JOURNALISTE : Ça sera encore un été chaud en mer Egée ?
N. DENDIAS : j'espère sincèrement que non Monsieur Pollatos. La tension n'est un paramètre positif pour personne. Encore moins au milieu de la saison touristique. Bien sûr, en août 2020, vous vous souvenez de ce que nous avons vécu, ce qui était absolument la faute de la Turquie. L'attitude de la Turquie déterminera si et dans quelle mesure nous aurons un été tranquille cette année. Récemment, nous avons assisté à une escalade de la rhétorique turque. Les représentants de la direction politique, de l'opposition et de divers analystes en Turquie semblent s'être engagés dans un concours particulier d'attaques verbales contre la Grèce. S’adonnant à une surenchère sur des allégations juridiques sans fondement, des récits mensongers, des affirmations absurdes et même des insultes personnelles à l'égard des membres du gouvernement grec, y compris le Premier ministre. Chaque jour, nous lisons ou entendons des déclarations en ce sens, émanant d'une partie importante du milieu politique turc - et pas seulement de responsables gouvernementaux, pour être juste. Des déclarations qui, dans d'autres circonstances, pourraient être qualifiées de quasiment pittoresques, si elles ne servaient pas systématiquement l'idéologie dangereuse du révisionnisme turc et n'étaient pas accompagnées d'un comportement extrêmement provocateur, comme le survol d'îles grecques habitées. Nous avons choisi de répondre à cette escalade avec prudence, avec calme, mais aussi avec détermination dans la défense de nos droits. Dans le plein respect du droit international et en particulier du droit international de la mer. Nous ne nous laissons pas emporter dans une confrontation stérile, ni ne nous gaspillons notre énergie pour faire impression.
Comme je l'ai souligné à plusieurs reprises, nous protégeons notre pays sur le plan diplomatique en renforçant les liens avec nos partenaires stratégiques. Nous informons nos alliés et partenaires du comportement inacceptable de la Turquie. Nous sommes maintenant heureux de constater que nos arguments sont acceptés, comme le montrent les conclusions du récent Conseil européen, ainsi que les exhortations des alliés à la partie turque en marge du sommet de l'OTAN à Madrid. Et bien sûr, nous renforçons la capacité de dissuasion de notre pays.
Notre sécurité nationale est d'abord et avant tout notre affaire et repose essentiellement sur nos propres forces.
JOURNALISTE : Les revendications de la Turquie concernant la démilitarisation des îles peuvent-elles donner lieu à une escalade ?
N. DENDIAS : Sur cette question également, les revendications de la Turquie sont juridiquement totalement infondées et constituent essentiellement un élément de plus dans le récit révisionniste général avancé par le pays voisin. Au contraire, les positions de la Grèce sont fondées sur le droit international, sur les traités internationaux, sur la Charte des Nations unies, sur le droit fondamental de protéger l'intégrité territoriale et la souveraineté nationale des États.
Nous avons envoyé deux lettres au Secrétaire général des Nations unies, dans lesquelles nous réfutons, une par une, toutes les allégations infondées de la Turquie. Le nouveau discours selon lequel la Turquie lie notre souveraineté sur les îles de la mer Égée à leur démilitarisation est particulièrement inquiétant et dangereux, surtout dans le contexte mondial actuel. C'est pourquoi nous avons intensifié notre campagne d'information auprès de nos partenaires, ainsi qu'auprès de l'opinion publique internationale. Le fait qu'il y ait eu de nombreuses réactions, qui réfutent essentiellement les affirmations turques, montre que les autres États comprennent que ces affirmations ne sont pas fondées sur la logique.
JOURNALISTE : La fermeture des canaux de communication est-elle une tactique d'Erdogan à l'approche des élections en Turquie ou l'escalade de la crise est-elle inévitable ?
N. DENDIAS : Tout d'abord, je voudrais souligner, une fois de plus, que ce n'est pas nous qui avons décidé de couper les canaux de communication avec la Turquie. Ce n'est pas nous qui avons mis fin au processus du Conseil de Coopération de haut niveau, aux mesures de confiance, aux contacts exploratoires, au dialogue politique et à l'agenda positif. Nous souhaitons réduire les tensions et nous nous réjouissons sincèrement de maintenir des canaux de communication ouverts avec Ankara et de mener un dialogue constructif, toujours sur la base du droit international.
Il y a quelques jours, en marge du sommet de l'OTAN à Madrid, j'ai eu une rencontre sociale avec le président Erdogan, puis avec mon homologue Mevlut Cavusoglu, que je connais depuis plusieurs années. Mais ce n'est pas à moi, ni à aucun fonctionnaire non turc, d’émettre des commentaires sur l'origine de la décision de « fermer les canaux de communication » et son objectif. Toutefois, je comprends que la récente concurrence de déclarations contre la Grèce ne reflète pas les sentiments amicaux qu'une partie importante de la société turque éprouve encore pour la Grèce. En particulier, de cette partie qui attend toujours avec impatience la perspective européenne du pays voisin. C'est également le cas dans la société grecque, qui ressent une affinité particulière avec la partie pro-européenne de la société turque.
JOURNALISTE : Pensez-vous que l'ouverture de nombreux fronts du côté de la Turquie favorise l’établissement d’alliances plus élargies pour y faire face ?
N. DENDIAS : Notre politique étrangère n’est déterminée que par nos positions immuables fondées sur les principes du droit international. Dans le même temps, la Grèce recherche des synergies avec d'autres pays, dans le but ultime de maintenir la sécurité, la stabilité et la prospérité dans la région plus élargie.
Aujourd'hui, avec les innombrables défis auxquels nous sommes confrontés, dans une période de guerre que toute l'Europe connait en supportant ses conséquences dramatiques, nous croyons fermement que la coopération entre pays inspirés par les mêmes principes et appliquant les mêmes règles est plus impérative que jamais. Nous pensons que c'est le meilleur héritage pour l'avenir de notre pays, pour l'avenir de la communauté internationale, pour l'avenir de l'humanité elle-même. Notre pays s'ouvre désormais au monde doté d’une confiance extravertie.
JOURNALISTE : Au lendemain du sommet de l'OTAN à Madrid, pensez-vous que la Suède et la Finlande ont cédé aux pressions turques ? L'accord avec la Turquie va-t-il nuire à nos intérêts, notamment au sein de l'Union européenne ?
N. DENDIAS : Si nous prenons comme référence les rapports de la presse pro-gouvernementale sur la Turquie, alors l'accord signé à Madrid, qui, il faut le noter, n'a pas de caractère juridique indépendant et ne lie pas d’autres parties, pourrait être décrit comme un succès pour la Turquie. Une lecture attentive du texte donne cependant une image différente. Au niveau de l'exploitation rhétorique, cela peut donner l'impression que la Suède et la Finlande font des concessions. En réalité, cependant, la Turquie ne gagne rien de substantiel. En ce qui concerne le terrorisme, la Turquie n'a pas réussi à faire déclarer « terroristes » les Kurdes syriens qui ont combattu « ISIS », ce qu'elle souhaite ardemment mais qu'aucun autre pays n'accepte. Quant aux éventuelles extraditions de suspects, celles-ci seront examinées sur la base de la Convention européenne d'extradition. Cela arriverait de toute façon. En ce qui concerne les exportations de systèmes d'armes vers la Turquie, outre le fait que les exportations suédoises et finlandaises sont négligeables, ces pays sont de toute façon liés par les décisions européennes pertinentes.
Enfin, la participation de la Turquie à la défense européenne requiert l'unanimité des États membres de l'UE, c'est-à-dire de notre pays et de Chypre. Et bien sûr, notre position sur cette question, ainsi que celle de Chypre, dépendra du comportement de la Turquie.
JOURNALISTE : La Grèce doit-elle continuer à soutenir l'adhésion de la Suède et de la Finlande à l'OTAN ?
N. DENDIAS : Bien sûr. À Madrid, j'ai rencontré mon homologue suédoise Ann Linde et mon homologue finlandais Pekka Haavisto. À tous deux, j'ai réitéré le soutien total de la Grèce à la candidature de leur pays à l'OTAN.
Cette décision est une question de principe pour le gouvernement Mitsotakis. La Suède et la Finlande sont nos partenaires au sein de l'Union européenne depuis des décennies. Nous avons d'excellentes relations bilatérales avec les deux. La Suède compte même une importante communauté grecque. À l'heure où la situation sécuritaire en Europe évolue rapidement, nous devons faire preuve de solidarité. Comme nous l'attendons de la part de nos partenaires. Nous avons pris une position claire sur l'invasion russe en Ukraine. Et dans ce contexte, nous avons imposé des sanctions et nous nous sommes alignés sur nos partenaires de l'Union européenne et nos alliés de l'OTAN.
Nous n'adoptons pas une attitude ambivalente. Nous ne poursuivons pas une politique aventuriste. Et nous n'entrons pas dans une « logique de marchandage oriental » avec des gains douteux, au mieux.
Si je puis me permettre, cette attitude de la Turquie a été doublement dommageable pour elle. Au moins au niveau international. Tout d'abord, la Turquie, comme je l'ai dit, n'a rien gagné de substantiel dans ce marchandage. Elle a également renforcé l'image d'un allié irrésolu qui n'hésite pas à mettre en danger la cohésion de l'OTAN. Elle a peut-être eu certains gains sur la scène politique interne, mais cela ne concerne pas la Grèce. Le gouvernement Mitsotakis ne mène pas une politique étrangère pour un public interne. Notre politique défend les intérêts nationaux.
JOURNALISTE : La validité de la clause d'assistance mutuelle en matière de défense a-t-elle été réaffirmée lors de votre récente visite aux Émirats arabes unis ?
N. DENDIAS : Lors de ma récente visite aux Émirats arabes unis, la sixième en moins de trois ans, le caractère stratégique de nos relations qui a été scellé en novembre 2020 avec la signature de l'accord de politique étrangère et de coopération en matière de défense, qui contient une clause d'assistance mutuelle en matière de défense qui reste bien sûr en vigueur, a été réaffirmé. Permettez-moi de vous rappeler que la Grèce a signé un accord bilatéral similaire avec un seul autre État, la France. En soi, cela en dit long.
Notre relation stratégique avec les Émirats arabes unis a pris un nouvel élan avec la signature de 12 protocoles d'accord sur un large éventail de questions lors de la visite du Premier ministre dans le pays en mai dernier, et l'accord sur les investissements émiratis dans notre pays à hauteur de 4 milliards d'euros. Ma rencontre avec mon homologue le cheikh Abdullah a scellé la volonté d'approfondir les relations, notamment dans le domaine économique et, de fait, dans des secteurs de pointe pour l'économie grecque, tels que les énergies renouvelables et les technologies avancées.
JOURNALISTE : Considérez-vous que le rapprochement de la Turquie auprès des pays de la région est opportuniste ou qu'il risque de nuire à nos propres alliances ?
N. DENDIAS : La tentative de la Turquie de renouer et d'améliorer ses relations avec la plupart des pays voisins avec lesquels elle s'est aliénée ces dernières années démontre l'impasse économique et politique dans laquelle elle s'est retrouvée en raison de ses aspirations « néo-ottomanes ». Il reste à savoir si ces gestes représentent une réorientation stratégique ou un repli tactique. Ce qui est certain, c'est que le changement de politique étrangère que la Turquie tente aujourd'hui démontre l'erreur de ses calculs initiaux.
Au cours de la période écoulée, nous avons, parallèlement aux alliances existantes, établi de nouvelles relations avec plusieurs États sur la base du respect du droit international et du droit international de la mer. C'est pourquoi nous voulons que la Turquie parle avec les pays qui croient, comme nous, que le droit international est la base sur laquelle les différends entre États doivent être résolus. Le rapprochement de la Turquie avec les pays de la région, avec lesquels elle était en tension, ne devrait pas bouleverser les relations de ces pays avec la Grèce.
Nous sommes un pays sûr de lui, confiant dans ses positions et ses principes. Nous avons réussi, grâce à une politique étrangère véritablement proactive, à faire entendre notre voix et à jouer un rôle dans la région plus élargie. Par conséquent, notre politique n’est pas déterminée en fonction des alliances et des aspirations de notre pays voisin.
July 3, 2022