JOURNALISTE : Le ministre des Affaires étrangères, M. Giorgos Gerapetritis, qui vient juste de rentrer de New York est, comme je l’ai dit tout à l’heure, à l’autre bout du fil. Bonjour, Monsieur le Ministre.
G. Gerapetritis : Bonjour, M. Eugenides. Merci beaucoup pour votre invitation.
JOURNALISTE : Je vous remercie de l’avoir acceptée. La vérité, c'est que l'une des questions du jour est l'élection de notre pays en tant que membre non permanent du Conseil de sécurité de l'ONU. Etant donné que l'ONU est peut-être un peu loin pour beaucoup de gens qui nous écoutent, voulez-vous nous expliquer ce que signifie concrètement le fait que notre pays va siéger dans ce Conseil de 15 membres pour les deux prochaines années ?
G. GERAPETRITIS : L’Organisation des Nations Unies est la plus grande organisation internationale en termes de taille et d’importance. Elle est aujourd'hui composée de 193 pays, c'est-à-dire de tous les États reconnus du monde. Elle dispose de deux organes importants. Il s'agit du Conseil de sécurité, qui se compose de 15 membres, dont 5 sont des membres permanents, des grands pays, et 10 sont des membres élus pour deux ans, et de l'Assemblée générale, à laquelle participent tous les États. Le Conseil de sécurité, auquel nous avons été élus, est en fait l'organe qui produit toutes les politiques, c'est-à-dire l'organe par lequel passent essentiellement toutes les recommandations et les résolutions. C'est l'organe au sein duquel les membres permanents ont le droit de veto. C'est l'organe qui se réunit à l’occasion de toutes les crises majeures. C'est donc, en fait, le producteur de la politique internationale au niveau des Nations Unies. C'est donc à cette table que la Grèce va s'asseoir pour la période 2025-26.
JOURNALISTE : Oui, nous avons obtenu suffisamment de voix, nous avons obtenu 182 voix, mais maintenant sur le terrain, le Conseil de sécurité est, à mon humble avis, le seul organe qui reste avec une importance substantielle et avec un certain pouvoir exécutif au sein des Nations Unies, ce qui n'est pas bon pour la manière collective de prendre des décisions et de mettre en œuvre la légitimité internationale. Mais quoi qu'il en soit, telle est la situation. Cela soulève donc la question de savoir comment notre pays procédera également au Moyen-Orient, s'il y aura dans la prochaine période une sorte de plan de décision pour l’instauration de la paix dans la région.
G. GERAPETRITIS : Comme vous l'avez dit à juste titre, la Grèce a eu un taux d'acceptation très élevé. Sur le nombre total de pays qui ont voté, soit 188, nous avons reçu 182 votes positifs, soit environ 98 % des pays participant au vote se sont prononcés en faveur de la candidature de la Grèce. Cela montre également l'acceptation dont jouit notre pays sur la scène internationale. Je pense que notre ambition est d'être un véritable pont entre les différentes politiques et les différents États. Parce que la Grèce, comme vous le savez, géopolitiquement, est actuellement à la pointe des événements, elle a un grand capital diplomatique, elle est entre les trois continents, et malheureusement elle est aussi très proche des deux grandes guerres qui secouent actuellement le monde. Nous agirons sur la base d'un seul levier, et ce levier, c'est l'adhésion fidèle au droit international. Car ce grand capital diplomatique que nous avons acquis, la reconnaissance internationale et, surtout, la capacité de parler à toutes les parties, nous l'avons acquis précisément parce que nous avons été très cohérents dans la conduite de notre politique étrangère sur la base du droit international. Nous n'aurons jamais une politique transactionnelle, une politique utilitaire. Nous menons une politique étrangère fondée sur des principes. C'est donc sur la base de ces principes que nous allons maintenant procéder.
En effet, comme vous l'avez dit à juste titre, la question clé du moment est le Moyen-Orient. La semaine prochaine, une grande conférence de paix se tiendra à Amman, en Jordanie, à laquelle notre pays participera, comme il le fait pour toutes les grandes réunions sur le Moyen-Orient, sous les auspices et la responsabilité des Nations Unies. Nous comprenons donc que notre position sera décisive. Je voudrais rappeler que la Grèce a voté en faveur de la résolution présentée aux Nations unies pour une participation élargie de l'Autorité palestinienne à l'Assemblée générale et pour la réalisation des conditions permettant à la Palestine de devenir un État reconnu. Reste, bien sûr, la reconnaissance internationale de l'État palestinien. Mais le plus important aujourd'hui, et la Grèce y contribuera de manière créative - car nous sommes l'un des rares pays à être également en pourparlers avec l'Autorité palestinienne, et nous avons d'excellentes relations avec le monde arabe et avec Israël - est un cessez-le-feu immédiat, la libération immédiate des otages et la mise en place immédiate d'une protection humanitaire de grande envergure. À cette fin, nous prenons toutes les initiatives, et maintenant beaucoup plus.
JOURNALISTE : Je comprends ce que vous dites, mais il y a aussi des critiques qui sont exercées et des gestes qui sont faits. Il y a les critiques de l'opposition ici en Grèce. Je vois les gestes entrepris par plusieurs États européens qui s’empressent de reconnaître un État palestinien. Nous l'avons vu récemment avec l'Espagne, l'Irlande et la Norvège. Le Parlement slovène a également pris une décision dans le même sens, et j'imagine que le gouvernement va également procéder à la reconnaissance de l'État palestinien. La Grèce pense-t-elle à faire de même ou pense-t-elle que les conditions ne sont pas réunies ? Je dis cela au vu de la relation stratégique que nous avons eue avec Israël au cours des dernières années.
G. GERAPETRITIS : La réponse est très claire. La solution ne peut être que la reconnaissance de l'État palestinien sur la base des résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies, c'est-à-dire la reconnaissance de l'État avec les frontières d'avant 1967 et la capitale du nouvel État à Jérusalem-Est. C'est la solution finale. Cependant, la manière dont cette solution est atteinte est particulièrement importante. Pour nous, il ne s'agit pas d'une reconnaissance bilatérale ou unilatérale de l'État palestinien. À l'heure actuelle, le seul résultat réellement bénéfique serait que cette reconnaissance intervienne précisément dans le cadre des décisions des processus de paix, c'est-à-dire sur la base d'un calendrier spécifique et concret conduisant à un cessez-le-feu et à la reconnaissance de l'État palestinien, et ce dans le cadre de l'ONU. Il est très important que la reconnaissance de l'État palestinien ne soit pas une somme de reconnaissances d'États individuels, mais qu'elle soit une décision centrale de la principale organisation internationale, à savoir l'ONU.
JOURNALISTE : Il y a toutefois une critique selon laquelle tant qu'une initiative, au moins unilatérale, n'est pas prise, Israël devient de plus en plus impudent et soutient une guerre aux conséquences humanitaires dramatiques, peut-être même à des fins politiques internes. Vous écoutez également cette critique. Le président Biden a également critiqué, implicitement mais clairement, le fait que M. Netanyahu continue sur un ton aussi élevé parce que son existence politique est en jeu.
G. GERAPETRITIS : Il est absolument évident qu'Israël est actuellement dans une phase d'attaque, ce qui est inacceptable. C'est une réaction disproportionnée, qui, nous le pensons tous, doit cesser immédiatement. D'autre part, je ne pense franchement pas qu'il y ait une seule personne intelligente qui croie qu'Israël renoncera à sa propre action opérationnelle si des pays reconnaissent unilatéralement l'État palestinien. Avec tout le respect que je vous dois, ce point de vue est extrêmement simpliste et n'apporte aucun avantage réel aux négociations en cours. Bien sûr, l'État palestinien doit être reconnu, mais il doit l'être d'une manière qui garantisse absolument la sécurité d'Israël et le retour des populations palestiniennes qui ont été déplacées dans leurs foyers principaux. Il s'agit d'un ensemble de solutions auxquelles aucune reconnaissance bilatérale ne peut apporter le moindre avantage. Et avec tout le respect que je vous dois, je le répète, ce type d'approche qui consiste à procéder à la reconnaissance aujourd'hui pour mettre fin aux hostilités, montre, à mon avis, une ignorance totale de la réalité et des relations internationales.
JOURNALISTE : Puisque nous en parlons, je ne peux m'empêcher de vous poser une question sur les relations gréco-turques, mais je ne veux pas trop engager la discussion. Vous prévoyez, d'après le calendrier des contacts qui nous attendent dans les prochains temps, de rencontrer M. Fidan en marge du sommet de l'OTAN, si j'ai bien compris, en juillet à Washington. Il y aura à nouveau un contact entre M. Mitsotakis et M. Erdogan en septembre. Si les circonstances sont plus mûres, pour commencer à entrer dans le cœur du différend gréco-turc, ou bien ce qui se passe jusqu'à présent ne fait-il que maintenir, consolider ce moratoire informel ?
G. GERAPETRITIS : L'un n'exclut pas l'autre. Notre objectif est de maintenir et d'étendre cet état de calme dans notre voisinage et, d'autre part, de nous impliquer de plus en plus dans les questions plus complexes de nos relations bilatérales et, bien sûr, dans le seul et unique différend qui peut être soulevé devant une juridiction internationale, à savoir la délimitation du plateau continental et de la zone économique exclusive. Je tiens à dire que la période de silence est extrêmement importante. Nous la cultivons pas à pas, sur la base d'un agenda positif, tout en évitant les provocations. Nous comprenons qu'il puisse y avoir des différences dans certains cas individuels. D'un autre côté, il y a aussi des nouvelles positives. Permettez-moi de me concentrer sur les nouvelles positives importantes de ces derniers jours. L'une d'entre elles est le débat qui a été engagé au sujet de l'école théologique de Halki, une question qui revêt un caractère emblématique.
JOURNALISTE : Pensez-vous qu'il sera engagé ? Pensez-vous que M. Erdogan prendra la décision ?
G. GERAPETRITIS : C'est une question qui revêt pour nous une grande importance. Nous la posons comme nous devons la poser et nous attendons une solution qui sera à la fois pertinente et qui rétablira l'historicité.
JOURNALISTE : Y a-t-il eu des discussions lors du précédent contact à Ankara ?
G. GERAPETRITIS : La question a été soulevée. Nous la suivons de près et nous ferons toujours de notre mieux. Par ailleurs, comme vous l'avez peut-être vu, nous avons eu des développements connexes sur la question des sculptures du Parthénon.
JOURNALISTE : La Turquie n'a-t-elle pas voté pour nous hier en faveur d'un statut de membre non permanent du Conseil de sécurité ?
G. GERAPETRITIS : Bien sûr. La Turquie a voté hier pour nous en tant que membre non permanent du Conseil de sécurité et j'ai été personnellement félicité pour notre élection. Nous comprenons que tout cela est important. Les politiques qui sont développées dans le contexte des bonnes relations, disons, que nous avons maintenant avec la Turquie, s'étendent à tous les niveaux. Pour nous, les sculptures du Parthénon restent au premier plan de nos revendications. Nous espérons qu'il y aura une évolution plus favorable dans un avenir proche, afin que les sculptures puissent retourner à leur lieu de naissance.
JOURNALISTE : Merci beaucoup pour cette discussion, M. Gerapetritis. Portez-vous bien. Où allez-vous voter dimanche ? Au Pirée ?
G. GERAPETRITIS : Bien sûr, au Pirée. Nous espérons nous rendre tous aux urnes, avec réflexion et prudence. La première chose importante est qu'il y ait une grande participation. Qu’il n’y ait pas d'abstention. Tout cela ne se prête pas à l'indifférence. Je veux vous le dire en connaissance de cause, sachant maintenant assez bien de l'intérieur comment fonctionne l'Union européenne. Chaque décision des institutions européennes nous concerne. Et je veux dire combien il est important que notre représentation au sein de l'Union européenne soit combative, revendicative et mature.
JOURNALISTE : Merci beaucoup, Monsieur le Ministre, pour cette discussion.
June 7, 2024