Interview du ministre des Affaires étrangères, Nikos Dendias, au journal Naftemporiki et au journaliste Michalis Psylos (18.05.2023)

JOURNALISTE :  Monsieur le ministre, nous vous remercions beaucoup de votre interview au journal « N ». Nous sommes juste avant les élections en Grèce et juste après les élections en Turquie. Comment jugez-vous le résultat du premier tour des élections turques et quelles en seront les conséquences pour les relations gréco-turques ?

N. DENDIAS : «  Monsieur Psylos, la victoire d'Erdogan au premier tour des élections turques n'a pas été une surprise pour nous, c'est quelque chose que nous avions pressenti, car il est extrêmement difficile de mesurer par des sondages la tendance des électeurs dans l'est de la Turquie. Il ne fait aucun doute que nous suivons de près l'évolution de la situation. Il n'est pas opportun de tirer des conclusions hâtives d'un développement politique quel qu'il soit. Je pense que lors d'une élection, nous ne devrions pas nous concentrer uniquement sur les données quantitatives, mais également sur les caractéristiques qualitatives des résultats, qui sont généralement les plus intéressantes. À cet égard, un aspect intéressant du résultat des élections concerne la manière dont il façonnera le paysage politique interne de la Turquie, qui, à son tour, influencera la conception de sa politique étrangère. Pour nous, ce serait une évolution souhaitable si la Turquie s'éloignait de la logique du révisionnisme et du néo-ottomanisme et démontrait une volonté sincère de s'engager dans un dialogue significatif et constructif pour résoudre notre différend unique sur la délimitation du plateau continental et de la ZEE sur la base du droit international et du droit international de la mer. Pour notre part, notre pays a l'obligation évidente de coopérer avec les dirigeants choisis par le peuple turc, et c'est ce que nous ferons. Nous travaillons toujours à l'amélioration des relations bilatérales, sans exclure le fait que nous nous préparons à l'éventualité non souhaitable d'une tension ».

JOURNALISTE : Vous avez affirmé qu'Athènes « souhaiterait une Turquie stable, riche, démocratique et pro-occidentale ». Cet objectif peut-il être atteint ?

N. DENDIAS : « C'est une position immuable de notre pays, qui ne concerne pas seulement la Turquie, mais tous les États voisins. Nous voulons qu'ils soient stables, qu'ils aient des institutions démocratiques qui fonctionnent, qu'ils respectent l'État de droit et les droits de l'homme. Nous voulons qu'ils se développent économiquement et améliorent le niveau de vie de leurs citoyens. Nous voulons qu'ils progressent sur la voie de l'intégration européenne, qui est, après tout, leur objectif stratégique déclaré. Et, bien sûr, nous voulons qu'ils reconnaissent le droit international comme seul cadre de résolution des conflits.

Car nous savons que chaque pas fait par nos États voisins dans cette direction contribue à consolider la stabilité régionale et à créer de meilleures conditions d'entente et de coopération, et est donc dans l'intérêt non seulement de nos voisins, mais aussi de notre pays. C'est pourquoi, en tant que Grèce, nous sommes prêts à soutenir chaque pas en avant, tout comme nous sommes prêts à évaluer chaque pas en arrière. En tout état de cause, il va de soi que la direction que prendra chaque pays de la région dépend principalement et avant tout de chaque pays. »

JOURNALISTE : Monsieur le Ministre, selon notre position nationale immuable, notre seule différence avec la Turquie concerne le plateau continental et la zone économique exclusive. Mais cela signifie que nous devons d'abord fixer nos eaux territoriales à 12 milles. S'agit-il d'une panacée ou pouvons-nous accepter des positions différentes ?

N. DENDIAS : « Monsieur Psylos, votre question me donne l'occasion de clarifier une fois de plus : la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer stipule explicitement que chaque État a le droit d'étendre la largeur de sa mer territoriale jusqu'à 12 milles nautiques. Il s'agit d'un droit unilatéral, inaliénable et non négociable. Cela signifie qu'il appartient à notre pays de choisir quand, où et comment l'exercer, dans le seul but de défendre son intérêt national ».

JOURNALISTE : Je ne sais pas si nous pouvons être optimistes, car depuis 2004, il y a eu 64 tours de contacts exploratoires avec Ankara sans aucun résultat substantiel. Pensez-vous que nous pourrons bientôt passer des contacts exploratoires à un dialogue formel avec la Turquie ? Et ce sur quelle base ?

N. DENDIAS : « Ces contacts, qui ont été initiés pour servir un objectif spécifique de l'époque, à savoir recourir à La Haye d'ici 2004,  n'ont pas donné les résultats escomptés. C'est pourquoi, comme je l'ai déjà indiqué, je recommanderai au Premier ministre certaines modifications de la procédure qui, selon moi, pourraient être apportées. Des modifications qui, bien entendu, s'inscriront dans le cadre de nos positions immuables. Elles viseront au renouvellement nécessaire du processus global, en augmentant éventuellement les perspectives d'un meilleur résultat dans la tentative de lancer un dialogue formel avec la Turquie sur la base du droit international et du droit international de la mer. Personne ne sait dans quelle mesure cela est faisable et dans quel délai cela pourrait être réalisé. Mais personne ne peut laisser inexploitée la fenêtre qui s'est ouverte dans nos relations avec notre voisin. Nous devons en tirer le meilleur parti, afin qu'elle devienne la porte d'opportunité qui pourrait donner lieu à une coexistence hautement constructive entre les deux peuples en Méditerranée orientale.

JOURNALISTE : Monsieur le Ministre, ces derniers temps, un slogan a été entendu dans certains milieux : « Non aux Prespès de la mer Egée ». J'aimerais savoir ce que vous en pensez.

N. DENDIAS : « Permettez-moi de vous dire que, comme dans le cas  de tous les slogans et toutes les simplifications excessives en matière de politique étrangère, je fais preuve de beaucoup de prudence. Je pense également que ce débat sur les « Prespès de la mer Égée » qui a lieu en ce moment, à l'approche des élections, est probablement source de confusion. Entre la Grèce et la Turquie, en dehors du plateau continental et de la ZEE, il n'y a pas d'autres différends sur lesquels des concessions mutuelles pourraient être faites ».

JOURNALISTE : En ce qui concerne la question chypriote, Monsieur le Ministre, voyez-vous une évolution après les élections dans les deux pays ?

N. DENDIAS : « Il est presque certain qu'une fois les processus électoraux terminés dans les deux pays, nous pourrons parler plus confortablement de cette question. Il serait souhaitable que le bon climat dans nos relations avec la Turquie, qui a prévalu après les tremblements de terre dévastateurs dans ce pays, se poursuive après les élections. Et, comme je l'ai déjà dit, cela ouvrirait peut-être une fenêtre d'opportunité pour la question chypriote également.

Cependant, comme dans le cas des relations gréco-turques, personne ne devrait être naïf ou irréaliste en ce qui concerne la question chypriote. Les mesures prises par la partie turque, même au niveau politique le plus bas, ou le fait accompli que l'on tente de créer - comme dans le cas des propriétés grecques à Famagouste - n'incitent pas à l'optimisme. En revanche, les positions et les efforts de la République de Chypre sur cette question sont d'une importance primordiale. Et je dois dire que je suis déjà heureux de voir la nouvelle direction du président et ami, Nikos Christodoulidis, prendre des mesures pour reprendre les négociations, avec la proposition d'une participation plus active de l'UE, par la nomination d'une personnalité politique qui prendra l'initiative de sortir les pourparlers de l'impasse, toujours dans le contexte des décisions de l'ONU. Bien entendu, nous nous tenons et nous nous tiendrons aux côtés de Chypre, l'aidant à éviter et à prévenir de nouveaux faits accomplis. Pour la politique étrangère grecque, la question chypriote est une priorité fondamentale ».

JOURNALISTE : M. Dendias, une dernière question : L'invasion de l'Ukraine par la Russie a bouleversé les équilibres et les réalités géopolitiques dans la région et dans le monde. Voyez-vous la lumière au bout du tunnel pour un cessez-le-feu et ensuite un accord de paix ?

N. DENDIAS : « Il est clair, comme vous le dites, que l'invasion sans raison de l'Ukraine par la Russie a bouleversé des décennies de données et de certitudes, toute l'architecture de sécurité qui prévalait en Europe après 1991, pour ne pas remonter plus loin. Il y a deux choses que je peux signaler et souligner ici : Premièrement, la position claire que la Grèce, avec ses partenaires et alliés, a adoptée pour soutenir l'Ukraine et son peuple qui se bat pour son indépendance et son intégrité territoriale. En d'autres termes, elle s'est rangée du côté du droit international et des principes et valeurs que nous défendons et invoquons pour nous-mêmes. Et, en même temps, on espère qu'à un moment donné, l'envahisseur adoptera une approche plus réaliste. Deuxièmement, dans le nouvel environnement international qui se dessine, nous poursuivons une politique étrangère active, un effort pour élargir nos relations et nos alliances avec les pays avec lesquels nous partageons des principes et des valeurs communs - avant tout, le respect des frontières et de l'intégrité territoriale des pays, et la résolution de tout différend par des moyens pacifiques - afin que nous puissions nous aussi contribuer à leur renforcement et finalement à leur prédominance, en tant que base commune qui doit s'appliquer à tous, sans exception ».

JOURNALISTE : Monsieur le Ministre, merci beaucoup de votre interview au journal « Naftemporiki » et je vous souhaite tout le succès pour  dimanche.

N. DENDIAS : « Je vous remercie également ».

May 18, 2023