Interview du ministre des Affaires étrangères Giorgos Gerapetritis à la chaîne d’information AL ARABIYA (16.10.2023)

JOURNALISTE : Monsieur le Ministre, vous venez de rentrer de la réunion ministérielle du Conseil de coopération UE-Golfe qui s'est tenue à Oman. Vous avez eu des entretiens avec des hauts fonctionnaires arabes. Quel a été le point le plus important de vos discussions ?

G. GERAPETRITIS : Nous avons participé à une réunion ministérielle régulière entre l'UE et le CCG, avec un ordre du jour très vaste. Nous avons discuté du changement climatique, de questions régionales plus générales  et de défis mondiaux.

Malheureusement, ce sommet s'est déroulé dans des circonstances défavorables, en raison de la situation très préoccupante au Moyen-Orient. Évidemment, nous avons eu l'occasion de discuter de la manière dont nous pouvions contribuer à atténuer la crise et ses conséquences.

Il est vrai que nous sommes particulièrement préoccupés par un éventuel débordement de la crise et par les conséquences humanitaires de cette situation. J'ai eu l'occasion de proposer moi-même au Sommet un plan d'action en cinq points pour faire face immédiatement à la situation :

Premièrement, nous devrions convenir à l'unanimité que toute forme de violence, de terrorisme ou de traitement inhumain est totalement inacceptable.

Deuxièmement, toutes les personnes enlevées et les otages doivent être libérés.

Troisièmement, nous devons veiller à ce que les attaques contre les civils soient évitées.

Quatrièmement, nous devons veiller à ce que des couloirs humanitaires soient créés afin d'alléger les souffrances humaines et de fournir une assistance humanitaire aux personnes en danger.

Cinquièmement, je pense que nous devons organiser et convoquer un sommet extraordinaire impliquant les parties concernées et les représentants de l'UE, de la Ligue arabe et des Nations unies afin de s'attaquer aux causes profondes de ce problème.

Il s'agit d'une situation extrêmement difficile et nous sommes très inquiets. Je pense que l'Europe et les pays du Golfe doivent unir leurs efforts pour trouver une solution viable à ce problème.

JOURNALISTE : Comment voyez-vous le rôle de la Grèce dans la région ?

G. GERAPETRITIS : La Grèce est un membre de l'UE, un pays très stable et prospère.

Je pense que nous pourrions aider de manière significative les pays du Golfe et nous sommes impatients de devenir la voix et le point d'entrée de ces pays dans l'UE et dans le monde. De nombreux projets sont en cours.

Nous pensons pouvoir apporter une aide précieuse, notamment dans le cadre de la crise au Moyen-Orient. J'ai eu des entretiens approfondis avec les délégations de tous les pays du Golfe, ainsi que des contacts téléphoniques avec les ministres des Affaires étrangères d'Égypte et de Jordanie. Nous avons longuement discuté de la situation. Nous devons coordonner notre action à la fois contre les terroristes et contre toute forme de crise humanitaire et nous attaquer aux causes de ce cercle vicieux de la violence.

JOURNALISTE : Comment décririez-vous brièvement l'état actuel des relations entre la Grèce et la Türkiye et quels progrès ont été réalisés avec Ankara, en particulier sur ce que l'on appelle l'agenda positif entre les deux pays, sur la promotion du tourisme, du commerce, etc.

G. GERAPETRITIS : Comme vous le savez, les relations entre la Grèce et la Türkiye ont connu des hauts et des bas. La géographie a fait de nous des voisins et nous devons vivre avec cette situation. Je pense que nous pouvons développer un respect mutuel. La vérité est que, ces dernières années, il y a eu beaucoup de tensions. Il y a eu beaucoup de malentendus et nous n'avons pas vraiment été en mesure de développer une relation amicale, une relation de bon voisinage.

Immédiatement après les élections dans les deux pays, en mai et juin derniers, les dirigeants des deux pays ont décidé d'essayer de renforcer nos relations amicales. Ils se sont déjà rencontrés deux fois. Ils se sont rencontrés à Vilnius lors du sommet de l'OTAN et très récemment à New York en marge de l'Assemblée générale des Nations unies. Nous planifions maintenant la réunion du Conseil de coopération de haut niveau à Thessalonique en présence des deux dirigeants et des délégations en format élargi.

Ce que nous voulons vraiment, c'est essayer de prolonger la période de calme et de paix. Au cours des sept à huit derniers mois, la situation en mer Égée et en Méditerranée orientale est calme. Nous devons vraiment renforcer cette perspective, car un climat de paix est une condition préalable à la prospérité des deux nations.

Nous travaillons assidûment dans cette direction et nous avons développé une relation particulièrement forte, ouverte et sincère avec mon homologue turc. À l'heure actuelle, nous nous sommes engagés dans un processus reposant sur trois piliers.

Le premier pilier est le dialogue politique, qui porte sur les principales questions politiques.


Le deuxième pilier est celui des mesures de confiance. Ce pilier concerne essentiellement les questions liées aux exercices militaires dans l'ensemble de la région.

Le troisième pilier est l'agenda positif que vous avez mentionné.

Je pense qu'il est très important de coopérer sur des projets d'intérêt et de bénéfice mutuels, car cela favorisera la compréhension mutuelle. Aujourd'hui, nous coopérons dans de nombreux domaines, dans le tourisme, la coopération universitaire, les échanges dans les domaines de la technologie et de l'innovation et, bien entendu, la protection civile.

Comme vous le savez, nous avons connu un été très difficile en Méditerranée avec des événements climatiques extrêmes. Il y a eu des incendies particulièrement importants, puis des inondations généralisées dans la plupart des pays méditerranéens. Nous devons faire face à une crise climatique intense. Je pense que, précisément parce qu'il s'agit d'un problème mondial, chaque pays ne peut pas y faire face seul efficacement. C'est pourquoi nous travaillons avec nos voisins pour tenter d'atténuer les conséquences de ce phénomène.

JOURNALISTE : Comment pouvez-vous aborder la question des migrations dans le contexte des relations gréco-turques ?

G. GERAPETRITIS : La migration est une question mondiale et, malheureusement, plus les tensions régionales et mondiales se manifestent, plus les flux de réfugiés tentant désespérément d'échapper aux conséquences des conflits et des guerres augmenteront. Nous devons nous efforcer d'atténuer les véritables causes profondes de ces vagues migratoires, dans la mesure où nous pouvons élaborer de telles politiques. Par exemple, nous devons développer la coopération régionale et mondiale pour prévenir les hostilités et lancer des politiques visant à renforcer la cohésion sociale afin d'atténuer les inégalités sociales.


La Türkiye a supporté un fardeau considérable, notamment en raison de la guerre en Syrie. Il en va de même pour la Grèce. Ces dernières années, nous avons accueilli un très grand nombre de migrants et de réfugiés en provenance de tous les pays de la région. La vérité est qu'en 2016, une déclaration commune a été adoptée entre l'UE et la Türkiye. Cependant, cette déclaration n'a pas été efficace et c'est pourquoi nous nous efforçons aujourd'hui de la relancer. Tout le monde s'accorde à dire que nous devons mettre en œuvre des mesures supplémentaires pour lutter contre la migration irrégulière et permettre la création de voies de migration légales. Par conséquent, à ce stade, ce sur quoi nous devons travailler avec la Türkiye, c'est une surveillance plus efficace des frontières et le retour des migrants en situation irrégulière. Il est également essentiel de créer des voies légales, en coopération avec l'UE, pour ceux qui ont besoin d'une aide humanitaire.

JOURNALISTE : De nombreux analystes et hommes politiques affirment que la confrontation entre les deux pays est liée à la question chypriote, d'une part, et à la concurrence régionale, d'autre part. Existe-t-il une solution globale possible pour normaliser les relations entre les deux pays ?

G. GERAPETRITIS : Nous ne considérons pas la Türkiye comme notre concurrent, que ce soit au niveau régional ou mondial. Nous sommes voisins. Nous devons coopérer à de nombreux niveaux. Et je pense qu'il est préférable de coopérer plutôt que de développer l'hostilité et la divergence. En ce qui concerne la question chypriote, la Grèce insiste sur la mise en œuvre intégrale des résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies en faveur d'une fédération bizonale et bicommunautaire à Chypre. Pour nous, le plus important est la reprise des négociations. Il est également très important d'avoir un dialogue significatif et constructif afin de parvenir à une solution viable. Il est évident que nous n'acceptons pas la solution à deux États, parce qu'elle est essentiellement contraire aux résolutions des Nations unies, mais aussi parce qu'elle ne reflète pas une solution moderne. Les peuples doivent vivre ensemble et non les uns contre les autres.
JOURNALISTE : La Grèce, Israël et Chypre ont décidé d'envisager la possibilité d'exporter conjointement du gaz, selon une déclaration faite à Tel Aviv. Que diriez-vous de la coopération de la Grèce avec l'Égypte en ce qui concerne la zone frontalière maritime ?

G. GERAPETRITIS : Israël et l'Égypte sont nos partenaires stratégiques. Nous avons signé un certain nombre d'accords bilatéraux. Nous sommes au meilleur moment de nos relations depuis des années et nous espérons vraiment renforcer encore notre coopération et notre coordination. En ce qui concerne notre coopération dans le secteur de l'énergie, je dois vous dire que nous avons développé des synergies avec les deux pays : l’« interconnecteur euro-asiatique » qui passe par Israël et Chypre et le « GREGY » pour l'interconnexion électrique avec l'Égypte, qui a été sélectionné comme l'un des principaux projets d'intérêt commun de l'UE. Notre ambition est de devenir une plaque tournante de l'énergie pour le Moyen-Orient et le monde arabe en général. Selon moi, notre situation géographique et la stabilité de notre gouvernement prouvent que la Grèce est le point d'entrée idéal pour les pays d'Afrique du Nord, du Moyen-Orient et du monde arabe. Et nous souhaitons développer davantage ces liens. À ce stade, nous travaillons à la construction d'une relation très forte avec l'Inde et les Émirats arabes unis dans le cadre du corridor commercial et économique décidé lors du sommet du G20. La Grèce sera sans aucun doute la plaque tournante de tous ces projets. Nous pouvons déclarer avec fierté que la Grèce est devenue une plaque tournante de l'énergie, mais aussi un pays de stabilité et de prospérité dans la région.

JOURNALISTE : Quels sont les principaux projets sur lesquels vous allez travailler avec l'Arabie saoudite, le Conseil de coopération du Golfe et les autres États du Golfe dans un avenir proche ?

G. GERAPETRITIS : Nous coopérons avec tous les pays du Conseil de coopération du Golfe. J'ai eu l'occasion de rencontrer en privé toutes les délégations lors de la réunion ministérielle de Muscat. Nous avons décidé de renforcer notre coopération et nos bonnes relations, en particulier avec l'Arabie saoudite, dont j'ai rencontré le ministre des Affaires étrangères hier et avec qui j'ai eu une discussion approfondie. Il est très important pour nous de créer des ponts avec les pays du Golfe.

Avec l'Arabie saoudite en particulier, nous avons décidé de développer la coopération dans le secteur de l'énergie et nous avons signé un mémorandum de coopération très important avec le réseau électrique national d'Arabie saoudite. Il s'agit d'un projet majeur. Nous savons tous que les pays du Golfe ont développé un haut niveau d'innovation en termes de formes modernes d'énergie, comme l'énergie verte et l'hydrogène.

Notre volonté est de développer toutes les énergies renouvelables avec ces pays. C'est une priorité pour nous. Je dois vous dire que la poursuite du développement de toutes les formes de sources d'énergie durables est une stratégie clé pour la Grèce. En Grèce, ces derniers mois, plus de 50 % des sources d'énergie renouvelables de l'ensemble des sources d'énergie proviennent du soleil et du vent. La Grèce dispose d'un taux d'ensoleillement et de vent élevé, tout comme les pays du Golfe. Nous pouvons donc échanger notre savoir-faire et promouvoir de nouvelles synergies.

Je voudrais conclure en disant ceci. Il est important le fait que nous partagions des convictions et des perceptions communes avec les pays du Golfe. Ce que nous croyons vraiment, c'est que la paix et la prospérité doivent régner dans la région. Nous devons développer d'autres modes de coopération. La plupart des pays du Golfe, y compris l'Arabie saoudite et les Émirats arabes unis, jouent un rôle de médiateur pour tenter d'apaiser les tensions au Moyen-Orient, en Libye, au Yémen et dans d'autres régions du monde. Nous souhaitons donc participer à cette transition pacifique et être la voix des pays du Golfe auprès de l'UE et de l'Europe.

JOURNALISTE : Merci beaucoup.

G. GERAPETRITIS : Je vous remercie.

October 16, 2023