Interview du ministre des Affaires étrangères, G. Katrougalos à Spiegel Οnline – Propos recueillis par le journaliste G. Christidis (11.03.2019)

JOURNALISTE : Monsieur le ministre, la Grèce a réglé le conflit sur le nom qui perdurait depuis des décennies avec le pays voisin, la Macédoine du Nord. Êtes-vous satisfait ?

G. KATROUGALOS : Je pense que chaque Grec peut voir combien la position internationale de la Grèce a été revalorisée ces derniers temps. Nous ne nous sommes pas seulement imposés comme une démocratie stable, mais comme un pays qui exporte de la stabilité. Après l’Accord de Prespès pour la résolution du conflit sur le nom, nous disposons d’un capital diplomatique plus important que jamais.

JOURNALISTE : Vous avez rencontré cette semaine votre homologue de la Macédoine du Nord, Nikola Dimitrov – est-ce le signe d’une nouvelle ère qui s’ouvre ?

G. KATROUGALOS : Un conflit très dur qui divisait nos deux pays depuis presque 30 ans a laissé la place à une relation où nos problèmes sont communs. Nous voulons que l’esprit et la lettre de l’Accord soient appliqués. Outre cela, nous voudrions bâtir un partenariat stratégique entre nos deux pays et en général dans les Balkans.

JOURNALITE : Le Premier ministre grec, Tsipras et le Premier ministre de la Macédoine du Nord sont candidats au Prix Nobel de la Paix. Est-ce mérité ?

Est-ce mérité ?

G. KATROUGALOS : La Commission des Prix Nobel en décidera. Je pense que l’Accord de Prespès est un accord pionnier et le Prix Nobel de la Paix serait la reconnaissance appropriée.

JOURNALISTE : L’adhésion de la Macédoine du Nord à l’OTAN est imminente. Quelles sont les autres conséquences de l’Accord ?

G. KATROUGALOS : Les Balkans étaient considérés comme une région d’instabilité et la poudrière potentielle de l’Europe. Maintenant il y a la tendance inverse : une tendance à la stabilité et à la coopération. Et cela est très positif, tant pour la région que pour la Grèce. Notre objectif est la promotion d’un espace économique unique dans notre région, un grand marché de près de 50 millions de personnes.

JOURNALISTE : De nombreux Grecs s’inquiètent du fait qu’Alexandre le Grand et l’ancienne Macédoine ne seront plus considérés comme étant grecs. Un exemple que j’affectionne particulièrement : dans les quizz britanniques la question suivante a souvent été posée : « quelle était la nationalité d’Alexandre le Grand ? ». La réponse « grec » était fausse.

G. KATROUGALOS : Personne ne pense qu’Alexandre le Grand était Slave. Des erreurs se produisent fréquemment. Je me souviens du blockbuster hollywoodien concernant Alexandre : lorsqu’il entrait au combat, il criait : « A la Grèce !». Même dans un film hollywoodien, qui reflète les points de vue des gens moyens, ce qu’était la Grèce et ce qu’était l’ancienne Macédoine était bien clair.

JOURNALISTE : Récemment la publication de photos dans un stand de la Macédoine du Nord à une exposition internationale sur le Tourisme à Berlin a engendré des problèmes. Il était fait publicité du pays sous le nom «Macédoine». Après protestation des Grecs, les enseignes ont été retirées.

G. KATROUGALOS : Leur volonté d’appliquer l’Accord est manifeste : les violations de l’accord, que ce soit par erreur, ou par habitude, seront immédiatement notées puis éliminées.

JOURNALISTE : Quel rôle jouent la Russie, les Etats-Unis et la Turquie dans la discussion sur la Macédoine du Nord ?

G. KATROUGALOS : Ces trois pays ont des intérêts dans la région et essaient toutes d’imposer les leurs.

JOURNALISTE : Que veut la Russie ?

G. KATROUGALOS : La Russie est contre l’élargissement de l’OTAN. Mais dans nos discussions avec la Macédoine du Nord, la question pour nous était de promouvoir nos propres intérêts.

JOURNALISTE : Est-ce que Moscou a fait pression pour que vous vous retiriez des pourparlers ?

G. KATROUGALOS : Il n’y a eu aucune pression. De toute façon, nous ne permettons pas que des pressions soient exercées sur nous.

JOURNALISTE : La Grèce a expulsé des diplomates russes. Il est dit qu’ils auraient tenté de provoquer des protestations contre l’Accord, en payant des hommes politiques et des hommes d’affaires.

G. KATROUGALOS : Ecoutez. Lorsque nous avons compris qu’il y avait des événements qui étaient contraires à la façon dont un pays doit respecter la souveraineté de l’autre, nous avons réagi. Mais il n’y a eu officiellement aucune pression de la part de Moscou, outre un échange de vues. Comme je l’ai dit : nous ne permettons pas que des pressions soient exercées sur nous.

JOURNALISTE : Est-ce que l’Allemagne a fait pression pour promouvoir l’Accord ?

G. KATROUGALOS : La situation, s’agissant de nos relations avec l’Allemagne, s’est nettement améliorée, et notamment la coopération entre Tsipras et Angela Merkel. Nous avons lutté ensemble pour faire face au problème migratoire. Et cela a substantiellement contribué à la reconnaissance mutuelle entre les deux chefs de gouvernements. La presse à scandale a utilisé de nombreux « clichés » au début de la crise. Mais la situation n’est plus ce qu’elle était.

JOURNALISTE : 70% des Grecs rejettent l’accord passé avec la Macédoine du Nord. Cela est un problème pour le Premier ministre Tsipras.

G. KATROUGALOS : Le pourcentage exact varie en fonction des sondages. Je pense qu’il s’agit d’une réaction sentimentale, qui peut s’expliquer notamment par le fait que la fierté nationale d’une grande majorité du peuple grec a été blessée pendant les années de crise. La crise pour le Grec moyen n’était pas seulement synonyme de grande pauvreté, mais d’affaiblissement de notre souveraineté nationale. Mais il ne fait aucun doute que nos citoyens changeront d’avis lorsqu’ils comprendront la vraie importance de l’Accord de Prespès, lorsqu’ils réfléchiront de manière raisonnée et sans émotion.

JOURNALISTE : En automne sont prévues des élections pour le nouveau Parlement. Avez-vous assez de temps à votre disposition pour convaincre les citoyens ?

G. KATROUGALOS : Les électeurs ne se prononceront pas seulement sur l’Accord. Le fait que la Grèce soit sortie des programmes de sauvetage est également important.

JOURNALISTE : Quelle sera votre prochaine priorité ?

G. KATROUGALOS : Nous sommes entrain de discuter de mesures de désescalade des tensions avec la Turquie. Je rencontrerai ce mois-ci mon homologue turc. Nous voudrions voir si les pourparlers sur la question chypriote peuvent de nouveau être relancés, afin de réunir l’île conformément aux résolutions de l’ONU. Nous voulons épuiser toute possibilité que nous avons pour y parvenir.

JOURNALISTE : La Grèce réclame le paiement des réparations allemandes au titre des dommages subis pendant la seconde guerre mondiale. Tsipras avait promis que d’ici la fin de l’année 2018, la question serait débattue au Parlement. Depuis, elle est constamment reportée.

G. KATROUGALOS : Je ne peux vous donner de date précise. J’étais présent lorsque Tsipras a soulevé cette question à Angela Merkel. La question pour nous demeure entière. Du point de vue moral, historique, politique et juridique. Nous continuerons d’insister à ce sujet.

JOURNALISTE : Dans un avenir proche ?

G. KATROUGALOS : Dans un avenir très proche, la question sera soumise au Parlement. En mars ou en avril.

JOURNALISTE : Et quand auront lieu les élections ? Certains s’attendent à des élections anticipées en mai.

G. KATROUGALOS : Les élections auront lieu en octobre. Cela est défini dans la Constitution. En outre, notre situation économique vient de commencer à s’améliorer. Nous n’avons aucune raison de changer la date.

March 12, 2019