JOURNALISTE : Bonjour et bon carême. Nous souhaitons la bienvenue au ministre des Affaires étrangères, M. Giorgos Katrougalos. Monsieur le ministre bonjour.
G. KATROUGALOS : Bonjour et bon carême à nos chers auditeurs et auditrices.
JOURNALISTE : Pour commencer, j’aimerais avoir une brève prise de position de votre part, un bref commentaire concernant certaines questions politiques, à commencer par le fait qu’hier, nous n’avons pas réussi à décaisser le million d’euros que nous devions recevoir de nos obligations, des bénéfices de nos obligations et j’aimerais demander si les choses sont difficiles ? Sommes-nous en désaccord concernant la loi sur la protection de la première résidence ou bien pensez-vous que nous réussirons à trouver un terrain d’entente jusqu’au prochain Eurogroupe ?
G. KATROUGALOS : Vous avez à juste titre parlé de la seule divergence que nous avons. La protection de la première résidence. Je ne pense pas qu’il faille s’inquiéter, non pas parce que je le dis, mais parce que MM. Centeno et Moscovici l’ont déclaré. Ils se sont référés au progrès considérable accompli par notre pays et à la nécessité de clarifier des aspects de la nouvelle loi qui protègera la première résidence.
JOURNALISTE : Par conséquent, vous pensez que c’est une question de temps de parvenir à un accord ?
G. KATROUGALOS : Nous constatons une amélioration nette des volumes économiques qui est confirmée par des observateurs objectifs qui n’ont aucune raison d’être amicaux envers le gouvernement : la revalorisation de deux points, par exemple, de l’agence Moody’s qui est un fait exceptionnel. Dans ce contexte, nous pouvons intégrer les déclarations des hauts fonctionnaires dont je viens de parler et l’image objectivement bonne qui semble prévaloir partout à l’étranger sur le progrès de l’économie grecque. Donc, nous devons être optimistes et non inquiets.
JOURNALISTE : Quand pensez-vous que le Premier ministre et le gouvernement prendront la décision finale sur la date des élections nationales ? Est-ce que quelque chose se produira les prochaines semaines ? Le mois prochain ?
G. KATROUGALOS : Pour des raisons ayant trait à l’économie et à l’ordre constitutionnel, le Premier ministre a clarifié le fait que nous aurons des élections à la fin du mandat de quatre ans, à savoir en octobre.
JOURNALISTE : Vous savez, cela n’est pas très crédible. Dans le sens où la période des élections – et dans le passé nous dirions aussi la « dévaluation de la monnaie », lorsque nous avions une monnaie nationale – n’est jamais annoncée.
G. KATROUGALOS : Vous auriez raison à ce sujet et cela rendrait la question inutile, mais je vous dis que j’en suis convaincu. Car à une période où la situation économique s’efforce de s’améliorer, lorsqu’elle va bien mieux que l’on pourrait s’y attendre, ce n’est pas le moment de freiner cet élan, en organisant des élections. Je pense que pour cette raison seulement, même si nous n’avions pas les questions d’ordre constitutionnel, l’attitude responsable nationale serait d’achever la période de quatre ans. Je pense que c’est exactement ce que pense le Premier ministre.
JOURNALISTE : Un mauvais résultat lors d’une élection « détendue » dans le cas des élections européennes, ne risque-t-il pas de vous créer des problèmes pour la suite ? Je vous le demande car M. Theodorikakos, qui est conseiller de la planification stratégique de M. Mitsotakis, a dit hier qu’il n’était pas certain – je lis textuellement – que le parti SYRIZA puisse gouverner – ne serait-ce que formellement – après les résultats du 26 mai.
G. KATROUGALOS : C’est la devise qui est continuellement répétée par la Nouvelle Démocratie, en fait depuis 2016, à la lumière des différentes prévisions négatives qui à l’époque n’avaient pas rapport avec la performance du parti au pouvoir, mais avec le parcours de l’économie, que la première évaluation ne se terminera pas, la seconde évaluation ne se terminera pas.
J’aimerais vous dire qu’il y a deux facteurs qui, cette fois aussi, ne justifieront pas des scénarios négatifs similaires. Le premier est le résultat des élections ne sera pas ce que pense M. Theodorikakos, mais laissons cela de côté.
Le second, dont je suis convaincu – je ne fais pas de prévision – est que le Premier ministre, dans tous les cas, donne toujours la primauté à l’intérêt national du pays. Ce qui est apparu clairement avec l’Accord de Prespès et je vais vous dire la raison pour cela : le Premier ministre pense en termes de perspectives. Il pense pour le bien du pays et il sait qu’il remportera de nombreuses élections à l’avenir, les prochaines décennies où il sera présent sur la scène politique. En aucun cas il ne mettrait en péril l’intérêt national du pays à la lumière d’une prévision qui est strictement sur la ligne du parti.
JOURNALISTE : Vous faites référence à l’Accord de Prespès et à l’intérêt national, je suppose – car c’est le travail du journaliste, de toujours regarder le côté négatif – car vous sentez que cela vous a porté préjudice du point de vue politique, en vue des élections.
G. KATROUGALOS : Mais il ne fait aucun doute qu’il y a une réaction sentimentale qui est en grande partie due à la fierté nationale blessée de la période des mémorandums. Nous le voyons chez beaucoup de Grecs. Je ne me réfère pas aux cinq ou dix individus un peu burlesques ou agressifs qui vocifèrent dans la rue. Il se peut qu’on les y ais mis là. Je parle des gens simples, avec lesquels nous parlons et nous voyons bien que ces gens là ne sont pas d’accord avec l’Accord de Prespès. J’ai dit à plusieurs reprises que, à mon avis, lorsque les résultats positifs de l’Accord seront visibles et, surtout, lorsque les prévisions des Cassandre seront démenties, qui prédisent que les dangers nationaux seront favorisés par cet Accord, ce ne sera plus le cœur qui prévaudra, mais la raison. Et ces personnes se positionneront en faveur de l’Accord.
Toutefois, il y a une brève période de temps qui peut s’étendre jusqu’aux élections européennes, voire jusqu’aux élections parlementaires du mois d’octobre, où ce changement peut ne pas avoir eu lieu. Ce risque, d’avoir un coût politique à court terme par rapport à l’intérêt national à long terme, nous l’avons accepté.
JOURNALISTE : Faisons une révision – comme on dit à l’école – par rapport à ce qui se passe sur nos fronts nationaux. Comment l’application de l’Accord avec le pays voisin avance-t-elle, pour commencer ? Est-il appliqué ? Je le demande car il y a eu un ou deux événements qui ont semé des doutes.
G. KATROUGALOS : Μais ce sont exactement ces événements et la réparation des violations provisoires de l’Accord qui constituent, à mon sens, la meilleure preuve que celui-ci est appliqué. En même temps que les 160 – si je ne m’abuse – institutions publiques, bâtiments et organisations qui ont changé de nom sur décision du gouvernement de la Macédoine du Nord.
Ces derniers temps, une grande bataille est livrée à ce niveau-là. Vous avez vu que le Président continue, encore aujourd’hui, de refuser de signer les lois avec la nouvelle appellation de la Macédoine du Nord. Il y a une sorte de bras de fer dans ce pays, avec des nationalistes « têtes brulées » par rapport à notre pays. Par conséquent, l’application de l’Accord n’est pas chose facile. Nous constatons toutefois une bonne volonté de la part de l’autre partie. Mais nous ne laisserons pas l’application de l’Accord à la bonne volonté. Son application est suivie de près par une Commission que nous avons créée au sein du ministère des Affaires étrangères, une Commission interministérielle. Et nous nous basons sur un programme d’action qui n’inclut pas seulement l’exécution des clauses de l’Accord, mais surtout la promotion de ces mesures positives dans le domaine économique et culturel, qui créeront le climat approprié pour éviter que celui-ci soit renversé à l’avenir.
JOURNALISTE : S’agissant du front turc, comment vont les choses ? La dernière rencontre entre le Premier ministre et le président turc a-t-elle produit des résultats ? Les angles ont-ils été arrondis et les tensions ont-elles été désamorcées, ou bien la situation est-elle restée inchangée ?
G. KATROUGALOS : Le premier objectif, qui était de désamorcer les tensions a, en grande partie, été atteint. Il y a eu une rencontre entre les ministres de la Défense, des discussions se tiennent au niveau des équipes techniques en vue de la promotion des mesures de confiance. J’ai l’intention de rencontrer demain le ministre des Affaires étrangères, M. Cavusoglu, à Bruxelles. Nous nous entretiendrons lors d’un dîner de travail et je visiterai moi-même Antalya, le 21 mars ; le programme inclura l’examen des mesures de confiance pour désamorcer les tensions et une discussion pour voir ce que pense la partie turque de la question chypriote, puisque nos points de vue sont bien connus et ont été exprimés à Crans Montana, avec la clarté et la transparence que vous connaissez bien. Par conséquent, sans vouloir particulièrement créer un climat optimiste, nous ne nous sommes pas écartés de ce qui a été dit entre le Premier ministre et le Président Erdogan.
JOURNALISTE : Pensez-vous que les choses évolueront prochainement Monsieur le ministre, s’agissant du dossier chypriote ?
G. KATROUGALOS : Nous souhaitons le règlement de la question chypriote et ce, le plus rapidement possible. Les évolutions sur le dossier chypriote ne dépendent pas de nous, mais de l’autre partie et la question de savoir si celle-ci fera preuve de plus de créativité et notamment si elle prouve qu’elle veut s’acquitter des obligations émanant des Résolutions de l’ONU. Pour la partie grecque, le dossier chypriote n’est pas une question bilatérale, mais une question qui concerne l’application du droit international. C’est une question internationale.
JOURNALISTE : Qu’en est-il de notre voisin, l’Albanie ? Un dialogue portant sur différentes questions avait été annoncé. L’autre partie avait fait des déclarations explosives par la suite. Est-ce que ce processus est gelé ? Et qu’en est-il de la ZEE grecque en mer Ionienne ?
G. KATROUGALOS : Vous avez raison de dire qu’il y avait un certain retard à ce niveau là car il y a des bouleversements politiques dont nous tenons compte et nous devions recevoir les réponses de l’autre partie, par rapport à des questions concernant notre minorité : les deux grandes lois concernant la protection de leurs biens patrimoniaux par rapport à la côte de Himara et au droit à l’autodétermination, par rapport à leur capacité de dire qu’ils appartiennent à la minorité. Nous avons reçu certaines réponses de la part de la partie albanaise ; les discussions ont, dans une certaine mesure, redémarré et il est prématuré de dire si l’issue sera positive ou négative. Encore une fois, notre intention est d’avancer pour améliorer nos questions bilatérales et permettre que s’ouvre la perspective européenne de l’Albanie.
JOURNALISTE : J’aimerais insister un peu sur la question de la ZEE. Il y a eu une annonce de la part du gouvernement grec. Est-ce que celle-ci sera mise en œuvre ? Quand ? De quelle façon ? M. Kotzias a-t-il fait une annonce lors de la cérémonie de passation de pouvoir ?
G. KATROUGALOS : Oui et cela a été confirmé par la suite, par le Premier ministre et moi-même. Il s’agit effectivement d’étendre notre mère territoriale, car cela s’inscrit dans notre tentative de tracer la ZEE avec l’Albanie également et l’Italie et avec l’Egypte éventuellement si les négociations avancent. Il s’agit donc d’une décision politique prise et le Premier ministre a dit à ce sujet que cela se fera au moyen d’une loi formelle.
JOURNALISTE : Quand ? Avons-nous une idée de la date ?
G. KATROUGALOS : La date n’a pas encore été définie car les négociations sur la ZEE doivent avancer et c’est l’un des facteurs à prendre en compte. Mais il ne s’agit en tout cas pas de remettre cela aux calendes grecques.
JOURNALISTE : J’aimerais clore mon propos en parlant des relations gréco-américaines. Comment celles-ci évoluent-elles sous la Présidence Trump ? Avez-vous le sentiment que nous traversons une phase d’amélioration ? Est-ce que ces relations sont arrivées à terme ? Reculent-elles ? Que diriez-vous exactement au sujet de ces relations ?
G. KATROUGALOS : Les relations gréco-américaines n’ont jamais été à un meilleur niveau. Et nous ne sommes pas les seuls à le dire, l’ambassadeur américain à Athènes n’est pas le seul à le dire. Nous avons constamment les déclarations de hauts fonctionnaires américains, car celles-ci correspondent à la réalité, à savoir qu’il existe un alignement des intérêts des deux parties s’agissant de la nécessité de stabiliser la région particulièrement instable dans laquelle se trouve notre pays.
JOURNALISTE : Est-ce qu’une éventuelle inquiétude des Américains par rapport à la façon dont agit Erdogan peut jouer un rôle à ce sujet ?
G. KATROUGALOS : Μais de toute évidence, l’un des facteurs de l’instabilité est cette ambivalence de la Turquie, quant à la question de savoir dans quelle mesure elle demeurera un fidèle allié de l’Occident ou bien si elle entend faire de nouveaux choix. Ce n’est pas le seul facteur toutefois. Notre pays a prouvé qu’il n’était pas un simple pilier de sécurité, mais un exportateur de stabilité aussi. Non seulement à travers l’Accord de Prespès, mais à travers également les coopérations tripartites qui ont été mises sur pied en Méditerranée orientale.
Tout cela n’a pas commencé sous la présidence Trump. Sous la présidence Obama aussi, les relations étaient très bonnes et ce n’est pas par hasard que le Président Obama a choisi notre pays pour envoyer son dernier message sur la Démocratie depuis la Pnyx.
Cela montre, également, que l’une des raisons qui ont conduit les relations gréco-américaines à ce niveau élevé, est que celles-ci se trouvent pour la première fois sur un même pied d’égalité. Je ne prétends pas que la Grèce a le même poids politique que les Etats-Unis, mais que la stratégie des deux pays est tracée en fonction des intérêts nationaux et de leur convergence dans notre région.
JOURNALISTE : En raison de l’attitude dont la Turquie a fait preuve ces derniers temps, une attitude qui provoque une certaine nervosité dans ses relations avec les Etats-Unis et du fait que l’Europe transmet des messages disant que les négociations d’adhésion seront interrompues, que la Turquie n’adhèrera jamais à l’Union européenne, comme le message envoyé par Manfred Weber récemment, est-ce que la Turquie pourrait se transformer en variable imprévisible dans la région ?
G. KATROUGALOS : Il est dans l’intérêt de l’Europe et de notre pays que la perspective d’adhésion de la Turquie demeure ouverte. Des déclarations comme celles de M. Weber sont opportunistes et partisanes et, selon moi, elles s’inscrivent dans la montée des nationalismes. Notre pays estime, manifestement, que le pays voisin doit respecter l’acquis communautaire et les droits de l’homme pour avoir un avenir européen, et d’un autre côté, il ne veut pas exclure sa perspective européenne car cela serait au détriment du peuple turc, de l’Union européenne qui ne veut pas avoir un pays islamique à ses frontières orientales, mais aussi dans notre intérêt national. Et nous voulons une Turquie européenne.
JOURNALISTE : Et une Turquie qui, j’imagine, n’utiliserait pas la question migratoire au détriment de l’Europe.
G. KATROUGALOS : Davantage pour cette raison. Et c’est pourquoi nous sommes en faveur de relancer la discussion sur l’union douanière avec la Turquie, mais il existe là des conditionnalités au cas où la Turquie décide qu’elle ne veut pas s’acquitter de ses obligations. Par conséquent, nous voulons être ouverts à ses perspectives européennes, mais sous conditions, ces conditions qui, comme je l’ai dit, mèneront – si la Turquie décide réellement de suivre le cheminement vers l’Union européenne – à une situation gagnant-gagnant. Dans le cas opposé, nous avons les moyens institutionnels de contrôler des comportements contraires.
JOURNALISTE : Je vous remercie Monsieur le ministre, passez une bonne journée.
G. KATROUGALOS : Bonne journée à vous aussi.
March 12, 2019