« Le droit international est non seulement une condition préalable, mais aussi un outil indispensable pour parvenir à la paix dans le monde »
JOURNALISTE : L'Inde et la Grèce entretiennent des relations étroites. Des visites de haut niveau ont eu lieu, y compris la visite actuelle du Premier ministre grec en Inde. Je suis accompagné du ministre des Affaires étrangères de la Grèce. Monsieur le Ministre, je vous souhaite la bienvenue à Wion et je suis ravi de m'entretenir avec vous ici, à New Delhi. Ma première question est la suivante : comment voyez-vous les relations entre l'Inde et la Grèce ? Nous voyons que des discussions de haut niveau ont lieu et que nos relations deviennent beaucoup plus significatives aujourd'hui.
G. GERAPETRITIS : L'Inde et la Grèce ont de nombreuses valeurs en commun. Nous sommes deux nations qui ont une longue histoire. Nous sommes pleinement attachés au droit, aux principes et aux règles internationales. Je crois que nous avons beaucoup de choses en commun. La visite du Premier ministre Modi à Athènes en août dernier a été une excellente occasion de faire évoluer nos relations vers une relation stratégique. Je pense qu'il existe un énorme potentiel en termes d'interaction économique et culturelle entre les deux pays. L'Inde est une grande nation, c'est la cinquième économie du monde et nous nous attendons à une amélioration significative de nos relations. Il est important de noter qu'en plus du Premier ministre et de moi-même, plus de 100 hommes d'affaires sont venus ici en Inde, et ils ont l'occasion d'interagir avec des hommes d'affaires indiens dans divers secteurs tels que l'énergie, la construction, l'agriculture et le tourisme. Nous pensons donc qu'il s'agit d'une excellente opportunité pour le développement des deux pays.
JOURNALISTE : Permettez-moi d'entrer dans les détails de cette relation. L'une des questions est celle de la connectivité. Nous avons vu que l'accent était mis sur la connectivité directe. Dans ce contexte, le corridor économique Inde-Moyen-Orient-Europe a été annoncé par l'Inde lors du sommet du G20. Comment voyez-vous l'évolution de ce projet de connectivité ?
G. GERAPETRITIS : La connectivité est l'avenir des nations, car le monde devrait être une seule entité. Nous devons travailler en étroite collaboration et nous pensons que le corridor IMEC n'est pas seulement un corridor économique, mais aussi un corridor de paix et de culture. Car c'est précisément grâce à ce type de connectivité des produits, des matériaux et des biens culturels que les gens peuvent, à mon sens, se rencontrer. Les relations entre les peuples sont ce qu'il y a de plus important aujourd'hui. Nous constatons que ce corridor nous ramène en fait à l'époque de l'interconnexion de l'Inde, des États arabes et de l'Europe. Nous pensons vraiment que la Grèce devrait être un acteur clé à cet égard, et pas seulement en raison de sa situation géographique. Comme vous le savez, la Grèce est le pays continental le plus proche du Moyen-Orient. La Grèce possède également des ports très importants. Le port du Pirée est l'un des plus grands ports de l'Europe méditerranéenne. Son utilisation pourrait raccourcir la durée du voyage de sept jours. Nous avons également d'autres ports importants dans le nord de la Grèce. Notre pays dispose d'une flotte marchande très puissante qui pourrait être très utile, à mon avis. En outre, nous avons développé de fortes synergies en termes de transfert de données et nous sommes devenus une plaque tournante de l'énergie. Comme vous le savez, la Grèce a développé ces dernières années un vaste réseau d'interconnexions liées à l'énergie propre. Elle est pionnière en matière de transition verte. Nous sommes particulièrement préoccupés par la crise climatique et nous avons pris des mesures importantes pour utiliser l'énergie verte, en particulier les sources d'énergie renouvelables. Nous sommes actuellement en train de développer l'interconnexion avec l'Égypte et l'Europe centrale et septentrionale. Je pense donc que le corridor IMEC constituera un lien fort d'amitié et de paix, mais aussi de croissance économique, en particulier pour l'Inde et l'Europe.
JOURNALISTE : Pensez-vous que ce projet, le corridor IMEC, soit affecté par le conflit en cours en Asie occidentale, le conflit entre Israël et le Hamas ? Est-il possible que le projet dans son ensemble soit retardé ?
G. GERAPETRITIS : Tout d'abord, la situation au Moyen-Orient est vraiment horrible. La catastrophe humanitaire au Moyen-Orient est grande et nous devons immédiatement, en tant que communauté internationale, prendre des mesures significatives pour arrêter les hostilités et permettre à l'aide humanitaire d'entrer au Moyen-Orient et en particulier dans la bande de Gaza. D'autre part, en ce qui concerne le projet de connectivité, il pourrait y avoir un certain retard en raison de la situation actuelle. Cependant, la vérité est qu'il s'agit d'un projet visionnaire. Il s'agit d'un projet à long terme et nous croyons fermement qu'il se développera, indépendamment de la situation actuelle qui, nous l'espérons, prendra bientôt fin. La Grèce fera tout ce qui est en son pouvoir pour faire avancer la construction du corridor IMEC. Nous avons eu des discussions très substantielles et constructives avec le gouvernement indien pendant notre séjour ici à New Delhi. Nous avons également défini les prochaines étapes du projet IMEC, ainsi que toutes les autres relations économiques et culturelles que nous devons développer dans un avenir proche.
JOURNALISTE : Quelles sont les prochaines étapes ? Des réunions de groupes de travail sont-elles prévues, ou quoi que ce soit d'autre ? Pouvez-vous nous donner quelques détails à ce sujet ?
G. GERAPETRITIS : Tout d'abord, nous maintiendrons des relations et une coopération très étroites avec le gouvernement indien à tous les niveaux. Nous avons conclu un certain nombre d'accords dont nous devons assurer le suivi et nous avons établi une approche à plusieurs niveaux en termes de relations entre les deux gouvernements. D'autre part, nous considérons et partageons avec le gouvernement indien le point de vue selon lequel nous devons développer davantage la coopération multilatérale dans le cadre du projet de connectivité. Par conséquent, nous pensons que nous devrions également nous engager avec les États arabes, les Émirats arabes unis, l'Arabie saoudite, afin d'avoir une compréhension globale du projet IMEC. Nous pensons que leurs propres feuilles de route devraient fixer des étapes spécifiques strictes et des résultats à atteindre.
JOURNALISTE : Vous avez mentionné le port du Pirée. Y a-t-il des discussions entre les deux parties à propos de ce port ?
G. GERAPETRITIS : La Grèce veut être le seuil, la porte d'entrée de l'Inde en Europe et je pense que le Pirée devrait être un facteur clé dans cette direction. Il est extrêmement important que le port du Pirée soit un port franc. Un volume considérable de marchandises transite par le Pirée et cela est essentiellement dû à l'Inde. Nous avons eu des discussions approfondies sur l'interaction avec les ports grecs. Comme vous le savez, l'Inde est déjà présente en Grèce avec quelques projets importants. Par exemple, la construction historique du nouvel aéroport de Kastelli en Crète - la plus grande île grecque - a été entreprise par une société indienne en partenariat avec une société de construction grecque. Nous pensons donc que le Pirée offre d'énormes possibilités d'investissement pour l'Inde et nous avons attiré l'attention du gouvernement indien sur ce point.
JOURNALISTE : Passons de la connectivité à la géopolitique au sens large. Comment voyez-vous le rôle de l'Inde en termes de multilatéralisme ? Quelle est votre position sur les efforts de l'Inde pour réformer le Conseil de sécurité de l'ONU et sur sa candidature à un poste de membre non permanent dans la décennie qu'elle a annoncée ?
G. GERAPETRITIS : Cela nécessite un grand débat car l'Inde est un pays énorme, mais aussi extrêmement important. La vérité est que l'Inde, indépendamment de sa taille, possède certaines caractéristiques qui sont particulièrement importantes non seulement pour la région mais aussi pour la planète. Tout d'abord, l'Inde est la plus grande démocratie du monde, ce dont nous nous réjouissons particulièrement, car nous sommes le premier pays à avoir instauré la démocratie dans l'Antiquité. Nous pensons donc que les valeurs démocratiques doivent être intégrées dans l'arène internationale. Et je pense que l'Inde est un facteur particulièrement important. En outre, elle joue un rôle de premier plan sur la scène internationale. Tout d'abord, l'Inde relie le Sud et le Nord, l'Ouest et l'Est, et pourrait en effet être au centre du débat et du dialogue international sur l'avenir de la gouvernance mondiale, en particulier en ce qui concerne le rôle de premier plan de l'Inde dans le Sud global et le G20. Nous pensons que l'Inde représente un modèle économique particulièrement important dans la mesure où il génère de la richesse et de la prospérité pour les populations. Nous pensons donc qu'elle devrait effectivement jouer un rôle plus important sur la scène internationale, notamment en ce qui concerne la réforme du Conseil de sécurité des Nations unies.
Nous pensons que l'Inde peut être un acteur plus important et plus universel. Les Nations unies, qui ont été créées il y a près de 80 ans, fonctionnent encore sur la base d'une époque antérieure. Nous devons synchroniser les Nations unies avec les temps modernes. Et je crois que le rôle géopolitique de l'Inde implique également une position plus active. Il est évident que nous accueillerons et soutiendrons la candidature de l'Inde en tant que membre non permanent du Conseil de sécurité. Mais nous pensons que l'Inde devrait figurer parmi les États qui jouent un rôle distinct au sein des Nations unies, en particulier en sa qualité de nation leader du Sud.
En ce qui concerne les Jeux olympiques, vous savez qu'ils ont commencé en Grèce. Nous apprécions particulièrement la participation de l'Inde. Et je pense qu'il est particulièrement important que le Premier ministre Modi ait annoncé que l'Inde serait un pays candidat à l'organisation des Jeux olympiques. Je pense que cela pourrait donner un élan considérable à l'Inde, non seulement pour présenter sa nouvelle image au monde, mais aussi son nouveau modèle de gouvernance, son nouveau modèle économique et la nouvelle puissance qui en découle. Les Jeux olympiques sont un événement mondial. Je pense que nous devrions tous soutenir la candidature de l'Inde aux Jeux olympiques. Ce serait dans l'intérêt de l'Inde et du monde entier.
JOURNALISTE : Je suis heureux de l'entendre. Ma question suivante porte sur la sécurité et la dimension militaire. Quel type d'implication est attendu dans ce domaine ? Nous avons vu l'Inde participer à des exercices militaires dans votre pays. Nous avons également vu les chefs des forces armées discuter. Quelles sont les attentes dans le domaine de la coopération en matière de sécurité entre les deux pays ?
G. GERAPETRITIS : Comme vous le savez, nous avons mené conjointement d'importants exercices militaires. Il s'agit d'une amélioration significative de notre coopération militaire. Je pense que nous pouvons échanger sur beaucoup de choses. Comme vous le savez, la Grèce dispose d'une flotte navale et aérienne importante ainsi que d'une armée très compétente. Il est important que nous interagissions, que nous échangions notre savoir-faire et que nous menions des exercices conjoints. Nous travaillons pour la paix. L'Inde et la Grèce sont toutes deux des pays qui soutiennent la paix et la stabilité dans leurs régions et dans le monde. Nous avons également signé un protocole d'accord ici. Il a été signé par les conseillers en matière de sécurité. Je pense qu'il est important que nous renforcions cette relation. D'autant plus qu'aujourd'hui, nous sommes confrontés à d'énormes défis en matière de sécurité. Et je pense qu'il est temps de commencer à parler de l'architecture de sécurité internationale. Les deux guerres dans notre région élargie, la guerre au Moyen-Orient et l'agression russe qui a provoqué la guerre en Ukraine sont, à mon avis, des indications très fortes que nous devons repenser l'idée de l'architecture de sécurité internationale. Nous avons rencontré des difficultés considérables dans le processus de prise de décision, tant au niveau de l'Union européenne qu'au niveau des Nations unies. Nous devons commencer à réfléchir de manière plus productive, plus substantielle, aux questions de sécurité. Nous devons commencer à envisager la gouvernance mondiale comme un moyen efficace de protéger la paix, la prospérité et la stabilité.
JOURNALISTE : Monsieur le Ministre, pour en venir aux relations entre les peuples, nous avons vu que le Pacte de mobilité est un sujet qui fait l'objet de discussions constantes. Quand ce pacte pourra-t-il être finalisé ?
G. GERAPETRITIS : Il s'agit d'un accord très important et nous avons longuement discuté avec M. Jaishankar de sa finalisation. Nous avons envoyé nos commentaires et le projet de texte. Et nous nous attendons à ce qu'il soit signé et ratifié dans un avenir proche, en tout cas d'ici 2024. J'insiste particulièrement sur le fait que cet accord concerne à la fois les travailleurs qualifiés et non qualifiés. Comme vous le savez probablement, la Grèce connaît une croissance économique considérable. Le chômage est en baisse et nous avons un besoin urgent de travailleurs. C'est pourquoi nous essayons de conclure des accords afin de permettre à ceux qui viennent en Grèce d'accéder à des canaux de travail légaux. Nous avons notamment besoin de main-d'œuvre dans les secteurs de la construction, du tourisme, des loisirs et de l'agriculture. Je pense qu'il s'agit d'un accord original et modèle, à la fois pour permettre la mobilité de la main-d'œuvre et pour lutter contre l'immigration clandestine, qui est un véritable problème en Méditerranée. Nous nous attendons donc à ce que cet accord soit conclu dans un avenir proche.
JOURNALISTE : Monsieur le Ministre, la Grèce est l'un des pays les plus présents sur la scène maritime mondiale. Et il ne fait aucun doute que la crise en mer Rouge a des répercussions. Comment voyez-vous la crise en mer Rouge et son impact sur le transport maritime au niveau mondial ?
G. GERAPETRITIS : Nous sommes très inquiets. La situation en mer Rouge a des répercussions, non seulement parce qu'elle interdit le libre-échange et menace la sécurité maritime, mais aussi parce qu'elle a un impact significatif sur les pays voisins. Nous savons que près de 35 % du commerce passant par le canal de Suez a été réduit. L'Égypte est donc fortement touchée par cette situation. Ce qu'il faut vraiment faire, c'est mener une opération globale de protection de la sécurité maritime. En effet, deux missions sont actuellement en cours en mer Rouge. L'une est menée par les États-Unis, à laquelle participent de nombreux États, et l'autre par l'Union européenne. La Grèce a pris l'initiative de fournir le quartier général de la seconde opération et y participe également avec une frégate. Nous pensons que c'est important non seulement en termes de sécurité maritime et de sécurité de tous ceux qui travaillent dans cette zone, mais aussi parce que la sécurité mondiale l'exige. Il est important de parler d'une seule voix. Et je pense que pour cette raison, des États puissants comme l'Inde, une très grande nation, et la Grèce, une puissante nation maritime, devraient travailler ensemble.
JOURNALISTE : La Convention des Nations Unies sur le droit de la mer (UNCLOS) est un sujet qui nous préoccupe tous. Elle est violée, que ce soit en Méditerranée ou dans l'Indopacifique. Quelle est votre position à ce sujet ?
G. GERAPETRITIS : Nous avons eu des réunions très productives avec les États de l'Indopacifique lorsque j'étais à Bruxelles pour le sommet UE-Indo-Pacifique il y a deux semaines. J'ai pris l'initiative de promouvoir les relations entre nos deux régions et j'ai tenu des réunions multilatérales et bilatérales avec des représentants de nombreux États indopacifiques. J'ai réalisé que nous partagions une grande inquiétude quant à la mise en œuvre de la Convention des Nations unies sur le droit de la mer (UNCLOS), le droit international de la mer. Nous sommes confrontés aux mêmes défis, mais je crois que nous sommes tous convaincus que ce n'est que dans le cadre international des Nations unies, et en particulier de l’UNCLOS, que nous pouvons vivre en paix et dans la prospérité. Bien qu'il existe de nombreux défis en termes de mise en œuvre du droit de la mer et en particulier des questions de délimitation du plateau continental et de la zone économique exclusive, nous croyons vraiment que tous les États devraient être activement impliqués dans le maintien et la promotion de la Convention des Nations unies sur le droit de la mer. Nous sommes particulièrement optimistes quant au fait que, dans les années à venir, le droit de la mer deviendra un terrain d'entente. Après tout, il s'agit d'un droit international. Il existe également un droit international coutumier, qui lie non seulement les signataires, mais aussi toutes les nations du monde. Le droit international n'est pas seulement une condition préalable, mais aussi un outil indispensable pour parvenir à la paix dans le monde.
JOURNALISTE : À ce stade, je vous remercie beaucoup, Monsieur le Ministre. Ce fut un plaisir de parler avec vous ici à New Delhi.
G. GERAPETRITIS : C'est un grand honneur. Merci beaucoup.
February 23, 2024