Propos recueillis par le journaliste Nikos Hadzinikolaou
JOURNALISTE : Nous avons l’honneur d’accueillir dans le studio de la chaîne de télévision ANT1 le ministre des Affaires étrangères, Giorgos Gerapetritis. Monsieur le ministre, bonsoir.
G. GERAPETRITIS : Bonsoir. C'est à moi que revient l'honneur, Monsieur Hadzinikolaou.
JOURNALISTE : Je commencerai par le signal parallèle que Washington a donné à Athènes et à Ankara sur les F-35 et les F-16. Certains disent que si le gouvernement grec « fête » l'acquisition prévue du F-35, le fait qu'Ankara reçoive les F-16 est en fait une petite défaite pour nous. En fait, aujourd'hui, le président du parti Elliniki Lysi M. Velopoulos, s'exprimant sur la station radio Real FM ce matin, a déclaré que nous avons apposé notre signature sur l’acquisition des avions F-16 par la Türkiye en raison de la visite d'Erdogan à Athènes et de la Déclaration d'Athènes. Et que le rapprochement gréco-turc de la dernière période était une grave erreur. Merci de votre réponse.
G. GERAPETRITIS : Je pense, Monsieur Hadzinikolaou, que je n'ai jamais entendu autant d'inexactitudes rassemblées en quelques secondes, si vous me permettez l'expression. Permettez-moi de commencer par les hypothèses. Tout d'abord, nous ne sommes pas en train de faire la fête. D'une manière générale, le gouvernement actuel n'est pas du tout du genre à faire la fête. Nous faisons preuve de sérieux, de responsabilité, nous rendons compte de nos actions et nous nous efforçons toujours de servir au mieux les intérêts de notre pays. Deuxièmement, nos actions ne sont pas déterminées par des facteurs extérieurs. Nous n'avons pas notre mot à dire et nous ne pourrions pas, en fait, déterminer la manière dont les États-Unis d'Amérique mettent en œuvre les programmes d'armement. Ce que nous faisons, et je pense que nous le faisons de manière cohérente, c'est de sauvegarder nos propres intérêts nationaux lorsqu'il y a des livraisons d'armes de ce type.
JOURNALISTE : Avant que vous ne passiez à la deuxième question, le parti Syriza affirme, Monsieur le Ministre, que Kyriakos Mitsotakis, à la fois depuis la tribune du Congrès américain dans son discours historique et depuis celle du Parlement hellénique, a assuré que la Türkiye n'obtiendrait pas les F-16.
G. GERAPETRITIS : Je suis très clair et je pense que le Premier ministre l'est également. Nous ne pouvons pas déterminer les programmes d’armement des États-Unis. Mais ce que nous pouvons déterminer, c'est que ces programmes d'armement, qui sont attribués à des pays alliés, ne seront pas utilisés au détriment des intérêts grecs. Et c'est une constatation tout à fait légitime, je dirais.
JOURNALISTE : Encore une question concernant ce sujet. J'ai lu dans le journal « Kathimerini » aujourd'hui qu'il existe un document confidentiel du State Department destiné au Congrès qui stipule que les F-16 ne peuvent être utilisés contre un pays membre de l'OTAN. Je voudrais vous demander si vous avez des informations concernant l’existence ou non de ce document. Et si nous avons reçu des assurances, et sous quelle forme, sur la manière dont les F-16 seront utilisés par le pays voisin.
G. GERAPETRITIS : Vous me permettrez, Monsieur Hadzinikolaou, d'être plus prudent dans mes réponses sur certains points. Non pas parce que je ne veux pas vous répondre, mais parce qu'il s'agit toujours d'un processus dynamique. Tant notre participation au programme F-35 que la modernisation des F-16 pour la Türkiye sont encore en phase d'ajustement. Les processus ne sont pas terminés, ils vont commencer, nous verrons donc tout cela. Mais je veux que vous ayez le sentiment, comme le peuple grec, qu'avec le gouvernement actuel, il est impossible que les intérêts nationaux ne soient pas défendus de manière appropriée. Les États-Unis d'Amérique et la Grèce ont actuellement une alliance stratégique, qui est la plus forte qui puisse exister. C'est pourquoi je pense que la politique étrangère fondée sur des principes à laquelle nous avons adhéré est récompensée. Nous ne nous vantons pas, Monsieur Hadzinikolaou. Nous l'avons également entendu. Nous sommes très cohérents. Nous respectons le droit international, nous respectons la légalité internationale, nous sommes fermement orientés vers l'Occident, nous sommes contre tout comportement agressif.
JOURNALISTE : Et c'est pourquoi l'opposition vous accuse d'être trop pro-occidental, pro-américain.
G. GERAPETRITIS : Si seulement M. Hadzinikolaou, «les alliés acquis» obtenaient ce que notre pays obtient aujourd'hui. Et je voudrais vous dire quelque chose. En réponse à l'opposition, mais aussi à ce qu'a dit M. Velopoulos, je voudrais que vous reveniez sur la situation en 2019. Où en était la Grèce en termes de programmes d'armement en 2019 et où en étaient les autres pays alliés. En 2019, je tiens à vous rappeler, M. Hadzinikolaou, qu'après une décennie marquée malheureusement, en raison de la crise économique, par la dévalorisation des forces armées, nous avons commencé à demander notre adhésion au programme des F-16. Aujourd'hui, M. Hadzinikolaou, la Grèce fait partie d'un très petit club de pays qui possèdent des chasseurs de cinquième génération. La Grèce, l’allié dit « acquis » reçoit des États-Unis, des frégates, des avions de transport, des véhicules blindés, des armements qui sont offerts gratuitement aux forces armées grecques. Nous, M. Hadzinikolaou, continuerons à exercer une politique étrangère puissante et sérieuse et, d'autre part, nous préserverons le caractère autonome de nos forces armées.
JOURNALISTE : Monsieur le ministre, j'ai toutefois entendu Mme Nuland, secrétaire d'État adjointe des États-Unis, affirmer qu’Ankara pourrait rejoindre le programme des avions F-35, en demandant essentiellement le retrait des missiles russes S-400. Votre commentaire à cet égard s’il vous plaît.
G. GERAPETRITIS : Bien sûr. Permettez-moi de vous rappeler, M. Hadzinikolaou, que la Türkiye a participé au programme des F-35 en 2019, alors que nous ne demandions qu’à participer au programme des F-16. Remettons donc un peu les choses en perspective. Où en est la Grèce aujourd'hui. A quel point elle est un pôle géostratégique puissant. A quel point la Grèce peut parler à des puissances régionales, universelles. Je pense qu'à l'heure actuelle, et je veux le dire avec humilité, M. Hadzinikolaou, la Grèce est peut-être un petit pays géographiquement, mais le capital diplomatique qu'elle possède est très puissant.
JOURNALISTE : Dites-moi, s'il vous plaît, est-ce que ceux qui affirment, comme M. Velopoulos, que la Déclaration d'Athènes a été utilisée par Erdogan comme un passeport pour obtenir les F-16 ont-ils après tout raison ? Et je pose cette question parce que nous l’avons entendu parler, par la suite, à nouveau de la patrie bleue. Et nous l'avons entendu, depuis Izmir, faire à nouveau référence aux Grecs d'une manière très agressive et insultante.
G. GERAPETRITIS : Avec tout le respect que je vous dois, permettez-moi de dire qu'il n'a pas parlé des Grecs. Il a parlé d'ennemis et du parcours historique de la Türkiye.
JOURNALISTE : Il a jeté certains d'entre eux à la mer. J'imagine qu'il parlait de nous.
G. GERAPETRITIS : Je tiens à vous dire que nous serions vraiment irréalistes de penser que la normalisation des relations gréco-turques sera linéaire, qu'elle ne connaîtra pas de transitions, ni de revers. Il y a aujourd'hui une opportunité historique. Je la considère, dans le cadre de mes compétences et de mes responsabilités, comme une chance historique. Quelle est cette opportunité historique ? D'explorer les possibilités de vivre en bon voisinage avec la Türkiye. Si je ne le fais pas, et si le gouvernement actuel ne le fait pas, nous y serons comptables devant l'histoire. Je ne dis pas, Monsieur Hadzinikolaou, que cet effort sera couronné de succès. Mais je veux épuiser toutes les possibilités. Et je veux les épuiser, parce que je ressens cette obligation envers mes enfants, envers les générations à venir, qui n'auront pas à vivre avec le doigt sur la gâchette. Vous savez ce qui me réjouit, Monsieur Hadzinikolaou. J'ai vu un sondage hier, qui concernait les préoccupations des citoyens grecs sur leur avenir, sur aujourd'hui, sur demain. Et j'ai vu que, comme résultat de l'année, l'inquiétude des citoyens grecs diminue en ce qui concerne les questions nationales, c'est-à-dire les questions relevant de la politique étrangère et de la défense - elle augmente dans d'autres chapitres - et tel est en fin de compte notre objectif. M. Hadzinikolaou, grâce à une politique étrangère à multiples facettes et à une défense forte, nous devons faire en sorte que les citoyens grecs se sentent en sécurité. Ils peuvent se préoccuper d'autres choses, de leur prospérité, de leur bien-être, mais ils peuvent être fiers et en phase avec leur patrie.
JOURNALISTE : L'information que j'ai lue ces dernières heures, selon laquelle le Premier ministre devrait être invité à la Maison Blanche en mai, est-elle valable?
G. GERAPETRITIS : Vous comprenez que cette question est également en cours. Je tiens à vous dire que le Premier ministre est vraiment un dirigeant de très haute stature internationale. Je pense qu'il l'a démontré au cours de sa carrière et j'ai le sentiment qu'il recevra de nombreuses invitations à l'avenir. Je veux vous dire - et je le dis avec sincérité - que lorsque j'ai entamé mon mandat au ministère des Αffaires étrangères, je ne me rendais pas compte moi-même de l'importance de l'atout diplomatique dont la Grèce dispose grâce précisément au Premier ministre. Je tiens à vous dire qu'en ce qui concerne les relations gréco-américaines en particulier, j'aurai moi-même une réunion avec le Secrétaire d’État américain, M. Blinken, et j'aurai de multiples réunions avec de hauts fonctionnaires américains le 9 février dans le cadre du dialogue stratégique avec les États-Unis. Nous sommes un pôle fort, Monsieur Hadzinikolaou.
JOURNALISTE : Ce sera en mars, n’est-ce pas?
G. GERAPETRITIS : Le 9 février
JOURNALISTE : Oh, le 9 février?
G. GERAPETRITIS : Nous allons maintenant avoir des développements. Je serai en charge du dialogue stratégique que nous aurons.
JOURNALISTE : M. Mitsotakis pourrait aller à la Maison Blanche en mars également ?
G. GERAPETRITIS : Il se peut qu’il y soit. C'est quelque chose qui est lié à son propre programme. Il a un certain nombre de voyages internationaux qui l'attendent. Je pense qu'en ce moment, la position de la Grèce - et je veux vous le dire, M. Hadzinikolaou, et à travers vous, je veux le transmettre à tous les citoyens grecs - la parole de la Grèce sur la scène internationale compte. Et elle compte parce qu'elle est honnête, cohérente, fondée sur le droit international et sur une politique de principe.
JOURNALISTE : Deux dernières questions.
G. GERAPETRITIS : Je vous en prie.
JOURNALISTE : Skopje. Real News a publié un reportage dimanche sur le fait qu'ils ne mettent pas en œuvre ce qu'ils devraient mettre en œuvre dans le cadre de l'accord de Prespès. Je parle des documents de voyage, etc. Je voudrais vous demander comment vous allez traiter cette question. Et qu'en est-il des mémorandums de cet accord ? Ils n'ont pas été présentés au Parlement.
G. GERAPETRITIS : J’aimerais vous dire ceci - et je veux le répéter avec insistance pour que cela soit transmis aux citoyens grecs qui nous regardent. Le traité de Prespès est un traité international. En tant que tel, il prime sur toute autre disposition légale, ce qui signifie qu'il ne peut être modifié unilatéralement. La Nouvelle Démocratie s’est positionnée en temps utile sur les zones sombres et grises de ce traité. Néanmoins, à l'heure où nous parlons, ce traité ne peut être modifié par aucune des parties. Que pouvons-nous faire, M. Hadzinikolaou ? Nous pouvons veiller à ce que les dispositions du traité de Prespès soient respectées de manière cohérente et stricte. Et c'est ce que nous faisons.
JOURNALISTE : Ils ne l'appliquent pas.
G. GERAPETRITIS : Je tiens à vous dire qu'il y a effectivement une date butoir pour la Macédoine du Nord.
JOURNALISTE : Le 12 février.
G. GERAPETRITIS : Le 12 février. Afin qu’on puisse adapter en conséquence les documents publics, en particulier les documents de voyage, ainsi que les plaques d'immatriculation des véhicules. La Grèce insistera sur le strict respect des obligations découlant du traité de Prespès. En ce qui concerne les mémorandums, vous comprenez que leur ratification par le Parlement grec dépend également du respect du traité de Prespès. Nous nous en tiendrons à ce traité et nous veillerons à ce qu'il soit strictement respecté.
JOURNALISTE : Moyen-Orient. Ce qui se passe aujourd'hui à Gaza a-t-il un impact sur notre pays et dans quelle mesure ?
G. GERAPETRITIS : Je pense que l’impact est important, M. Hadzinikolaou, et multiple. Tout d'abord, nous comprenons tous qu'une crise humanitaire, aussi régionale soit-elle, touche le ventre mou de nos citoyens et de notre humanisme. Et nous sommes un peuple animé par des valeurs humanitaires. C'est donc quelque chose qui nous touche de plein fouet. Deuxièmement, il existe une menace évidente pour le commerce international et, en particulier, pour la navigation internationale. En ce moment, en mer Rouge, où le problème est très grave, il y a déjà une task force spéciale, et l'Union européenne est également active. Troisièmement, les flux migratoires peuvent se développer et, bien sûr, il pourrait y avoir une grave crise économique si cette détérioration du commerce passant par cette zone se poursuit. Mais je voudrais aussi dire ceci. La Grèce parle avec tout le monde, elle parle tout en étant en position de force, si je puis dire. Elle a une voix et un rôle sérieux à jouer au Moyen-Orient. Notre attitude est très cohérente et je tiens à vous dire que, le moment venu, nous jouerons le rôle constructif qui s'impose. Puisse ce cauchemar prendre fin le plus rapidement possible.
JOURNALISTE : Merci beaucoup au ministre des Affaires étrangères. Merci, Monsieur Gerapetritis.
G. GERAPETRITIS : Je vous remercie, c’était un honneur pour moi.
January 30, 2024