Interview du ministre des Affaires étrangères, Giorgos Gerapetritis, sur la station de radio « Status FM 107,7 » - Propos recueillis par le journaliste Dimitris Venieris (Thessalonique, 88e Foire internationale de Thessalonique, 07.09.2024)

Interview du ministre des Affaires étrangères, Giorgos Gerapetritis, sur la station de radio « Status FM 107,7 » - Propos recueillis par le journaliste Dimitris Venieris (Thessalonique, 88e Foire internationale de Thessalonique, 07.09.2024)

JOURNALISTE : Je remercie M. Gerapetritis, le ministre, de nous faire cet honneur. C'est un grand honneur d'être avec nous, Monsieur Gerapetritis, Monsieur le Professeur, Monsieur le Ministre, je ne sais pas maintenant quelle fonction est la plus importante pour vous tous qui êtes impliqués dans la politique.

G. GERAPETRITIS : Ministre de passage, Professeur éternel. Je préfère donc toujours ma fonction universitaire, en vertu de laquelle je me considère au service du pays, non seulement en tant qu'homme politique, mais surtout en tant que citoyen.

JOURNALISTE : Pourtant, vous êtes très vivement critiqué, Monsieur Gerapetritis. On vous considère comme le fer de lance d'une tentative pour, comment dire, aplanir les différends avec la Türkiye, avec la possibilité d'un marchandage caché, etc. Vous avez fait une déclaration - je vous en ai tout à l’heure parlé - sur l'incident de Kasos. Je ne sais pas si vous pensez que les explications qui ont été données sont suffisantes pour expliquer ce qui s'est passé là-bas. Parce que vos propos ont été interprétés en fait ainsi: par crainte d'être impliqués dans un incident et de perdre, nous avons subi une - je cite - défaite.

G. GERAPETRITIS : Quoi ? Quand ai-je dit cela ?

JOURNALISTE : Non, c'était sous-entendu.

G. GERAPETRITIS : Ecoutez, ceux qui veulent susciter des commentaires négatifs sur une personne ou une politique le feront sans tenir compte des faits. Je tiens à être très clair et je le répète, j'ai témoigné devant le parlement, je l'ai dit à maintes reprises sur la question de Kasos.
Les faits réels ne sont pas contestés. Les faits sont les suivants. Il y a un projet qui est d'intérêt commun pour l'Union européenne, il y a donc un intérêt européen dans ce projet d'interconnexion électrique entre la Grèce et Chypre et finalement Israël. Dans ce contexte, un navire de recherche effectue une étude dans les eaux territoriales grecques et chypriotes, ainsi que dans les eaux internationales, la zone économique exclusive grecque, là où les Turcs formulent des revendications. C'est dans ces eaux internationales que le navire a effectué des recherches il y a un mois. Ce qui s'est passé, c'est que la Türkiye a envoyé des navires de guerre se trouvant à proximité précisément parce qu'elle considère qu'elle a ces revendications, indépendamment du fait que le mémorandum turco-libyen qui est la base juridique de ces revendications est manifestement infondé et illégal au regard du droit international, mais, selon la Türkiye, ledit mémorandum donne lieu à des revendications. Tout cela a eu donc lieu dans le contexte des recherches effectuées sur la pose du câble sous-marin.
La tension provoquée n'a pas créé de crise. Au bout de 24 heures, les navires turcs sont partis. Aucune autorisation n'a été demandée à la partie grecque. Il n'y a eu aucune acceptation d'un quelconque droit turc dans la zone. Et, Monsieur Venieris, permettez-moi d'insister encore une fois sur ce point. L'enquête s'est déroulée à 100 % comme prévu.

JOURNALISTE : Bon.

G. GERAPETRITIS : Donc, si vous jugez que sans faire aucune concession, sans créer de crise et en menant le programme d’exploration exactement comme prévu, la Grèce en est sortie perdante, je suis désolé, mais je ne peux pas répondre à cette question.

JOURNALISTE : Bien, bien. Je vous ai transmis un climat qui a été créé. À partir de là, tout le monde peut certainement être informé.

G. GERAPETRITIS : Il y a un climat, Monsieur Venieris, qui est un climat d'intolérance et d'hostilité. Je le comprends. Chacun peut avoir sa propre politique en la matière. Certains pensent que nous devrions prendre les armes et nous battre pour réaliser toutes les aspirations que l'on peut avoir.
Je tiens à dire ceci. La Grèce se trouve à un carrefour géopolitique très complexe. Et je voudrais dire quelque chose - et je le dis en toute conscience - à propos de la facilité avec laquelle tout le monde, chacun d’après ses propres perceptions, dit que nous devrions être agressifs. Une question m'a été posée par SYRIZA, dans laquelle la chose étonnante suivante a été enregistrée : Pourquoi n'avons-nous pas réagi à Kasos sur le terrain ? En d'autres termes, SYRIZA pense, et ceux qui s’opposent à cette politique pensent, que nous devrions être engagés dans un incident militaire en ce moment.

Et je le répète, ceux qui disent cela comprennent-ils si facilement les conséquences de toutes ces choses ? Je n'ai jamais dit – et aucun ministre des Affaires étrangères ni aucun Premier ministre ne le fera jamais – qu'il fallait faire des concessions quand il s’agit de notre souveraineté et de nos droits souverains. Ils agissent tous sur la base d'un principe, qui est de servir nos droits nationaux, et c'est ce que nous ferons toujours.

D'un autre côté, nous devrions comprendre qu'il est toujours préférable de pouvoir parler plutôt que d'être sous la menace d'une arme et que nos intérêts nationaux ne sont en fin de compte pas servis par des cris de guerre, ni par une rhétorique facile d'hostilité. Ils sont servis par un discours solide et, surtout, Monsieur Venieris, ils sont servis par une diplomatie forte.

JOURNALISTE : C’est clair.

G. GERAPETRITIS: Quand la Grèce, M. Venieris, a-t-elle eu plus de capital diplomatique qu'aujourd'hui ?

JOURNALISTE : J’aborderai cette question. J'étais convaincu que ce que vous venez de dire est vrai. Jusqu'à l'aventure juridique dans laquelle s'est trouvé Menendez et la modification, même au niveau des discussions, des questions relevant des programmes d'armement gréco-turcs. C'est là que je suis un peu perdu, parce que je vois qu’il y a un changement de climat par rapport à ces affirmations dans l’absolu de genre « vous n'aurez pas ceci, vous ne ferez pas cela, nous ne donnerons rien à la Türkiye » et Menendez est parti. Et j'aimerais que vous me donniez une interprétation.

G. GERAPETRITIS : Vous faites bien de poser cette question. Revenons donc à la situation qui prévalait lorsque la Nouvelle Démocratie est arrivée au pouvoir et à celle qui prévaut aujourd'hui. En 2019, la Türkiye participe au programme F-35 et a déjà obtenu la mise à niveau des F-16, tandis que la Grèce ne participe pas au programme F-35 et n'a même pas obtenu la mise à niveau des F-16 vers le Viper. Telle était la réalité. Où en sommes-nous aujourd'hui, M. Venieris ? La Grèce a obtenu sa participation au programme F-35, ce qui confère à sa défense aérienne un avantage extraordinaire. Elle a déjà modernisé et continue de moderniser les F-16, tandis que la Türkiye ne participe pas au programme F-35 et n'a pas obtenu les F-16. Ce sont donc les faits qui parlent d’eux-mêmes, M. Venieris. Vous me dites qu'il peut y avoir un changement…

JOURNALISTE : Non, il y a une discussion qui se déroule ouvertement.

G. GERAPETRITIS : Je vais donc vous dire la chose suivante. La Grèce est avant tout intéressée par le renforcement de sa propre défense. Malheureusement, la décennie de crise a été extrêmement dégradante pour le niveau de la défense nationale grecque. C'est pourquoi le Premier ministre a fait du renforcement de notre défense nationale une priorité absolue. Et nous le faisons de manière très systématique, tant en termes d'équipements et d’effectifs qu'en termes de forces stratégiques. C'est ce que nous faisons. Nous le faisons depuis cinq ans et je pense qu'il n'y a pas un Grec qui ne voit pas que la Grèce est actuellement dans une bien meilleure situation en termes de défense nationale.
D'autre part, nous surveillons la Türkiye. C'est logique, c'est notre voisin avec lequel il y a des différends historiques. Il serait vraiment naïf de ne pas la surveiller. À l'heure actuelle, il n'y a pas eu d'amélioration en termes d'armement de défense entre les États-Unis et la Türkiye. Nous comprenons le désir de la Türkiye d’y participer de nouveau. Je le répète. Elle participait au programme F-35 et elle ne participe plus aujourd'hui. Donc, la Grèce, pour résumer, M. Venieris, afin d'avoir une compréhension commune…

JOURNALISTE : Parce que j'ai deux questions très importantes, je vous presse parce que le temps vous presse, sinon je serais très heureux de…

G. GERAPETRITIS : Vous avez raison, je dois rencontrer le vice-chancelier. En ce moment, la puissance diplomatique de la Grèce est aussi forte qu'elle ne l'a jamais été. La puissance diplomatique, Monsieur Venieris, n'est pas seulement déterminée par la solidité du Premier ministre - et nous avons un Premier ministre extrêmement extraverti et puissant en Europe et dans le monde. Elle est également déterminée par la position économique forte du pays et par la solidité de sa défense nationale.

JOURNALISTE : Bon, dites-moi, la crise en Ukraine a changé la donne sur le plan diplomatique et en termes de politique étrangère, d'alliances, etc. Notre relation avec les Russes a été touchée. Personne ne peut le contester. Nous avons rompu avec les Russes. Au-delà de l'aspect économique, des implications, etc., il s'agit de savoir si cette rupture des relations entraînera d'autres problèmes à l'avenir. Car une partie de l'opposition vous accuse, accuse le pays de se plier à la volonté de l'Occident. A savoir que l'Occident, en fonction de sa volonté, nous place sur la ligne de front dans cette friction entre la Russie et l’Ukraine et que nous, nous sommes disposés à se plier à cette volonté. Comment réagissez-vous ?

G. GERAPETRITIS : Avec tout le respect que je vous dois, je n'ai jamais entendu une interprétation aussi simpliste que celle-ci.

JOURNALISTE : Mais c'est possible et vous le savez.

G. GERAPETRITIS : Bien sûr, parce que les affirmations simplistes sont faciles à digérer et ne font que caresser les oreilles. Je tiens donc à dire ceci. La Grèce n'a absolument pas une attitude réservée et hésitante, ni n’est un interlocuteur consentant. La Grèce a une attitude fondée sur des principes. Nous appliquons les mêmes principes, qu'il s'agisse de l'Ukraine, du Moyen-Orient, de l'Afrique ou de l'Europe. De quoi s'agit-il ? Le respect absolu, le soutien absolu et la conformité au droit international. Vous savez, Monsieur Venieris, ce serait une contradiction absolue de soutenir le droit international dans la région du Moyen-Orient et, dans le cas de la Russie, de soutenir quelque chose de différent. L'attaque russe contre l'Ukraine est un événement réel, qui viole le droit international. Elle viole l'intégrité territoriale de l'Ukraine. Elle constitue un révisionnisme appliqué dans la pratique. Ceux qui, M. Venieris, ne cessent de dire que nous devrions être plus équilibrés, de manière à sécuriser un canal avec la Russie, se rendent-ils compte de la position de la Grèce si, à l'avenir, un révisionnisme similaire devait apparaître dans notre propre voisinage ?

JOURNALISTE : À Chypre, par exemple.

G. GERAPETRITIS : Même en Grèce. Il faut donc faire attention à la facilité avec laquelle ils le disent. Je voudrais dire quelque chose d'important, Monsieur Venieris. C'est précisément grâce à cette politique de principe, grâce à une politique qui respecte et fait respecter le droit international, que la Grèce est devenue aujourd'hui un partenaire fiable. Si ceux qui nous critiquent en disant que nous sommes considérés comme acquis ou disposés à nous plier à la volonté de l’Occident, veulent faire entendre par cela que nous agissons sur la base de principes, alors j’accepterais tout ce que vous dites. Car la Grèce est un pays qui doit être fondé sur des principes. Pensons un peu à notre attitude à l'égard du Moyen-Orient. Nous avons adopté une position de principe. Actuellement, grâce à cette position de principe, nous dialoguons avec Israël, avec le monde arabe et avec l'Occident. Grâce à cela, nous avons évité les problèmes que connaissent d'autres pays. Nous avons réussi à avoir une voix forte et, surtout, Monsieur Venieris, nous avons réussi à être respectés par tout le monde.

JOURNALISTE : Monsieur Gerapetritis, en tant que ministre à l’heure où des élections qui se tiendront aux États-Unis d'Amérique, pensez-vous - je ne vous le demanderai pas, parce que je serais très déraisonnable, de choisir entre Trump et Kamala - que le choix de la personne - bien que les Américains aient leurs propres problèmes et ne sont pas du tout intéressés aux nôtres - ou l'élection de l'un ou de l’autre affectera différemment nos relations avec les Américains ? Je ne veux pas que vous me disiez, si vous ne le voulez pas, quel serait le meilleur scénario pour notre pays. Ce serait une erreur de ma part de demander à un ministre de répondre à cette question. Mais je vous demande si vous pensez qu'il existe des caractéristiques qualitatives qui affecteraient la Grèce, en fonction de l'attitude des électeurs américains.

G. GERAPETRITIS : Je vais vous donner une réponse claire. Même si vous vous rendez compte que votre question touche des cordes très sensibles et nous devrions garder la confidentialité. Je serai très clair. Les relations gréco-américaines transcendent les personnes et sont devenues si fortes qu'il est impossible qu'un changement de gouvernement les perturbe. Pourquoi ? Parce qu'elles sont fondées non seulement sur un intérêt mutuel, mais aussi et surtout sur une compréhension commune des affaires internationales, une compréhension commune des relations internationales. Et surtout, elles reposent sur l'idée que les pays qui ont une compréhension fondamentale du droit international doivent s’entendre.

Telle est notre attitude fondamentale et c'est pourquoi je suis sincère avec vous. Je ne pense pas qu'il y aura des perturbations en cas de changement de direction, de présidence des États-Unis. Cela dit, permettez-moi de souligner que le ministère des Affaires étrangères a déjà mis en place les canaux nécessaires pour assurer la continuité des relations gréco-américaines, afin que nous puissions continuer à ce niveau. Bien sûr, nous devrions également dire ceci. Le changement à la présidence des États-Unis, dans la fonction exécutive des États-Unis, est très susceptible de façonner des équilibres différents en termes d'architecture de sécurité mondiale. Cela n'affectera peut-être pas les relations gréco-américaines, mais cela pourrait modifier les attitudes américaines sur d'autres questions capitales dans le monde.

JOURNALISTE : La Russie…

G. GERAPETRITIS : La Russie et le Moyen-Orient. Sur les grandes questions brûlantes, donc…

JOURNALISTE : Nous ne sommes donc pas concernés, dites-vous.

G. GERAPETRITIS : Nous comprenons donc qu'il pourra y avoir éventuellement un changement. Dans certains cas, je ne suis pas sûr qu'il y aura un changement radical dans la diplomatie américaine, qui a toujours certains principes invariables mais il y a la possibilité de certains changements ponctuels. Ces changements - parce que les États-Unis sont évidemment un pilier de stabilité et, plus important encore, un pilier de puissance dans l'arène mondiale - dans la mesure où ils perturbent la situation actuelle, ils sont susceptibles d'avoir un effet par réflexion sur tous les pays, y compris la Grèce. Je n'exclus donc pas que le changement d'attitude ait des conséquences.

Mais ce que je veux vous dire, c'est que, tout d'abord, en ce qui concerne les relations gréco-américaines, nous n'avons aucune inquiétude. Au contraire, la dynamique est telle que nous ne pouvons qu'espérer une amélioration de la situation. Deuxièmement, en ce qui concerne l'équilibre mondial, je pense qu'il est important d'avoir une gouvernance mondiale stable. Bien sûr, les changements émanant des grandes puissances peuvent entraîner certaines perturbations. C'est pourquoi, M. Venieris, il est d'autant plus important pour la Grèce, un pays qui est un pilier de stabilité en Méditerranée orientale, en Europe et dans le monde, de maintenir cette position de principe, de ne pas avoir une politique transactionnelle et de procéder sur la base de ce qui sert nos droits nationaux.

JOURNALISTE : M. Gerapetritis, merci beaucoup.

G. Gerapetritis : C’était un honneur.

JOURNALISTE : Avec plaisir. Je vous souhaite une bonne continuation.

September 7, 2024