JOURNALISTE : Nous allons maintenant discuter avec le ministre des Affaires étrangères, M. Giorgos Gerapetritis. Monsieur le Ministre, bonjour.
G. GERAPETRITIS : Bonjour, M. Papadimitriou. Je vous souhaite une bonne semaine. Je vous remercie de votre honorable invitation.
JOURNALISTE : Je vous remercie d'avoir accepté notre invitation. Je voudrais que vous nous disiez tout d'abord, quel impact pourrait avoir la mort du président de l'Iran dans l’accident d’hélicoptère ? Inutile de constater que cela a un peu influencé le prix du pétrole, ce qui était attendu. Les marchés ne savent pas comment gérer de telles questions, et le régime iranien est spécial. Mais comment peut-il affecter une région déjà en effervescence?
G. GERAPETRITIS : Nous comprenons que le président Raïssi était manifestement la deuxième personne la plus importante en Iran après le guide suprême, Ali Khamenei. Il est évident qu'il y aura des troubles pendant la période de transition. Dans 50 jours, le peuple sera appelé à voter pour un nouveau président. En réalité, l'Iran a un système très fermé et très strict, et j'ai donc l'impression qu'il n'y aura pas de graves bouleversements. La réaction des marchés, et en particulier des marchés pétroliers, est évidente. Mais d'un autre côté, je pense que la situation se normalisera. Le ministre des Affaires étrangères a également joué un rôle important dans la répartition générale des responsabilités en Iran. Nous avons également eu des contacts réguliers.
Permettez-moi d'exprimer mes condoléances aux Iraniens et au gouvernement iranien par l'intermédiaire de votre station de radio. D'autre part, j'ai le sentiment qu'en dépit des légères fluctuations transitoires, il n'y aura pas de changement ni dans la politique étrangère ni dans la réaction, je pense, régionale ou internationale à l'égard de l'Iran.
JOURNALISTE : Monsieur le Ministre j'aimerais que vous m'expliquiez et que vous expliquiez à nos auditeurs ce que nous recherchons en fin de compte en nous rendant - et bien sûr nous l'avons dit à maintes reprises depuis cette station et je pense que nous sommes tous d'accord sur ce point, à l'exception de quelques extrémistes - à Ankara ou en Turquie en général?
G. GERAPETRITIS : Tout d'abord, Monsieur Papadimitriou, nous devrions souligner que la politique étrangère grecque, à mon avis et selon les instructions du Premier ministre, devrait être basée sur la logique selon laquelle nous développons de bonnes relations de voisinage, des relations alliées, qui créeront des conditions de calme et de prospérité pour notre pays. Je tiens à dire que cela est particulièrement vrai en ces temps extrêmement turbulents. Je pense que personne ne devrait ignorer le fait qu'en ce moment, les deux guerres dans notre région, mais aussi les grands troubles qui existent dans les régions vulnérables du monde, qui sont très proches de nous, comme l'Afrique et en particulier l'Afrique sub-saharienne, créent des conditions qui peuvent bouleverser la politique étrangère grecque, la diplomatie grecque et la position de la Grèce sur la scène internationale.
C'est pourquoi nous essayons en même temps de développer des piliers de puissance pour notre pays. Ces piliers sont au nombre de trois. Il s'agit du pilier de l'économie où vous savez mieux que moi que la Grèce fait des progrès constants. C'est le pilier de la défense, que nous renforçons après une décennie au cours de laquelle il y a eu, en raison de la crise économique majeure, un ralentissement significatif à la fois en termes d'équipement et de personnel. Et bien sûr, au niveau de la politique étrangère, de la diplomatie grecque, où nous construisons progressivement de grandes alliances et renforçons le capital diplomatique du pays. Nous sommes actuellement en mesure de discuter sur un pied d'égalité et parfois de puissance avec tous les acteurs internationaux, ainsi qu'avec les organisations internationales. C'est pourquoi je pense que c'est le bon moment pour développer nos bonnes relations.
Vous me demandez ce que nous recherchons avec la Turquie. Je vais vous le dire. Il y a un objectif mineur, qui est de maintenir un état de calme dans notre voisinage. Le calme signifie que nous ne devrions pas avoir de problèmes de violations, que nous ne devrions pas avoir de problèmes de flux migratoires. Nous avons vécu ces deux situations avec une grande intensité ces dernières années. Nous devons également créer un mécanisme permanent permettant de désamorcer les tensions. Il est particulièrement important, Monsieur Papadimitriou, parce que des différends existent et existeront, que nous puissions gérer ces différends d'une manière qui ne conduise pas à des crises. Car les crises peuvent avoir des répercussions extrêmement défavorables pour notre pays et pour notre région. Donc des mécanismes de décompression sont mis en place. Tout cela concerne le côté mineur.
Pour ce qui est de l’objectif majeur, l'essentiel est de pouvoir regarder vers l'avenir. Pour cela, il faut que nous ayons un dialogue honnête et approfondi. Nous comprenons tous que nous avons des points de départ très différents en ce qui concerne nos positions fondamentales sur les grandes questions.
JOURNALISTE : Permettez-moi de vous poser une question.
G. GERAPETRITIS : Je vous en prie.
JOURNALISTE : Pour notre part, nos différends n’ont rien d’agressif. Il y a un problème qui nous préoccupe et que nous ne voulons pas résoudre de manière agressive. Nous préférons en discuter. Il s'agit de la délimitation de la ZEE de la part de la Grèce. Et on a l'impression que cette question n'a pas fait et ne fera jamais l’objet de négociations.
G. GERAPETRITIS : La réponse est claire. Nous avons choisi une feuille de route, qui est basée sur des principes spécifiques, élaborés de manière méthodique. Il y a une préparation professionnelle, et je tiens à le souligner, il y a une très bonne préparation à la fois par les services du ministère des Affaires étrangères et par l'ensemble des dirigeants politiques. Quelle est notre logique ? C'est que nous allons aborder les relations gréco-turques étape par étape, en partant du moins complexe pour aller vers le plus difficile.
Le choix a donc été, dans un premier temps, de pouvoir limiter les sources de tension. C'est pourquoi je pense que de très grands pas ont été faits au niveau de la question migratoire, des violations, de l’instauration d’un climat calme en mer Égée, et même au niveau du discours utilisé par les parties.
La deuxième étape consiste à s'appuyer sur des mesures mutuellement bénéfiques. Il est important que nous puissions avoir des mesures qui profitent aux deux économies, mais aussi qui rapprochent quelque peu les deux peuples. Cela contribue grandement à la compréhension mutuelle, comme, par exemple, les visas de courte durée pour les citoyens turcs qui se rendent sur les îles grecques.
La troisième et grande étape consiste, comme vous l'avez dit à juste titre, à être capable d’identifier notre grand différend. Le différend, qui est le seul à pouvoir être soumis à une juridiction internationale, est la délimitation du plateau continental et de la zone économique exclusive. Nous avons l'ambition de régler cette question. Car je veux être clair, Monsieur Papadimitriou. Bien sûr, nous pouvons reporter le règlement de cette question et nous essayons autant que possible d'avoir un voisinage calme. Mais la grande question demeure, et tant qu'elle demeure, il est évident qu'à tout moment nous pourrions avoir une régression. L’instauration d’un véritable voisinage pacifique, d’une longue prospérité ne sera possible que lorsque nous pourrons gérer notre grand problème, à savoir la délimitation. Nous espérons que nous serons en mesure d'entamer ces discussions.
Je pense que les deux dirigeants donneront, lors de l'une de leurs prochaines réunions, le mandat nécessaire aux deux ministres des Affaires étrangères afin que ces derniers puissent entamer des discussions sur la question de la délimitation. Il s'agit d'une question qui présente des caractéristiques juridiques extrêmement complexes. La Grèce, bien sûr, a l'avantage, comme vous le savez, de toujours fonder ses arguments sur le droit international. Nous continuerons à le faire. Et j'aimerais croire que c'est un moment historique approprié pour pouvoir discuter de ce chapitre difficile avec sobriété.
JOURNALISTE : Notre ambition est donc de créer un environnement propice au débat, ce qui n'était pas le cas il y a encore peu de temps. Et dans cet environnement, si cela se confirme au cours des dernières années du mandat de la majorité actuelle et du Premier ministre Mitsotakis, si l'on nous en donne l'occasion, nous pourrons soulever cette question, la grande question que nous avons et qui est en suspens depuis tant de décennies.
La question est, et c'est une question que tout le monde se pose, de savoir si ce bon climat dans nos relations se poursuit, bien sûr, c'est-à-dire si nous aurons la possibilité de discuter pratiquement de toutes les questions qui se posent directement et non par l'intermédiaire d'avions survolant la mer Égée. D'ici aux prochaines élections législatives, allez-vous réussir à soulever cette question majeure et à la régler, comme vous l'avez très bien dit, à savoir le plateau continental et la zone économique, la ZEE?
G. GERAPETRITIS : Je veux être clair, Monsieur Papadimitriou. Nous travaillons activement pour pouvoir discuter également de la question du plateau continental et de la zone économique exclusive. Et nous travaillons activement, dans le sens où, d'une part, nous essayons toujours de créer des conditions appropriées grâce à l'honnêteté et à la compréhension mutuelles, en essayant toujours de désamorcer les tensions et de contrôler nos désaccords, et d'autre part, nous travaillons de manière à pouvoir gérer les questions techniques complexes. Vous savez, M. Papadimitriou, qu'il y a eu 64 tours de contacts exploratoires sur la question de la délimitation au cours des dernières années. Soixante-quatre. Tous ont échoué. Pourquoi ont-ils échoué?
JOURNALISTE : Quel était l’objet de ces contacts exploratoires, Monsieur le Ministre?
G. GERAPETRITIS : Les contacts exploratoires ont porté uniquement sur la question dont nous discutons, à savoir la délimitation de la zone économique exclusive et du plateau continental. Des discussions techniques ont eu lieu à plusieurs reprises au cours des 20 dernières années, qui n'ont malheureusement abouti à rien. Et elles ne l'ont pas fait, à mon avis, parce qu'il manquait en fait le contexte plus élargi d'une relation plus ouverte et plus franche qui se serait développée. Une relation qui aurait été, si je puis dire, une relation consultative pour discuter, essayer de comprendre les positions de notre interlocuteur. Et, bien évidemment, pour faire valoir nos propres positions et avancer nos arguments, tout en gardant une attitude plus consultative.
Chaque fois que nous discutions, nous faisions malheureusement un pas en arrière dans cet effort de résoudre notre question durable. Pourquoi ? Parce que précisément à cause du manque de compréhension mutuelle, à chaque fois nous avancions un argument qui divergeait au lieu de converger sur nos positions. Notre effort est de pouvoir avoir un esprit qui fasse (fera) avancer un peu plus le débat. Et je veux vous dire, Monsieur Papadimitriou, que pour nous et pour moi personnellement, la politique étrangère a la grande valeur de pouvoir créer les conditions de la prospérité pour l'avenir. Ce n'est pas quelque chose qui doit créer des tensions et de l'insécurité pour les citoyens. Le grand objectif que je me suis fixé est que les citoyens se sentent en sécurité et confiants quant à la position de leur pays sur la scène internationale, quant à la position de leur pays vis-à-vis de leurs voisins. Et j'ai vraiment le sentiment que des mesures ont été prises pour que le sentiment de sécurité des citoyens soit établi. Il suffit de voir, je pense, où en étaient les relations gréco-turques dans la liste des préoccupations des citoyens il y a un an et où elles en sont aujourd'hui.
Malheureusement, il y a d'autres questions très importantes, que vous connaissez très bien, comme l'économie et la hausse des prix, qui préoccupent à juste titre les citoyens. Mais pour l'instant, il semble que les citoyens grecs veuillent parler à la Turquie, comme le montrent les sondages d'opinion. Mais je pense que nous avons également atteint un niveau tel que maintenant, précisément parce que la position de notre pays a été considérablement renforcée sur la scène internationale, ils peuvent se sentir en sécurité quant à la position de notre pays. Et je pense qu'il s'agit là d'un résultat important.
JOURNALISTE : M. Gerapetritis, l'apaisement est-il une méthode de discussion avec la Turquie?
G. GERAPETRITIS : La réponse est claire. Il n'y a pas d'apaisement du tout. Et je pense que ce type de verbalisme inutile est utilisé pour décrire une relation de nécessité, parce que lorsque deux voisins doivent nécessairement coexister géographiquement, c'est une condition de nécessité, ce n'est pas toujours une condition de choix. Il n'y a absolument pas d'apaisement. Ce qu'il y a, c'est la consultation. Nous devons nous asseoir, afin de pouvoir discuter dans un esprit de retenue et de compréhension, en gardant à l’esprit qu'il existe des positions fondamentales sur lesquelles il ne peut y avoir de convergence par définition, parce qu'elles partent de points de départ historiques différents et qu'elles sont significativement divergentes.
D'un autre côté, cependant, il faut être capable de trouver les points de convergence possibles, de les développer, d'examiner les positions que nous exprimons et d'avoir un cadre de compréhension qui puisse garantir que nous n'atteignons pas un point où les tensions et les différends peuvent créer une crise, voire une guerre. Nous travaillons beaucoup en pensant à l'avenir, mais à un avenir pacifique.
JOURNALISTE : Dernière question, Monsieur le Ministre. Allons-nous abroger l'accord de Prespès?
G. GERAPETRITIS : Cette question ne se pose pas pour l'instant. Je pense qu'il est très clair qu'il y a un problème en ce moment, résultant des élections en Macédoine du Nord. Nous respectons évidemment le résultat des élections en Macédoine du Nord. Ce que nous soulignons toujours, c'est qu'indépendamment des différences que les nouveaux dirigeants politiques peuvent avoir - différences idéologiques, différences politiques - à l'égard de l'accord de Prespès, il s'agit d'un traité international qui a été ratifié et qui ne peut pas être amendé ou révisé de manière unilatérale par les parties. Il s'agit d'un fondement très important sur lequel les relations internationales de la Macédoine du Nord ont été construites. Bien évidemment, l'Union européenne évalue les questions relatives à l'accord de Prespès et à sa mise en œuvre complète et cohérente. C'est pourquoi je pense que les dirigeants politiques de la Macédoine du Nord évalueront ces questions et se conformeront aux exigences de l'accord de Prespès.
Force est de souligner que la partie grecque suit de près la question de la mise en œuvre de bonne foi de l'accord de Prespès. Vous savez très bien, Monsieur Papadimitriou, que la majorité gouvernementale actuelle, en tant qu'opposition, avait signalé à temps les zones d'ombre de l'accord. Il comportait de graves problèmes techniques, qui sont malheureusement apparus avec le temps. Dès que l'accord a été rendu public, j'ai moi-même signalé les problèmes juridiques qu'il comportait et qui créaient les conditions nécessaires à de futures embrasements.
C'est pourquoi je suis particulièrement contrarié aujourd'hui par ce qui est dit, à savoir que j'aurais été impliqué dans la rédaction de l'accord de Prespès. Il est évident que cela n'a pas eu lieu. Cela n’est pas du tout le cas. Je n'avais même aucune idée du contenu de l'accord avant qu'il ne soit rendu public. Mais pour vous dire la vérité, cela ne se serait pas produit, car si j'avais été invité [à participer à la rédaction de cet accord] je n'aurais jamais pu fixer des dispositions qui auraient créé de tels problèmes. L'important pour moi aujourd'hui est que nous nous en tenions à ce qui a été convenu, non pas parce que nous sommes d'accord, mais parce que c'est une condition de la continuité et de la stabilité, qui a été créée comme elle a été créée. Et en tout état de cause, nous ne pouvons pas façonner un cadre unilatéral sur lequel nous pourrions construire des carrières politiques.
JOURNALISTE : Je vous remercie.
[Seul le prononcé fait foi]
May 20, 2024