. L'étape suivante est le Conseil de coopération de haut niveau. Les deux dirigeants ont convenu hier d'avancer la tenue du Conseil à la fin de l'année à Ankara. Dans l’intervalle, jusqu'en septembre, il y aura eu un nouveau cycle de dialogue politique, un agenda positif et des mesures de confiance, afin que nous puissions obtenir des résultats plus positifs et plus tangibles. Il est particulièrement important de normaliser nos relations avec la Turquie : Nous nous rencontrons régulièrement, ces réunions ne doivent pas nécessairement toujours aboutir à un résultat très spécifique et majeur, et nous pouvons même être en désaccord, sans pour autant qu’il y ait des tensions.

JOURNALISTE : La mesure du visa express ayant connu un grand succès, envisagez-vous de l'étendre à d'autres îles?

G. GERAPETRITIS : Tout d'abord, je voudrais souligner qu'il s'agit d'une initiative du ministère grec des Affaires étrangères, qui sert l'idée que tout rapprochement entre les gouvernements ne peut exister qu'à travers le rapprochement entre les peuples aussi. C'est pourquoi je pense qu'il était extrêmement important non seulement pour l'économie de nos îles, mais aussi pour établir les bases de l'amitié et du bon voisinage. Pour adopter cette mesure, nous nous sommes mis d'accord avec la Commission européenne, car elle constitue une dérogation aux règles de l'espace Schengen. Notre idée était d'activer la mesure pour les îles qui accueillent des structures pour les migrants, ainsi que pour celles qui disposent de lignes directes de ferry. Étant donné qu'il s'agit d'une dérogation aux règles de Schengen, il est difficile de l'étendre. Espérons que nous aurons l'occasion de prendre d'autres mesures qui rapprocheront les deux peuples.

JOURNALISTE : Vous avez indiqué que vous mèneriez probablement le débat sur la délimitation des zones maritimes. D'après ce que nous savons, cette question n'a pas été soulevée à Ankara. Voyez-vous une volonté de la part de la Turquie d'en discuter ? Y a-t-il une volonté d'aller à La Haye à ce sujet?

G. GERAPETRITIS : La question de la délimitation du plateau continental et de la ZEE est une question technique complexe qui a un grand poids historique. Le fait qu'elle ait fait l'objet de 64 cycles de contacts exploratoires sans aucun résultat substantiel en dit long. Bien qu'il soit très précieux de pouvoir profiter d'une période de calme dans la mer Égée sans violations de l'espace aérien national et sans grands flux migratoires, une résolution définitive de la question du plateau continental et de la ZEE serait extrêmement importante pour un calme durable et à long terme dans notre région. Nous avons l'intention de discuter de ces questions lorsque les conditions seront réunies. Un climat de sincérité et de compréhension mutuelle devrait être pleinement établi, en particulier par la consolidation et la mise en œuvre complète des accords de l'agenda positif. Nous avons dit dès le départ que nous ferions avancer le dialogue gréco-turc pas à pas. Nous le faisons avec prudence, de manière à construire avant tout sur ce qui nous unit. Bien entendu, les divergences d'opinion sur des questions essentielles n'ont pas disparu. Le calendrier dépend du mandat que les deux dirigeants donneront aux ministres des Affaires étrangères pour entamer et superviser le dialogue. L'idéal serait de parvenir à un accord commun sur la délimitation. Quoi qu'il en soit, la voie du compromis consistant à soumettre ce différend à la juridiction internationale, demeure.

JOURNALISTE : À Ankara, nous avons constaté un climat généralement bon, mais des désaccords majeurs sur diverses questions individuelles, telles que l’église de la Chora ou la minorité. Quel bilan tirez-vous de cette visite?

G. GERAPETRITIS : Mon bilan global est positif. L'atmosphère était sincère et les deux parties ont fait preuve d'un esprit de consultation. Je ne considère pas comme négatif le fait que nous ayons consigné nos désaccords. En effet, il est nécessaire pour tout processus de dialogue de pouvoir discuter des points sur lesquels nous sommes en désaccord sans créer de tension ni de crise. Après tout, il serait impossible de parvenir à une convergence totale, d'autant plus que les deux États portent d'énormes fardeaux historiques. Notre intention est de pouvoir mettre l'accent sur ce qui nous unit et de pouvoir discuter sans tension des points sur lesquels nous sommes en désaccord. C'est ainsi que devrait fonctionner une relation interétatique normale, une normalité productive.

JOURNALISTE : Les déclarations de la nouvelle présidente de la Macédoine du Nord, Mme Siljanovská, constituent une violation de l'accord de Prespès. Vous avez réagi en soulignant que la perspective européenne de la Macédoine du Nord dépendait de l'application fidèle de l'accord. Envisagez-vous également des initiatives au niveau de l'OTAN?

G. GERAPETRITIS : Permettez-moi tout d'abord de souligner que la réaction de la partie grecque a été très rapide et, à mon avis, multidimensionnelle et efficace. Outre les annonces du Premier ministre et du ministère des Affaires étrangères, nous avons eu des annonces du président du Conseil européen, de la présidente de la Commission européenne et du représentant de l'UE, ainsi que des représentants des ministères des Affaires étrangères d'autres pays, qui ont été informés et mobilisés à l'initiative du ministère grec des Affaires étrangères. La réalité est qu’aujourd’hui, les dirigeants politiques de la Macédoine du Nord sont déjà soumis à des pressions internes. Le ministère des Affaires étrangères du pays a publié une déclaration selon laquelle l'accord de Prespès et le nom constitutionnel de l'État devaient être pleinement respectés, tandis que le ministère de la Justice a déclaré que la cérémonie de prestation de serment n'était pas valide. Je suis convaincu que les citoyens de Macédoine du Nord ne voudraient pas mettre en péril les relations avec la Grèce et la perspective européenne du pays. Il va sans dire que nous soulevons la question du respect de l'accord de Prespès dans toutes les enceintes internationales et que nous exigeons sa mise en œuvre de bonne foi.

JOURNALISTE : A ce sujet, l'opposition vous demande de ratifier les mémorandums. Vous avez vous-même déclaré que cela se ferait dans le courant de l'année. Y a-t-il des changements à ce sujet?

G. GERAPETRITIS : Je pense que cela justifie la politique du gouvernement. Nous présenterons les mémorandums au bon moment politique, et leur ratification dépendra de la bonne foi et de la pleine mise en œuvre de l'accord de Prespès. En effet, outre la question du nom constitutionnel, d'autres questions importantes restent en suspens. Je ne comprends vraiment pas la position de l'opposition qui, d'une part, nous accuse de ne pas avoir ratifié les mémorandums et, d'autre part, prévoit des risques pour la mise en œuvre de l'accord en raison du comportement des nouveaux dirigeants politiques de Macédoine du Nord. En réalité, nous voulons soumettre les mémorandums à la ratification, car nous sommes également d'accord sur le principe de l'orientation européenne de la Macédoine du Nord. Toutefois, cela ne peut se faire sans un respect total et tangible de l'accord de Prespès. N'oublions pas que la mise en œuvre de l'accord est une condition préalable explicite au processus d'adhésion de la Macédoine du Nord.

JOURNALISTE : En ce qui concerne l'affaire Beleri, avez-vous l'impression que les Albanais retardent délibérément le processus d'adhésion de sorte qu'au moment de l'évaluation des premiers chapitres, son aventure judiciaire soit terminée, qu'il ait été déclaré déchu et qu'un veto grec n'ait plus aucun sens?

G. GERAPETRITIS : Je ne voudrais pas interpréter les intentions du gouvernement albanais. Dès le début, la partie grecque s'est positionnée de manière très stricte et sur la base de règles. Ce que nous disons depuis le début, c'est que les questions concernant la démocratie, l'Etat de droit, les droits des minorités et les droits politiques de tous les citoyens sont des enjeux européens et non un différend bilatéral. Nous en sommes toujours convaincus. Et ce n'est certainement pas la Grèce qui a provoqué la question de Beleri. Après tout, le premier chapitre des négociations d'adhésion traite précisément de ces questions fondamentales. Il va sans dire que lorsque ce chapitre sera ouvert, la manière dont le système judiciaire a fonctionné en Albanie sera évaluée en substance, de même que la question de savoir si M. Beleri a reçu les garanties qui devraient être fournies à chaque citoyen, en particulier aux membres des minorités nationales. Nous restons fermement en faveur de l'intégration de tous les États des Balkans occidentaux dans la famille européenne, car cela contribuera de manière substantielle à la paix et à la prospérité dans une région extrêmement fragile de l'Europe. D'autre part, nous comprenons tous qu'il ne peut y avoir de remise en cause de l'acquis européen. La Grèce veillera à ce que tous les problèmes qui existent à cet égard soient dûment mis en évidence.

May 19, 2024