Interview du ministre des Affaires étrangères, Giorgos Gerapetritis, au journal « Vradini tis Kyriakis » - Propos recueillis par le journaliste Kostas Melissopoulos (12.05.2024)

Interview du ministre des Affaires étrangères, Giorgos Gerapetritis, au journal « Vradini tis Kyriakis » - Propos recueillis par le journaliste Kostas Melissopoulos (12.05.2024) JOURNALISTE : Monsieur le Ministre, ce qui se passe à Rafah a bouleversé le monde entier et beaucoup sont ceux qui considèrent qu'il s'agit d'un crime de guerre. Quelle est la position du gouvernement grec ?

G. GERAPETRITIS : Depuis le premier jour, nous n'avons pas changé d'avis ni de position sur la question de Gaza. Nous avons clairement indiqué dès le départ qu'Israël avait le droit de se défendre dans les limites du droit international et en particulier du droit humanitaire. Nous avons clairement indiqué que le Hamas ne devait pas être identifié au peuple palestinien. Nous avons demandé la libération immédiate des otages et, en outre, la protection des civils et l'ouverture de canaux humanitaires. Malheureusement, au fil du temps, la réalité a dépassé les attentes les plus négatives. Nous avons un très grand nombre de civils morts. Il est clair, selon moi, qu'il y a eu une intervention disproportionnée à Gaza et c'est pourquoi la partie grecque, qui est en mesure de parler aux parties belligérantes et à tous les acteurs actifs dans la région, offre toujours ses bons offices pour que nous puissions parvenir à une solution viable et juste. Ce que nous promouvons actuellement, en coopération avec l'Union européenne et les États arabes, c'est un projet d'accord qui pourra fonctionner de manière à ce que les hostilités cessent, que l'aide humanitaire à grande échelle puisse être acheminée sans heurts et, bien sûr, que les discussions puissent commencer sur l'avenir de la région, qui ne peut être que ce que les résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies sur les deux États spécifient, à savoir la création d'un État palestinien avec Jérusalem-Est comme capitale et dans les frontières d'avant 1967. Nous poursuivrons nos efforts en faveur de la paix. La Grèce est fermement orientée vers un Moyen-Orient pacifique et une région plus large pacifique, parce que, malheureusement, les répercussions qui se sont produites dans la région plus large - au Liban, en Syrie, dans la mer Rouge - sont extrêmement dangereuses et pourraient causer un énorme désastre humanitaire.

JOURNALISTE : Monsieur le Ministre, le dialogue avec la Turquie progresse. Qu'attendons-nous de la rencontre d'après-demain entre le Premier ministre Mitsotakis et le président Erdogan ?

G. GERAPETRITIS : Pour être tout à fait honnête avec vous, je pense que les rencontres qui ont lieu entre les dirigeants de deux pays voisins ne devraient pas nécessairement donner lieu à des résultats importants. Nous devrions nous rencontrer périodiquement, évaluer l'évolution de nos relations bilatérales, fixer le calendrier des prochaines étapes et, bien sûr, évaluer la situation internationale dans notre région et dans le reste du monde. Je pense que nous devrions entrer dans une logique de normalisation des relations entre la Grèce et la Turquie, afin que nous puissions nous parler sans que cela soit nécessairement considéré comme un grand sujet d'actualité. Je pense que nous avons récemment établi de bons canaux de communication de manière à ce que les désaccords, qui existent évidemment, ne provoquent pas de crises.

JOURNALISTE : Mais après un an de discussions et une atmosphère positive avec la Turquie, serions-nous au début d'une sorte de rapprochement sur les questions relatives à la mer Egée ?

G. GERAPETRITIS : Je pense que vous avez raison de dire qu'au cours de l'année écoulée, nous avons réussi à parvenir à une relative accalmie dans notre région. Il est important qu'il n'y ait pratiquement aucune violation de notre espace aérien, et il est également important qu'il y ait une coordination pour limiter et presque éliminer les flux migratoires illégaux. D'autre part, nous travaillons sur l'agenda positif avec des mesures d'intérêt mutuel afin d'obtenir des résultats positifs dans de nombreux domaines politiques. Nous n'avons pas encore atteint le point de discussion de notre seul dispute qui peut être porté devant une juridiction internationale, à savoir la délimitation du plateau continental et de la ZEE. Nous souhaitons avancer dans cette discussion lorsque les conditions appropriées seront réunies.

JOURNALISTE : Monsieur le Ministre, on parle beaucoup du compromis entre les deux pays. Nous, comme vous venez de le dire, nous restons sur notre position sur un seul différend : le règlement de la question des eaux territoriales et donc de la ZEE. Or, de son côté, la Turquie insiste sur des exigences maximalistes, telles que la propriété des îles, la démilitarisation, une souveraineté grecque limitée, etc. Comment un accord minimal est-il possible dans ces conditions ?

G. GERAPETRITIS : Comme je l'ai souligné à plusieurs reprises, les questions de souveraineté ne peuvent être mises sur la table du dialogue. La souveraineté est un droit inaliénable du pays et de lui découlent toutes les questions importantes relatives à l'existence de l'État. Nous n'allons donc pas en discuter. Notre souhait serait de pouvoir résoudre la question de la délimitation du plateau continental et de la zone économique exclusive et, si cela n'est pas possible, de porter la question devant une juridiction internationale lorsque les conditions appropriées seront réunies. En ce sens, je pense qu'il est important de définir très précisément la question qui pourrait être portée à La Haye. Aucune autre question ne peut faire l'objet d'un tel compromis.

JOURNALISTE : Avant-hier, le monastère historique de Chora a été transformé d'un musée en une mosquée en activité. Pensez-vous qu'il s'agit d'un geste de bonne volonté qui favorise les pourparlers avec la Turquie à quelques jours de la visite du Premier ministre ?

G. GERAPETRITIS : Tout d'abord, nous devons souligner que la décision de convertir le monastère de Chora en lieu de culte, en mosquée, a été prise dès 2020 tout comme celle concernant environ 200 autres monuments y relatifs en Turquie. Il s’agit donc de l’annonce de la mise en œuvre de cette décision déjà prise. Notre position est claire. Il est décevant, dans la phase où nous nous trouvons, dans une phase où nous essayons d’instaurer la confiance et la compréhension mutuelle, d'avoir de tels incidents. En effet, nous comprenons tous que le monastère de Chora a une valeur symbolique très importante pour la Grèce, mais qu'il a également une valeur intrinsèque pour la civilisation mondiale. C'est un monument byzantin d'une valeur inégalée et l'altération de son caractère œcuménique est une erreur qui n'aurait pas dû se produire.

JOURNALISTE : Vous avez déclaré récemment, à Delphes, que vous vouliez être bénéfique au pays, et non pas populaire. Je dois admettre que cela a quelque peu étonné, du moins ceux d'entre nous qui suivent l'actualité diplomatique depuis des années. Pouvez-vous nous expliquer ce que cela signifie ?

G. GERAPETRITIS : Je veux être clair. J'occupe le poste très honorable de ministre grec des Affaires étrangères, un poste dans lequel des personnalités importantes de la scène politique grecque ont servi de temps à autre. Ce qui est important, à ce poste, c'est de servir mon pays, de servir la justice nationale, d'être en mesure de rendre notre pays fort sur la scène internationale et, en même temps, de faire en sorte que les citoyens grecs se sentent en sécurité, confiants et fiers de leur pays. Je pense que nous y parvenons petit à petit. Notre pays est reconnu comme un acteur international intègre, avec des valeurs et des principes, et je pense que cela est apprécié par tout le monde, par nos alliés et par ceux avec lesquels nous ne nous entretenons pas de relations aussi amicales. C'est le choix que j'ai fait en venant au ministère des affaires étrangères. Je continuerai à servir mon pays avec intégrité et vigueur. Je ne mènerai pas une politique transactionnelle, mais une politique de valeurs. Mon désir d'être utile est précisément lié au fait que, dans certains cas, je prends des décisions qui peuvent déplaire à certaines personnes. Néanmoins, avec la confiance du Premier ministre, je continuerai à faire ce que ma conscience me dicte de faire, même si ces décisions ne me rendent pas particulièrement populaire. Je pars toujours du principe que je ne suis pas ici aujourd'hui pour servir d'autres intérêts que ceux du pays, des générations actuelles et futures.

JOURNALISTE : Lundi, Monsieur le Ministre, il y a eu une rencontre entre M. Fidan, votre homologue turc, et la représentante de M. Guterres, Mme Holguin, qui se trouve déjà à Chypre. Quelle est la place de la Grèce dans ce processus ?

G. GERAPETRITIS : La question chypriote est une priorité majeure de la politique étrangère grecque et il ne peut en être autrement. J'ai moi-même beaucoup investi pour pouvoir faire avancer la question chypriote. Je suis en communication régulière avec les Nations unies, tant avec le Secrétaire général qu'avec son envoyée personnelle, Mme Holguin. Bien entendu, nous discutons également de la question chypriote dans le cadre des relations gréco-turques. Je suis en communication constante avec le président chypriote et le ministre des Affaires étrangères. Je pense que le moment est venu de reprendre les discussions sur la résolution de la question chypriote, précisément dans le contexte des résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies sur une fédération bi-zonale et bi-communautaire. Je poursuivrai mes efforts afin que nous puissions obtenir des résultats bénéfiques sur la question chypriote, qui restera en tête des priorités de la politique étrangère grecque.

JOURNALISTE : Après les élections en Macédoine du Nord et la victoire probable des nationalistes, quelles sont, selon vous, les perspectives de survie de l'accord de Prespès et qu'auriez-vous à dire aux nouveaux dirigeants ?

G. GERAPETRITIS : Comme vous le savez, la Grèce a été historiquement et continue d'être le pays pionnier en termes d'intégration des États des Balkans occidentaux dans la famille européenne. Nous pensons que ces États devraient être au cœur de l'Union européenne et nous déployons des efforts systématiques pour que ces États aient un avenir européen. En ce qui concerne plus particulièrement la Macédoine du Nord, j'ai souligné à plusieurs reprises que le chemin de ce pays vers l'Union européenne passait également par le respect fidèle de l'accord de Prespès. Indépendamment des questions que l'accord de Prespès a soulevées dès le départ et que la Nouvelle République, en tant qu'opposition à l'époque, a soulignées en temps utile, cet accord est un traité international qui est supérieur à toute loi nationale et doit être respecté par les parties, et toute révision de cet accord n'est pas autorisée sans l'accord des parties. En ce sens, nous considérons qu'il est nécessaire que l'accord continue d'être appliqué et je pense que ce sera l'attitude de la nouvelle direction politique de la Macédoine du Nord, qui émergera après les élections. Le gouvernement grec surveille l'application de l'accord avec persistance et rigueur et fera les interventions nécessaires.

JOURNALISTE : Kosovo : Quelle est la position du gouvernement et comment pensez-vous qu'une éventuelle adhésion du Kosovo au Conseil de l'Europe affectera les relations gréco-serbes ?

G. GERAPETRITIS : Notre position a été cohérente dès le début et elle reste une position de principe. C'est également la raison pour laquelle la Grèce s'est abstenue de voter sur le renvoi de la question de l'adhésion du Kosovo au Conseil de l'Europe et ce sera notre position lorsque la question sera soulevée au Conseil des ministres, c'est-à-dire que la Grèce s'abstiendra. Notre position se fonde sur le fait que les conditions fixées pour l'adhésion du Kosovo au Conseil de l'Europe n'ont pas encore été remplies, en particulier la question de la création de l'Union des municipalités serbes. La partie grecque poursuit une politique de principe. Nous offrons nos bons offices pour que les différends entre Belgrade et Pristina puissent être réglés pacifiquement. Nous pensons que ce qui a été convenu entre les deux parties à Ohrid doit être mis en œuvre dans son intégralité, et la résolution de ces différends contribuera, je pense, de manière substantielle non seulement à leur parcours européen, mais aussi à la paix et à la prospérité générales des Balkans, une région qui est historiquement extrêmement vulnérable, mais qui présente un grand intérêt pour la politique étrangère de la Grèce.

May 12, 2024