JOURNALISTE : Commençons par la guerre au Moyen-Orient et l’abstention créative, selon les sources diplomatiques, de la Grèce lors du vote de la résolution de l'ONU sur Gaza. Je voudrais vous demander ce que l’on entend par « abstention créative » et pourquoi la Grèce n'a pas pu soutenir la résolution en fin de compte. Y a-t-il des hésitations en raison de notre alliance avec Israël et dans quelle mesure ces hésitations sont-elles justifiées ?
G. GERAPETRITIS : La réponse, Madame Fotakis, est très claire. La politique étrangère grecque est une politique étrangère fondée sur des principes. Dès le début, lorsque la crise au Moyen-Orient a éclaté avec l'attaque terroriste du Hamas contre l'État d'Israël, nous avons adopté une position claire. Notre position était que toute action terroriste, tout acte violent, tout traitement inhumain devait être condamné dans son intégralité. Mais nous avons également dit que les civils devaient être protégés et que des couloirs humanitaires devaient être créés pour que l'aide humanitaire puisse être acheminée jusqu'à Gaza et que la population, qui est la plus vulnérable dans cette guerre, puisse avoir ce dont elle a besoin. Dans ce contexte, nous avons eu une approche créative lors du débat sur la résolution des Nations unies. Il s'agissait d'une proposition de résolution émanant du monde arabe, de la Jordanie. J'étais en communication constante avec mes homologues du monde arabe. Nous avons essayé d'élaborer un texte qui serait acceptable par toutes les parties.
Et nous ne l'avons pas fait parce que nous voulions trouver un équilibre, Madame Fotakis. Notre politique étrangère n'est pas une politique d'équilibre. C'est une politique étrangère de droit international et d'intérêt national. Nous avons donc dit ceci : Nous accepterons bien sûr une résolution, mais celle-ci doit avoir pour point de départ fondamental la condamnation de toute action terroriste. Nous comprenons tous qu'il est impensable de ne pas avoir une condamnation qui inclut toute action dirigée contre un État. Je pense que nous sommes tous d'accord sur ce point et, en outre, nous avons essayé, par le biais d'autres interventions créatives, d'avoir un texte qui soit à la fois utile et juste. Dans ce contexte, et étant donné que ces propositions, nos propres propositions, n'ont finalement pas été intégrées dans le texte final, nous avons choisi la voie de l'abstention. Nous avons choisi la voie de l'abstention, qui, je tiens à le souligner, Madame Fotakis, n'équivaut en aucun cas à un vote négatif. En effet, l'abstention ne compte pas dans le total des voix présentes pour obtenir une majorité. Elle est donc essentiellement différente d'un vote négatif. Et ce fut, si je puis dire, la voie suivie par la majorité des pays de l'Union européenne.
Bien évidemment certains États ont accepté et voté en faveur de la résolution. A notre sens, nous avons maintenu une position de principe, comme nous le faisons depuis le premier jour. La position de notre pays est globalement humanitaire. Aujourd'hui encore, nous continuons à essayer, en communiquant constamment avec le monde arabe, avec Israël, de garantir la protection des civils et l'apport d'une aide humanitaire aussi importante que possible aux personnes touchées, en particulier à Gaza. Et c'est ce que nous continuerons à faire. Pour nous, les morts n'ont pas de nationalité.
JOURNALISTE : Il y a eu des critiques à cet égard, bien sûr...
G. GERAPETRITIS : Permettez-moi de vous dire, Madame Fotakis, que la critique est trop facile à faire et trop simpliste. C'est parce qu'elle n'est absolument pas fondée sur des données factuelles. Quiconque a lu le texte de cette résolution peut comprendre pourquoi nous n'avons pas voté contre elle, comme, je tiens à le dire, l’ont fait d’autres pays de l'Union européenne mais aussi la raison pour laquelle nous n'avons pas voté pour, comme d'autres pays l'ont fait. Nous avons suivi la ligne européenne. La ligne adoptée par la majorité des pays européens était l'abstention, afin de faciliter en fin de journée un vote favorable mais, en revanche, pour être très clair, s'il n'y a pas de condamnation du terrorisme sous toutes ses formes, il n'est pas possible pour notre pays de voter en faveur d'un tel texte.
JOURNALISTE : Dialogue politique entre la Grèce et la Türkiye il y a quelques jours. Qu'avez-vous retenu de cette première rencontre ? Y a-t-il une volonté de trouver des solutions qui passent par des compromis ou de gérer un apaisement temporaire ?
G. GERAPETRITIS : Les discussions se sont déroulées dans une atmosphère extrêmement productive. C'était la première réunion qui se tenait à la fois dans le cadre du dialogue politique et dans celui d'un agenda positif pour des mesures de coopération mutuellement bénéfiques. Le dialogue a été mené par les Secrétaires d’État aux Affaires étrangères de notre pays et le Secrétaire d’État turc aux Affaires étrangères compétent en la matière, dans le cadre de l'accord conclu par les dirigeants des deux pays. Ce que je voudrais vous dire, Madame Fotakis, c'est ceci : nous sommes un pays qui, en termes de notre vision du monde, si vous voulez, prend position en faveur du droit international. Nous le ferons et continuerons à le faire, à le soutenir sous toutes ses formes et à soutenir, dans le cadre du droit international, les relations de bon voisinage. Nous souhaitons sincèrement entretenir de bonnes relations avec tous les pays, en particulier les pays voisins, y compris la Türkiye. Toutefois, nous devons clarifier deux choses très importantes. Le droit international sera toujours notre guide et, en outre, les questions ayant trait à la souveraineté nationale grecque ne peuvent être discutées. Dans ce contexte, ce que je comprends, c'est que nous avançons pas à pas dans un bon climat, que nous voulons poursuivre.
En outre, je voudrais faire deux observations. La première est que pour moi, il est très important que nous parvenions à une compréhension commune avec la Türkiye, pour éviter une crise chaque fois qu'une tension ou un différend apparaît. En d'autres termes, il faut disposer des soupapes de sécurité qui permettront une décompression sans provoquer une crise entre les deux pays, ce qui est très important à mes yeux pour la prospérité des peuples. Le deuxième point est le suivant : nous voulons parler et parler de manière productive avec la Türkiye. Nous ne pensons pas que l'inaction soit le moyen de résoudre les différends. Bien sûr, il existe des domaines de discussion qui mèneront à des accords mutuellement bénéfiques. La protection civile, la politique migratoire, le tourisme sont des questions qui peuvent en elles-mêmes figurer à l'ordre du jour et déboucher sur des accords positifs pour les deux pays. Mais nous devons nous pencher sur les questions qui auraient dû être réglées depuis longtemps. Je pense que le moment est venu d'en discuter sans tensions, pour le bien des deux pays et, surtout, pour le bien des générations futures, qui ont le droit de vivre dans une région calme et prospère.
JOURNALISTE : Le Conseil de coopération de haut niveau sera basé sur l'agenda positif et les accords qui émergeront de ces discussions, n'est-ce pas ?
G. GERAPETRITIS : La discussion qui aura lieu en décembre entre les deux délégations portera principalement sur l'approbation de tout ce qui a été discuté jusqu'à présent, c'est-à-dire la signature d'une série d'accords qui seront convenus entre les deux délégations d'ici le 7 décembre et déterminera également les prochaines étapes. Les dirigeants des deux pays seront appelés à adopter, à approuver une série d'accords positifs et mutuellement bénéfiques, à déterminer les prochaines étapes et à confirmer un climat de réconciliation. Madame Fotakis, je voudrais souligner que, de février à aujourd'hui, nous avons connu une longue période de paix et de réconciliation dans notre voisinage.
JOURNALISTE : Zéro survols, zéro violations...
G. GERAPETRITIS : C'est une période calme qui n'est en aucun cas évidente et qui nous permet d'avoir un optimisme durable, prudent mais durable, que nous pouvons aller de l’avant en s’appuyant sur ce calme. Et à mon sens, il est possible maintenant de parler avec la Türkiye, sans être toutefois d'accord sur tout. Nous sommes conscients de nos divergences fondamentales sur des questions essentielles, mais il est important que nous puissions trouver un terrain d'entente pour pouvoir aller de l'avant.
JOURNALISTE : Guerre en Ukraine et guerre au Moyen-Orient. Quel est le rôle de la Grèce dans la région et quel est le rôle des bases qui ont été concédées aux Etats-Unis par le biais du MDCA dans l'ombre des deux guerres ?
G. GERAPETRITIS : La Grèce dispose d'un atout international très important. Cet atout international a été acquis grâce à la position cohérente, honnête, intègre que nous avons maintenue ces dernières années, et c'est pourquoi nous pouvons être un interlocuteur crédible non seulement avec les États régionaux, mais aussi avec tous les gouvernements et organisations internationales. C'est justement cela que nous continuerons à faire. Notre position, tant à l’égard de l’Ukraine que du Moyen-Orient, est une position de principe. Nous sommes opposés à toute agression et à tout révisionnisme. Je suis donc très clair : nous resterons les défenseurs du droit international et des valeurs démocratiques et humanitaires. En ce qui concerne le statut des bases en Grèce, celui-ci est régi par des accords internationaux, qui ont été signés et ratifiés par le Parlement grec, et dans ce contexte, les facilités nécessaires sont fournies. Il va sans dire que la Grèce ne s'impliquera dans aucun conflit militaire. Mais nous ferons tout ce qui est en notre pouvoir pour exercer une diplomatie créative et active afin de réduire les tensions et de rétablir la paix sur ces deux fronts majeurs dans notre région plus élargie et ailleurs dans le monde.
JOURNALISTE : Pensez-vous que ces deux accords renforcent le rôle de la Grèce pour les États-Unis ?
G. GERAPETRITIS : Ils sont bénéfiques pour notre pays. Ce sont des accords qui sauvegardent les intérêts nationaux, qui créent des alliances stratégiques avec des alliés qui se tiennent à nos côtés non seulement aujourd'hui, mais aussi potentiellement en cas d'agression contre notre pays. Je pense donc que les accords qui ont été signés avec les États-Unis et la France, créent un régime de sécurité et de garanties pour notre pays à l'avenir.
JOURNALISTE : La Grèce, Chypre et la France discutent de la création d'un corridor de solidarité avec Gaza. Il y a eu même des publications dans la presse à Chypre pour savoir qui, la Grèce ou Chypre, l'a proposé en premier. Où en sommes-nous et comment pouvons-nous avancer ?
G. GERAPETRITIS : Avec Chypre, nous ne pourrions pas être en concurrence car nous avons une concertation. Je suis en contact quotidien avec la diplomatie chypriote et le ministre chypriote des Affaires étrangères. C'est une initiative qui a été prise par nos pays et par la France. Nous nous coordonnons avec les organisations internationales, notamment les Nations unies, et avec Israël lui-même. Lorsque j'étais en Israël avec le Premier ministre il y a quelques jours, précisément dans le cadre de la discussion que nous avons eue avec le Premier ministre israélien, la question d'un corridor humanitaire directement par la mer vers Gaza a été soulevée. Nous comprenons tous que ce projet présente des difficultés techniques particulières, car il n'y a pas de port sûr dans l'ensemble de la bande de Gaza où un navire pourrait accoster. Il faut donc des conditions spéciales et faire en sorte qu'il y ait des garanties de sécurité pour qu'un navire puisse s'y accoster. Nous sommes toujours en discussion afin de garantir que l'aide humanitaire aux civils touchés à Gaza soit aussi immédiate, utile et efficace que possible. Je tiens à vous dire qu'indépendamment de ce corridor maritime que nous essayons de mettre en place, la Grèce enverra également de l'aide humanitaire via l'Égypte.
Madame Fotakis, dès le premier jour de l'attaque terroriste contre Israël, nous avons dit que l'aide humanitaire devait être absolument garantie. Nous l'avons toujours fait, nous l'avons dit dans tous les forums internationaux et nous le mettons en pratique en envoyant de l'aide humanitaire.
JOURNALISTE : Relations entre la Grèce et les États-Unis, relations entre les États-Unis et la Turquie : dans quelle mesure les équilibres ont-ils été perturbés après la guerre entre Israël et le Hamas et dans quelle mesure cela peut-il également nuire au bon climat dans les relations entre la Grèce et la Türkiye ?
G. GERAPETRITIS : Il n'y a pas eu de perturbation dans nos relations. La Türkiye a pour l'instant choisi d’exercer une diplomatie proche du Hamas. C'est quelque chose qui n'est pas acceptable dans notre contexte. Il va sans dire que toute attaque terroriste, en particulier contre des civils et des personnes vulnérables, doit être condamnée par tous. Quoi qu'il en soit, nous continuerons sur la voie du dialogue et de la coopération avec la Türkiye et nous espérons que sur les questions qui ont déjà été soulevées dans le contexte du dialogue politique et de l'agenda positif, mais aussi dans le contexte des mesures de confiance, sur lesquelles nous aurons les prochaines discussions dans quelques jours, le climat favorable à l'amélioration de nos relations bilatérales se maintiendra.
JOURNALISTE : Quel rôle joue la question chypriote dans les relations ? Le Conseil de coopération de haut niveau entre la Grèce et Chypre se tiendra également dans les prochains jours. Qu'en attendons-nous ?
G. GERAPETRITIS : Chypre revêt toujours une importance primordiale dans l’exercice de notre politique étrangère. Il s'agit d'un capital national considérable et d'une obligation nationale vis-à-vis de l'histoire. Nous ne pourrons jamais négliger la dimension chypriote. Je tiens à vous dire qu'en ce qui concerne le développement de la coopération avec la Türkiye, le gouvernement chypriote est d'avis que l'amélioration des relations gréco-turques ne peut être que positive pour l'évolution de la question chypriote. Nous insistons, avec arguments et conviction, sur le fait que la question chypriote doit être résolue dans le cadre des résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies en faveur d'une fédération bizonale bicommunautaire. Le dialogue doit se poursuivre et la partie chypriote turque doit s'y associer. Nous continuerons à soulever la question chypriote dans les organisations internationales et à toute autre occasion, et nous espérons que nous aurons une discussion beaucoup plus productive dans un avenir très proche. En particulier sur la question du Conseil de coopération de haut niveau, qui se tiendra dans quelques jours à Athènes, nous accueillerons le président chypriote et les ministres de la République de Chypre pour discuter d'un certain nombre de questions, principalement de nature bilatérale.
Il y aura également la signature d'un certain nombre d'accords visant à améliorer les relations bilatérales et, bien entendu, le ministre des Affaires étrangères de Chypre et moi-même, ainsi que le Premier ministre et le Président chypriote, aurons l'occasion d’échanger afin de développer davantage notre ligne nationale sur les questions cruciales qui nous concernent.
JOURNALISTE : Le rapport de la Commission sur les Balkans est attendu la semaine prochaine. Quelle sera la position de la Grèce sur l'évaluation de l'Albanie, étant donné que le procès Beleri est en cours ? L'affaire Beleri pourrait-elle faire dérailler les relations gréco-albanaises ?
G. GERAPETRITIS : Tout d'abord, je voudrais souligner que la position de la Grèce est toujours institutionnelle. C'est la Grèce qui a incité à l'élargissement de l'Union européenne vers les Balkans occidentaux. Nous pensons que la voie à suivre pour ces pays est naturellement celle menant à la famille européenne. Nous avons commencé en 2003 à Thessalonique. Nous en tirons également profit aujourd'hui avec les réunions que le Premier ministre a tenues avec les chefs d'État des Balkans occidentaux ainsi que de l'Ukraine et de la Moldavie, à Athènes. Et je pense qu'en principe, notre attitude sera toujours une attitude d'encouragement à l'égard des pays des Balkans occidentaux. Votre question porte en particulier sur la question de l'Albanie, qui, je voudrais souligner, a pris une dimension particulière, notamment en raison de l'affaire Beleri. Dès le début, nous avons adopté une position très claire. Nous pensons qu'il est impensable qu'un maire élu, un représentant élu de la collectivité locale qui a été élu par les électeurs de Chimarra, ne puisse pas, à l'heure actuelle, assumer les responsabilités que les habitants de la ville lui ont confiées. Nous pensons que cela est indépendant de la décision de la justice albanaise, que nous respectons, mais nous devons souligner que la question de la prestation de serment du maire élu, Fredi Beleri ne concerne pas la justice albanaise. Il s'agit d'une question purement administrative.
C’est une question qui concerne l'administration et le gouvernement albanais. Il est impératif que, indépendamment de toute autre chose, M. Beleri ait la possibilité de prêter serment, soit par le biais d'un court congé pénitentiaire, soit au sein de la prison, comme c'est le cas dans la plupart des pays. Il va sans dire que tant que cette question restera en suspens, les relations entre la Grèce et l'Albanie seront ébranlées. Nous pensons que la question de Fredi Beleri relève des principes fondamentaux de l'État de droit, qui protège les droits politiques de tous les citoyens et en particulier des minorités au sein de chaque pays, et nous veillerons à ce que cette question soit soulevée dans tous les forums internationaux et au sein de l'Union européenne, comme nous l'avons fait jusqu'à présent.
November 5, 2023