Interview du ministre des Affaires étrangères Giorgos Gerapetritis à la chaîne de télévision SKAI (15.11.2023)

Interview du ministre des Affaires étrangères Giorgos Gerapetritis à la chaîne de télévision SKAI (15.11.2023)Propos recueillis par la journaliste Sia Kosioni

JOURNALISTE :  Je vous remercie d’avoir accepté de nous accorder cette interview. Je voudrais commencer par les développements dramatiques au Moyen-Orient. Pouvez-vous me dire comment la diplomatie grecque suit ce qui se passe là-bas et si la proposition relative à la mise en place de pauses humanitaires, sur laquelle s’aligne également la partie grecque, a des chances d’aboutir ?

G. GERAPETRITIS : La politique étrangère grecque est une politique étrangère fondée sur des principes. La Grèce est un petit pays sur le plan géographique, mais elle dispose d'un capital diplomatique très important, qu'elle a gagné ces dernières années grâce à une politique étrangère cohérente. Une politique étrangère fondée sur des principes est une politique étrangère qui n'est pas transactionnelle. C'est une politique étrangère fondée sur des principes. Sur cette base, nous traitons donc toutes les crises majeures de la même manière, qu'il s'agisse du Moyen-Orient, de l'Ukraine, de l'Arménie ou de l'Azerbaïdjan. Nous insisterons constamment sur le fait que nous sommes en faveur du droit international, contre le révisionnisme, contre l'agression. Nous ne pouvons accepter aucun acte de terrorisme et nous soutenons toujours celui qui se trouve en position de défense.

JOURNALISTE : Puisque vous vous êtes également rendu récemment en Israël avec le Premier ministre, je voudrais vous demander si vous pensez qu'une attitude analogue est adoptée à l'égard de la Palestine.

G. GERAPETRITIS : C'est justement parce que nous avons une politique fondée sur des principes, je pense, et vous me permettrez de le dire avec certitude, après avoir interprété les événements tels qu'ils se déroulent aujourd'hui, que nous avons une politique très spécifique, qui n'est pas basée sur l'équilibre, elle est basée sur la justice. Dès le premier instant, nous avons dit que la Grèce était contre le terrorisme. Nous condamnons sans équivoque le terrorisme et toute forme de violence contre les personnes, mais nous sommes en faveur de l'humanitarisme. En ce sens que, comme dans tout conflit, il devrait y avoir des couloirs humanitaires, que les personnes vulnérables devraient pouvoir recevoir les soins dont elles ont besoin et, bien sûr, que les civils ne devraient pas être pris pour cible.
Nous avons déjà rencontré les Palestiniens dans la plupart des cas. Nous nous sommes rencontrés à Paris et en Égypte. Et je tiens à vous dire que demain, je me rendrai moi-même au siège de l'Autorité palestinienne à Ramallah, où je rencontrerai le Premier ministre de l'Autorité palestinienne et le ministre des Affaires étrangères. C'est une visite qui vise précisément à trouver des issues.

JOURNALISTE : Vous irez demain en Cisjordanie, vous serez en territoire palestinien.

G. GERAPETRITIS : Demain, je serai en Cisjordanie, à Ramallah. J'ai l'impression que nous jouons toujours un rôle essentiel dans la mesure où nous disposons d'un capital diplomatique très important. Toutes les parties s'unissent et je pense que nous irons de l'avant avec ce capital. En ce qui concerne les couloirs humanitaires, j'ai le sentiment que nous devons travailler sur toutes les alternatives possibles. Pour l'instant, nous comprenons tous que le droit de défense d’Israël, que nous avons reconnu dès le premier jour, se trouve confronté à une situation qui doit être gérée immédiatement. Nous sommes tout à fait favorables à des pauses humanitaires afin de pouvoir distinguer le peuple palestinien du Hamas. Le Hamas reste une organisation terroriste, il retient des otages. Mais cela ne remet pas en cause la valeur humanitaire fondamentale qui veut qu'il y ait des couloirs humanitaires viables.

JOURNALISTE : Changeons de sujet, revenons un instant sur le dossier gréco-turc. Je voudrais vous demander quelles sont les attentes d'Athènes vis-à-vis du Conseil de coopération de haut niveau qui se tiendra finalement dans la capitale et ce que vous pensez de cette nombreuse délégation avec laquelle le président turc arrivera ici. Car je suppose qu'en diplomatie, toutes les choses revêtent un caractère symbolique.

G. GERAPETRITIS : Tout d'abord, je voudrais souligner qu'en ce qui concerne les détails relatifs au Conseil de coopération de haut niveau, le programme n'a pas encore été finalisé, de sorte que tous les détails qui sont éventuellement rendus publiques sont encore en phase de discussion. Ce que je voudrais souligner, c'est qu'après de nombreuses années, nous sommes parvenus à établir un canal de communication avec la Türkiye ce qui nous permet, et je pense que c'est extrêmement important, de ne pas nous retrouver dans une crise à chaque fois que nous avons un différend. Et nous avons de nombreux différends. Nous avons encore des différends fondamentaux. Nous avons un différend fondamental en ce qui concerne le pseudo-État, qui a aujourd'hui un anniversaire négatif. Nous avons également des différends fondamentaux dans notre interprétation de la situation du Moyen-Orient. Mais cela ne doit pas nous empêcher de nous asseoir autour de la même table, d'examiner les questions qui nous unissent, l'agenda positif, qui peut fonctionner dans les deux sens, de manière positive pour les deux parties et d’examiner également les grands chapitres qui nous divisent. Nous comprenons tous que nous pouvons avoir des points de départ différents sur de nombreuses questions, telles que la délimitation du plateau continental et de la zone économique exclusive, par exemple. Mais il y a des questions sur lesquelles nous pouvons engager une discussion.

JOURNALISTE : Toutefois permettez-moi de vous poser une question un peu plus précise. Cette position extrême d'Erdogan, totalement contraire à ce que nous et l'Occident défendons sur la question du Moyen-Orient, n'a-t-elle pas affecté le dialogue entre nous ? La discussion que nous avons eue, par exemple, au sujet d'un nouvel accord en Europe sur les migrations, n'y fait-elle pas obstacle ? Cela n'affecte-t-il pas la perspective d'adhésion de la Türkiye ?

G. GERAPETRITIS : Tout est pris en compte et cette prise en compte est bien sûr liée aux faits. Lorsqu’on a une crise aussi importante dans notre voisinage, au Moyen-Orient et en Ukraine, il est évident que les faits changent très rapidement. Ce qui est important, c'est que ces différends fondamentaux, que nous pouvons avoir sur des questions clés, n'affectent pas nos relations bilatérales. C’est à cause de la géographie que nous nous trouvons à côté de la Türkiye. Et à de nombreuses reprises dans le passé, les tensions qui en ont résulté nous ont conduits au bord de la guerre. Notre conviction, la conviction du Premier ministre et du gouvernement est que, sans renoncer aux questions qui ont trait aux intérêts nationaux majeurs, les questions de souveraineté nationale ne seront jamais mises sur la table parce qu'elles ne font partie d’aucune négociation.

JOURNALISTE : Mais ont-ils cessé de les soulever ?

G. GERAPETRITIS : C'est une chose qui est très claire de notre côté. Qu'elles soient levées de la part de la Turquie ou non. Nous n'en discuterons jamais. Et je tiens à vous dire, pour être honnête, que les questions qui ont trait, par exemple, à la souveraineté nationale grecque à mon niveau n'ont jamais été soulevées, aucune question de démilitarisation des îles, de souveraineté nationale ou d'autres questions connexes n'ont jamais été soulevées. Et permettez-moi de vous dire que même si elles étaient soulevées, je n'ai jamais reçu de mandat, ni du Parlement grec ni du peuple grec, pour entamer de telles négociations.

JOURNALISTE : Distanciation rhétorique de la Türkiye par rapport au camp occidental, chose dont vous prenez aussi note, j'imagine. Monsieur le Ministre, bien que vous deviez respecter les convenances diplomatiques, ne craignez-vous pas qu'une nouvelle vague révisionniste ne revienne toujours dans la rhétorique turque ?

G. GERAPETRITIS : Vous comprenez que nous évaluons tous les scénarios et je ne sais pas si le fait de dire que je dois utiliser un langage diplomatique est une critique ou un compliment, mais je réponds toujours clairement.  Je tiens à vous dire que nous nous préparons à tous les scénarios. Vous ne trouverez jamais de situation dans laquelle nous ne sommes pas préparés à une quelconque éventualité. Mais nous voulons entamer ce dialogue, Madame Kosioni, en toute bonne foi, honnêtement, prudemment, pas à pas. Nous ne prendrons jamais de décisions hâtives et nous évaluerons et réévaluerons toujours la sincérité des parties. Pour être honnête, je tiens à souligner que, jusqu'à présent, au niveau bilatéral et au moins au niveau de mon homologue, le ministre des Affaires étrangères, nous avons eu des relations extrêmement franches et chaque fois que nous avons dû parler - et nous l'avons fait à de nombreuses reprises pour résoudre des problèmes, même de politique mineure - les crises ont été désamorcées et les tensions ont été évitées. Je voudrais donc dire que chaque fois que nous nous assiérons autour de la même table avec la Türkiye, nous garderons à l'esprit que nous défendons nos intérêts nationaux avec vigueur. Nous n’y renoncerons jamais... Mais d'un autre côté, je pense que le gouvernement grec a l'obligation de se tourner vers l'avenir, vers les générations futures et de construire un avenir de prospérité.

JOURNALISTE :  Je reviendrai sur la question de l'immigration car je comprends, d'après le reportage, qu'elle figure également en tête de l'ordre du jour des prochains contacts. Comment l'attitude de la Turquie au Moyen-Orient affectera-t-elle les négociations que nous voulons entamer au niveau européen ? Le président turc disait il y a quelques jours, si je me souviens bien, que les Européens supplieront de nouveau la Türkiye, pour ce qui est de la question migratoire.

G. GERAPETRITIS : Nous comprenons, Madame Kosioni, que la Türkiye est un pays qui accueille un très grand nombre de réfugiés. Environ 4,5 à 5 millions de réfugiés se trouvent actuellement en Türkiye. Il s'agit donc bien d'un endroit où les réfugiés et les migrants se retrouvent. Il va sans dire que la question, la question migratoire, est une question euro-turque, d'où l'existence de la déclaration euro-turque de 2016, qui définit le cadre de la coopération entre l'Union européenne et la Türkiye en matière de protection des frontières et de retours. Nous nous assiérons à la table des négociations en tant qu'État membre de l'UE, en évaluant la position de toutes les parties et de la Türkiye. Il est très important, et je tiens à le souligner tout particulièrement, qu'après des négociations extrêmement complexes, qui ont également duré plusieurs années, les 27 États membres aient conclu un pacte sur l'immigration et l'asile, qui est extrêmement important et qui, selon moi, garantit que l'Europe ne sera plus une voie d'accueil pour les migrants, mais que, d'un autre côté, elle démontrera également son caractère humanitaire chaque fois qu'il y aura une crise. Il s'agit d'une mesure juste et je pense que tout changement dans l'attitude de la Türkiye ne peut affecter l'attitude de l'Europe. À mon avis, et je tiens à le dire, il est plus important à mes yeux que l'attitude unanime de l'Europe permette aux États européens de trouver un terrain d'entente sur la question complexe de l'immigration que sur les relations avec les pays tiers.

JOURNALISTE : Une dernière chose, entendra-t-on parler de La Haye en décembre ?

G. GERAPETRITIS : La Haye est une ville très importante, qui accueille, comme vous le savez, de nombreux bâtiments, des organisations internationales. C'est une ville magnifique à visiter. Je suis sûr qu'à l'avenir, nous aurons l'occasion d'en entendre parler. Vous faites manifestement allusion à la question de la délimitation du plateau continental et de la zone économique exclusive. Je tiens à être honnête. Nous n'en sommes pas encore là. Nous sommes loin d'avoir une compréhension commune de la procédure, de la manière et du contenu d'un recours à La Haye. D'un autre côté, c'est l'occasion de discuter de questions qui se posent depuis des décennies. Je suis d'avis que l'inaction n'a jamais été bénéfique et qu'il est extrêmement important de prolonger la période de paix et de réconciliation dans notre région plus élargie, car c'est une condition de la prospérité. D'autre part, je pense que la longévité et la prospérité dans un avenir beaucoup plus lointain dépendent de la résolution des grands problèmes. Et l'un d'entre eux est celui-là.

JOURNALISTE : On le verra. Merci beaucoup et bon voyage demain en Cisjordanie.

G. GERAPETRITIS : Je vous remercie. Ce fut un honneur.

November 15, 2023